Ineffablement nous

Chapitre 1 : Les gouttes du fiasco

1674 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Crowley conduisait sa Bentley depuis maintenant plusieurs heures sans but réel... Il finit par remarquer que qu’il tournait en rond dans Londres, et était revenu à son point de départ. Il était garé dans le quartier de Soho, devant la librairie d’Aziraphale. Aziraphale. Rien que de penser à son nom, un mélange d’émotions bouillonna en lui. Beaucoup de colère... et une immense tristesse. Il n’en avait jamais ressenti autant, pas même le jour où il est tombé du ciel et a été déchu, en tant que démon. Il avait pourtant été seul pendant si longtemps, et il avait aussi pu passer parfois plusieurs millénaires, puis centaines d’années, puis décennies ou mois sans voir Aziraphale. Mais là, c’était différent : il se sentait vide de toute énergie.

« Que font ces putains d’humains quand ils sont à plat ? Se dit-il. Café... il me faut beaucoup... beaucoup de café. »

Il sortit de sa voiture, et se dirigea tout droit vers le café de Nina ‘’Caféine-moi ou tue-moi’’. Il ouvrit brusquement la porte, et s’affala sur une chaise bancale, dans un coin de la pièce. L’atmosphère de la salle était étouffante, non pas à cause de la chaleur, mais à cause de la boule de colère et d’amertume qui restait en travers de sa gorge.

Nina, qui essuyait un verre derrière le comptoir, l’observait d’un air mi exaspéré, mi inquiet.

« Bon, qu’est-ce que je te sers ?

_ Le concept ici c’est caféine-moi ou tue-moi ? Honnêtement là je préfèrerai que tu me tues, répondit sèchement Crowley, avec une lassitude teintée de sarcasme. »

Nina roula des yeux et lui apporta comme la dernière fois six expressos dans une grande tasse, la posa devant Crowley, puis s’assit en face de lui.

« T’as une gueule de chien abandonné. C’est pas très démoniaque, si tu veux mon avis. »

Crowley ricanna, d’un rire sec et amer.

« Oh, crois-moi, j’ai été bien plus démoniaque. Mais là, disons que je fais une pause. Une pause dans l’enfer personnel qui me sert de quotidien, dit-il avant de vider sa tasse d’une traite. Bordel, t’as pas du whiskey plutôt ? C’est ça dont j’ai besoin, pas cette saloperie de café. Une bouteille entière de Whiskey. »

Nina fit non de la tête en fronçant les sourcils. Crowley leva les yeux au ciel et la fit apparaître d’un claquement de doigts. Il transforma d’un autre sa tasse en verre à alcool, s’en servit trois fois à ras-bord, et trois fois il but cul-sec.

« Tu veux en parler ou tu préfères jouer au type mystérieux et blessé en te noyant dans ton whiskey ? demanda Nina, en croisant ses bras. »

Il tourna lentement sa tête vers elle, ses lunettes noires masquant son regard. Pourtant, on pouvait ressentir toute la fureur qui en émanait. Il se raidit :

« Parler de quoi ?! De la façon dont j’ai été un imbécile ? Ou de comment j’ai tout foutu en l’air en écoutant tes saletés de conseils ? Que des conneries !

_ Mes conseils ? Tu veux dire avec Mr Fell ? »

Crowley se redressa d’un coup, faisant tomber sa chaise, en s’appuyant sur la table.

« Oooh mais bien-sûr. C’est toi et ta copine qui m’avez dit de lui parler, de lui dire ce qui comptait vraiment. Et tu sais quoi ? Je l’ai fait. Sauf que Monsieur a eu une promotion au paradis. Et là, j’ai bien vu que je ne comptais pas. Il voulait de moi seulement si je redevenais un ange à la con. Et puis merde ! On a passé six mille ans ensemble. Je ne vais pas attendre encore six mille ans qu’il daigne revenir, j’en ai marre de courir après cet ange débile. Il n’a jamais rien vu. Je me contentais de sa présence. Je l’ai sauvé de ses décisions stupides un bon paquet de fois, je suis même allé dans une Eglise pour lui... pas pour ce que tu crois hein... Et maintenant, il est là-haut avec son joli costume tout repassé, et moi je suis là, à traîner tout seul comme un abruti dans ton café minable et ça, je le dois à toi et à ta copine, vous m’avez complètement... (il grogna) retourné le cerveau !

_ Wow, du calme, répliqua Nina, qui ne se démonta pas. Rappelle-moi, c’est moi qui ait décidé à sa place ou c’est lui qui t’as laissé en plan ? »

Crowley ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne vint. Il redressa sa chaise d’un geste de la main et s’assit dessus, le bras derrière la chaise, les jambes écartées. Il baissa les yeux.

« Ouais c’est bien ce que je pensais, déclara Nina en le fixant. Tu l’aimes, c’est évident. C’était évident depuis le début pour moi, pour Maggie, pour à peu près n’importe qui avec des yeux en état de marche. Sauf pour lui... et peut-être pour toi aussi, puisque visiblement, vous êtes les catastrophes émotionnelles les plus dramatiques que j’aie jamais vu, et pourtant, je sais de quoi je parle : viens de rompre après une longue relation et même si Maggie me plait, je ne me vois pas avec elle pour l’instant, soupira-t-elle. Mais tu lui as dit au moins ?

_ J’ai... grommela-t-il. Non, laisse tomber, on s’en fout.

_ Ben vas-y, crache le morceau ! Est-ce que tu lui as avoué que tu l’aimais ?

_ Pire... je l’ai embrassé... » marmonna-t-il entre ses dents, visiblement gêné.

Il y eut un moment de silence. Maggie avait la bouche grande ouverte, Crowley se resservit frénétiquement un grand verre de Whiskey qu’il ingurgita et regarda vers le sol, rougissant.

« Ok... je commence à comprendre... et ensuite ?

_ Tu ne comprends pas, répondit-il en tirant sur son col roulé. Il voulait que je redevienne un ange, pour aller avec lui bosser au paradis pour ces connards qui avaient pourtant voulu il y a peu nous exterminer, lui et moi. Je lui ai dit de tout laisser tomber, de s’enfuir avec moi – et d’ailleurs c’est pas la première fois que je le lui propose – je l’ai embrassé puis... il m’a rejeté.

_ Il est parti, oui. Mais est-ce qu’il t’as vraiment rejeté ? Ou il s’est rejeté lui-même ? »

Le démon resta silencieux. Il n’avait pas envie d’entendre ça. Parce que si c’était vrai, ça voulait dire qu’il y avait encore de l’espoir. Et l’espoir, ça faisait encore plus mal. Nina continua, implacable :

« T’as sérieusement dit à un ange, qui si je comprends bien, a suivi les règles pendant six mille ans de tout envoyer valser en quelques secondes ? T’espérais quoi ? Qu’il allait sauter dans tes bras en chantant un opéra romantique ?

_ Non, mais j’espérais au moins qu’il réfléchisse... J’étais tellement en colère. J’ai quitté la librairie et pourtant, après ça je l’ai tout de même attendu, devant ma voiture comme un con... j’espérai jusqu’au dernier moment qu’il vienne vers moi, qu’on puisse tout recommencer ensemble. Mais il est parti, lâcha-il, exaspéré, en se passant une main sur le visage. »

Le silence s’installa à nouveau. Crowley sentait la colère bouillonner en lui, mais une part de lui savait que Nina n’avait pas tort. Si Aziraphale ne l’avait pas repoussé par manque de sentiments, c’était pire. Il l’avait fait par peur. Par attachement aux principes absurdes du Paradis, cette fichue croyance qu’il pouvait changer le système de l’intérieur... mais aussi peut-être... par peur de Crowley ? peur d’aimer un foutu démon ? Ou par honte de ce qu’il représentait ? Son cœur se serra, il grimaça.

« Et toi alors ? demanda soudain Nina.

_ Moi quoi ? répondit-il en levant un sourcil derrière ses lunettes.

_ C’est quoi ton plan ? Continuer à boire ici et à traîner dans mon café jusqu’à ce que la fin du monde arrive pour de bon ?

_ C’est bon, va chier, je me casse. J’aurais pas dû venir ici. »

Il se leva brusquement, et sortit du café, tout fumant de colère (littéralement). Il ne remarqua même pas la pluie qui commençait à tomber. Il avançait d’un pas rapide vers sa Bentley, les poings serrés, la mâchoire crispée. Il monta à nouveau à bord de sa Bentley, claqua la portière derrière-lui et se mit à hurler toute sa rage et sa douleur.

« RAAAAAAH. Putain d’ange. »

Il en avait marre d’être le pantin de forces qui ne comprenaient rien à l’amour, à l’attachement, à l’ambiguïté des âmes immortelles. L’Enfer et le Paradis lui avaient tout pris. Ils avaient façonné Aziraphale et lui dans un système absurde, où leurs sentiments étaient toujours un problème à résoudre au lieu d’être une évidence à accepter. Lui-même au final avait mis six mille ans à les accepter... Maintenant, Aziraphale était parti. Parti volontairement, le laissant avec un vide insupportable.

Il fit vrombir le moteur, et démarra en furie, pour rejoindre son appartement, où il comptait se terrer pendant un petit moment.

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