Les belles et bonnes fortunes d'un dé

Chapitre 2 : Crise de foi

2115 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2024 10:35

Cette fanfiction participe au jeu d'écriture du forum Fanfictions.fr "Les dés sont jetés" (octobre 2024)

Le but du jeu : lancer un dé à 20 faces pour chacun des six paramètres, ce qui nous donne les clés d’un prompt.

Mon tirage :

caractéristique du héros : 1 - borgne

un lieu : 5 - bruyant

un objectif : 4 - la foi

un objet : 16 - fragile

une rencontre : 10 - l'hiver

un obstacle : 4 - vide



Note : j’aborde ici la religion avec humour. Mon but est de faire sourire, pas de choquer. S’il s’agit pour vous d’un thème trop sérieux pour être moqué, ne lisez pas.



Josh, huissier de son état, était doté d’une conscience professionnelle sans faille dans l’exécution des tâches qui lui étaient confiées.

En tant que « gardien de l’huis », sa principale attribution consistait à tenir à jour le registre des rendez-vous de Belzébuth. En cela, il se montrait intransigeant, et veillait à ce que la journée du Seigneur des Mouches ne soit pas surchargée d’entrevues, lui laissant du temps pour peaufiner ses plans, voire se tourner les pouces si ça lui chantait. Aussi chaque demande était soigneusement consignée dans un épais registre, et il était vain d’espérer un tête-à-tête si son nom n’y figurait pas.

Sauf Shax, évidemment. Shax savait se montrer persuasive pour passer outre le règlement et obtenir ce qu’elle voulait…

Il quittait rarement son poste à la porte du bureau du Monarque, dont il se plaisait à penser qu’il était également le « garde du corps », comme si le Malin en avait jamais eu besoin !


Bref, il accueillait et annonçait les visiteurs, et accomplissait tout un tas de missions liées au service et au protocole, sur lequel il était très à cheval. Toujours rigoureux, parfois tatillon, il était fait pour ce job et avait, de son vivant, travaillé dans diverses administrations.

Certains épisodes de sa vie active sur terre lui laissaient d’ailleurs un souvenir attendri, de doux moments d’énervement, de cris et de pleurs, de dossiers jetés à terre avec fracas et éparpillés au quatre coins de la pièce, et de charmants noms d’oiseaux lancés à la cantonade quand la digue craque.

Bien entendu, le jour où un administré à bout de nerfs s’était soudain saisi d’un compas sur son bureau pour le lui planter dans l’œil n’en faisait pas partie. Au final, avoir le compas dans l’œil l’avait tout bonnement rendu borgne.


Pourtant, il en avait par-dessus la fourche de se faire arracher la langue ou envoyer à la fosse à purin. Certes, il était parfois un peu trop bavard, mais il estimait que son travail n’était pas reconnu à sa juste valeur, d’autant qu’il effectuait de nombreuses heures supplémentaires sans jamais rechigner. D’autres fonctionnaires en ces lieux n’avaient pas son assiduité, et étaient pourtant mieux traités. Y’a pas de justice.

Or, un employé frustré et mésestimé devient très vite la cible de maladies professionnelles pouvant aller jusqu’au burnt-out, ce qui n’est pas rare en Enfer. Sans compter que les lieux étaient perpétuellement bruyants, les couloirs saturés de créatures qui allaient et venaient dans un incessant ballet. Et ça se bousculait, ça s’invectivait à qui mieux mieux, tout un chacun prêt à hausser le ton ou en venir aux mains pour la moindre peccadille…

Ça lui collait régulièrement des migraines épouvantables.


Josh, son rêve à lui, c’était d’aller au Paradis.

Il imaginait l’endroit calme et serein, exempt de disputes, et peuplé de créatures paisibles vêtues de plumes immaculées se déplaçant silencieusement à 20cm du sol.

Il ne comprenait pas pourquoi son âme avait directement été expédiée dans les Ténèbres lorsqu’il avait exhalé son dernier souffle. Il avait le sentiment de n’être ni pire ni meilleur qu’un autre, et il avait vu là une forme d’injustice divine.


Certains démons rejoignaient parfois la surface de la terre. Bien que ce soit « secret », il était parfaitement au fait de l’affaire. En tant qu’huissier, il se devait de se tenir au courant des rumeurs, des bruits de couloir, et de toute médisance prompte à prendre vie du côté de la machine à café. C’était même l’une des attributions de son poste.

Donc des confrères remontaient la nuit assurer l’approvisionnement en viande fraîche pour la nourriture du Molosse Infernal, qui devait prochainement être lâché pour retrouver l’Antéchrist et déclencher l’Apocalypse. C’est qu’elle bouffait, la bestiole ! *

Il demanda donc un jour à l’un d’eux de lui trouver dans une librairie et lui ramener un petit guide : « Le Paradis pour les Nuls » (370 pages, éditions First) qui, il l’espérait, lui fournirait quelques conseils avisés.


Depuis, il avait décidé de consacrer chaque rare minute de son temps libre à l’étude du précieux ouvrage.

Le préambule l’impressionna particulièrement, avec cette formule qui lui donnait beaucoup d’espoir :

« Le paradis est plus proche que vous ne le pensez !»

Plus loin, il lut :

« Le salut est par la grâce seule, par la foi seule, en Christ seul. »

Bien. Il suffisait de retrouver la foi donc, ce qui n’était tout de même pas une mince affaire.

Il n’avait jamais été un pratiquant très assidu de son vivant, et ne s’était même pas véritablement penché sur la question de l’existence de Dieu. « C’est pas gagné ! » songea-t-il, perplexe.

Il sauta directement au chapitre 7, intitulé « Comment retrouver la foi ». Il y découvrit un premier conseil :

« La récitation du Saint Rosaire, en particulier, avec ses prières et ses formules, permet au croyant de s’immerger dans une sorte de méditation qui favorise le contact avec le Très-Haut. Dédier ne serait-ce que quelques minutes par jour aux prières ou au Saint Rosaire est sûrement un point de départ important pour ceux qui souhaitent retrouver ou renforcer leur foi. »


Et ben voilà ! Il suffisait de dénicher un chapelet. La tâche fut autrement plus ardue que pour le livre.

Demander à un démon de se procurer sur terre un chapelet, c’est comme espérer la multiplication des pains dans les cuisines du self du Neuvième Cercle…

Le collègue qui lui avait fourni le guide refusa tout net. Il demanda alors à Éric, qui avait une dette envers lui depuis qu’il lui avait évité une mesure disciplinaire au motif de maladresses répétées. Éric s’en alla dont quérir l’objet souhaité au « Comptoir des Saints », la boutique d’articles liturgiques jouxtant la cathédrale Saint-Paul, à Londres. Il admira au passage le sens du marketing de la corporation qui, à l’instar des pharmacies s’installant à la porte des maisons de santé, ouvrait ses commerces au plus près des lieux de culte.

Il choisit pour Josh un très joli article fait de perles en bois d’olivier, qu’il prit soin de saisir avec une main gantée pour éviter de s’y brûler les doigts.


Tout content, il s’en retourna porter son butin à l’intéressé. Il trouva Josh à son poste, devant la porte du bureau de Belzébuth.

Avec la malchance qui lui collait à la peau, il sortit un peu trop vite l’objet de sa poche : la petite croix d’argent qui pendait au bout du chapelet était restée coincée dans la doublure après s’être glissée dans la couture défaite à un endroit. Le cordon cassa, envoyant pleuvoir et rouler les perles de bois dans le couloir.

- Oh merde ! C’est fragile ce truc-là ! s’exclama le jeune démon.

- Ramasse ça en vitesse, grogna Josh entre ses dents.

Il ne tenait pas à ce que tout le monde soit au courant de sa récente lubie, et encore moins qu’on le démasque dans les couloirs de l’Enfer en possession d’un chapelet. Un coup à crouler sous les quolibets des collègues, voire même retrouver ses organes vitaux réorganisés dans un joli cadre doré…

Éric s’exécuta rapidement, et Josh se promit de réfléchir à une autre piste, en plus de trouver un complice un peu plus habile.

Sans le moindre accessoire, il réussit cependant à se remémorer les paroles du Notre Père et du Je vous salue Marie, qu’il récita de nombreuses fois les jours suivants, en marmonnant le plus discrètement possible.


Il se replongea ensuite dans « Le Paradis pour les Nuls ».

Il lut en diagonale « Comment et pourquoi vaincre ses vices », et « Les 15 oraisons de Sainte Brigitte » pour arriver au chapitre « Aller à la Messe », qui débutait par ces mots :

« La messe, en général, et l’Eucharistie en particulier représentent le plus haut moment de rencontre avec Dieu auquel un chrétien peut aspirer. »

Bien bien bien. Le Paradis facile, mon œil, oui ! Inutile de préciser que tout ce qui se rapporte de près ou de loin à une messe restait introuvable en ces lieux.

Certains mots étaient même bannis du vocabulaire, comme « aube », qu’on devait remplacer par « soleil levant » (de toute manière, personne n’employait ce vocable par ici : on ne voit jamais le soleil en Enfer). Non. Le seul espoir résidait, encore une fois, en surface. Il lui faudrait rapporter un objet religieux quelconque et le cacher soigneusement dans ses appartements, pour l’utiliser lors d’un semblant de célébration.

Il pressentait que personne ne prendrait, pour lui être agréable, le risque de se brûler la plante des pieds au troisième degré sur le sol consacré d’une église afin de lui rapporter un quelconque accessoire. Il prit donc son courage à deux mains et une demi-journée de RTT pour s’y coller en personne.

Il choisit une église de Londres relativement discrète, dans une rue tranquille, St James the Less Church.


On était en février. L’hiver était particulièrement froid cette année-là. C’est pourquoi personne ne s’étonna de voir déambuler dans les rues cette étrange silhouette emmitouflée dans d’épais pull-overs, une écharpe et de gros gants de laine, le tout recouvert d’une chaude houppelande noire, la capuche à demi rabattue sur des yeux qu’on devinait exaltés.

Il pénétra furtivement dans l’église un peu avant 17h, en ayant pris soin d’accumuler 5 paires de chaussettes dans de lourdes bottes à semelles compensées. Malgré tout, il fallait faire vite.

Il était seul dans l’église, une chance de tous les diables. Vif comme l’éclair, de sa main gantée, il subtilisa derrière l’autel une espèce de coupe dorée, avec un couvercle, qu’il dissimula sous les pans de sa longue cape, avant de s’enfuir comme le voleur qu’il était.

Il se demanda l’espace d’un instant si le vol d’un objet de culte constituait un péché capital, auquel cas le Paradis s’éloignait un peu plus de son horizon immédiat…


Revenu dans sa chambre, il considéra l’objet d’un œil circonspect. Il avait souvenir de cet ustensile du temps où, adolescent, ses parents l’obligeaient encore à assister à la messe dominicale, se gardant bien eux-même de se soumettre à cette astreinte. Il se rappelait que le prêtre y plaçait, à l’issue de l’Eucharistie, les hosties consacrées en surnombre (Tout juste. C’était un ciboire, mais il ignorait ce terme).

Avec un peu de chance, il trouverait là-dedans de quoi se nourrir l’âme de bienfaits divins. Il reprit espoir : son rêve était sur le point de se concrétiser. Tel Alice et son gâteau Eat Me, avaler une hostie allait accomplir un miracle, lui redonner la foi et lui ouvrir enfin les portes du Paradis tant convoité.


Il souleva le couvercle avec révérence et d’infinies précautions.



La coupe était vide.





* voir « Deux chiens dans un jeu de quilles »

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