Sea, Six and Sun - Ineffable summer 2024
- Ça te dirait un petit Road Trip ? proposa Crowley un soir au dîner.
- Je te demande pardon ? rétorqua Aziraphale, avalant de travers la dernière bouchée de sa salade de fruits. Un quoi ?
- Une virée en voiture, de quelques jours. Partir à l'aventure, visiter le coin...
- Ne sommes-nous pas bien ici, au bord de l'eau, tranquilles, à West Wittering Beach ? Tu profites du hamac, du soleil et des cocktails. Je rattrape mes lectures en retard sous le parasol. Plus de responsabilités, plus de Grand Plan pour nous gâcher l'existence, ajouta le libraire, rêveur.
- Il y a tant à découvrir mon ange ! Tiens, sans aller trop loin, le Musée du Patrimoine, à Chichester, pourrait bien te plaire. Et j'ai envie de faire un saut à la Pépinière Rotherhill, à Midhurt. J'aimerais quelques nouvelles plantes pour notre cottage de Tadfield. Quant au reste, eh bien, on pourrait laisser le hasard, ou la Bentley, choisir pour nous...
Finalement, après discussion, Aziraphale accepta l'idée d'une sortie à la journée, à condition qu'ils déjeunent dans un bon restaurant le midi. Hors de question d'abandonner plus longtemps ses journées de farniente bienheureux à la plage. Ils avaient convenu de rejoindre tout d'abord les falaises des Seven Sisters pour marcher le long du chemin de randonnée et profiter au mieux du paysage grandiose.
Les voilà donc partis au matin, le lendemain. La Bentley (Benty pour les intimes) piaffait d'impatience après plusieurs jours d'inactivité.
Crowley enquillait les virages de la petite route sinueuse avec assurance à plus de 60 miles/heure.
- Je vais trop vite pour toi ? demanda-t-il soudain avec bienveillance en posant sa main libre sur la cuisse charnue de l'ange. Le visage d'Aziraphale reflétait la plus parfaite panique, et sa main serrait la poignée de maintien à s'en blanchir les phalanges, cependant que son cœur exécutait un double salto arrière dans sa poitrine, réagissant au ton plein de sollicitude du conducteur, qui s'était exprimé avec une douceur inhabituelle. Ses yeux passaient des vagues rousses de ses cheveux à ses yeux serpentins, qu'il devinait derrière les verres fumés de ses lunettes, pour redescendre sur cette main fine posée sur sa cuisse, dont il percevait la chaleur à travers le fin tissu de son pantalon de lin. Crowley, cependant, poursuivait sa route.
- Arrête-toi, ce n'est pas prudent. Ou alors ralentis, et remets tes deux mains sur le volant, grogna Aziraphale d'une voix étranglée.
Le démon choisit la première option et se gara dans l'herbe, non loin du chemin de randonnée. Il retira posément ses lunettes et regarda son ange droit dans les yeux, en une demande muette de permission. Une éternité plus tard, le céleste la lui accorda par un lourd battement des paupières. Benty, fine mouche, réalisa que la température dans l'habitacle n'allait pas tarder à dépasser les 66,6°Fahrenheit affichés au thermomètre du cottage le matin-même, et s'empressa de recouvrir toutes ses surfaces vitrées d'une épaisse couche de buée, masquant ainsi les deux passagers au regard curieux d'éventuels randonneurs matinaux. Ainsi personne n'aurait pu voir leur visage se rapprocher lentement l'un de l'autre, pas plus que de longs doigts aux ongles vernis de noir ébouriffer tendrement les bouclettes pelucheuses, ni des mains fortes et déterminées se glisser avec un bonheur ineffable dans la soie de cheveux flamboyants, cheveux qui ne tardèrent pas à descendre insensiblement sous le niveau de la vitre. Tout ce que les promeneurs auraient pu distinguer, c'est une main plaquée vigoureusement contre la fenêtre embuée, puis s'affaissant mollement, abandonnée et vaincue, tandis que Benty enclenchait l'autoradio pour masquer les gémissements qui s'échappaient du véhicule et que Freddy Mercury entonnait :
"I really love the things that you do...
Ooo you make me live now honey..."
Dieu seule sait s'ils continuèrent leur périple. Quoi qu'il en soit, Benty avait inventé le VSRT (Very Short Road Trip), concept qui devait faire fureur quelques années plus tard avec la flambée du prix des carburants.
Je dédie cet épisode à mes ineffables complices Bucky1984 et Circeto...