Hot Church

Chapitre 5 : De Bons Parrains (partie 2)

4650 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/05/2024 20:05

À son retour au commissariat, après avoir récupéré sa bicyclette chez les Tyler, Aziraphale arborait une mine bien sombre et se réfugia dans son bureau. Il déclina même la proposition de Muriel lorsqu’elle vint lui proposer de faire une pause. Crowley, qui avait accepté de partager un café avec Muriel et Eric, ne put s’empêcher d’asticoter son coéquipier mutique. Il entreprit même de transporter le pauvre Ficus du hall d’entrée dans son bureau pour le faire réagir mais le lieutenant demeura sourd à toutes ces provocations, même lorsqu’il se mit à invectiver la plante verte en usant d’épithètes plus que salées ! Alors qu’il venait d’arracher trois feuilles à la pauvre plante, sous prétexte qu’elles n’étaient pas assez brillantes, Crowley joua une dernière carte et en adoptant un volume sonore encore plus élevé, insulta la plante en gaélique. Sa technique parut fonctionner… mais tout ce qu’il obtint, au lieu des cris d’orfraie attendus, fut un curieux regard de la part de Boucle d’Or qu’il ne parvint pas à déchiffrer. Après avoir avalé une bonne dizaine de tasses d’un café douteux – qui ne valait pas celui de Nina –, Crowley se décida de s’en retourner au tri de son bureau dont les tiroirs contenaient encore quelques possessions sans intérêt appartenant à son prédécesseur.


Dans le premier tiroir, il dénicha quelques catalogues datant d’une époque où le commerce en ligne n’existait pas, mettant en valeur les courbes de femmes d’un âge canonique posant en culottes et gaines amaigrissantes. Il balança les catalogues dans la corbeille et découvrit, roulés en boule, quelques sous-vêtements qui ne devaient sans doute pas appartenir au capitaine Gomorrha. Les bouts de tissu connurent le même sort que les catalogues. En trouvant un vieux ticket de caisse pour une boutique pour « grands enfants » situé à Heavhell, Crowley dut se faire violence pour ne pas saisir son téléphone et envoyer un message dépourvu d’amour-propre à Samaël. Son esprit se mit alors à vagabonder, sans doute encouragé par la série d’articles achetés par le capitaine Gomorrha, loin, très loin, de Tadfield, dans son appartement de Mayfair. Il ricana en se retrouvant en imagination dans la petite serre qu’il avait aménagée pour ses esclaves chlorophyllées. Les pauvrettes, aux premiers temps de sa divine idylle, avaient assisté à quelques scènes ayant fait rougir jusqu’à la pointe de leurs feuilles. Crowley ferma les yeux et se souvint d’un dimanche après-midi en particulier où Samaël et lui avaient communié à leur façon… mais son petit songe fut interrompu par le cri horrifié d’un Eric venant de se planter une agrafe dans le pouce. Ce cri, qui ne ressemblait en rien à ceux de Samaël, fut suivi de sanglots. Crowley marmonnant et maudissant la police britannique, quitta son bureau et aidé de Muriel, conduisit le blessé dans la salle de repos. Il le fit asseoir sur une chaise et laissa la jeune constable désinfecter la plaie du pauvre Eric avant d’envelopper son doigt d’un gros morceau de gaze.


– Il aimerait peut-être un bisou magique, susurra Furfur qui, pensant adopter une posture tout à fait charmeuse, était adossé contre la gazinière.

Crowley leva les yeux au ciel. L’officier s’empressa d’ajouter :

– Moi, j’en aurais bien besoin pour me donner un peu de courage.


Son supérieur hiérarchique lui offrit en guise de baiser, une remarque bien sentie et lui ordonna de retourner à son travail, s’il ne voulait pas être chargé de la circulation alors que la pluie s’abattait en continu depuis quelques heures. Crowley, une fois débarrassé de Furfur et ayant rassuré Eric sur le fait qu’il ne mourrait pas du tétanos, regagna son antre.

Il s’attaqua au dernier tiroir de son bureau. Il l’ouvrit et fit face à tout un tas de tickets de caisse qu’il n’aurait jamais aimé découvrir. Une fois le tri fait, il s’apprêtait à refermer le tiroir lorsqu’il y plongea sa main et sentit comme un double fond. Il tâtonna et parvint sans effort à déverrouiller une petite cachette suffisamment grande pour dissimuler un dossier. Il le retira et l’ouvrit. Crowley se saisit d’une photographie et l’examina : il s’agissait d’une maison de pêcheur qui avait en grande partie brûlé. Il lut également le rapport rédigé par le capitaine des pompiers de Heavhell. Le rapport datait d’une trentaine d’années et soulignait la possibilité d’un incendie criminel. Il trouva également un article de journal relatant l’horrible incendie ayant coûté la vie à Ceridwen Fell, une célébrité locale à en croire les quelques interviews données par les habitants de Tadfield qui semblaient avoir aimé cette femme. L’un des hommages les plus sobres, mais Crowley sentait poindre quelques non-dits entre les lignes, fut celui du maire de l’époque : un homme aux yeux d’un bleu perçant. Un homme de pouvoir, devina le policier en rangeant les coupures de presse. Existait-il un lien entre ce dossier et le dossier « Morpheus » ? L’instinct de Crowley lui soufflait que ces deux histoires étaient liées. Il sortit le dossier qu’il avait constitué sur le mystérieux Morpheus et y glissa les nouveaux documents découverts. Pourquoi Gomorrah aurait-il gardé ce dossier dans son bureau sachant que son successeur pourrait tomber dessus ? S’il tenait tant que ça à cacher une affaire sans doute sordide, pourquoi ne l’avait-il pas amené avec lui ou détruit ? C’était plus qu’imprudent, c’était stupide ! Crowley se saisit de son calepin et nota quelques idées pour ne pas les oublier. Son coéquipier avait une peur panique du feu et avait rabroué Muriel lorsque celle-ci avait évoqué l’incendie. Était-il le fils de la femme ayant péri dans l’incendie ? Crowley, comprenant qu’il ne pourrait pas l’interroger à ce sujet, sut qu’il devrait faire appel à d’autres canaux d’informations pour en apprendre davantage sur son équipier qui n’avait cessé de l’épier en toute discrétion depuis qu’il avait mis la main sur le dossier…


♠♠♠


Les dernières heures du jour s’écoulèrent, lentes et douloureuses. Furfur, prétextant un devoir filial, quitta le poste de police peu de temps avant l’heure du thé. Shax, qui avait passé une bonne partie de sa journée à ne pas répondre aux appels et à jouer en ligne le peu de capital qu’il lui restait de l’assurance-vie de son époux défunt, déserta son poste en même temps que l’officier. Avant d’éteindre son ordinateur, la diabolique réceptionniste avait toutefois créé un pari en ligne, dont le lien avait été posté sur la page Facebook de la ville de Tadfield, afin que la communauté puisse miser de l’argent sur la date de départ pressentie de leur nouveau capitaine de police. Ennon, le jeune livreur de journaux, paria dix £ – ce qui lui restait de sa bourse d’étudiant – sur sept jours, Furfur lui, paria une forte somme d’argent sur une quinzaine de jours. Quelques commentaires provenant de Muriel, Eric et Arthur Young s’offusquèrent d’un tel pari et prirent la défense de « l’aimable » capitaine Crowley, commentaires qui furent de suite effacés par l’administratrice de la page qui n’était autre que Shax. Shax qui pourtant, passa à côté du commentaire de Nina disant que l’Écornifleur ne tarderait pas à faire tomber quelques personnes à ses pieds.


À la fin de la journée, une cinquantaine de parieurs avaient déjà fait plusieurs mises lorsque Crowley, pour tromper son ennui, se connecta à la page Facebook de Tadfield. Il lut le nouvel article posté et cliqua sur le lien du pari en ligne. Il esquissa un rictus et sous le pseudo lui servant à garder un œil sur les divers réseaux sociaux, il paria l’argent qu’il ne possédait pas sur quatre semaines. Il s’accordait un mois, et pas un jour de plus, pour sortir de cet enfer gallois et regagner les hautes sphères de la police de sa Majesté.


Une fois l’argent misé, Crowley s’en retourna à sa rédaction du rapport Tyler. Peu à peu, il sentit le sommeil le gagner… Il se redressa avec vivacité et constata que la nuit était déjà tombée et que le commissariat était à présent désert… enfin, presque désert. Boucle d’Or se trouvait encore à son poste et, à la lueur d’une lampe à pétrole, était toujours en train de gratter du papier. Fell aurait dû faire carrière dans l’administratif plutôt que de la police ! songea Crowley en se levant. Il attrapa sa veste et jeta un nouveau regard à son équipier. Il ne semblait pas pressé de partir. Mrs. Fell n’était-elle donc pas en train de l’attendre, impatiente, en mijotant un petit plat gallois ou en lui réservant une surprise encore plus délicieuse ? S’avouant vaincu et bien que n’ayant aucune Mrs.Fell ou Mr.Fell pour l’accueillir après une telle journée, Crowley se résolut à quitter son bureau. Il éteignit son ordinateur, prit le dossier « Morpheus » qu’il comptait bien étudier devant un épisode des Craquantes.


Fell leva enfin le nez de sa maudite paperasse et lui adressa un vague salut … dont Crowley ne pouvait se contenter. Il franchit la porte inexistante le séparant de son coéquipier et posa sa hanche contre l’encadrure.


– Ne faites pas trop attendre Mrs.Fell, Boucle d’Or.

Son coéquipier lui adressa un regard surpris.

– Mrs.Fell ?

– Votre épouse, lieutenant Aussilarondelle !

– Je pense qu’il y a un malentendu, déclara Aziraphale en augmentant la luminosité de la lampe à pétrole.

Crowley inclina la tête sur le côté et se mit à observer les petites bouclettes frétillantes et surtout les yeux de son coéquipier que la lumière rendait encore plus brillants.

– Vous avez une alliance, vous êtes donc un homme marié.

– Presque-marié.

– L’heureux futur époux ! Vous allez connaître les joies ineffables du mariage pour le meilleur et surtout pour le pire ! Toutes mes félicitations, lieutenant Quasifidèle ! Comment se nomme l’heureuse élue ? J’espère qu’elle a un nom aussi original que le vôtre !

– Je n’ai pas pour habitude de parler de ma vie privée, capitaine Crowley ; vie, qui comme son nom l’indique, est privée. Et je vous prierai de cesser vos plaisanteries sur mon nom !

– Très bien, l’Angelot.

– Je ne suis pas…

– Vous avez tout de l’angelot avec vos petits cheveux bouclés comme ceux d’une fillette voulant rentrer dans les ordres et vos manières de petit enfant de choeur. Je suis sûr que vous seriez tout à fait à votre aise dans une petite toge blanche.


Cette fois-ci, Aziraphale retira ses lunettes, se leva de son bureau et se plaça face à son ennemi déclaré. Il chercha son regard mais n’y parvint pas, les lunettes de soleil ne quittant pas le nez de son coéquipier ne le permettant pas.


– Écoutez, je peux comprendre que vous soyez frustré de vous retrouver ici et je m’en excuse, mais…


La lumière s’éteignit, plongeant le commissariat dans la pénombre, à l’exception du bureau du lieutenant Fell. Crowley poussa un juron et se mit à chercher l’interrupteur. Aziraphale laissa échapper un soupir :

– C’est inutile, l’électricité est coupée à partir de vingt-deux heures. C’est l’une des solutions trouvées par le capitaine Gomorrah pour faire quelques économies.

– Pouvait pas y aller mollo sur ses voyages et autres objets coquins, plutôt ? bougonna un Crowley qui comptait bien résoudre cette situation dès le lendemain.


Il surprit un sourire sur le visage de son équipier. Un frisson lui chatouilla l’échine. Il y avait quelque chose de familier dans cette scène de discussion nocturne. Le souvenir d’une autre nuit, une nuit estivale et non printanière, revint lui titiller l’esprit. Une panne de courant dans une résidence étudiante. Une porte dont le numéro biscornu indiquait « 16 ». Une main qui tourne une poignée tandis que des lèvres, les siennes, se perdent contre une nuque…


– Capitaine Crowley ?


Une porte qui se ferme. Des mains qui se cherchent à tâtons, maladroites. Des pieds, les siens, se cognant contre un gramophone posé à même le sol et une bouche, lui appartenant, laissant échapper un juron étouffé par d’autres lèvres, lui faisant goûter à un baiser un brin malhabile… mais tellement plus intense que tous ceux, expérimentés, échangés avec Goldie ou Samaël.


– Capitaine Crowley ? Tout va bien ?


Il cligna des paupières au moment où le lieutenant Fell, sans doute inquiet pour sa santé mentale, passait sa main devant ses yeux pour attirer son attention. Crowley acquiesça. Rassuré, Aziraphale s’avança jusqu’à son bureau pour se saisir de sa lampe à pétrole dont son capitaine venait de comprendre l’utilité. Ils traversèrent le poste et gagnèrent la porte d’entrée.


– Vous avez encore du travail ? demanda Aziraphale en voyant le dossier que Crowley tenait à la main.

Crowley s’empressa de lui répondre tout en ramenant le dossier contre sa poitrine :

– Un vrai policier ne s’arrête jamais, lieutenant l’Angelot !


Il remarqua alors le visage rongé par la fatigue de son coéquipier. Son épuisement n’était sans doute pas dû à d’intenses activités nocturnes impliquant l’intervention, au minimum, d’une deuxième personne. Il avait vraiment l’air épuisé, comme s’il n’avait pas dormi depuis des jours. Crowley éprouva une pointe de culpabilité en songeant qu’il ne devait pas être de tout repos avec son fichu caractère ! Fell avait dû gérer, seul, le commissariat pour compenser l’incompétence de Gomorrah et lui, vieux grincheux, ne lui avait pas facilité la tâche depuis son arrivée à Tadfield.


– L’Angelot, murmura Crowley en adoptant une voix douce, veillez pas trop tard. Vous avez une mine à faire fuir un zombie nazi !

– Un zombie nazi ?!

– Tout nanar qui se respecte à ses zombies nazis. Vous n’avez jamais vu 1941 : Les Zombies nazis du Blitz ? Excellent film !


Aziraphale lui décocha un regard surpris avant de masquer un petit rire amusé. Encouragé par cette réaction qu’il n’espérait pas, Crowley se lança dans un résumé passionné de ce chef-d’œuvre oublié du cinéma comico-horrifique mettant en scène un duo composé d’un libraire naïf et d’un Américain à l’esprit vif, aux prises avec un trio de zombies cannibales, alors que les bombes s’abattent sur une ville de Londres de carton-pâte.


Nous recommandons à nos lecteurs le visionnage de ce film incomparable datant des années 70 et dont le réalisateur abandonna très rapidement sa prometteuse carrière pour se lancer dans l’élevage de poules bretonnes. L’acteur incarnant l’un des deux héros, fit par la suite une brillante carrière de vampire de second plan dans d’autres pépites du cinéma vampirique tels que Dracula contre le Yéti, Dracula à Paris, Dracula se marie et Le Divorce de Dracula. Son partenaire de jeu, en revanche, disparut des écrans et après une carrière de chanteur raté, se reconvertit dans la confection de burgers dans un fast-food isolé du fin fond des États-Unis. Malgré nos recherches, nous n’avons aucune information à vous transmettre en ce qui concerne les trois acteurs incarnant les zombies.


– Et à la fin, termina Crowley, l’Américain et l’Anglais dînent aux chandelles dans la librairie et s’embrassent.


Cette fois-ci, Aziraphale éclata de rire et lui adressa un regard pétillant de malice qui ne ressemblait en rien aux regards hostiles qu’il lui adressait depuis leur percutante rencontre. Il avait vraiment de très jolis yeux. Des yeux pour lesquels, un démon serait prêt à se damner s’il ne l’était déjà pas…


– Soyez prudent, murmura un Aziraphale retrouvant son sérieux, lorsque vous partirez. Et n’oubliez pas de régler votre dette au Petit Géant !


Crowley eut une grimace : il avait oublié ce « petit détail ». Il promit de s’acquitter de la somme due dès l’ouverture de la supérette.


– Bonne nuit, capitaine Crowley, fit Aziraphale en lui ouvrant la porte.

– De même, l’Angelot, répondit-il en se tournant une dernière fois vers lui.


La porte du commissariat se referma et Crowley s’engouffra dans la petite ruelle où l’attendait sa Bentley.


♠♠♠


À Londres, Crowley se tenait toujours sur ses gardes, mais ici, à Tadfield, qu’avait-il à craindre, mis à part des chiens enragés, des gamins insolents ou des coéquipiers aux bouclettes dorées ? Il ouvrit la portière de la Bentley, jeta le dossier sur le siège passager, lorsqu’un choc contre sa nuque lui fit perdre l’équilibre…


Crowley se réveilla sous une lumière aveuglante. Il battit des paupières et crut entendre les harmonies célestes l’invitant à rendre quelques comptes à Saint-Pierre : il allait devoir trouver une défense solide pour justifier ce qui s’était passé dans cette église déserte du petit village du Sussex d’où Goldie était originaire…


– Pardonnez-moi, marmonna-t-il en massant son crâne endolori, pour avoir encore péché…


Ou alors, il devrait s’expliquer sur sa façon toute personnelle d’explorer un cimetière écossais en compagnie de Samaël…


Un nouveau coup le frappa de plein fouet, le chassant du Paradis et le renvoyant sur Terre. Il aperçut alors David dressé face à lui, tenant un gigot d’agneau congelé et enveloppé sous cellophane.


– Je vous avais prévenu, capitaine Crowley, ici, nous n’aimons pas les mauvais payeurs !


Crowley s’apprêtait à répliquer lorsque le gigot s’abattit à nouveau sur son visage, le projetant contre le bac surgelé. Un craquement se fit entendre au niveau de sa pommette gauche et une douleur intense irradia son visage. Il parvint à se redresser, tout en se jurant de ne plus jamais manger de mouton de sa vie. David, abandonnant son arme, le saisit par le col de son vêtement. Crowley tenta de se débattre mais le vendeur, doté d’une poigne puissante en dépit de sa minceur, eut rapidement le dessus et le traîna jusqu’au bac ouvert. Il lui tira les cheveux en arrière avant de lui plonger la tête parmi les glaces et autres produits surgelés. Le nez de Crowley entra en contact avec un sachet de petits pois. Son adversaire lui releva la tête, lui adressa une salve d’insultes et le fit replonger dans ce qui allait devenir son tombeau. Ses lunettes de soleil tombèrent. Le capitaine Anthony J. Crowley, celui qui avait réussi à arrêter le Professeur Satan – l’un des barons du crime londonien –, qui avait démantelé le réseau Nébula, allait donc mourir ici, dans une supérette, entre un Cornetto au caramel et des légumes surgelés.


Tout d’un coup, une main plus vigoureuse encore que celle de David, le saisit par l’épaule et le releva avec davantage de douceur. Crowley profita de cet instant d’accalmie pour happer une profonde gorgée d’oxygène À sa grande surprise, la poigne qu’il pensait assassine, l’écarta de son lieu de torture et le relâcha.


– Laisse-moi le terminer, Goliath !


Il tourna la tête et découvrit le géant le protégeant d’un nouvel assaut de la part de son associé. Ce dernier, furieux d’avoir été dérangé dans sa tentative de meurtre, tentait de faire plier la volonté du géant en lui assénant de violents coups de poing dans la poitrine.


– Je vais lui réduire sa sale petite tronche de … de… Oh mon Dieu !


David se figea. Son regard venait de croiser celui, dénudé, de sa victime. Il se recula, saisi de tremblements qu’il ne parvenait pas à contrôler.


– Qu’est-ce … qu’est-ce que… mais… bredouilla-t-il en se réfugiant près du rayonnage des produits d’hygiène. Maman…

– Merci, vieux, fit Crowley à l’intention de son sauveur en ramassant ses lunettes de soleil.


Il se tourna vers son agresseur qui laissa échapper des couinements de souris avant de se laisser glisser au sol. Un coup fut donné contre la porte. Goliath alla ouvrir, tout en jetant un regard lourd de menaces à un David recroquevillé entre des paquets de rouleaux de papier toilette. Crowley vit avec stupeur le lieutenant Fell entrer dans la supérette.


– J’ai vu la portière de votre Bentley ouverte, déclara-t-il en se tournant son équipier, je me suis douté de l’endroit où vous pouviez vous trouver…


Il sortit deux billets de sa poche et les lança à un David qui se balançait à présent d’avant en arrière en chantonnant une curieuse comptine.


– Ça devrait rembourser sa dette !


Le vendeur truand accueillit sa récompense d’un petit rire avant de reprendre ses divagations sur un crocodile du Nil. Aziraphale leva les yeux au ciel, avant de pivoter vers Goliath. Il exécuta quelques signes rapides à l’aide de ses deux mains, bientôt imité par l’ange gardien de Crowley. La langue des signes, comprit-il. Son coéquipier signa une dernière fois avant de s’avancer vers lui.


– Goliath s’excuse.

– Pas nécessaire, grommela le capitaine en jetant un regard au vendeur par-dessus l’épaule de son équipier. Remerciez-le.

– Faites-le vous-même, capitaine Crowley.


Il protesta en disant qu’il ne maîtrisait pas la langue des signes. Aziraphale lui demanda de l’observer et lui fit une démonstration. Crowley se comporta en élève attentif et mémorisa les mouvements d’Aziraphale. Il les reproduisit devant lui afin de s’exercer, avant de les adresser, un peu gauche, au doux géant. Celui-ci l’applaudit et leva son pouce en l’air pour signifier qu’il acceptait bien volontiers ses remerciements. Crowley l’ignorait encore, mais il venait de conquérir une nouvelle âme de Tadfield.


– C’est un démon ! s’écria alors un David revenu d’entre les crocodiles et autres caïmans égyptiens, ce type qui débarque de nulle part !

– De Londres, le corrigea l’interpellé.

– Il doit partir et vite !

Goliath et Aziraphale se tournèrent vers le vendeur tentant de se redresser en prenant appui sur les paquets de papier hygiénique. Le lieutenant Fell prit sa voix la plus grave et toisa David d’un regard dédaigneux que Crowley ne lui soupçonnait pas.

– Ton parrain n’est plus le capitaine de la police de Tadfield, David, il va falloir que tu acceptes l’idée que tes magouilles ne seront plus couvertes.


Derrière Aziraphale, Crowley abaissa ses lunettes de soleil et tira la langue, en un geste rappelant celle d’un reptile, à son piètre adversaire. Celui-ci poussa un cri terrifié avant de se réfugier à nouveau dans le rayonnage. Crowley replaça son armure oculaire sur le bout de son nez. Aziraphale s’approcha de lui et se hissa sur la pointe des orteils pour examiner sa pommette gauche prenant peu à peu une jolie teinte violacée.


– Pas la peine, grogna son coéquipier lorsqu’Aziraphale proposa d’appeler les secours.

– Mais vous devez avoir mal ! Et vous risquez d’avoir un sacré hématome !

– Ça ne sera pas le premier …

– Retirez au moins vos lunettes pour vérifier que votre œil n’a pas été touché !

Un cri guttural, provenant de la bouche de David, accueillit cette demande d’Aziraphale. Crowley secoua la tête et écarta la main droite du lieutenant de son visage.

– Pas nécessaire, l’Angelot.

– Ne soyez pas ridicule, siffla-t-il en se retournant vers Goliath.


Il exécuta quelques mouvements de mains. Le géant acquiesça et disparut dans les allées de la supérette. Il revint avec un tube de crème et quelques pansements ornés de petits anges dodus. Aziraphale décréta que les pansements ne lui seraient d’aucune utilité, et se saisit de la pommade. Il ouvrit le tube avec précaution et en plaça une petite quantité sur le bout de ses doigts. Comprenant son intention, Crowley se recula et se retrouva bientôt acculé contre le bac surgelé.


– Non ! Non ! Ce n’est pas…

Le contact des doigts d’Aziraphale contre sa peau lui ôta toute tentative de résistance.

– Ne faites pas l’enfant, chuchota son équipier en massant sa peau endolorie.


Crowley baissa la tête afin de faciliter la tâche d’Aziraphale. Celui-ci appliquait la pommade avec précaution et par conscience professionnelle – quelle autre raison aurait-il pu avoir ? –, il rajouta un peu de crème sur ses doigts et en badigeonna avec douceur la joue de son coéquipier. Son mouvement se fit de plus en plus lent et se changea en une pénétrante caressante. Crowley ferma les yeux pour mieux savourer ce troublant attouchement. Une cinquième application plus tard et un Crowley au visage luisant de crème, Aziraphale mit fin à ce soin. Il referma le tube, s’essuya les doigts à l’aide d’un mouchoir en tartan, avant de le remettre à son coéquipier.


– N’oubliez pas d’en mettre demain matin au réveil. Et si vous avez mal dans la nuit, appelez les Urgences.

– Merci, l’Angelot.


Ils entendirent Goliath pousser quelques gloussements amusés. Ils lui jetèrent un regard intrigué auquel le géant répondit par un curieux sourire. Aziraphale se tourna à nouveau vers son coéquipier :

– Je crois que cette fois-ci, nous pouvons vraiment nous dire « bonne nuit ».

– Je le crois aussi…


Mû par une inspiration qu’il ne sut expliquer, Crowley s’inclina vers lui et murmura un « Oidche Mhath » auquel Aziraphale répondit par un « Nos da  » à peine susurré. Crowley esquissa un sourire et quitta la supérette. Aziraphale le regarda disparaître dans la nuit. D’un geste machinal, il porta sa main droite, celle qui portait encore l’odeur de la crème et de la peau de Crowley mêlées, à ses lèvres. « Oidche Mhath » lui avait chuchoté cette voix appartenant à son passé, tandis que des bras l’attiraient contre une poitrine rassurante pourvue d’une fine toison rousse…



Les ineffables blablas


  1. Le titre du chapitre est un mélange de Bons présages et du Parrain car je trouve que le maire a une attitude de vilain chef mafieux de films d'action avec Chuck Norris... Ce qui est aussi valable pour l'ancien capitaine de la police de Tadfield.
  2. Le crocodile du Nil est une référence à la comptine récitée par Alice dans le roman Alice au pays des Merveilles. Pourquoi avoir choisi cette comptine? Aucune idée.


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