Hot Church

Chapitre 5 : De Bons Parrains (partie 1)

2682 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/05/2024 18:24

La mairie de Tadfield ressemblait à n’importe quelle mairie d’un village perdu du fin fond du Pays de Galles. Crowley leva les yeux vers la petite façade en pierre. Et pourtant, il en émanait une aura inquiétante, chargée de menaces. Il aperçut une ombre les épiant derrière l’une des fenêtres du deuxième étage.


– Vous êtes sûr, Boucle d’Or ? demanda Crowley à son équipier qui n’avait pas proféré un seul mot de tout le voyage. J’ai pas l’impression que les trois ours vivant ici soient très accueillants.

– Absolument sûr ! fit le lieutenant en relevant la tête avec précipitation. Tout est parfaitement parfait !

Il se glissa hors de la Bentley et s’apprêtait à se diriger vers la mairie lorsque Crowley l’interpella de nouveau, le forçant à se retourner :

– Boucle d’or !

Il vit avec stupeur son coéquipier sortir de sa poche une pomme dodue, volée dans le verger des Tyler, et la lui lancer. Aziraphale la recueillit entre ses mains. Le capitaine esquissa ce qui pourrait s’apparenter à un sourire :

– Pour éviter de lécher le bol des trois ours en cas de fringale.


Aziraphale le remercia et un semblant de sourire, qui s’effaça rapidement, apparut sur ses lèvres. Crowley le regarda franchir le seuil de la mairie, menton appuyé contre ses avant-bras posés sur le volant de sa voiture. Il resta quelques secondes sur place, les yeux rivés à cette fenêtre du deuxième étage. L’ombre finit par disparaître et le capitaine décida de s’en retourner au poste, mais les facéties musicales de son « automobile infernale » ne suffirent pas à dissiper l’inquiétude lui serrant les entrailles.


De retour au poste, il fut accueilli par Shax qui lui tendit une épaisse enveloppe, qu’elle avait « omis » de lui remettre le matin. Il retourna son courrier et vit que celui-ci avait été ouvert, avant d’être sommairement recollé. La diabolique réceptionniste lui sourit d’un air tout à fait hypocrite. Crowley traversa la salle qu’il croyait déserte, avant d’apercevoir Eric, pieds nus, tentant de retirer l’épaisse écharde qu’il s’était enfoncée dans le talon. Tout en se contorsionnant pour retirer cette belle épine du pied, le jeune officier l’informa que Muriel et Furfur étaient partis poser un radar non loin de la Forêt du Tarot. Crowley le remercia et entra dans son bureau. Eric se saisit de l’épine, s’apprêtait à la retirer après plus d’une heure d’efforts, lorsqu’un cri ruina tout le travail accompli. Le jeune officier perdit l’équilibre, tomba de son siège avant de se le prendre en plein visage. Tout en massant sa figure endolorie, il se dirigea à cloche-pied jusqu’au bureau de son supérieur.


Crowley tenant la lettre à bout de bras, arpentait la pièce en insultant la noble institution qu’était la police britannique de tous les noms d’oiseaux qu’il connaissait et dans toutes les langues qu’il maîtrisait.


– Capitaine ? demanda Eric en s’approchant de son pas titubant.

– Ils m’ont suspendu mon permis, ces cons ! Excès de vitesse, sens interdits… Les ongles de Satan, oui ! Je ne roule pas si vite et un sens interdit dépend du point de vue où on se place !

– Vous n’avez jamais eu ce genre de problèmes, avant ?

– Une collègue, Elspeth, s’arrangeait toujours pour effacer mes petites incartades routières. Je l’ai un peu aidée lorsqu’elle s’est retrouvée avec un cadavre sur les bras… Longue histoire !

– Je n’en doute pas, capitaine. Vous savez, je peux régler le problème en quelques minutes, déclara un Eric devenu bien mystérieux.

– Je ne suis pas sûr, commença Crowley en voyant le jeune officier prendre place derrière son ordinateur.


Il s’apprêtait à l’écarter de son bureau pour éviter une électrocution, lorsqu’il vit avec stupeur que le jeune officier s’était déjà connecté sur le réseau privé de la police. Il exécuta quelques manipulations rapides et des dossiers confidentiels apparurent sur l’écran.


– Le lieutenant Fell ne vous a rien dit ? fit Eric d’un ton malicieux. Je suis plutôt « doué » en informatique.

Il cliqua sur la touche « supprimer ».

– Et voilà ! Plus de suspension de permis !

– Tu ne risques pas d’avoir des ennuis ?

– Si vous saviez le nombre de sites auxquels j’ai pu accéder… vous étiez au courant de la passion d’un ancien premier ministre pour les cochons ?

– Non…

– Et vous vous souvenez du « petit » problème avec les cinq cents tonnes d’uranium qui avaient disparu de la centrale de Turning Point ?

– Oui…

– C’était moi ! Je leur avais flanqué une sacrée frousse ! Mais mon plus joli coup reste quand même pour le lieutenant Fell. Bon, ce n’est pas le résultat qu’il escomptait mais …

Eric surprit le regard de Crowley et se leva avec précipitation.

– Oops… Je n’aurais pas dû dire ça !

– Eric, qu’as-tu fait pour le lieutenant Fell ? Promis, cela restera entre nous, murmura Crowley d’une voix mielleuse tout en esquissant son plus beau sourire.

– Je ne peux rien dire… J’ai promis au lieutenant Fell. Si ça peut vous rassurer, ce n’était pas totalement illégal… bon, pas totalement légal non plus, mais il n’y a pas eu d’argent en jeu, ni mort d’homme… C’est juste…

Le jeune officier se mit à fixer l’écran représentant l’Alpha du Centaure.

– Le lieutenant Fell était à la recherche de « quelqu’un » mais je me suis emmêlé les pinceaux et…


L’aboiement de Lilith, annonçant le retour des deux autres officiers, tira le pauvre constable de son embarras. Il s’excusa et déguerpit du bureau avec la souplesse d’un girafon venant à peine de sentir l’air emplir ses naseaux délicats. Crowley, tout en rangeant le courrier devenu obsolète, se dit que finalement, Tadfield lui réservait bien des petits secrets.


♠♠♠


En entrant dans le hall de la mairie, Aziraphale fut accueilli avec chaleur par le réceptionniste, un homme entièrement vêtu de blanc – c’était la couleur imposée à toute personne travaillant en ces lieux –, et portant une belle paire de moustaches faisant le bonheur de son propriétaire et la jalousie de nombre des habitants moustachus de Tadfield. Il leva les yeux à l’approche d’Aziraphale et mit fin au coup de fil hebdomadaire de R.P Tyler qui appelait pour savoir s’il pouvait installer des grilles électrifiées autour de son verger.


– Je ne pense pas que cela soit autorisé par les lois de l’urbanisme, Mr.Tyler. Non, nous ne délivrons pas non plus d’autorisation pour la construction d’un mirador. Très bien, Mr.Tyler. Je transmettrai votre demande de rendez-vous à notre maire.


Il raccrocha, sans toutefois prendre la peine de noter la requête du nouveau citoyen de Tadfield.


– Bonjour monsieur Aziraphale, déclara-t-il en tapotant sur son clavier.

– Bonjour Andersiel, je suis attendu par le maire.

– Je sais, il vous attend.


À cet instant, Aziraphale remarqua l’homme assis près de la réception et qui, le visage dissimulé derrière un journal, faisait mine de lire en surveillant les allées et venues de chaque personne circulant dans la mairie. Aziraphale le salua d’un petit signe de tête. Le chauffeur personnel du maire depuis des années, se contenta de son éternel petit rictus qui avait toujours déplu au lieutenant. Combien de fois avait-il dû ruser pour échapper à la surveillance de cet homme à la fidélité sans faille et qui avait toujours su le retrouver, même lors de sa petite escapade à Édimbourg, pour le ramener « à la maison » ?


Chassant ces souvenirs désagréables de son esprit, Aziraphale gravit l’imposant escalier aux marches recouvertes d’un tapis immaculé menant au bureau du maître des lieux situé au deuxième étage. Arrivé devant l’impressionnante porte l’écrasant de sa majesté, il plongea sa main dans sa poche et sentit la chair tendre de la pomme contre ses doigts. Il s’en saisit et la porta à ses lèvres. Il y planta ses dents et en croqua un large morceau, comme s’il s’agissait d’une potion magique destinée à le protéger des mauvais tours d’un vilain ours, et la remit dans sa poche. Il leva sa main droite et frappa trois coups. Deux coups longs et un coup plus court, suivant le code établi depuis des années. Il attendit quelques secondes. Une voix grave lui intima l’ordre d’entrer et Aziraphale, après avoir effleuré une dernière fois la pomme dissimulée, pénétra dans le bureau.


Les rideaux avaient été ouverts, baignant la gigantesque pièce d’une lumière divine. Le bureau étonnement moderne, tranchait singulièrement avec l’aspect figé dans le temps du reste de la mairie. Le seul objet d’époque était la reproduction picturale d’un champ de jacinthes des bois. Comme à chaque fois qu’il pénétrait dans ces lieux, Aziraphale ne put résister à l’envie d’accorder un regard à ce tableau, le préféré de sa mère, dont il n’existait plus à Tadfield, qu’une seule reproduction : celle se trouvant dans cette pièce. Il s’avança jusqu’à l’immense bureau en verre sur lequel était posé un ordinateur dernier cri. À son approche, un dogue allemand au pelage blanc, allongé sous le bureau, leva la tête et l’accueillit d’un aboiement.


– Couchez Sa Toute-Puissance, fit la voix émanant de l’homme dont il n’apercevait que le dos.

Aziraphale inclina la tête et salua la silhouette assise dans le fauteuil.

– Greta, ordonna la voix à la femme tapie dans l’ombre. Offrez un café aux amandes à Aziraphale.


La dénommée Greta, tablette à la main, s’approcha d’une machine à café résolument moderne y plaça un gobelet et apporta à Aziraphale la boisson imposée. Le lieutenant de police tenta de décliner l’offrande, il n’avait jamais été un grand amateur de café, mais la voix lui ordonna de prendre la boisson et il s’exécuta en silence, comme il l’avait toujours fait. Il remercia Greta en jetant à un regard à ses chaussures : ce jour-là, l’assistante du maire portait une paire d’exquis escarpins pointus argentés agrémentés d’une petite paire d’ailes au niveau du talon.


– Je t’écoute Aziraphale. Qu’as-tu à me dire sur notre nouveau capitaine ?

Aziraphale aspira une gorgée de caféine pour se donner un semblant de courage :

– Il a un peu de mal à s’acclimater à Tadfield et …

– Je me demande comment une telle erreur a pu se produire… J’ai appelé le ministre de l’Intérieur en personne qui paraissait bien confus… un bug informatique apparemment.

Aziraphale se mit à toussoter en recrachant le peu de café aux amandes qu’il venait d’avaler. Sa Toute Puissance leva à nouveau la tête vers lui et le scruta d’un œil chargé de lourdes accusations.

– Ce poste aurait dû pourtant te revenir, en dépit de tes quelques petites fantaisies… marmonna la voix. C’était le plan qui était prévu.

– Je suppose que certaines choses sont… ineffables, répondit Aziraphale en faisant tourner le gobelet pour masquer sa nervosité.

– Garde-le à l’œil, Aziraphale, le temps que nous trouvions une solution pour renvoyer ce capitaine déchu à son enfer…

– Avec moi, il est sous bonne garde !

Aziraphale se mit à se balancer d’un pied sur l’autre, gêné par le silence qui s’établit entre lui et l’homme refusant de le regarder. Celui-ci, bras posé contre l’accoudoir semblait perdu dans la contemplation de Tadfield s’offrant à sa vue.

– N’oublie pas Aziraphale, à qui doit aller ta loyauté.

– Je ne risque pas de l’oublier, répondit-il en resserrant ses doigts autour du gobelet.

– Un rappel est toujours nécessaire, surtout depuis ton coup d’éclat de l’an passé…

– Je… j’ai promis de ne jamais recommencer !

– Tes promesses, Aziraphale, permets-moi d’en douter de la sincérité. Tu peux disposer.


Aziraphale murmura un faible « au revoir » et quitta le bureau, la tête baissée comme un écolier venant de se faire réprimander pour une quelconque tricherie. Lorsque la porte se referma derrière lui, il ne put réprimer un soupir soulagé et s’empressa de jeter le gobelet encore plein dans la poubelle située au premier étage. Il reprit l’escalier et s’apprêtait à rejoindre le hall d’entrée lorsqu’il tomba nez à nez avec un Gabriel vêtu d’un costume gris perle du plus bel effet. L’agent immobilier le salua d’une bourrade dans l’estomac.


– Aziraphale ! Je ne te vois plus courir !

– Je manque de temps en ce moment, répondit l’intéressé en massant son ventre.

– Regarde-moi cette brioche ! Tutututu… Tu dois davantage prendre soin de ce temple sacré qu’est ton corps ! N’oublie pas que tu as pour objectif de rentrer dans ton petit costume de mariage.

Gabriel lui mit sa montre connectée sous le nez.

– Il ne te reste plus que six mois, trois jours et douze heures pour parvenir à te débarrasser de toute cette masse graisseuse. Si tu veux, je peux te faire une remise sur mon nouveau programme minceur. Qu’en penses-tu ?

– Gabriel, je n’ai vraiment pas…

– C’est entendu, je t’enverrai cela. J’ai aussi mis en ligne toute une série de nouvelles vidéos sur comment perdre quelques kilos avant d’aller à l’eau. Un programme parfait pour l’été qui arrive !


Aziraphale acquiesça et parvint à se frayer un chemin pour échapper à l’agent immobilier qui depuis quelques années, s’était lancé en parallèle dans une carrière couronnée de succès dans le coaching sur Internet. Sous le nom de Gabi in fit, il avait réussi à créer un business tout aussi florissant que la vente de maisons somptueuses à de riches citadins désireux de se mettre au vert.


– Aziraphale, l’interpella Gabriel alors qu’il se trouvait en bas de l’escalier, tu n’étais vraiment pas mal à cette époque.

Il releva la tête. Gabriel lui décocha un clin d’œil accompagné d’un petit claquement de langue se voulant taquin.

– Quand tu étais à l’école de Police, tu étais si mince ! Je pense qu’une certaine personne aimerait beaucoup retrouver cet Aziraphale-là, celui de vos débuts sentimentaux.


L’agent immobilier l’abandonna sur ses dernières paroles avant de disparaître au deuxième étage. Aziraphale leva sa main droite et la porta à sa lèvre supérieure qu’il pressa avec force. Lui, n’avait aucune envie de retrouver cet « Aziraphale-là », si malheureux. Il ferma les yeux et accentua la pression de ses doigts contre sa bouche pour retrouver la saveur d’un baiser jamais oublié. Excepté pour une chose. Une seule chose. Cette nuit où, pour la première et la dernière fois, il s’était senti pleinement désiré. 


Ineffable blabla:


  1. Dans la premier saison, après avoir été désincorporé, Aziraphale est accueilli par un ange interprété par l'acteur Jonathan Aris, plus connu pour son rôle d'Anderson dans la série Sherlock. Comme l'ange n'avait pas de nom dans Good omens, je lui ai donné le prénom Andersiel dans ce chapitre.

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