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Chapitre 7 : Pain is so close to pleasure
2008 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour 04/09/2024 11:11
Chapitre 7 : Pain is so close to pleasure
Non seulement ça montait, mais ça commençait à pleuvoir.
Et le fait que le sentier ait fini par redescendre après quelques minutes de marche ne masquait pas l’autre fait que les nuages noirs entraperçus tout à l’heure étaient à présent parfaitement visibles, situés au-dessus de leur tête et visiblement désireux de se décharger sur eux de toute l’eau du ciel.
– Au moins, essaya Aziraphale d’une petite voix, nous sommes à l’abri des arbres…
Crowley se retourna vers lui avec une telle brusquerie que l’ange trébucha sur une racine humide recouverte d’un tapis d’aiguilles de pin et manqua s’étaler à terre. Le démon tendit, selon toute probabilité par réflexe, la main pour le retenir.
– Oh, merci, Crowley, c’est vraiment très gen…
– Ne termine pas cette phrase si tu tiens à la vie. Rappelle-moi ce que disait la météo, déjà ?
Un coup de tonnerre roula sur les pentes de la montagne pendant que la pluie redoublait d’ardeur. Aziraphale sentit une rougeur coupable se répandre sur ses joues et s’efforça, sans trop de succès, de rester digne.
– Oh… Eh bien, je… je n’ai pas…
Le démon fit un vague geste de la main, qui pouvait exprimer le découragement, l’exaspération, la lassitude ou tout cela à la fois. L’ange se mordit les lèvres. Bien sûr, il aurait dû regarder la météo avant de partir. Il avait réussi à débusquer l’Antéchrist et il n’était pas capable de prévoir un petit orage de rien du tout ?
Le petit orage de rien du tout illumina le ciel d’un éclair aveuglant. Le sentier bordé de cascades, de mousses et de framboisiers aurait pu être charmant si l’on y avait vu à plus d’un mètre devant soi. La pluie diluvienne qui s’abattait en ce moment sur le mont Vorassey empêchait toute contemplation et noyait le paysage dans un barbouillis de marron, de vert et de gris que même l’ange avait du mal à apprécier dans ces conditions. A côté d’Aziraphale, son acolyte ressemblait à un chat noir tout maigre que l’on aurait trempé dans une bassine d’eau. Ses cheveux, dont il prenait grand soin d’ordinaire, pendaient lamentablement sur ses tempes et son costume noir lui collait à la peau.
– Tu as envoyé un poulpe géant sauver Monique et Mireille ! Tu as attiré un hélicoptère de secourisme ! Explique-moi pourquoi toi, tu aurais le droit de faire des miracles de cette importance et pourquoi moi, je ne pourrais même pas claquer des doigts pour arrêter la pluie ?
– Je ne l’ai fait que pour sauver des humains ! protesta Aziraphale avec indignation. Pas pour mon confort personnel.
– Oh, c’est bon, je ne les aurais pas laissé s’écraser de toute façon, j’avais transformé les rochers en gros blocs de mousse. Ils ne seraient pas morts.
Ce fut au tour de l’ange de se tourner brusquement vers son compagnon. Crowley lui avait déjà fait remarquer qu’il le regardait parfois avec « le regard bêtifiant de l’humain le plus niais face à un petit chaton », mais c’était plus fort que lui.
– Arrête avec ton admiration écœurante, ce n’est pas parce que je suis un démon que je tue des gens.
– Oh, Crowley, je savais que tu…
– Oui, bon, ça va. Je peux faire revenir le soleil maintenant ?
Aziraphale s’apprêtait à répondre lorsqu’au détour du chemin détrempé, il heurta un corps manifestement humain.
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Tsukiko essaya de comprendre où elle se trouvait par rapport à la carte qu’elle tenait entre les mains et qui menaçait de partir en lambeaux sous les rafales de pluie qui lui giflaient le visage. Elle avait cru savoir précisément où elle était, mais à présent, elle n’en était plus très sûre. Son téléphone portable affichait « Appels d’urgence uniquement », mais être perdue au milieu de la montagne sous un orage constituait-il réellement une urgence ? Si les chalets se trouvaient bien où elle pensait qu’ils se trouvaient – à savoir pas très loin sur ce sentier, à peut-être dix minutes ou un quart d’heure de marche, elle n’avait plus beaucoup d’efforts à fournir.
Alors qu’elle se remettait en route vaillamment, une forme vaguement humaine apparut devant elle, au détour du sentier, et la heurta tandis qu’une autre silhouette émettait un bruit agacé. Deux hommes, évalua-t-elle, en aussi piteux état qu’elle, et même pire, car elle, au moins, possédait une cape de pluie.
– Excusez-moi… commença-t-elle en français.
– Avez-vous un problème, mademoiselle ? Comment pouvons-nous vous aider ? demanda l’homme vêtu de blanc-marronnasse.
– Je… je crois je perdue, tenta-t-elle avec la certitude qu’elle ne s’exprimait pas convenablement. Les chalets de Mi… Mige, plus haut, oui ?
Nouveau soupir exaspéré provenant de l’homme vêtu de noir, sourire rassurant de l’homme en blanc, qui lui répondit dans un japonais parfait :
– Nous ne sommes pas d’ici, mais nous allons regarder ensemble, si vous le voulez.
– Oh, merci infiniment ! s’écria Tsukiko en repassant avec soulagement à sa langue maternelle.
Elle s’inclina en signe de remerciement et ressortit sa carte dégoulinante tandis que l’homme aux lunettes noires pianotait son impatience contre le tronc d’un arbre voisin, avant de regarder sa main d’un air dégoûté et de l’essuyer contre son pantalon déjà en piteux état.
– Alors, voyons voir, s’écria joyeusement son compagnon sans paraître remarquer la pluie qui lui tombait dans les yeux ni l’exaspération à chaque seconde plus visible de l’autre homme. Les chalets de… de Miage, c’est ça ? Ah, non, je crois que vous n’êtes pas sur le bon côté de la montagne.
La jeune femme oublia l’homme en noir pour reporter son attention sur la carte.
– Quoi ?!?
– Regardez, vous êtes sur ce versant… Pour rejoindre les chalets, il vous faut… oui, c’est ça : monter ici, vers le col du Tricot, et redescendre dans la vallée voisine.
Abasourdie, Tsukiko se pencha pour lire l’altitude du fameux col. Cinq cents mètres de dénivelé positif au moins, sans parler de la descente de l’autre côté, qui avait l’air épique. C’était impossible, elle n’y arriverait jamais. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de partir seule en Europe pour faire le tour du Mont Blanc ? Alors qu’elle se retenait contre une furieuse envie de pleurer, l’homme en noir s’avança vers elle, vif comme un serpent :
– Bon, on ne va pas y passer la nuit. Mon ami s’est trompé, vous êtes juste à côté des chalets. Voilà, bonne journée !
Et il claqua des doigts. La jeune femme eut l’impression que la forêt s’estompait autour d’elle, puis réapparaissait – mais les arbres n’étaient pas au même endroit, et à ses pieds (le sentier montait quelques secondes auparavant, il semblait incompréhensiblement être devenu plat), derrière le rideau de pluie, on apercevait un hameau blotti au creux du cirque naturel.
Les deux hommes avaient disparu.
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– Mais qu’est-ce que tu as fait ? s’époumona l’ange.
– Elle voulait aller aux chalets de Miage, je l’ai envoyé aux chalets de Miage, répondit Crowley avec un haussement d’épaules. « Je ne l’ai fait que pour sauver une humaine », comme le dit si bien un certain ange de ma connaissance, « pas pour mon confort personnel », alors arrête de me regarder comme ça.
Vraiment, il n’y avait pas de quoi tirer cette tête. Aziraphale le fixait intensément, comme s’il avait envie de lui sauter au cou, ou de l’étrangler – comme s’il ne parvenait pas à décider si ce que venait de faire le démon pouvait vraiment être compté comme une bonne action. Crowley savait bien que non : il voulait juste arriver à la voiture, et cette fille était sur sa route. Il s’en était débarrassé, point final.
– Je voulais juste… je voulais juste faire quelque chose d’humain – de totalement humain – avec toi, murmura Aziraphale en détournant le regard. On a sauvé le monde, je voulais qu’on en profite ensemble. Qu’on essaye de le voir autrement qu’avec notre point de vue d’ange ou de démon.
Le démon en question, qui s’apprêtait à employer un miracle pour arrêter la pluie, interrompit son geste. Aziraphale avait l’air tellement déçu…
– Mais ça n’a pas fonctionné, poursuivit l’ange avec un soupir. Peut-être qu’on n’est pas faits pour profiter de… de tout ça.
Tout ça quoi ? se demanda Crowley. La fatigue physique, la sueur, la poussière, la chaleur, les moustiques, les randonneurs insupportables, la pluie, le froid, les courbatures ? Mais qui pouvait bien prétendre profiter de tout ça ? Subir, d’accord, mais profiter ?
Un rayon de soleil perça derrière les arbres et un magnifique arc-en-ciel illumina la vallée en contrebas. Des gouttes de pluie dorée suspendues aux branches des sapins se décrochaient lentement et tombaient à terre avec un doux bruit de grelots. La mousse humide exhalait la senteur fraîche des sous-bois. Un lambeau de brume flottait au-dessus d’un sommet, comme un drapeau fantôme…
Crowley s’ébroua comme au sortir d’un rêve. Parfois, il pouvait voir ce qu’Aziraphale voyait, lui, en permanence, la beauté simple et réelle du monde qui les entourait, les moindres détails magiques d’un univers qu’il avait lui-même contribué à créer – et c’était précisément là que se situait le problème : cela lui rappelait trop… avant. Avant la chute, lorsqu’il était encore capable de s’émerveiller d’un rien. Une capacité qu’il avait perdue. Ou peut-être pas totalement.
– Il y a des choses humaines dont je sais profiter, s’entendit-il répondre d’une voix qui lui sembla lointaine. Un bon feu de cheminée en hiver, un matelas confortable, l’odeur du pain grillé, rouler très vite sur des petites routes de campagne, écouter un album de Queen, boire un bon verre de vin avec toi…
Il s’interrompit, horrifié. Ce n’était pas lui qui venait de dire toutes ces niaiseries, si ?
– Bref, reprit-il avant qu’Aziraphale ne se montre outrageusement sentimental. Il y a des choses que j’aime dans ce monde, et je suis content qu’on l’ait sauvé, voilà, c’est dit. Mais la randonnée n’en fait pas partie. On a essayé, et je t’annonce que ce n’est pas mon truc. Alors voilà ce que je te propose : pour compléter l’expérience, on redescend en mode « humain ». On en bave, on a froid, on râle contre la pluie – enfin, je râle contre la pluie, et dès qu’on arrive à la voiture, je nous sèche avec un miracle et on fonce au meilleur restaurant de Saint-Gervais.
Le sourire éblouissant qu’Aziraphale lui offrit en guise de réponse était peut-être ce que le démon préférait au-dessus de toutes les choses agréables de ce monde, mais ça, il n’allait certainement pas l’avouer.
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– J’espère qu’ils auront de la fondue savoyarde.
– J’espère qu’ils auront du vin de Savoie.
– Et de la tarte à la myrtille.
– Et du génépi.