Golden Sun NP
Chapitre 5
Le départ
Le temps était magnifique. Pas un nuage à l’horizon. A peine, la douce caresse d’une brise. Il y avait bien un filet de fumée qui s’échappait du Mont Alpha, mais ce n’était rien comparé à la masse de poussière que le volcan avait vomi la veille ni aux débris propulsés par les explosions, qui avaient endommagé les habitations. Quant aux secousses, s’il arrivait encore que quelques-unes se produisent, elles étaient bien moins intenses que la veille.
Non. Il ne faut pas que je pense à tout ça. Vlad préférait profiter de ses derniers instants à Val avec des choses plus positives en tête. Il détacha son regard de la silhouette irrémédiablement altérée du Mont Alpha pour examiner les villageois qui se pressaient autour de lui. Par miracle, l’éruption n’avait fait aucun blessé et tous était venus faire leurs adieux.
Non pas tous…
– Vlad.
Le garçon se tourna vers son interlocuteur.
– Ça ne vous inquiète pas de parcourir le monde à deux ?
– Ça ira Gyver…
Le garçon, qui n’avait que quelques années de plus, le dévisagea avec insistance.
– C’est vrai, intervint Garet. On s’en sortira.
Leur interlocuteur lança un regard circonspect au roux et Vlad comprit qu’il se demandait lui aussi pourquoi l’arcade sourcilière de son ami était enflée.
– Il y a une différence entre être courageux et être suicidaire. Le vrai courage requiert de la prudence même si elle ressemble à de la lâcheté.
A leur grande surprise, les deux garçons se retrouvèrent serrés contre leur aîné.
– Vous êtes comme des frères pour moi, les gars. Alors faites bien attention à vous. Et revenez vivant.
Il les lâcha tout aussi subitement et recula vers la foule, une expression déstabilisée sur le visage, comme s’il ne croyait pas lui-même à ce qu’il venait de faire.
– Vous avez de quoi faire la route ? demanda l’armurier tandis que les garçons se remettaient de leur surprise.
– Oui, nous avons des provisions, répondit Vlad en serrant son sac contre lui avec un pincement au cœur.
« Il y a un village au Sud à deux ou trois jours de marche. Vous devriez y passer pour refaire le plein. Qui sait jusqu’où ce voyage va vous conduire… »
Maman. Vlad fouilla la foule des yeux mais ne la vit nulle part. Elle est peut-être simplement en retard…
– Dites-moi, mes enfants, avez-vous pensé à prendre quelques pierres psynergies ? demanda un vieillard.
Garet acquiesça. La veille, les deux garçons avaient aidé à déblayer le village et les vergers. Ils en avaient profité pour récupérer autant de pierres psynergies que possibles. Salamandar et Phoenixia n’étaient pas des individus à prendre à la légère et ils auraient besoin de tous leurs pouvoirs pour les vaincre. Si nous n’avons pas besoin de ces pierres d’ici là.
L’herboriste s’approcha d’eux et leur remis quelques herbes.
– Nous nous en étions servi sur vos blessures il y a trois ans… Elles évitent les infections et accélèrent la guérison.
Vlad la remercia, reconnaissant. A sa suite, les villageois commencèrent à défiler pour leur faire part de leurs encouragements ou leur donner des cadeaux d’adieux. Chacun avait un mot pour eux, mais aucun ne viendrait avec eux. Bien sûr, certains de leurs amis comme Gyver ou le fils du forgeron avaient voulu les accompagner, mais le premier, très bon mystique de Vénus, avait été sollicité pour restaurer les vergers endommagés tandis que le second avait été retenu de force par son père, qui refusait qu’il abandonne sa formation. « Reviens en guerrier, Vlad » lui avait dit tristement le garçon en s’excusant. « D’ici là je serai devenu le meilleur forgeron du monde ».
Bien sûr, les autres avaient tous d’excellentes excuses pour rester à Val, mais Vlad regrettait qu’au moins deux ou trois d’entre eux n’aient pas trouvé le moyen de venir. Ils ne sont que trop heureux de nous laisser la responsabilité de cette quête. En un sens, il ne pouvait pas leur en vouloir ; c’était Garet et lui qui étaient responsables des maux qui frappaient le village.
La procession se poursuivait et sa mère n’était toujours pas là.
« Je pourrais venir avec vous… Je manque peut-être un peu de pratique mais au moins vous auriez un adulte dans votre groupe. »
Vlad ferma douloureusement les yeux tandis qu’il revoyait le regard décidé de sa mère. Au fond de lui, il aurait aimé qu’elle les accompagne. Mais il était bien trop réaliste pour la laisser faire. « Tu dois rester » lui avait-il répondu. « Le village a besoin de toi et tu le sais. Le grand-père de Garet aura du mal à gérer cette crise seul ». Après la mort de Kyle, sa mère avait pris sa place en tant que bras droit du maire. Les habitants avaient du respect pour elle et pour ces décisions. Si quelque chose devait arriver au vieil homme, les villageois se tourneraient vers elle. Non. En ces temps incertains, elle ne pouvait pas quitter le village. Et au fond, elle le savait autant que son fils.
Dans sa main, Vlad roula pensivement les perles qu’elle lui avait données la veille. Parfois, elles semblaient émettre une légère pulsion sur sa peau, comme le battement lent d’un cœur. Il avait toujours pensé que le collier de sa mère était un simple souvenir transmis de génération en génération. Jamais il ne se serait douté qu’il s’agissait d’une relique psynergique. Sa mère les avaient appelées « Perles larcins » et l’avait encouragé à tester leur pouvoir.
La psynergie du collier était différente de celles qu’il maniait jusqu’alors. Quand déplacer des objets lui avait toujours demandé de la concentration pour un mouvement relativement lent, avec ces perles, il avait à peine besoin de penser pour qu’une pierre, un outil ou un livre lui fonce dessus. Le poids des objets visés, qui devait rester faible, et son rayon d‘action semblaient être les seuls limites de cette nouvelle capacité. Elle devait vraiment s’inquiéter pour me donner un trésor pareil.
Le défilé de villageois s’était enfin tari et les discussions allaient bon train. On parlait des tremblements de terre, du temple de Sol, de Pavel et de Lina... Il y avait bien quelques anciens pour se réjouir de l’existence réelle de l’Inexorable ou de celle d’autres mystiques en dehors de Val, mais la plupart des habitants s’inquiétaient surtout de la survie du village et beaucoup se désolaient de n’avoir rien pu faire pour éviter le désastre.
– Ces visiteurs ont provoqué l’éruption et kidnappé Lina. Je savais qu’ils avaient l’air louche, disait l’aubergiste.
– Le maire a été trop gentil avec eux, acquiesça quelqu’un. Rien de tout cela ne serait arrivé s’il les avait renvoyé.
– Nous n’imaginions pas que le temple de Sol renfermait un tel secret, fit remarquer quelqu’un. Si nous avions su, nous aurions pu intervenir dans cette histoire.
– Mais c’est parce que Thélos étudiait l’alchimie que le volcan est entré en éruption, non ? dit un homme d’un ton accusateur.
Alors voilà où on en est… Les habitants se méfiaient déjà des étrangers avant le vol des Etoiles Elémentaires ; ils ne leur feraient plus jamais confiance désormais. Est-ce qu’ils laisseront seulement Thélos revenir ici ? Il voyait bien que le village était divisé sur la question.
Alors qu’il se faisait cette réflexion, le grand-prêtre s’écarta de la foule et se dirigea vers eux.
– Nous comptons sur toi Vlad, annonça le grand prêtre, grave.
Le maire poussa un petit toussotement.
– Oh, et sur toi aussi, Garet, s’empressa d’ajouter le vieil homme.
– Ne buvez pas de l’eau si elle sent bizarre, dit la grande sœur de Garet, visiblement émue.
– Je sais qu’il ne faut pas boire de l’eau croupie, sœurette ! protesta Garet en prenant le paquet d’herbes médicinales qu’elle lui tendait, agrandissant ainsi leur réserve d’herbes.
– Surtout ne l’écoute pas Vlad ! glissa malicieusement Aaron. C’est un porcelet ! Il mangera tout ce qui lui passe sous la main !
– Hum… Dora est très en retard, remarqua l’un des anciens.
Vlad leva les yeux vers la petite chaumière qui avait été sa maison.
– Oh. C’est vrai ! s’exclama Aaron, le prenant de court.
Il s’approcha de Vlad et lui tendit une écharpe jaune.
– Tante Dora m’a dit de te donner ça. Elle ne se sentait pas très bien.
Vlad contempla le tissu avec émotion. Il connaissait bien cette écharpe. C’était celle de son père.
– Bon, je pense qu’on est paré, hein, Vlad ? dit brutalement Garet.
– Oh ! Arrête Garet ! protesta sa sœur. Réfléchis un peu ! Ça doit être très difficile pour Dora.
– Oui, renchérit la mère du gaillard, je ne peux que compatir, Garet. J’ai encore ton père, ton frère et ta sœur. Mais Dora n’a plus que Vlad.
Elle se tourna vers le garçon.
– Elle ne veut pas que tu partes mais elle sait que tu dois y aller. Ça ne fait qu’augmenter son chagrin.
« Si je ne peux même pas venir avec toi, alors à quoi bon s’éterniser ? ». Le cœur de Vlad se serra en y repensant tandis qu’un murmure compatissant parcourait la foule. C’est sans doute mieux ainsi. Pour elle comme pour moi.
Le maire finit par intervenir.
– Si ça continue, comme ça, ils ne partiront jamais. Allez ! Un dernier au revoir.
Mais alors qu’il prononçait ces mots, Vlad aperçut un reflet humide dans ses yeux.
Les villageois crièrent une dernière fois leurs adieux, puis les deux garçons franchirent la clôture qui séparait Val du monde extérieur.
– C’est beau non ? Enfin ça nous change de Val, si tu vois ce que je veux dire.
Vlad acquiesça silencieusement, sans cesser de contempler le paysage. Ils marchaient depuis quelques heures et déjà leur village n’était plus qu’une tâche derrière eux. Il n’y avait pas de route à proprement parlé, à peine un sentier vaguement tracé dans les collines. Au loin, ils pouvaient distinguer d’épaisses forêts de chaque côté de leur itinéraire, mais ils n’avaient croisé aucun signe de vie jusqu’à présent. L’ambiance était lugubre. Garet parvenait à sortir quelques réflexions de temps en temps, mais Vlad n’avait pas le cœur à engager la conversation.
Le garçon avait noué l’écharpe autour de son cou et tripotait de temps en temps les Perles Larcins dans sa poche. Elle m’aura vraiment donné tout ce qui lui appartenait… pensa-t-il en songeant à ses deux parents. L’ensemble de cuir que sa mère avait déposé dans sa chambre, la veille, appartenait également à son père, tout comme l’épée qui pendait à ses côtés. Sans doute pensait-elle qu’ils lui serviraient plus qu’à son époux disparu.
Il l’avait entendu, durant la nuit, s’agiter et gémir dans son sommeil. « Non… Kyle… N’y va pas… Kyle ! Attention ! Le rocher ! ». Il aurait voulu être sourd pour ne pas entendre. Mais comment lui en vouloir ? La mère de Garet disait vrai : il était tout ce qui lui restait.
Je n’ai pas le choix. Il faut qu’on récupère ces pierres. Il faut qu’on sauve Lina et Thélos.
– Quand je pense que je ne la verrai plus se tenir ici…, avait murmuré avec tristesse l’oncle de la jeune fille alors qu’ils réparaient les dégâts sur sa maison.
– On va la retrouver, avait tenté de le rassurer Vlad.
Mais l’homme n’avait pas paru convaincu. Quelques instants plus tard, la tante de Lina était venue le chercher à la demande de sa grand-mère.
– Elle ne peut pas se déplacer, la pauvre, avait-elle expliqué. Le kidnapping de Lina a été un choc terrible pour elle. Elle est tombée malade dès qu’elle l’a appris. La perte de ma sœur avait déjà été une grande épreuve… Et maintenant, Lina...
Dans la maison, la grand-mère de Lina gisait dans son lit, faible et toussant par intermittence
– Tout ira bien, lui soufflait son mari. Lina a hérité du feu de sa mère. Il la protègera.
– Je suis là, avait murmuré Vlad, ému.
La vielle femme avait entrouvert les paupières.
– Mon garçon… promets-moi… Promets-moi que tu retrouveras ma petite-fille…. Promets-moi…
Il le lui avait juré, serrant sa main fripée dans la sienne et tentant d’utiliser discrètement ses pouvoirs pour soulager sa toux
– Retrouvez ma petite fille, Lina. Je vous attendrai ici, avait murmuré la femme avant de s’endormir, épuisée.
– Pavel a hérité de la psynergie de son père, la maîtrise de la Terre, avait murmuré le grand-père de Lina en l’accompagnant vers la sortie. J’ignore pourquoi il a rejoint ce groupe qui a pillé le temple, mais je suis sûr qu’il a d’excellentes raisons.
Il s’était arrêté pour fixer Vlad dans les yeux.
– Pavel est un bon garçon, Vlad. Tout comme toi. Je suis sûr que tu pourras le convaincre d’arrêter cette folie.
Il était un bon garçon. Trois ans avait passé depuis la tempête. Qui sait ce que Pavel était devenu ? Il y avait tant en jeu dans cette quête…
Un mouvement furtif à sa gauche le tira de ses pensées. Il s’arrêta quelques instants mais ne vit rien de plus. Un frisson le parcourut. Il avait l’étrange sentiment qu’ils étaient suivis depuis leur départ…
– Et si on faisait une pause ? proposa Garet.
Vlad acquiesça silencieusement. Il n’était pas fatigué, mais il mourrait de faim.
– Tiens ! dit Vlad en tendant la gourde à son ami.
Il remarqua que l’arcade sourcilière du gaillard avait encore gonflée.
– Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? demanda-t-il en désignant l’enflure.
Le roux haussa les épaules.
– C’est à cause de cet abruti… Le fils de l’aubergiste… Il disait que Lina était forcément au courant pour Pavel et qu’elle était de mèche avec Salamandar et Phoenixia.
– Alors tu l’as frappé.
– Non, je lui ai cassé la figure.
Ils échangèrent un regard puis éclatèrent de rire tous les deux, évacuant la tension accumulée depuis la veille.
– Tu sais, dit Garet lorsqu’ils eurent repris contenance. Je n’en veux pas à Pavel, pour tout ça. Je veux dire…Si nous avions pu le sauver il y a trois ans, ces gars ne l’auraient jamais emmené avec eux. Et c’est pas comme si les gens s’étaient précipités pour nous aider à l’époque…
Non, songea Vlad. Personne n’avait de psynergie… Mais il se mit soudain à douter. A l’époque de l’accident il ne s’était pas posé de questions, mais aujourd’hui, alors qu’aucun habitant ne les avait rejoints dans une quête dont dépendait le sort du monde, il commençait à s’interroger sur la bonne volonté de ses voisins.
– En tout cas, je suis quand même un peu soulagé que Pavel ait emmené Lina avec lui.
Vlad le dévisagea, stupéfait.
– Bah, quoi ? Tu as vu comment la femme du forgeron la regardait ? Je suis sûre qu’elle l’aurait enlevée pour la marier de force à son fils…
Après un nouveau fou rire, ils reprirent une gorgée d’eau puis déjeunèrent de pain et de fromage. Quand ils eurent terminé, Vlad ouvrit sa sacoche et en sorti le sac de mythril.
– Tu as la carte ?
Garet hocha la tête et déplia le parchemin jauni que son grand-père lui avait remis. Vlad plongea la main dans le sac de mythril et ferma les yeux pour se concentrer. Apparemment, Salamandar et Phoenixia avaient légèrement dévié de leur trajet original.
– Qu’est-ce qu’il y a au Sud-Est ? demanda Vlad.
– Vault, dit Garet en désignant un point sur la carte. On est à seulement deux ou trois jours de marche.
Vlad se pencha à son tour sur le parchemin. Une rivière de grande taille partait de l’est de Val pour rejoindre les montagnes vers l’Ouest, isolant ainsi la région qui entourait le village du reste du continent. Il n’existait qu’un seul pont pour la traverser à l’Est ; la ville de Vault était localisée juste au sud. A un ou deux jours de marche, au Nord de cette dernière, un point mentionnait la ville de Lunpa. Il va falloir qu’on continue un peu vers le Sud puis qu’on se dirige vers l’Est. C’était très probablement l’itinéraire emprunté par Salamandar et Phoenixia.
Ils doivent avoir besoin de provision. Le groupe n’avait sans doute pas prévu de repartir avec des otages. De plus, si Lina était jeune et en bonne santé, il n’en était pas de même pour Thélos, qui allait sûrement les ralentir. Avec un peu de chance et en se débrouillant bien, ils pourraient les rattraper d’ici une semaine.
Alors qu’il rompait le contact avec l’Etoile de Mars, il sentit une présence dans son dos.
– Qui est là ? demanda-t-il en se retournant
Personne ne lui répondit.
– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Garet après quelques instants.
– Rien... Sans doute une bête sauvage…
– On aura qu’à allumer un feu ce soir, au pire…
Vlad le dévisagea, surpris. Il n’avait pas vraiment réfléchi à ce problème. En fait, ils n’avaient pas réfléchi à beaucoup de choses avant de partir… Il réalisa subitement que son ami était peut-être plus avisé que lui en matière de voyage… Il ne pouvait qu’acquiescer.
Ils ne s’attardèrent pas plus, poursuivant leur route vers le Sud. A mesure que le soleil tournait, les collines disparaissaient peu à peu, remplacées par une plaine verdoyante, toujours bordée de forêts. Derrière eux, les contreforts du Mont Alpha s’effaçaient lentement tandis que la barre grise de la chaîne de Goma se dessinait vers l’Orient. Comme le ciel commençait à rougir, épuisés par leur première journée de marche, ils s’installèrent dans un petit bosquet près de la route, à la suggestion de Garet. En effet, avec les bandits qui rodaient dans la région, dresser un campement en plaine les aurait trop exposés.
– Foutus gens de Lunpa, grommela le roux avant de se concentrer pour embraser la pile de bois qu’ils venaient de ramasser.
Ils dînèrent en silence, soucieux de faire le moindre bruit possible. En voyant Garet engloutir un pain entier puis picorer quelques dés de viandes préalablement rôtis entre ses doigts, Vlad réalisa que leurs provisions allaient diminuer plus vite que prévu. Le groupe de Salamandar n’était pas le seul qui aurait besoin de se ravitailler à Vault.
– Tu sais, dit Garet en s’étendant sur le sol. Ma famille n’a pas arrêté de me répéter combien ils étaient fiers de moi… Combien c’était un honneur d’être envoyé en mission par l’Inexorable… Même ma sœur était jalouse de moi parce que mes parents ne voulaient pas qu’elle parte aussi…
Il se tourna vers Vlad.
– Tu crois qu’on devrait être heureux d’être envoyé en mission ? Enfin, je veux dire, c’est sûr qu’on aura du mal avec Salamandar et Phoenixia, mais en attendant de les retrouver on va voir du pays… Tout le monde ne peut pas en dire autant à Val.
– J’imagine qu’il y a du bon effectivement...
Garet ne mit pas longtemps à s’endormir, comme à son habitude. Vlad, lui, ruminait de sombres pensées. Il ne se faisait pas d’illusion. Même avec leur entraînement, à deux, ils n’étaient probablement pas de taille contre Salamandar et Phoenixia. De plus, Alex semblait puissant et il était impossible de savoir ce que ferait Pavel en cas de confrontation. Les chances d’une issue heureuse étaient faibles. Mais il ne pouvait pas reprocher à leurs familles d’avoir voulu les encourager. Dora elle-même avait tout fait pour dissimuler son chagrin, lui donnant, avec un faux entrain, toutes sortes de conseil pour le voyage.
« Quand tu entres dans un ville, pense bien à aller voir le maire aussi vite que possible. C’est une question de politesse. S’il est trop tard, rends-toi directement à l’auberge. Je dois avoir quelques pièces qui traînent quelque part.... »
« Maman. »
« Oh ! Et n’attendez pas que l’obscurité soit complète pour vous arrêter la nuit. Mieux vaut dresser un camp quand il reste assez de lumière pour trouver du petit bois. Je vais te donner quelques torches, au cas où vous seriez séparé Garet et toi, mais il vaudrait mieux que vous les gardiez au cas où… On ne sait jamais jusqu’où ce voyage peut vous emmener. »
« Maman ».
« Chaque fois que vous passez par une ville, pensez aussi à faire le plein de provisions. L’alchimie, c’est très bien pour se défendre mais pour chasser, c’est autre chose… »
« Je vais revenir, rapidement je te le promets. Je ne te laisserai pas toute seule cet hiver. »
Elle s’était arrêtée d’un seul coup, le dos tourné.
« Au temple… » avait-elle prononcé lentement. « L’Inexorable… Il m’a dit que tu avais une grande destinée à accomplir et que quand tu reviendrais, j’aurai plus gagné que perdu. »
Elle avait pris une respiration.
« Mais au fond ce que je ressens… Je ne veux pas te perdre, Vlad…»
Il s’était approché pour la serrer dans ses bras et avait senti les larmes qu’elle avait retenu toute la journée.
« Il faut que tu me fasses une promesse, Vlad. Tu dois me promettre de ne pas te retourner, de ne pas revenir avant d’avoir accompli cette quête. Je saurai me débrouiller ici. Et puis, si j’ai vraiment besoin d’aide, la mère de Garet ou l’aubergiste viendront m’aider… »
Dans l’obscurité, Vlad plissa les yeux et tenta de distinguer Val entre les arbres qui l’entourait. Pendant une fraction de seconde, il crut distinguer un éclat vers le Nord… Il serra dans sa poche les Perles Larcins. Prends bien soin de toi.
– KYLE !!!
Sa mère criait, les mains tendus vers lui.
Vlad se tenait sur le ponton, là où son père avait disparu trois ans plus tôt.
– Va-t’en ! Fuis !
Dans la rivière Pavel s’accrochait désespérément à un bout de bois. Sur la berge, Salamandar et Phoenixia traînait Lina et Thélos.
Je dois les aider !
– Kyle ! Attention !
Le rocher ! songea Vlad.
Mais sa mère secoua la tête.
– Les morts ! Vlad ! Les morts arrivent !
Une odeur fétide et une respiration rauque le réveillèrent. Il porta instinctivement la main à sa ceinture et porta un coup d’épée à l’aveugle. Sa lame transperça un corps mou. Dans l’obscurité, il distingua des yeux noirs et luisants tout près de lui.
– Garet !
Le rouquin était de l’autre côté du tas de braises qui avait remplacé le feu. Son ami était aux prises avec une silhouette humanoïde qui l’étranglait.
Une main moite se posa sur son visage et Vlad réalisa avec horreur que la créature empalée avait continué à avancer, indifférente à la lame dans son ventre. Par réflexe, il la repoussa avec sa psynergie. La créature alla s’écraser dans le tas de braises où elle prit instantanément feu. Sous le choc, il la regarda se désintégrer en quelques instants.
– Le feu ! Garet ! hurla-t-il dès qu’il se fut ressaisit. Le feu les tue !
Il voulut venir en aide à son ami mais une nouvelle forme se jeta sur lui. Le garçon se baissa instinctivement et lâcha son épée, désormais inutile. Plus loin, il aperçut une branche encore enflammée. Viens ! Les perles Larcins vibrèrent dans sa poche tandis que le brandon traversait les airs. L’instant d’après, il plantait le bois enflammé dans son assaillant. Au même moment, Garet poussa un cri de triomphe et un cercle de feu les entoura subitement, éclairant des ombres sinistres entre les arbres.
Vlad se tourna vers son ami.
– Ça va ?
Garet allait lui répondre quand son visage afficha une expression de terreur.
– Derrière toi !
Vlad eut à peine le temps de se retourner qu’une forme inerte le renversait, l’écrasant de tout son poids. Il eut le temps de sentir une haleine fétide et une peau grouillante de vers. L’instant d’après, la masse en décomposition disparaissait de son champ de vision et un craquement horrible retentissait à sa droite.
– Ça suffit ! dit une voix étrange.
Une onde de psynergie traversa la zone et le sol se craquela tandis que d’épaisses ronces apparaissaient dans le cercle de flammes, formant un mur inextricable.
Stupéfait, Vlad se redressa et tomba nez à nez avec l’une des plus étranges créatures qu’il ait jamais vu. La chose, qui ressemblait à une boule dans laquelle on avait planté des yeux, une bouche, des pattes, une queue, des sortes d’oreilles et une série d’appendices bruns qui ressemblaient à des pierres taillées en pointe, le dévisagea d’un air réprobateur.
– Et bien, si ça commence comme ça, vous irez pas bien loin.
Vlad entendit un gémissement et aperçut une silhouette qui se traînait sur le côté. La créature lui jeta un regard agacé, s’approcha d’elle et, avec un bruit écœurant, fracassa d’un coup sec sa tête. La silhouette cessa immédiatement de bouger.
Vlad déglutit. Visiblement la force de la créature n’avait rien à voir avec son apparence.
– Qu’est-ce que c’est ? prononça-t-il.
– Des zombies. Probablement des voyageurs tués par des brigands. Enfin jusqu’à ce que l’éruption les réveille…
La voix de la créature lui paraissait étrangement familière…
– Et toi, t’es qui ? l’apostropha Garet.
La créature lui jeta un regard agacé et ses appendices tressaillirent.
– Moi, je m’appelle Silex. Et vous, vous êtes les imbéciles qui ont réveillé le Mont Alpha.
Vlad comprit alors où il avait entendu sa voix.
– Tu étais au temple de Sol. Tu m’avais averti pour le piège.
La créature hocha la tête.
– Désolé, s’excusa Vlad. Je veux dire, c’était ta maison, non ?
La créature parut se radoucir un peu.
– Pas vraiment. Mais c’est vrai qu’on était pas si mal, tous ensemble là-bas…
– Et… tu es quoi au juste ? demanda Garet.
La créature agita sa queue d’un air agacé.
– Je suis un djinn. Un djinn de Vénus pour être plus précis, compléta la créature.
– Quoi ? C’est ça, un djinn ? Tu rigoles ?
– Fais attention à ce que tu dis, le rouquin ! Vous me devez la vie tous les deux ! Et si vous voulez survivre à votre voyage, vous allez avoir besoin de moi !
– C’est l’Inexorable qui t’envoie ? demanda Vlad, intrigué.
Le djinn secoua la tête.
– Pas vraiment, disons qu’il m’a fortement recommandé de vous accompagner si je voulais retrouver les miens.
Vlad eut un frisson.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Le djinn secoua de nouveau la tête, avec tristesse cette fois.
– Après avoir fui l’éruption, on s’est regroupé au-dessus du cratère, mais la lave a touché un noyau de pierres Psynergie. Il y a eu une explosion et nous avons tous été séparés. Les miens doivent être dispersés dans tout Weyard, à l’heure actuelle…
Il baissa la tête et ses proéminences s’affaissèrent à ces mots. La honte envahit Vlad.
– Alors tu veux qu’on t’aide à les chercher, c’est ça ?
Le djinn se redressa légèrement.
– Oui. C’est ça. En d’autres temps, être séparés aurait été moins problématique, mais nous avons dormi pendant plusieurs siècles. Les humains ont oublié ce que nous sommes et risquent de s’en prendre à nous. Et puis, sans source de psynergie pour nous alimenter, nous risquons de disparaître. Nous allons avoir besoin de mystiques, comme vous, ou de pierres psynergies pour survivre. A moins bien sûr, que les Phares Elémentaires ne soient allumés.
Il leur lança un regard circonspect.
– Mais je crois savoir que vous voulez justement éviter que ça arrive.
A l’évidence, ils ne pouvaient pas refuser la demande de la créature. Vlad poussa un soupir.
– Très bien, nous ferons de notre mieux pour t’aider à les trouver.
– Merci ! s’exclama la créature. Vous ne le regretterez pas !
– Attends, une minute ! protesta Garet. Quel intérêt, on a, nous, à t’aider ?
Le djinn lui lança un regard mauvais.
– Je croyais que c’était évident, dit-il en pointant de la queue le mur de ronce qui les protégeait désormais. Ma psynergie est plus puissante que la vôtre et si je me lie à l’un d’entre vous, nos pouvoirs se combineront : vous aurez accès à la plus grande partie de mes facultés.
Il fit une petite pause, croisant le regard sceptique du grand gaillard.
– De plus je n’ai pas besoin de sommeil, ce qui signifie que je peux monter la garde toute la nuit pendant que vous dormez.
– D’accord. Il vient, capitula immédiatement Garet.
Vlad le soupçonna de vouloir éviter les tours de garde plus que de gagner un précieux allié…
– Alors comment fait-on pour se lier à toi ?
La créature agita les appendices qui lui servaient d’oreilles.
– Peut-être vaudrait-il mieux que je vous montre demain… Mon mur de ronce ne résistera pas éternellement si je ne suis pas là pour l’entretenir.
Il alla se jucher d’un bond sur ledit mur et se tourna vers les bois.
– En attendant, vous feriez mieux de vous reposer. Vous en aurez besoin. Ce ne sont ni les premiers ni les derniers monstres que nous rencontrerons…
Quand Vlad ouvrit les yeux, le lendemain, il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu’il n’était pas dans son propre lit mais dans un bois, entouré de ronces. Le souvenir des évènements de la veille achevèrent de le réveiller. Silex était toujours perché sur son mur végétal et surveillait les environs, les oreilles dressées. Depuis la nuit précédente, les plantes s’étaient épaissies et une odeur désagréable s’en dégageait.
– Bien dormi ? demanda le djinn alors qu’il se redressait.
Il bondit à côté de lui et ses appendices raclèrent un rocher, générant des étincelles. En voilà un qui porte bien son nom…
– J’arrive pas à y croire, grommela Garet, qui venait lui aussi de se réveiller. Alors c’est vraiment vrai…
Vlad demanda au djinn si l’entretien des ronces l’avait fatigué. Celui-ci secoua la tête.
– Je vais avoir besoin de me lier à l’un d’entre vous pour récupérer. Plus tard dans la journée, nous pourrons toujours tester nos pouvoirs conjoints.
Comme Garet paraissait toujours sceptique, Vlad accepta de prendre en charge le djinn. La créature commença à briller intensément, puis se transforma en boules de lumières qui traversèrent le garçon. Il sentit alors une présence inhabituelle dans son esprit et sa psynergie lui parut croître imperceptiblement.
« Aahhh… C’est tellement mieux comme ça. » entendit Vlad, ce qui le fit sursauter.
– Ça va ? demanda son ami roux, inquiet.
« Attends, tu as accès à mes pensées ? » demanda intérieurement le garçon.
« Non, pas si tu n’en as pas explicitement envie. Je peux seulement percevoir ce qui t’entoure. De toute façon, je n’ai pas l’intention d’espionner ta vie privée. Si tu veux que je sorte de ton corps, d’ailleurs, n’hésite pas. J’ai cru comprendre que vous autres les humains aviez un problème avec ce que vous appelez ‘‘pudeur’’. »
Vlad le remercia intérieurement.
– Alors tu te sens différent ? demanda son ami, curieux, alors qu’ils échangeaient un peu de pain pour le petit-déjeuner.
– Un peu, répondit le garçon.
– Ça change quelque chose au niveau de tes pouvoirs ?
Vlad secoua la tête.
– C’est dur à dire. Silex a besoin de récupérer pour le moment.
Le gaillard marmonna quelque chose avant de demander :
– Au fait comment on fait pour sortir de là ?
Ils durent mettre le feu aux ronces en s’assurant que l’incendie ne se propagerait pas aux autres arbres. Les flammes renforcèrent l’odeur écoeurante qui s’en dégageait et Vlad se demanda combien de zombies s’étaient empêtrés dans le mur végétal au cours de la nuit. A leur grande surprise, quand les dernières flammes disparurent, ils aperçurent des éclats dorés entre les braises. Indifférent à leur chaleur, Garet récupéra quelques pièces d’or que les zombies devaient portés sur eux de leur vivant. Il se tourna vers Vlad avec un air légèrement coupable.
– Ils n’en auront plus besoin maintenant, de toute façon, hein ? Et puis, on a failli se faire tuer par ces trucs… Et… et ils auraient probablement attaqué d’autres voyageurs ! Donc on mérite bien une petite récompense, non ?
Après avoir récupérer une vingtaine de pièce, ils se remirent en route vers le Sud. Vers la fin de la matinée, la piste bifurqua vers l’Est en direction de la chaîne de Goma. Ils avançaient d’un bon pas et Vlad supposait qu’ils atteindraient Vault le lendemain.
A mesure qu’ils progressaient, le garçon sentait croître subtilement sa psynergie, boostée par les forces que Silex récupéraient. Le djinn ne pompait pas directement dans son énergie, mais se contentait de se laisser irradier par elle si bien que sa présence ne coûtait rien au jeune homme. Garet ne cessait de lui jeter des coups d’œil interrogatifs, lui demandant s’il allait bien et s’il sentait une différence « avec la boule sur pattes » qui était en lui. Son insistance et ses moqueries agacèrent très vite le djinn et son porteur. Au déjeuner, Vlad finit par lâcher qu’ils lui montreraient ce dont ils étaient capables dès qu’ils auraient un ennemi réel à affronter. Son ami n’insista pas, mais glissa tout de même quelques plaisanteries sur les djinns et leur petite taille durant l’après-midi.
L’occasion de faire une démonstration de leurs pouvoirs se présenta à l’heure du dîner quand un grognement vint perturber leur repas. En se retournant, ils aperçurent un loup massif, mais solitaire, qui se rapprochait dangereusement.
« J’ai suffisamment récupérer, si tu veux qu’on tente quelque chose. », informa Silex.
« Tu veux que j’utilise ma psynergie ? » demanda le garçon.
« Non. J’ai une meilleure idée. Prends ton épée.»
Le garçon se leva et obéit.
– Je m’en occupe, lança-t-il à Garet.
Son ami haussa les épaules et continua de manger en l’observant.
Le loup s’était mis en position sur une pierre à proximité.
« Je vais renforcer ta lame. Frappe-le de toutes tes forces. ».
Vlad sentit la puissance du djinn se concentrer dans sa lame. Exalté par son pouvoir, il poussa un cri sauvage et bondit sur son adversaire. Il y eut un craquement sec. La lame avait tranché le loup en deux et fendue la pierre qui se trouvait en dessous.
Triomphant, Vlad se retourna vers son ami. Garet, le fixait bouche bée (et pleine), les yeux écarquillés.
– Oh la vache… finit-il par dire avant d’avaler enfin. Oh la vache… C’était incroyable !!!
Du reste du repas, il ne tarit plus d’éloges sur ce qu’il venait de se produire. D’ailleurs, il ne fit plus aucune remarque ou plaisanterie à l’encontre des djinns. Mais Vlad sentait que Silex n’avait pas encore montré tout son potentiel. Après l’attaque, le djinn s’était ramassé dans son esprit, irradiant de pouvoir.
« Qu’est-ce que tu fais ? » lui avait demandé le garçon.
« Je n’ai pas encore libéré toute ma puissance… Mais je préfère la garder pour une situation critique. »
Ils n’eurent pas besoin de se délier pour que le djinn monte la garde durant la nuit. Ce dernier se contenta d’apparaître en version lumineuse sur l’épaule garçon, parcourant à sa guise la surface de ses vêtements et observant les alentours avec attention… Vlad ne savait pas trop s’il devait considérer cette vision comme cocasse, perturbante ou rassurante… Garet, lui, se retenait visiblement d’éclater de rire ou de faire une remarque chaque fois que la mini-sentinelle disparaissant d’un côté de Vlad pour popper de l’autre.
Une fois le moment de malaise (ou de fou rire, selon la personne) passée, ils finirent par s’endormir. La nuit se passa sans accro, et le lendemain, à part des formes écrabouillées sous des pierres, rien ne laissait deviner que quoi que ce soit d’anormal se soit passé autour de leur campement.