Golden Sun NP
Chapitre 4 : Les étoiles élémentaires
11679 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 26/06/2016 14:20
Vlad se tenait sur un promontoire de pierre au milieu d’une vaste étendue d’eau. Tout autour de lui des colonnes de roche émergeaient de la surface liquide et scintillaient par intermittence, comme si elles étaient taillées dans quelque matériau précieux. Des boules de lumières erraient dans les airs, comme animées d’une vie propre, et éclairaient les alentours de leur lumière dorée.
Le garçon se retourna et découvrit une imposante arche dorée qui surplombait un espace lumineux. Elle était faite d’un matériau que le garçon n’avait encore jamais vu et gravée de runes mystérieuses dont le sens lui échappait.
− Où sommes-nous ? demanda la voix de Thélos, le faisant sursauter.
Vlad l’aperçut à sa gauche en train d’errer sur le promontoire, les yeux perdus dans l’immensité du lieu. Il s’apprêtait à rejoindre le savant quand la lumière de l’arche se tordit brutalement, laissant place à Lina puis Garet. Le roux lâcha un sifflement admiratif en découvrant les lieux tandis que Lina ouvrait des yeux émerveillés.
Thélos ne parut même pas remarquer leur arrivée et se pencha au bord du promontoire.
− Serait-ce l’océan ? demanda-t-il, intéressé.
Ses élèves échangèrent un regard consterné.
− Non, impossible, reprit le savant avec dépit. Un océan a des vagues…
− Euh… L’océan… C’est quoi ? finit par demander Garet.
Thélos se retourna et Vlad put lire la stupéfaction sur son visage.
− Tu veux dire que vous ne savez pas ?
Devant le silence interrogatif de ses élèves, il leur expliqua :
− Au bout du monde, il y a une étendue d’eau quasi-infinie qu’on appelle l’océan. Ses seules limites sont les frontières de notre monde, les chutes de Weyard, où l’eau se déverse dans le vide.
Vlad tenta de se représenter la chose, mais en vain. A voir leur expression, Garet et Lina étaient tout aussi incrédules que lui.
Thélos soupira.
− J’imagine que c’est difficile à se représenter quand on a passé sa vie si loin des côtes… Il faudrait que je vous montre ça, un jour…
Il secoua la tête et se retourna pour sonder une nouvelle fois les lieux du regard, bientôt imité par ses élèves.
− Regardez ! dit soudain Lina.
Elle pointa du doigt une sphère lumineuse au loin, et Vlad eut juste le temps d’apercevoir une paroi rocheuse avant qu’elle ne s’en éloigne. En suivant le parcours d’autres orbes de lumière, le garçon réalisa bien vite qu’ils étaient en fait dans une gigantesque grotte.
− Vous croyez que c’est naturel ? demanda Garet en fixant le plafond où les boules de lumière laissaient parfois entrevoir de gigantesques stalactites.
− Aucune idée, souffla Vlad.
Ce qu’il savait en revanche, c’est que ces pics de pierre étaient suffisamment acérés pour les tuer sur le coup en cas de chute. Ses amis parurent également le réaliser car un silence prudent s’installa entre les trois adolescents tandis qu’ils contemplaient avec méfiance le plafond de la caverne.
− Elles existent ! cria soudain Thélos, les faisant tous sursauter.
Le savant se précipita vers le bord du promontoire, s’immobilisa quelques secondes, puis repartit à vive allure, le regard brillant d’excitation dans la direction opposée.
− Euh… Thélos, tout va bien ? demanda Garet, déconcerté tandis qu’ils le regardaient, ébahis, courir comme un enfant d’un bout à l’autre du promontoire.
− Les Etoiles Elémentaires ! s’exclama le savant. Elles sont là ! Les Etoiles Elémentaires existent !
− Les Etoiles Elémentaires ? répéta Lina. Qu’est-ce que c’est ?
Mais le savant ne répondit pas, submergé par l’excitation, et s’arrêta de nouveau pour contempler quelque chose du bord du promontoire. Interloqué, Vlad suivit son regard et aperçut un autre promontoire où se dressait une statue similaire à celles qu’ils avaient vues à l’entrée du temple. La sculpture tenait entre ses mains de pierre un énorme orbe violet qui émettait une lueur surnaturelle. En balayant l’ensemble de la pièce, le garçon repéra trois autres statues similaires portant chacune un orbe de couleur différente. Non sans un certain malaise, il réalisa que leur disposition et leurs couleurs étaient identiques à celle des pierres précieuses qu’il avait vu un peu plus tôt sur le bas relief entre les salles de Sol et de Luna.
Lina s’avança vers le savant.
− Thélos, vous nous avez appris que les éléments sont source de toute matière…, commença-t-elle, tentant visiblement de comprendre. La pierre, le bois, la glace... Tout est composé de ces éléments...
− Exactement ! confirma Thélos en daignant enfin se tourner vers eux. Comme je l’ai souvent dit, les éléments sont la source de toute matière. Terre, eau, feu et air, sont les quatre éléments qui composent toute chose. Mais il y a plus.
Il se rapprocha d’eux et ils purent tous voir qu’il était profondément ému.
− La légende dit qu’il existe quatre gemmes, les Etoiles Elémentaires, qui contiennent l’essence de chaque élément. Et ces pierres légendaires se trouvent devant nous ! Regardez !
Il désigna successivement chacun des orbes en annonçant solennellement :
− L’étoile de Vénus, la pierre élémentaire de terre… L’Etoile de Mercure dont la forme varie comme l’eau… L’étoile de Mars, aussi rouge que le feu qu’elle renferme... Et l’Etoile de Jupiter, maîtresse de toute forme de vent.
Un véritable regard d’adoration apparut sur son visage.
− Thélos… Pourquoi es-tu si excité ? demanda Lina, gênée.
Le savant se retourna d’un bond.
− Comment peux-tu rester si calme face à de tels merveilles ! Tu es devant la source même de l’alchimie !
Devant l’air abasourdi de ses élèves, il perdit légèrement contenance.
− Quoi ? Je ne vous l’avais pas dit avant ?
Vlad secoua la tête négativement.
− Tu dois avoir du mal à tout assimiler alors…, murmura ironiquement Garet en jetant un regard significatif au savant.
− Je ne comprends pas comment elles fonctionnent, prononça Lina, mais elles ont un pouvoir gigantesque, pas vrai ?
− Au-delà de gigantesque ! répliqua le savant. Avec une seule de ces gemmes, on peut conquérir le monde !
Ils restèrent silencieux, abasourdis…
− Ne nous effraie pas Thélos, protesta Garet. J’ai vraiment cru que tu étais sérieux… Conquérir le monde…
− Qui peut dire quelle est la vérité ? répliqua Thélos. Personne n’a jamais pu toucher ces pierres. C’est bien la raison pour laquelle je les cherchais : pour résoudre le mystère qui les entoure.
Alors il savait depuis le début qu’elles étaient là…, pensa Vlad. La situation prenait un tour qui ne lui plaisait pas du tout.
− Vous n’avez quand même pas l’intention de vous en servir ? demanda le garçon soupçonneux.
Le savant parut totalement pris au dépourvu.
− Quoi ? Mais non ! Bien sûr que non ! Je veux les étudier c’est tout. Vous imaginez ce qu’on pourrait apprendre d’elles ?!
Le garçon ne put retenir un soupir de soulagement. Pendant un bref instant, il avait vraiment cru que leur mentor était avide de pouvoir. Mais il connaissait suffisamment le vieil homme pour savoir qu’il n’avait pas menti ; sa soif de connaissances était bien à l’origine de son intérêt pour les pierres. Ça tombe sous le sens. Il a passé sa vie à étudier l’alchimie et il ferait n’importe quoi pour en savoir davantage…
Malheureusement, si les agissements de leur professeur étaient motivés par un pur intérêt scientifique, ce n’était probablement pas le cas de Salamandar et Phoenixia. A en juger l’armure qu’ils avaient trouvés un peu plus tôt, le duo était accompagné de guerriers quand ils étaient venus la première fois, et le garçon doutait fort qu’un groupe de combattants se soit déplacé dans le seul but d’étudier les propriétés alchimiques des orbes. Il frissonna en repensant au piège qui avait anéanti les étrangers à l’époque et qui avait également manqué un peu plus tôt de les tuer lui et ses amis. Ces pierres ont été cachées pour une bonne raison. Nous devrions peut-être les laisser…
− De toute façon, on a aucune preuve que ce sont les vraies pierres, non ? remarqua Garet.
− Mais dans ce cas, pourquoi auraient-ils mis autant de pièges et de passages secrets dans le temple ? répliqua Thélos, confirmant ainsi le raisonnement de Vlad. Non, ça n’aurait aucun sens… Il n’y a qu’une manière d’en être sûr.
D’un pas ferme, le savant se dirigea vers le bord du promontoire, prit son élan et sauta sur la colonne la plus proche. Avec horreur, les adolescents virent le vieil homme perdre momentanément l’équilibre et, pendant un bref instant, Vlad crut même qu’il allait sombrer dans le lac. Heureusement, après quelques secondes terrifiantes, le savant parvint à se rétablir.
− Thélos ! Reviens ! appela Lina, inquiète.
− Mais je dois examiner ces orbes ! Elles sont juste devant moi ! protesta le savant.
− C’est trop dangereux ! Tu n’y arriveras pas ! Laisse les garçons s’en charger.
− Quoi ??? demanda Garet.
Les deux garçons la fixèrent d’un œil ahuri.
A ce moment, Thélos, très pâle, rejoignit le promontoire d’un bond. Mais quand il s’approcha d’eux, Vlad remarqua qu’il grimaçait en se tenant la hanche.
− Ca me dérange un peu… mais vous pouvez le faire ? demanda le savant aux deux garçons.
Vlad voulut protester mais Lina le devança.
− Je suis sûre qu’ils en seront ravis. Pas vrai les garçons ? demanda-t-elle avec son sourire le plus ravissant.
Vlad ouvrit la bouche... puis la ferma. Il se tourna alors vers Garet, résigné, au grand désespoir de son ami.
− Ça ira, on devrait s’en sortir, dit-il sans vraie conviction.
− Merci ! dit Lina, satisfaite.
Thélos s’avança vers eux et tira quatre sacs argentés de sa besace.
− Vous aurez besoin de ça, dit-il en les confiant à Vlad.
− Ils viennent de ta chaumière, pas vrai ? remarqua Lina.
− Oui. Des rumeurs disaient que les Etoiles Elémentaires se trouvaient dans le Temple de Sol. Je m’étais donc préparé pour une telle occasion. Ecoutez-moi bien, dit-il en se tournant vers les garçons. Les Etoiles renferment un grand pouvoir et il est possible qu’il ait tendance à… irradier. Ces sacs sont faits de mythril tissé, un métal très rare. Il devrait permette d’isoler le pouvoir des Etoiles sans risque. Quand vous aurez les pierres, mettez les directement dans ces sacs et surtout restez le moins longtemps possible en contact direct avec elles. Je ne veux pas qu’il vous arrive quelque chose.
De mieux en mieux, songea Vlad en accrochant les sacs à sa ceinture. Si les pièges ne suffisaient pas à tuer les intrus, les reliques semblaient pouvoir s’en charger elles-mêmes...
− Soyez prudents tous les deux, dit Lina qui semblait soudain beaucoup plus inquiète elle aussi.
Les deux garçons acquiescèrent et se dirigèrent vers le bord du promontoire.
− Comment on va faire ? chuchota Garet en contemplant l’espace qui les séparait des autres promontoires.
De toute évidence, sauter de colonnes en colonnes était le seul moyen de se déplacer dans la pièce. Heureusement, elles étaient le plus souvent larges et relativement proches les unes des autres. Vlad détermina un itinéraire sûr puis ordonna à Garet de le suivre.
Ce ne fut pas facile. Comme Thélos avait pu le découvrir à ses dépens, les colonnes étaient humides et glissantes quand elles n’étaient pas irrégulières. A plusieurs reprises, ils manquèrent de tomber dans le lac et seul l’excellent équilibre qu’ils avaient acquis au cours de leurs séances d’entraînement leur permis de rejoindre leur objectif indemnes, après plusieurs minutes d’efforts.
− Il était temps, soupira Garet avec soulagement quand ils atteignirent enfin le promontoire.
Vlad balaya l’endroit du regard. Le promontoire était plus étroit que celui d’où ils étaient partis mais il était également plus proche des parois de la caverne, dont le garçon pouvait désormais distinguer la surface curieusement lisse. En face de lui, une statue de femme aux oreilles pointues portait sur ses mains jointes un magnifique orbe bleu. L’Etoile de Mercure, songea Vlad non sans un frisson.
Il allait s’approcher quand la voix de Lina retentit juste derrière lui.
− Ils ont réussi !
Vlad se retourna d’un bond mais la jeune fille n’était pas là. En la cherchant des yeux, il l’aperçut aux côtés de Thélos, sur le promontoire central. Déconcerté, le garçon se tourna vers Garet et vit que le roux était aussi étonné que lui.
− Lina ? tenta Vlad sans hausser le ton.
Au cœur de la salle, il crut voir Lina échanger un regard surpris avec Thélos.
− Vous nous entendez ? cria le savant.
Ce fut comme s’il leur criait dans les oreilles. Les deux garçons grimacèrent puis Garet eut un petit sourire moqueur et hurla de toutes ses forces :
− OUI ! ON VOUS ENTEND !!!
Vlad n’eut aucun mal à deviner la grimace que firent le savant et la jeune fille.
− Incroyable, finit par remarquer Thélos en prenant bien soin de ne pas élever la voix cette fois-ci. L’acoustique de cette grotte est tout simplement remarquable… Je me demande si c’est lié à la roche qui la compose…
Le reste se perdit dans une série de marmonnements indiscernables et, à côté de lui, Lina haussa les épaules d’un air impuissant en se tournant vers les garçons.
Comprenant que le scientifique était plongé dans ses pensées, Vlad et Garet se détournèrent pour se diriger vers l’Etoile de Mercure. En s’approchant, Vlad crut discerner des remous au sein de la gemme, comme si elle était animée d’une vie intérieure. Il ne mit pas longtemps à réaliser que le joyau en plus d’être parfaitement sphérique, n’avait pas la moindre aspérité.
Se rappelant, les avertissements de Thélos, il tendit un sac de mythril à Garet.
− Tu peux le garder ouvert, s’il-te-plaît ? demanda-t-il au roux, qui s’exécuta.
Le garçon prit une profonde inspiration puis tandis la main vers l’Etoile de Mercure.
A l’instant où il toucha la gemme, il fut submergé par une foule de sensations extraordinaires. L’Etoile investit son esprit… et il ressentit l’Eau. Les sons tout d’abord l’envahirent : le chant de la pluie, le glougloutement des torrents et le grondement de la mer. Puis il perçut le goût salé de l’écume et la fraîcheur des glaciers mais aussi la légèreté des nuages, la dureté de la glace, la tranquillité des lacs et l’inexorabilité des cours d’eau. Il ressentit également la fébrilité de la vie, son besoin d’eau, son désir d’en trouver pour croître et se développer. Et il sut combien l’Eau pouvait se montrer cruelle, indispensable à la vie, mais capable de tuer toute créature qui ne n’était pas consacrée à elle ; l’Eau qui pouvait se montrer pleine de douceur et guérir les pires maux mais dont l’absence ou la puissance pouvait tuer en quelques instants. Et soudain il put ressentir l’Eau tout autour de lui, dans le sol, les airs et même les êtres vivants, découvrant avec stupeur son omniprésence dans le monde.
Quand il parvint à encaisser toutes ces sensations, il perçut des présences à la limite de son esprit qui sondaient prudemment son âme en murmurant. Certaines semblaient bienveillantes mais beaucoup paraissaient hostiles ; et parmi leurs murmures indistincts, il put discerner une pointe d’animosité…
− Vlad ?
La voix de Garet perça soudain au milieu de cet océan de sensations et le garçon revint à la réalité. Son ami roux (la quantité d’eau dans son corps était tout simplement incroyable !) le dévisageait avec inquiétude, comme s’il craignait qu’il soit victime de quelque sortilège. Vlad se ressaisit et s’empressa de lâcher la gemme dans le sac de mythril qui lui était destiné. Dès qu’il rompit le contact avec le joyau, les sensations qu’il lui avait procurées disparurent et sa perception du monde redevint normale.
− Ça va ? demanda son ami, inquiet.
− Oui, ne t’inquiète pas, le rassura Vlad. C’était juste un peu déstabili…
A cet instant, une violente secousse les projeta au sol. Du coin de l’œil, Vlad crut voir de nouveaux piliers émerger brutalement du lac tandis que le niveau de l’eau descendait brusquement d’un cran.
− Vous allez bien ? demanda la voix de Thélos dès que la secousse cessa.
En jetant un coup d’œil vers le promontoire central, Vlad aperçut le vieux savant et Lina qui se relevaient difficilement. Il vit également que la jeune fille jetait des coups d’œil inquiets vers les stalactites qui les surplombaient.
− On va bien, répondit le garçon, non sans lancer lui aussi un regard prudent vers le plafond de la caverne.
− Bien… Si tout va bien, je veux bien que vous me rameniez les autres…
− Thélos ! Tu es aussi écervelé qu’une adolescente ! protesta Lina. Laisse-les se reposer un peu !
− Ça ira, ne t’inquiète pas Lina, lança Vlad à voix haute.
La jeune fille parut hésiter un instant mais choisit de ne pas insister. Elle qui voulait tant qu’on aille chercher ces pierres…
De là où se trouvaient les deux garçons, l’Etoile Elémentaires la plus proche était celle de Vénus. Après quelques instants de repos, ils se dirigèrent donc vers elle, profitant des nouvelles colonnes qui avaient surgi du lac et qui semblaient offrir un chemin plus rapide. Malheureusement, comme ils le réalisèrent rapidement, ces nouveaux piliers étaient encore plus glissants que les précédents et ils chutèrent à de nombreuses reprises au sommet des colonnes, manquant même plusieurs fois de tomber dans le lac. En se retournant de temps à autre, Vlad put voir les visages tendus de Lina et Thélos qui retenaient leur souffle tandis qu’ils progressaient. Aussi furent-ils tous profondément soulagés quand les deux garçons atteignirent enfin le promontoire suivant.
− Enfin ! soupira Garet en se laissant tomber sur le sol. J’ai bien cru qu’on allait finir dans l’eau cette fois…
Vlad l’écouta à peine. Dès l’instant, où il avait touché le promontoire, son attention avait été attirée par l’éclat irréel de l’Etoile de Vénus. Sans un mot, il tendit un autre sac de mythril à son ami et se dirigea d’un pas ferme vers le joyau, appelé par son élément.
Dès qu’il toucha la pierre, son pouvoir se déversa en lui. Il sentit l’odeur de l’humus, l’atmosphère humide des grottes et le parfum délicat des fleurs à peine écloses. Il perçut le craquement de la roche qui se fissure, le claquement des métaux qui se rencontrent et le roulement des grains de sable dans les dunes. Il sentit la Terre dans tout ce qui l’entourait, le sol, la pierre, les métaux, les arbres et même les animaux, la Terre dont les pouvoirs étaient assez doux pour guérir les pires maux et si violents qu’ils pouvaient détruire des continents et déplacer les mers, la Terre grande maîtresse de la vie et de la mort d’où sortait tout être vivant pour être rappelé une fois son heure venue...
Tandis que ces sensations le submergeaient, des présences envahirent subitement son esprit et une multitude de voix retentit dans sa tête. « C’est un Valois ». « Qu’est-ce qu’il fait ici ? » « Nous devrions le tuer » « Vous avez vu, c’est un mystique de Vénus ? » « Ne sont-ils pas supposés protéger les Etoiles ? », « Son cœur semble pur. ». « Ils nous mettent tous en danger en prenant les Etoiles ! » « Il faut lui dire. » « C’est nécessaire, le monde n’y survivra pas. » « J’avais fini par m’habituer à cet endroit… ». « Il ne faut qu’il les prenne ! ». « Il n’a pas l’air avide de pouvoir. » « Il faut l’arrêter ! »… Les voix s’entrecroisaient et s’entrechoquaient en une multitude de conversations indiscernables. Mais si elles n’étaient pas hostiles pour la majorité, elles semblaient toutes habitées par une crainte dévorante de voir l’Etoile de Vénus être volée. Sentant leur angoisse, Vlad se concentra sur la raison de sa venue, espérant les apaiser ; après tout, il n’avait aucun désir de se servir de l’Etoile, il voulait simplement la rapporter à Thélos pour qu’il puisse l’étudier. Les voix se turent, attentives, puis une multitude de murmures se fit entendre tandis que les présences débattaient.
Finalement une voix distincte s’éleva dans son esprit :
« Le vieil homme peut étudier les Etoiles, s’il le désire. Mais elles ne doivent à aucun prix quitter cette salle ni être séparées toutes à la fois de leurs socles. »
Vlad acquiesça mentalement, reconnaissant envers les entités et promettant de suivre leurs instructions.
Quand il sortit enfin de sa torpeur, Garet, alarmé, avait une main sur son épaule et semblait le secouer depuis un moment,
− C’est bon, protesta Vlad, je vais bien.
− Et bien on dirait pas, grogna son ami. Ça fait un bout de temps que je te crie dessus et que tu ne réagis pas. Impossible de te faire lâcher cette fichue gemme…
−Vlad ? Ça va ? demanda la voix Lina, inquiète.
Le garçon grimaça.
− Oui, mais il va y avoir quelques complications… Je vous expliquerai. Tu peux ouvrir le sac, Garet ?
A l’instant où Vlad sépara le joyau de son piédestal, les présences disparurent de son esprit. Déstabilisé il resta quelques secondes immobile, fixant la statue d’un regard vide, avant que la voix de Garet ne le ramène à la réalité. Mais juste avant de déposer l’Etoile Elémentaire dans son sac, il parvint à percevoir, grâce au pouvoir du joyau, la présence de formes d’énergies pures dissimulées dans le piédestal. Soupçonneux, il posa une main sur la pierre froide tandis que son ami s’empressait de refermer le sac, comme si l’Etoile pouvait lui jeter quelque maléfique ; dès qu’il toucha la sculpture, les voix envahirent à nouveau son esprit. Visiblement, ces statues ne sont pas que des réceptacles aux Etoiles Elémentaires...
Au moment où cette pensée le traversait, une nouvelle secousse manqua de le projeter au sol et du coin de l’œil, il vit le niveau du lac diminuer une nouvelle fois. Par réflexe, il leva la tête vers le plafond de la caverne où les stalactites s’agitaient de manière inquiétante. Quand les secousses cessèrent enfin sans qu’aucune d’entre elles soient tombées, il ne put retenir un profond soupir de soulagement. Puis il fit signe à Garet qu’il était temps de repartir.
Désormais rodés à la surface glissante des colonnes, les deux garçons mirent peu de temps à rejoindre le promontoire central. Mais durant toute la durée du trajet, Garet ne cessa d’épier Vlad avec insistance, comme s’il craignait que le garçon ne s’effondre soudain devant lui. Combien de temps suis-je rester en contact avec l’Etoile pour qu’il s’inquiète à ce point ?
Quand ils eurent rejoints Lina et Thélos, Vlad s’empressa de leur rapporter son échange avec les entités qui habitaient le piédestal de l’Etoile Elémentaire ainsi que les mises en garde qu’elles avaient formulées à l’égard des joyaux. Loin de paraître soulagé que ces gardiens inattendus le laisse examiner les pierres, Thélos afficha une expression ennuyée.
− Mais sans mon matériel, l’examen va être difficile... Et puis j’aurais aimé tester les interactions entre les Etoiles…, se plaignit-il.
Il s’interrompit en voyant le triple regard réprobateur que lui lançaient ses élèves.
− Bon très bien, ronchonna le savant. Je vais les examiner ici et j’essaierai de ramener un peu plus de matériel la prochaine fois. Peux-tu me donner les Etoiles de Vénus et de Mercure pour que je commence à les examiner, Vlad ? Vous n’aurez qu’à aller chercher l’une des deux autres gemmes en attendant.
Le garçon s’exécuta non sans une certaine réticence. Alors qu’il fixait encore le savant, méfiant, il sentit une main sur son épaule, et croisa le regard de Lina. La jeune fille hocha la tête et il sut qu’il pouvait compter sur elle pour surveiller le vieil homme.
− Alors, laquelle on va chercher ? demanda Garet quand le garçon se tourna enfin vers lui.
Vlad évalua d’un regard la distance qui les séparait des deux Etoiles restantes.
− Jupiter, répondit-il.
Sans plus attendre, ils quittèrent le promontoire et reprirent leurs dangereuses acrobaties. Derrière eux, Lina engagea la conversation avec leur professeur :
− Pourquoi as-tu tant besoin des quatre Etoiles, Thélos ?
− Oh… Ce n‘est pas une nécessité absolue mais…C’est juste que… J’espérais recréer la Pierre des Sages…
− Qu’est-ce que c’est ?
− Un vieux rêve de scientifique que les alchimistes rêvent tous d’accomplir… La Pierre des Sages est un objet théorique stable composé des quatre éléments et doté de pouvoirs extraordinaires. A vrai dire, l’étude de l’alchimie est avant tout basée sur la recherche de cette pierre.
− Et quels sont ses pouvoirs ?
− Ses pouvoirs ? La Pierre des Sages domine tout ! Elle transforme le plomb en or et peut même vaincre la mort ! Malheureusement, pour l’obtenir, il faut combiner le pouvoir des quatre éléments de manière équilibrée, ce qui est quasiment impossible vu que plusieurs d’entre eux sont en conflit. Cependant, avec de la psynergie pure, comme celle que contient les Etoiles Elémentaires, je pense que je pourrais réussir à en créer un exemplaire… Pas forcément aussi puissant que la pierre décrite dans les légendes, bien sûr, mais suffisamment stable pour présenter des propriétés intéressantes et être exhibée devant mes collègues alchimistes.
− Alors c’est juste une question de renommée ?
On pouvait sentir la surprise dans la voix de la jeune fille.
− Et pourquoi d’autre ? A moins de m’aider à financer des recherches, l’or n’a aucun intérêt pour moi. Quant à l’immortalité, à part me donner plus de temps pour étudier, elle ne m’apporterait pas grand-chose. Non, si je devais me servir des pouvoirs de cette pierre, ce ne serait certainement pas pour mon propre compte…
Il y eut quelques secondes de silence. Puis Lina demanda d’une voix hésitante.
− Mais il y a quelqu’un que vous voudriez aider avec, n’est-ce pas ?
Nouveau silence.
− Il y a un ami…, avoua Thélos. Non, c’est plus un père à vrai dire. Enfin, il va bientôt mourir. Et cette pierre est peut-être la seule chose qui peut le sauver...
Juste à cet instant, le pied de Vlad glissa brusquement et il n’y eut soudain plus que le vide sous lui. Pendant une fraction de seconde, il crut qu’il allait plonger dans le lac, puis il sentit la main ferme de Garet saisir ses vêtements et le tirer en arrière. Les deux garçons se laissèrent lourdement tomber sur le pilier et restèrent un moment immobiles, affalés sur le sol, tentant de reprendre leur souffle tandis que Thélos et Lina les appelaient, alarmés. Garet prit le temps de les rassurer puis se tourna vers Vlad avec une grimace.
− Tu sais, dit-il, au fond je suis bien content que tes voix nous aient dit de laisser une de ces gemmes. J’ai eu ma dose de danger avec les trois premières…
Vlad sourit et, après quelques instants, les deux garçons reprirent leur route.
Les derniers mètres se passèrent sans incident notable, Thélos et Lina, se gardant de parler, probablement pour ne pas les déconcentrer à nouveau. Quand ils atteignirent finalement le promontoire, Garet fit un geste en direction de la statue et de l’Etoile violette qu’ils convoitaient.
− Je te la laisse. T’as l’air rodé maintenant…
Vlad préféra ignorer la remarque et saisit le joyau.
La puissance du vent le frappa de plein fouet, sauvage, agressive puis plus douce, sinueuse et légère comme une caresse. Elle décuplait la fureur de la mer et attisait le pouvoir du feu. Elle détruisait des forêts entières et réduisait les montagnes en poussière. Partout, elle s’infiltrait, dans les moindres recoins de la matière, apparaissant même au fond des mers. L’Air apportait vie et santé aux créatures mais sa colère générait tempêtes, ouragans et tonnerre. Bien plus que l’Eau, il était insaisissable, changeant et imprévisible. Mais il était également fragile, indomptable et aussi timide que puissant. On ne pouvait ni le toucher ni le maîtriser réellement tant son pouvoir était subtile, tout en sensations, en esprit et en présences invisibles.
Cette fois-ci, Vlad perçut à peine les esprits qui gardaient la gemme, mais leur pouvoir l’environnait, étouffant, et il eut l’affreuse sensation que sa conversation avec les esprits de Vénus était la seule raison pour laquelle il était encore en vie…
Mal à l’aise, il s’empressa de fourrer la gemme dans un des deux sacs de mythril restants. Immédiatement, une nouvelle secousse agita la grotte tandis que de nouveaux piliers émergeaient du lac. Alors qu’il s’accrochait au piédestal de l’Etoile Elémentaire, Vlad entendit une exclamation étranglée du côté du promontoire central. Garet dû l’entendre aussi car ils se tournèrent d’un même mouvement dans cette direction.
Le cœur de Vlad se figea alors en découvrant Salamandar et Phoenixia qui acculaient leurs amis au bord du promontoire.
− On dirait qu’ils nous ont repérés, remarqua la voix suave de Salamandar en tournant la tête vers les deux garçons.
− Vous ! s‘exclama Thélos. Vous êtes là pour voler les Etoiles Elémentaires !
− Maître Thélos… Nous prenez-vous pour des voleurs ? répondit Salamandar d’une voix faussement aimable.
− N’est-ce pas vous qui avez volé nos informations ? renchérit Phoenixia. Et n’est-ce pas vos élèves qui sont en train de récupérer les gemmes ?
− N’aviez-vous pas l’intention de les emmener avec vous d’ailleurs ? poursuivit son compagnon.
Vlad vit Thélos et Lina échanger une grimace. Puis la jeune fille prit la parole :
− Qu’allez-vous faire de nous quand vous aurez les Etoiles ?
− Je pense qu’ils nous liquideront lorsque nous ne leur servirons plus, glissa Thélos avant que les étrangers aient le temps de répondre.
A ces mots, une voix inconnue retentit :
− Du calme. On ne vous fera pas de mal.
Une silhouette à la démarche étrangement familière émergea du portail qui menait au temple de Sol. L’individu était vêtu de vêtements de voyage verts et portait un étrange masque coloré qui dissimulait son visage. Vlad se rémora alors leur échange avec Aaron, le frère de Garet, juste avant qu’ils se rendent chez Thélos ; le jeune garçon avait clairement mentionné un étranger qui portait un masque. J’aurai du y faire plus attention, regretta le Vlad. Qui sait combien d’autres sont venus avec eux…
− C’est ce que nous avions convenu, n’est-ce pas ? poursuivit l’inconnu à l’adresse de Salamandar.
− Tout dépend de leur coopération, répliqua ce dernier après avoir échangé un regard avec Phoenixia.
Vlad remarqua cependant que les deux étrangers reculaient subtilement pour laisser plus de place à leurs amis.
− Ces deux-là seront en sécurité tant que les autres nous ramènent les Etoiles Elémentaires, assura Phoenixia. N’est-ce pas suffisant ?
L’homme masqué acquiesça mais Vlad put sentir, même à distance, qu’il restait tendu. Visiblement, les relations entre les trois individus n’étaient pas au beau fixe.
− Vous avez entendu ? lança Salamandar. Si vous voulez sauver vos amis, donnez-nous les Etoiles Elémentaires.
− Acceptez-vous nos conditions ? demanda sa compagne.
Vlad ferma les yeux un moment pour réfléchir mais il n’avait pas oublié à quel genre d’individus il avait affaire ; le souvenir de l’explosion qui avait failli les tuer, Garet et lui, trois ans auparavant, était encore vif dans son esprit. Il ne pouvait tout simplement pas leur faire confiance.
− Ce sera non ! dit-il en élevant la voix.
− Très bien Vlad ! Ne leur donne pas les Etoiles Elémentaires ! l’encouragea Thélos.
− Pourquoi ? Tu ne tiens pas à tes amis ? demanda Salamandar, mauvais.
− Quelle garantie avons-nous que vous tiendrez votre promesse ? répliqua le savant.
− Des garanties ? s’exclama Phoenixia en se retournant. Ah ! J’en ai une !
Et elle se tourna vers l’homme masqué :
− Tu vas devoir enlever ton masque, dit-elle sèchement.
L’inconnu parut réticent.
− Mais cela signifie que…
− Bonne idée. Il sera notre garantie, coupa Salamandar. Vu les circonstances, nous n’avons pas le choix. Pavel ! Enlève ton masque !
Vlad sentit son cœur s’arrêter une nouvelle fois et vit Lina blêmir.
− Quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit, Vlad ? demanda Garet derrière lui, perdu. Il… Il l’a appelé, Pavel ? Comme le frère de Lina ?
Vlad se tourna vers lui mais ne parvint qu’à hocher la tête, trop abasourdi. Pavel... Non… Ça ne se peut pas…
− Mais c’est impossible ! s’exclama le roux. Ce jour-là… Le rocher… Nous l’avons vu mourir !
Vlad voulut le lui confirmer, mais tandis que les souvenirs de la tempête le submergeaient, il réalisa soudain qu’il ne pouvait pas. Il se souvenait clairement avoir vu le rocher tomber, mais au moment de l’impact, un flash lumineux l’avait ébloui. Son père, Pavel et les parents de Lina… Il ne les avait jamais vu à proprement parlé mourir… Mais c’est impossible ! Nous les avons cherchés pendant des semaines sans les trouver ! Ils se seraient manifestés s’ils avaient survécus !
− Qu’y a-t-il Pavel ? demandait Phoenixia sur le promontoire. Tu ne veux pas qu’ils se sentent en sécurité ?
−Pavel… Ce n’était pas le nom de ton frère ? dit la voix de Thélos, effaré.
− Mais cet accident… Mon frère… dit Lina d’une voix brisée.
Le choc et la souffrance étaient parfaitement audibles dans sa voix.
− Je vais le faire, dit l’homme masqué. Je vais… enlever mon masque.
Sa voix s’étrangla et Vlad sut qu’il avait perçu la douleur de l’adolescente… et qu’il n’y était pas indifférent.
L’inconnu leva une main tremblante vers son masque puis le retira lentement. Non sans stupeur, Vlad reconnut le frère décédé de Lina.
− Non… C’est pas possible… gémit le jeune fille. Mon frère…
Elle ne parut pas avoir la force de terminer et Vlad crut distinguer des sanglots.
− Je sais que je t’ai fait beaucoup de peine Lina, dit Pavel d’une voix douloureuse. C’est un miracle si j’ai survécu ce jour-là… Sans Salamandar et Phoenixia, ce rocher m’aurait tué.
Ils lui ont sauvés la vie ? Vlad n’arrivait pas à y croire. Après ce qu’ils leur avaient fait, à Garet et lui, comment le duo avait-il pu sauver Pavel d’une mort certaine ? Ça n’a aucun sens !
Mais à cet instant Salamandar prit la parole pour confirmer les propos de Pavel :
− Nous l’avons vu en train de flotter dans la rivière. Nous ne pouvions pas le laisser, dit-il d’une voix neutre.
Pavel ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose mais s’interrompit en croisant le regard de Salamandar.
− J’ai beaucoup appris depuis…, se contenta-t-il de dire.
Mais Vlad sentit qu’il était furieux.
A cet instant, Lina se ressaisit enfin.
− Mais pourquoi ? dit-elle d’une voix où la colère se mêlait désormais à la peine. Comment ?!? Comment as-tu pu me laisser toute seule ?!?
− Lina…, tenta son Pavel.
− Mon propre frère… je te croyais mort !
Salamandar la coupa brusquement :
− On va mettre cette touchante réunion à plus tard, si ça ne vous dérange pas.
Il se tourna vers Thélos.
− Alors ? demanda-t-il. Est-ce acceptable ? Pavel ne nous laisserait jamais faire de mal à sa sœur.
Phoenixia s’avança vers le savant.
− Oui, Pavel sera notre garantie. Donnez-nous-nous les Etoiles maintenant !
Vlad vit Thélos hésiter. Le vieil homme se tourna vers eux et le garçon devina toute la culpabilité qu’il ressentait à cet instant précis. Le scientifique, rongé par sa passion de l’alchimie, était en train de prendre la mesure des conséquences de son ambition. Il était clair qu’il n‘avait jamais voulu mettre en danger ses élèves en les entraînant dans le temple de Sol et, face aux conséquences de ses actes, le savant choisirait la meilleure solution pour eux : il donnerait les Etoiles pour qu’il ne leur soit fait aucun mal…
A ce moment Phoenixia, se tourna vers les deux garçons.
− Vous aussi ! dit-t-elle sèchement.
Vlad resta immobile, indécis.
− Vlad, on a pas le choix, dit Garet à ses côtés. Il faut leur donner l’Etoile.
Le garçon le regarda à peine et se tourna de nouveau vers le promontoire pour embrasser la scène du regard : Thélos qui tendait les Etoiles de Mercure et de Vénus à Salamandar… Lina qui semblait au bord des larmes et qu’il ne voulait pas perdre... Pavel qui semblait souffrir silencieusement… Phoenixia qui les contemplait avec impatience, agacée par le temps qu’ils mettaient à se décider…. Phoenixia… Phoenixia qui était entrée dans le temple avec Salamandar trois ans plus tôt. Phoenixia et Salamandar qui avait déclenché le piège qui avait fait tomber le rocher… Phoenixia et Salamandar qui avait tué son père pour ces gemmes ! Qui sait ce que ces individus étaient capables de faire pour atteindre leur but ? Qui sait ce qu’ils avaient l’intention de faire avec les gemmes ? Qui sait combien de vies seraient mises en danger s’il acceptait de leur donner l’Etoile de Jupiter ?
Pavel protégera Lina, espéra-t-il en donnant sa réponse à Garet :
− On ne leur donne rien.
Il s’approcha du bord du promontoire et tendit le sac de mytrhil qui contenait l’Etoile de Jupiter au dessus du vide avec la ferme intention de lâcher la gemme dans le lac. Mais au moment où il allait s’exécuter, quelqu’un le saisit brutalement par derrière et le projeta au sol. Vlad eut à peine le temps de se redresser que Garet lui assenait un formidable coup de poing. Etourdi, le garçon se retrouva étendu sur le sol, avec un goût de sang dans la bouche et un horrible mal de crâne. Son ami passa devant lui et récupéra le sac de mythril que le garçon avait lâché.
− Désolé, dit le roux. Mais si on ne leur donne pas, ils ne relâcheront pas Lina !
− Garet, parvint à articuler Vlad.
Il tenta de se relever en s’agrippant au piédestal de l’Etoile. Mais dès qu’il toucha la statue, des hurlements atroces emplirent son crâne le faisant lâcher prise tandis que son ami s’éloignait avec la précieuse relique. Quand le garçon parvint enfin à se concentrer pour utiliser sa psynergie et guérir sa blessure, son ami était déjà loin.
Garet… Abruti…, pensa-t-il en se redressant. Mais il était déjà trop tard pour l’arrêter et il ne put que le regarder s’éloigner, impuissant.
Le roux avait déjà fait la moitié du chemin quand une silhouette bleue se matérialisa brusquement devant lui.
− Allez-vous me laisser cette Etoile ? demanda le nouvel inconnu, dont les cheveux avaient une teinte bleue surréaliste.
− T’es qui toi ? l’apostropha Garet, méfiant.
− Oh ! Alex… Tu es en retard ! s’exclama Salamandar derrière eux. Alex est un de nos compagnons. Tu peux lui donner la pierre.
Encore ! Combien y en a-t-il ?se demanda Vlad, désespéré.
− Génial. Après qu’on ait fait tout ce travail..., grommela son ami en tendant le sac de mythril au dénommé Alex.
L’inconnu récupéra le sac et eut un étrange sourire moqueur.
− Je m’excuse par avance. Mais il va falloir nous amener la dernière Etoile Elémentaire.
− Quoi ??? demanda Garet, interloqué.
− Navré, répéta poliment l’individu avant de s’élever dans les airs à la stupeur de Vlad.
− Attend ! l’arrêta Garet, qui n’était visiblement pas impressionné par les étonnantes capacités de l’individu. Vous voulez qu’on prenne l’autre aussi ?
− Oh ! Vous ne m’avez pas compris ?
Le roux se tourna alors vers le promontoire central et lança :
− Vous aviez dit que vous libériez Lina si on vous donnait les Etoiles Elémentaires. Vous avez promis !
L’inconnu, se tourna également vers le promontoire, attendant la réponse de ses compagnons. Mais Salamandar eut un sourire presque moqueur.
− Non, mon ami. Nous voulons TOUTES les Etoiles Elémentaires !
− Oui. Arrêtez de marmonner et amenez-nous l’Etoile de Mars ! lança Phoenixia, agressive.
− Quoi ? Alors que ce type peut flotter dans les airs ? protesta Garet.
− Tu ne veux pas venir en aide à vos amis ? le coupa Alex en lui lançant un regard étrange.
− Quoi ? Bien sûr que si !
− C’est bien tu es un brave petit, dit l’homme flottant avec un sourire narquois. Merci de ta coopération. Nous attendons le reste. Allez !
− Espèce de…
Mais l’individu, glissant dans les airs, avait déjà rejoint ses compagnons.
Enervé, Garet revint vers Vlad, lequel put clairement l’entendre grommeler :
− Espèce de crétin arrogant et prétentieux…
− Garet.
− Moi aussi je peux frimer avec ma psynergie, si je veux…
− Garet.
− Oui, c’est bon ! Je suis désolé ! J’aurai pas dû te frapper ! J’ai été stupide ! J’aurai dû te laisser balancer ce truc dans l’eau !
− Garet, on ne peut pas atteindre l’Etoile de Mars en passant par ici.
Le roux s’arrêta, stupéfait, jeta un regard vers le dernier promontoire et poussa un juron en réalisant que le seul moyen de l’atteindre était de faire une nouvelle fois demi-tour en direction du promontoire central.
Vlad passa à côté de lui sans un mot et ouvrit le chemin. Il remarqua rapidement, non sans surprise, que la surface des piliers paraissait beaucoup moins humide qu’auparavant, comme si la pellicule d’eau qui les recouvrait s’était évaporée... Il réalisa alors que la température avait subtilement montée depuis leur arrivée et garda prudemment cette information pour lui. Il n’avait pas oublié les avertissements des esprits de Vénus. S’il y avait un piège ici, il préférait que leurs agresseurs ne le sachent pas.
Garet le suivit en silence, jurant de temps en temps quand il se réceptionnait mal, mais ne songeant pas une seconde à l’interroger sur les raisons qui l’avaient fait changer d’avis. C’était probablement mieux ainsi. Vlad n’avait jamais été un bon menteur et, avec l’acoustique de la grotte, Salamandar et Phoenixia n’aurait aucun mal à deviner qu’il tramait quelque chose. Le garçon n’avait pas renoncé à protéger le monde de leurs agresseurs, mais avec l’apparition d’Alex, la situation était devenue plus complexe.
Aussi, quand ils eurent rejoint le promontoire central, il se tourna vers Garet.
− Reste avec les autres, s’il-te-plaît, dit-il à voix basse.
− Quoi ? Mais pourquoi ? demanda son ami un peu fort.
Mais Phoenixia devait avoir l’ouïe fine car elle les interrompit.
− Que faites-vous ? aboya-t-elle. Amenez-nous la gemme au lieu de parler !
Vlad serra les dents mais préféra ne rien ajouter. S’il insistait, les autres risquaient de se douter de quelque chose et d’envoyer Alex chercher la gemme à sa place. Or, si comme il le soupçonnait, un piège devait se déclencher, l’étrange mystique n’aurait aucun mal à sortir de la pièce avec l’Etoile grâce à ses pouvoirs.
A cet instant, il sentit précisément la présence du mystique aux cheveux bleus derrière lui.
− Vous avez presque fini. Encore une et vous serez libres.
Vlad ne répondit pas et reprit sa route vers le promontoire de Mars. Derrière lui, il entendit Garet lui emboîter le pas. Le garçon ferma les yeux douloureusement. Pardonne-moi, Garet.
Le trajet jusqu’à l’Etoile de Mars fut silencieux et tendu. Cent fois, Vlad faillit renoncer et avertir leurs agresseurs de l’existence d’un piège afin de protéger ses amis… Cent fois il voulu crier à Garet de faire demi-tour. Mais il ne fit rien de tout cela. Il se contenta d’avancer en priant pour que Lina, Thélos et Pavel, qui attendaient silencieusement près du portail, aient le temps de quitter la pièce quand le piège se déclencherait.
C’est ce que mon père aurait fait, se répétait-il. Il serait mort en héros pour protéger le monde. C’est ce qu’il aurait voulu. Mais une partie de lui n’en était pas si sûre…
Il eut à peine conscience que Lina et Pavel avait repris leur dispute derrière eux tant il était tenaillé par la peur et l’énormité de ce qu’il allait faire. Il savait qu’il ne pouvait pas y avoir une bonne issue à cette histoire. Mais si c’était seulement lui qui disparaissait… Mais il y a aussi Garet… Oh, Garet…
Cependant quand ils atteignirent finalement le dernier promontoire et qu’il croisa le regard de son ami, il vit dans ses yeux qu’il avait deviné ce que Vlad tramait et qu’il l’acceptait. Etrangement, le garçon ressentit une pointe de soulagement en sachant que son ami était parfaitement conscient qu’ils allaient probablement tous les deux mourir dans les instants qui allaient suivre..
Allons-y alors.
Il prit une profonde respiration et s’approcha du dernier piédestal, puis il tendit la main vers la gemme qui rougeoyait comme une flamme.
Et le Feu le consuma, le submergeant par son avidité, son besoin irrésistible d‘exister, et de ronger tout ce qu’il touchait, pour ne pas s’éteindre, pour ne pas cesser d’être, jusqu’à mourir finalement dans la cendre et ne subsister qu’à travers la faible chaleur diffusée. Les flammes envahir son corps puis le pouvoir du Feu s’appropria l’espace qui l’entourait et Vlad prit soudain conscience de la poche de magma qui dormait sous ses pieds depuis des millénaires et qui n’avait demandée que cet instant pour être libérée. Il perçut également la force du feu dans les rayons du soleil, à l’extérieur de la montagne, l’ardeur des grands courants chauds qui entourait le volcan et le choc des grands corps célestes qui s’embrasaient en pénétrant dans l’atmosphère au-dessus de leurs têtes. Il sut aussi que chaque être vivant possédait en lui une étincelle de feu qui lui permettait de rester en vie et que sans elle, il n’y avait plus que des corps inertes. Il comprit alors que toute créature était en fait composée des quatre éléments mais selon un équilibre qui dépendait des espèces.
Alors que cette vérité surprenante éclatait dans son esprit, les esprits de Mars pénétrèrent dans sa conscience et le scrutèrent attentivement, non sans une certaine agressivité. Mais très vite ils se désintéressèrent, exaltés par la chaleur que la grotte toute entière dégageait désormais tandis que le fond du lac, désormais asséché, se fissurait et révélait le rougeoiement de la lave.
Une violente secousse projeta Vlad loin du socle et il manqua de lâcher l’Etoile. Ramené à la réalité, il entendit Salamandar et Phoenixia crier des instructions alarmées. Il eut juste le temps de placer l’Etoile dans le dernier sac de mythril avant que, dans un grondement, les secousses ne se fassent plus violentes encore. Au loin, Vlad put voir ses amis projetés au sol tandis que les piliers qui ornaient la salle s’écroulaient les uns après les autres. Est-ce que c’est le «terrible châtiment » dont parlent les légendes ? songea le garçon en se rappelant les sermons que faisaient les anciens sur le sort réservé à ceux qui profanaient le temple de Sol.
Un craquement affreux retentit soudain et il vit avec horreur des stalactites du plafond se détacher au dessus du promontoire central.
− Fuyez ! hurla le garçon.
− Non ! Pas encore ! s’exclama Phoenixia avec désespoir et colère.
Elle fit un geste brutal et les morceaux de roche explosèrent brutalement en plein vol, projetant des débris un peu partout mais épargnant ceux qui se trouvaient encore sur le promontoire. A ses côtés, Vlad vit Salamandar saisir le bras de Thélos pour l’aider à se relever.
A cet instant, un flash de lumière aveugla brièvement Vlad. L’instant d’après, le séisme perdit en puissance et se calma progressivement.
Vlad entendit un soupir de soulagement à ces côtés et il croisa le regard blême de Garet.
− On est vivant…
Les deux garçons se relevèrent en se soutenant mutuellement tandis que les étrangers débattaient sur la conduite à tenir. Garet lança un regard sceptique aux piliers détruits puis à leurs agresseurs.
− Tu crois qu’Alex est assez fort pour nous porter tous les deux avec lui ? demanda-t-il à voix basse. Je veux dire : il a de grands pouvoirs, c’est certain, mais au niveau des muscles, il a pas l’air d’avoir grand chose…
Les deux garçons échangèrent un regard et, malgré la situation, ne purent retenir un fou rire incontrôlable.
Fou rire qui s’arrêta net quand Lina poussa un cri aigu :
− Qu’est-ce que c’est que ça ?
Vlad redressa les yeux et vit un rocher sphérique qui lévitait au dessus du vide entre les promontoires.
− Ce rocher… flotte tout seul… prononça lentement Garet à ses côtés.
La voix fascinée de Thélos leur parvint:
− Est-ce que ça pourrait être l’Inexorable ?!?
Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il rac… ?
Les pensées de Vlad furent interrompues par de nouvelles secousses sismiques. Presqu’immédiatement, un flash d’énergie quitta le mystérieux bloc de pierre faisant cesser le tremblement de terre.
− Un tel pouvoir ! C’est incroyable ! s’exclama Alex, fasciné.
La pierre pivota brusquement vers les deux garçons et ils découvrirent un énorme œil bleu-vert implanté dans la structure rocheuse. L’entité émit un flash avant de se retourner vers le promontoire pour en émettre un second. L’instant d’après, les dernières stalactites cédèrent dans une série de craquements. Pendant quelques secondes, Vlad banda sa volonté, espérant réussir à les dévier, mais au lieu de tomber à la verticale, les pics de roche traversèrent la grotte de l’œil géant et explosèrent à quelques mètres de lui.
La voix de Salamandar atteignit les oreilles de Vlad au milieu du fracas.
− Il doit protéger les Etoiles Elémentaires !
− Salamandar ! Il faut partir ! C’est trop dangereux ! cria Pavel.
− Mais il nous faut l’Etoile de Mars, coûte que coûte ! protesta Phoenixia.
La voix d’Alex s’adressa à elle d’un ton calme, mais Vlad ne parvint pas à distinguer ce qu’il disait. Salamandar hocha la tête et fit un signe à sa compagne, sans quitter le rocher flottant des yeux. Ce dernier resta impassible, continuant à absorber le plafond sans se soucier de ce que pouvait faire les voleurs. L’étranger ajouta alors quelque chose.
− Non ! On ne peut pas laisser Vlad et Garet ici ! hurla la voix de Lina.
Mais Salamandar secoua la tête et bien, que Vlad ne puisse pas discerner ce qu’il disait, il sut que l’homme n’appréciait pas plus qu’elle l’idée de laisser les deux garçons derrière. Une discussion s’engagea dans le groupe et très vite Pavel se mit en colère.
« Tu romps notre promesse ! » distingua Vlad tandis que le vacarme s’amplifiait « Ma sœur n’a rien à voir avec ça ! ».
« Faites ce que vous voulez de moi, mais laissez Lina partir ! » prononça la voix de Thélos.
Mais les deux guerriers et Alex durent se montrer convainquant car le frère de Lina finit par céder. Le groupe se mit finalement en marche vers le portail et ses membres le passèrent un à un. Avant de disparaître, Lina se tourna vers Vlad et Garet et ils entendirent distinctement sa voix supplier :
− Vlad ! Garet ! Ne mourez pas !
Le bord du promontoire commença brusquement à s’effriter devant Vlad, obligeant le garçon à reculer tandis que Pavel se précipitait à la suite de sa sœur.
− Vlad !!! Viens vite !
Le garçon se retourna et vit Garet qui l’appelait, une main sur la statue qui avait servi de piédestal à l’Etoile de Mars. Une aura rougeâtre entourait la sculpture, protégeant son ami roux des débris que l’œil flottant ne parvenait pas à absorber. Vlad jeta un dernier regard vers le portail de sortie et vit Alex qui le contemplait au loin.
« L’Etoile de Mars … Quel dommage… » entendit le garçon. « Mais nous la reverrons bientôt, n’est-ce pas… »
− Vlad !!! hurla Garet derrière le garçon.
Sans attendre davantage, Vlad le rejoignit. Et au moment où il toucha la sculpture, le volcan s’emballa.