Golden Sun NP

Chapitre 6 : Ivan

Chapitre final

9334 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/11/2024 22:39

 

Chapitre 6

Ivan




Le surlendemain de leur rencontre avec Silex, alors que Garet dormait encore, Vlad s’éloigna de leur campement pour tester sa psynergie. Comme l’avait prédit le djinn, ses pouvoirs s’étaient amplifiés depuis qu’ils s’étaient liés ; Vlad pouvait provoquer des secousses plus intenses et, après s’être entaillé avec son épée, il n’eut aucune difficulté à refermer la plaie en se concentrant. Le djinn irradiait toujours dans son esprit, signe qu’il n’avait pas encore libéré toute sa puissance, mais Vlad commençait à s’y accoutumer. Quand Garet se réveilla enfin et qu’ils purent reprendre leur route, le garçon en avait presque oublié la présence de la créature.

Ils traversèrent le pont sans encombre et marchèrent plusieurs heures avant d’apercevoir des chariots arrêtés sur leur route. Au milieu de la caravane, des hommes, probablement des marchands, discutaient avec un air désemparé. Leurs habits étaient inhabituels pour la région ; Vlad et Garet n’en avaient jamais vu de tels et même les tissus qui les composaient leur étaient inconnus.

Alors qu’ils passaient près d’eux, les deux garçons purent saisir quelques brides de leur conversation.

– Maître Hammet, vous êtes vraiment sûr ? Je veux dire, on parle de Lunpa… 

– Vous l’avez constaté vous-même, répondit celui qui semblait être le chef, le pont est détruit. Nous ne pouvons pas retourner à Kalay et nous ne pouvons pas rester à Vault. C’est la décision la plus logique.

Le marchand en question portait des vêtements fins et colorés, presque brillants. Il ne faisait aucun doute qu’il était très fortuné.

– Et pour Ivan ? Je n’aime pas trop le laisser derrière… 

En passant à côté de lui, Vlad vit des sentiments contradictoires se succéder sur le visage du dénommé Hammet.

– Même si je l’aime bien, c’est de sa faute si mon bâton a été volé… Et ses pouvoirs étranges l’aideront à le retrouver.

Ses pouvoirs étranges ? Vlad tourna la tête vers les marchands, mal à l’aise. Se pouvaient-ils qu’ils parlent d’un Mystique ?

A cet instant, une formidable secousse les projeta tous au sol. En levant les yeux, Vlad aperçut une forme noire qui tombait du ciel dans leur direction. « Silex ! » appela-t-il en se redressant. Garet s’était aussi relevé et fixait le ciel, le front plissé par la concentration. Le pouvoir du djinn inonda Vlad et jaillit avec sa psynergie. Pendant quelques instants fatidiques, ils crurent que le rocher ne dévierait pas de sa trajectoire. Mais à la dernière seconde, il infléchit sa course et alla s’écraser à quelques mètres de la caravane. Un soupir général traversa les voyageurs et Vlad remercia intérieurement le djinn qui l’habitait.

– Quittons ce lieu maudit immédiatement ! ordonna Hammet en se relevant avant de monter en hâte dans un chariot.

Son personnel l’imita tandis que Vlad et Garet échangeaient un regard inquiet. Le rocher semblait provenir du Mont Alpha, ce qui signifiait que leur village était de nouveau menacé.

– Tu crois qu’ils vont bien là-haut ? souffla Garet.

– L’Inexorable les protégera, tenta de rassurer son ami.

Mais c’était peut-être une bonne chose qu’ils soient partis seuls. Le village avait certainement essuyé de nouveaux dégâts… Ils auraient besoin de toute la main d’œuvre disponible pour réparer…

Alors que ces pensées le traversaient, Vlad eut soudain la désagréable impression d’être observé. En se tournant, il vit que Hammet, du haut de son chariot, était en train de les dévisager.

 – Vous êtes de Vale, n’est-ce pas ? demanda-t-il, constatant que Vlad l’avait remarqué.

Ils acquiescèrent.

– Et vous allez vers Vault, j’imagine…

Comme ils répondaient de nouveau positivement, une expression indéfinissable se peignit sur les traits du marchand, mélange de peine et de soulagement. Ses yeux s’attardèrent sur l’épée de Vlad.

– Vous êtes bien jeunes pour des guerriers… Mais j’imagine que ça n’a pas d’importance…

Il parut vouloir ajouter quelque chose, mais se ravisa. Il leur souhaita alors bonne route avant de faire signe au convoi de se remettre en marche.

– Tu crois qu’il a remarqué ? demanda Garet à voix basse quand le chariot fut suffisamment loin.

La psynergie était invisible aux yeux des humains normaux, mais les Valois avaient interdiction d’utiliser leurs pouvoirs en présence d’étrangers.

– Bah, on ne le reverra probablement pas, de toute façon…

Pourtant quand ils reprirent leur route, Vlad eut la curieuse impression que le marchand les suivait toujours des yeux.

En début d’après-midi, ils aperçurent une formation rocheuse surmontée d’une tour en bois et d’une bâtisse. Ils crurent d’abord à une habitation isolée, mais, en se rapprochant, ils parvinrent à distinguer une ouverture dans le massif de pierre et, à l’intérieur, de nouvelles constructions. Le village de Vault se dressait entre deux formations géologiques semi-circulaires qui lui servaient de défenses naturelles. Faute de place et pour conserver cette protection, les Vaultois avaient creusé la paroi pour se créer des habitations supplémentaires. Pourtant, même ici, les traces de l’éruption du Mont Alpha étaient bien visibles : le toit de ce que Vlad identifia comme l’auberge était endommagé et, par une fenêtre, il aperçut un couple qui examinait avec avidité une pierre psynergie.   

Mais les humeurs du Mont Alpha n’étaient pas la seule chose qui perturbait le village, comme ils le découvrirent rapidement. Ayant toujours en tête les recommandations de sa mère, Vlad salua une passante et lui demanda où se trouvait la maison du maire, pour qu’ils puissent s’y présenter. Mais son interlocutrice le dévisagea avec un air soupçonneux.

– Vous êtes arrivé aujourd’hui ?

– Euh… Oui…A l’instant.

– Donc ce n’est pas vous les voleurs ? dit-elle en les regardant avec insistance.

Les deux Valois échangèrent un regard interloqués.

– Fiche-leur la paix, lança une vieille dame derrière elle. Je les ai vu arriver, moi. Ce n’est pas eux. C’est l’autre groupe, c’est sûr.

Elle se rapprocha des deux garçons tandis que leur première interlocutrice s’éloignait, en haussant les épaules.

– Ces voyageurs sont partis bien vite. On aurait dit des fuyards, vous les avez vu ?

– Vous parlez de cette caravane de marchands ? hasarda Garet.

Mais la femme le démentit.

– Non, non, je ne parlais pas de Maître Hammet. C’était un groupe de deux femmes et quatre hommes. Ils avaient l’air louches. La fille et le vieil homme n’avait pas l’air contents d’être là.

Lina et Thélos !

– Quand les avez-vous vu ? s’empressa de demander Vlad

– Ils sont passés par la sortie Sud ce matin. Vous ne les avez vraiment pas vu ? 

Ils les avaient loupés de si peu ! C’était rageant ! A côté de lui, Garet semblait faire de gros efforts pour ne pas partir sur le champ. Vlad s’empressa de remercier leur interlocutrice pour le prendre à part

– Ils ne sont pas loin, Vlad ! s’exclama le rouquin. Si on y va maintenant, on peut les rattraper !  

– Ils ont une demi-journée d’avance, objecta son ami, et on a quasiment plus de provisions ! On ne peut pas continuer comme ça. 

Même s’ils reprenaient la route maintenant, il était impossible de savoir quand ils rattraperaient le groupe. Et ils devaient encore se présenter au maire... Et puis, ces premiers jours de marches avaient été épuisants ; une bonne nuit à l’auberge ne leur ferait pas de mal.

Non sans maugréer, le rouquin finit par lui donner raison. Il se tourna alors vers un homme aux cheveux longs qui se tenait un peu plus loin.

–       Excusez-moi ! interpella-t-il. La maison du maire, s’il-vous-plaît ?

Comme l’individu ne répondait pas, Garet s’approcha de lui et lui toucha l’épaule. L’homme se retourna d’un bond et s’écria :

– Nous n’avons rien fait ! Vous n’avez pas le droit d’accuser des gens innocents sans raison !

Garet resta figé, stupéfait. Alors que l’homme, visiblement nerveux dévisageait le rouquin des yeux à la tête, Vlad remarqua qu’il portait des vêtements de voyage, comme eux.

– Vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas ? observa-t-il.

Comprenant qu’ils étaient aussi des étrangers, l’individu parut reprendre contenance.

– Je suis désolé… C’est juste… Les gens d’ici sont un peu paranoïaques avec tous ces vols.

Il eut un rire nerveux.

– Le serviteur de Hammet pense aussi que c’est nous ! Ce Ivan… Tout à l’heure, il est venu me voir et m’a attrapé le bras sans prévenir... Ça m’a mis tellement mal à l’aise ; je l’ai tout de suite repoussé… Enfin bon… Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, hein ? Bonne journée à vous.

Et sur ces paroles, il s’éloigna en direction de l’auberge.  

– Il était un peu bizarre, non ? remarqua Garet. Enfin, c’est vrai que les gens ont l’air un peu sur les dents ici…

Il y a dû avoir beaucoup de vols pour que les habitants soient si méfiants. Non sans inquiétude, Vlad songea à l’Etoile de Mars, qu’il avait rangé au fond de son sac de voyage. Même le sac de mythril contenant le joyau risquait d’attiser les convoitises. Ils devaient être prudents.

Le Valois remarqua deux enfants qui les épiaient, à quelques pas de là. Se forçant à faire bonne mine, il alla leur demander où se trouvait la maison du maire, en espérant, cette fois avoir enfin une réponse. Le plus jeune d’entre eux, un garçon d’une dizaine d’année lui désigna alors la bâtisse qui surplombait le village.

– Vous êtes des amis d’Ivan ? demanda-t-il.

Encore ce Ivan… Vlad hocha la tête négativement. Le garçon regarda dans la direction où leur précédent interlocuteur était parti.

– Ce gars et son groupe… Je ne les aime pas. Ils sont louches.

Estomaqué, Vlad se força à sourire et remercia l’enfant avant de s’éloigner rapidement. A voir la mine sombre de Garet, l’atmosphère générale commençait à lui peser tout autant qu’à lui.

Heureusement pour eux, s’il était évident que le maire n’avait pas le cœur à la fête, il se garda de faire montre de la même paranoïa que ses concitoyens. Quand ils toquèrent à la porte et expliquèrent la raison de leur venue, celui-ci les accueillit avec bienveillance et les invita à entrer. C’était un homme à l’âge avancé, qui se déplaçait à l’aide d’une canne. En les voyant entrer, sa femme, bien plus jeune que lui, leur proposa un peu de thé. Deux enfants vinrent également les saluer poliment.

Une fois les présentations faites, le maire s’enquit de leur provenance. Quand Garet répondit qu’ils venaient de Vale, sa femme et lui écarquillèrent les yeux.

– Vale ? s’exclama le vieil homme. Mais c’est juste à côté du Mont Alpha ! Vous êtes ici à cause de l’éruption ?

– On voyait tout d’ici, renchérit sa femme en frissonnant. C’était impressionnant. J’en ai encore du mal à dormir.

Le couple parut soulagé d’apprendre que Vale avait été épargné et que les deux garçons ne venaient pas solliciter leur aide.

– Vous devez nous pardonner, soupira le maire. J’aurai bien aidé votre village, mais les malheurs s’enchaînent pour nous, ici. Quelqu’un a profité du chaos de l’éruption pour voler. Et si seulement il n’avait volé que nous…

Comme il se taisait, accablé, sa femme compléta :

– Maître Hammet, un riche propriétaire et marchand de Kalay, campait au nord de la ville quand l’éruption s’est déclenchée. Sa venue était un grand évènement pour un petit village comme le nôtre. Mais pendant l’éruption, on lui a dérobé son bâton. Il était très en colère…

Elle se tourna vers le fond de la maison, dissimulé par un pan de mur.

– Sa caravane est parti dès la fin de l’éruption, mais il a ordonné à son serviteur personnel de rester ici jusqu’à ce qu’il ait récupéré le bâton. Nous l’hébergeons depuis. Pauvre Ivan… Maître Hammet a fui la région par peur du volcan. Le laisser derrière pour un simple bâton…

A ces mots, une lueur apparut dans le regard du maire.

 – Dites-moi tous les deux, vous ne voudriez pas l’aider ?

Vlad et Garet échangèrent un regard consterné.

– C’est que nous devons repartir demain matin… commença Garet.

– Je vous fournirai des provisions pour votre voyage et je vous paierai la nuit à l’auberge. Mais s’il-vous-plaît, aidez Ivan. C’est un bon garçon, il ne mérite pas d’être laissé comme ça derrière.

– Il est très dévoué, renchérit sa femme. A moins qu’on trouve qui a volé le bâton, il ne retournera pas à Kalay.

Devant leurs regards implorants, Vlad ne put que céder.

– J’imagine… Qu’on pourrait essayer… dit-il en se tournant vers Garet.

Garet croisa les bras en signe de réprobation, mais ne protesta pas, se contentant de demander avec une pointe d’agacement :

– Ok… Et il est où ce « Ivan », du coup ?


– Mon mari ne pense pas qu’un habitant de Vault soit le voleur, leur confia la femme du maire en les guidant vers l’arrière de la maison, et je suis plutôt d’accord avec lui. Mais on est parfois surpris de ce que peuvent faire les gens quand ils sont confrontés au pire…

Au bout de la pièce, un garçon blond inspectait les rayons d’une bibliothèque. A l’instar de son maître, Ivan portait des vêtements de qualité, colorés et brillants, des habits bien trop précieux pour un simple domestique. Quand il se retourna vers eux, Vlad découvrit un visage rond et doux, presqu’innocent, qui le faisait paraître plus jeune que les deux Valois. Mais le plus marquant était ses deux yeux violets qui pétillaient d’intelligence.

– Ivan, ces deux personnes vont t’aider dans tes recherches, annonça la femme du maire avant de se retirer.

Ivan s’approcha d’eux et leur tendit la main silencieusement. Croyant à de la timidité, Vlad la serra sans hésiter. Il fut alors envahi par une sensation désagréable, mais curieusement familière, et il se rappela qu’Hammet avait évoqué d’étranges pouvoirs possédés par son serviteur.

– Oui, confirma à haute voix Ivan. Je… Je possède d’étranges pouvoirs.

Vlad redressa la tête, surpris. Ivan paraissait terriblement gêné, comme si ses pouvoirs faisaient de lui un monstre. J’imagine que c’est ce que penseraient la plupart des gens à notre sujet, s’ils savaient…

– Tu les as aussi, n’est-ce pas ?

– Vlad ?

Garet lui lança un regard inquiet et son ami comprit que quelque chose d’inhabituel était en train de se produire. Il regarda sa main, toujours serrée autour de celle d’Ivan. La sensation désagréable qu’il ressentait provenait de là : entre leurs deux mains circulait un flux de psynergie.

– Quoi ? Mon pouvoir s’appelle de la Psynergie ? Je ne le savais pas.

Comprenant de quoi il en retournait, Vlad acquiesça avant de rompre le contact, mal à l’aise. Il n’aimait pas l’idée qu’on puisse lire dans son esprit, aussi bien intentionné que puisse être Ivan. Le jeune télépathe ne parut pas s’en offusquer.

– Nous avons tant en commun. Je pense que je peux vous faire confiance avec mon secret.

Mais alors qu’il souriait, heureux d’avoir trouvé d’autres personne dotés de pouvoirs, une ombre passa subitement sur son visage.

– Ça m’embête beaucoup que le bâton de Maître Hammet ait été volé. Pouvez-vous m’aider à le récupérer ?

– Nous sommes là pour ça, lui confirma Vlad.

Visiblement, Ivan pouvait lire les pensées superficielles, mais pas fouiller dans son esprit ; le Valois se sentit un peu rasséréné.

Le disciple d’Hammet bondit de joie.

– Merci. A nous trois, je pense qu’on pourra récupérer le bâton, dit-il. Au fait, vous vous appelez ?

Vlad allait lui répondre quand Ivan leva la main vers lui. Une sensation désagréable envahit à nouveau le valois, qui recula instinctivement, rompant le flux de psynergie qui traversait les airs.

– Vlad et Garet, répondit Ivan à leur place. Enchanté.

Garet recula à son tour, prudent. Le serviteur d’Hammet le remarqua et une expression peinée se dessina sur son visage.

– Ma capacité à lire dans l’esprit des gens vous effraie ?

Les Valois échangèrent un regard gêné. Le visage d’Ivan se décomposa.

– Suis-je… Ma télépathie est si effrayante ?

– Et bien… A vrai dire…, commença Garet.

Mais alors qu’il balbutiait une explication maladroite, une lueur de détermination apparut dans le regard d’Ivan. Il s’approcha de Vlad et tendit la main dans sa direction. D’abord surpris, le garçon choisit de lui faire confiance et plaça sa main dans la sienne. Cette fois-ci, aucune sensation désagréable ne l’envahit, prouvant la bonne foi du télépathe. Avec un sourire malicieux, Ivan se tourna alors vers Garet, qui recula avec inquiétude. Vlad et Ivan l’acculèrent près du mur et, quand Ivan leva la main vers son ami, Vlad ressentit une nouvelle vague de psynergie le traverser.

« Aaaah ! Mon esprit… Arrête de lire dans mon esprit, Ivan !!! » entendit-il distinctement.

Le Valois éclata de rire et rompit le contact avec le télépathe.

– Alors Vlad, peux-tu lire dans l’esprit de Garet ?

Le garçon hocha la tête, un sourire aux lèvres.

– C’est ce que je pensais.

Garet le dévisagea interloqué.

– Quoi ? Tu lis aussi dans mon esprit, Vlad ?

– Oui. Je pensais vous aider à lire dans les esprits en partageant nos psynergies, confirma Ivan.

C’est possible, ça ? A Vale, il arrivait que plusieurs mystiques unissent leur force pour réaliser une tâche, à l’instar de Vlad et de Garet quand ils avaient détourné les débris de l’éruption, mais Vlad n’avait jamais entendu parlé d’un mystique capable de partager ses pouvoirs avec un autre.

« Il est futé, ce garçon, remarqua Silex dans son esprit. Il vient seulement de découvrir qu’il manie de la psynergie et il pense déjà à la partager. ».

« Je ne savais pas qu’on pouvait le faire… » pensa Vlad à son adresse.

« Tu en es sûr ? Tous les types de psynergie ne s’y prête pas, c’est vrai, mais les mystiques de Vénus sont aussi capables de partager certaines de leurs capacités… Surtout quand il s’agit de mettre les autres à l’abri »

D’abord Vlad ne comprit pas à quoi le djinn pouvait faire référence, puis il se rappela comment ils avaient quitté le temple de Sol avec Garet. C’était bien sa propre psynergie, sans contribution du rouquin, qui leur avait permis de se téléporter en dehors de la bâtisse. A ce moment-là, il n’avait pas pris le temps d’y réfléchir, il avait juste agi par instinct, pour sauver leurs peaux.

– Hé ! Ce n’est pas juste ! protesta Garet le sortant de ses pensées. Pourquoi c’est toi qui lis en moi ?

– Tu as raison, ce n’est pas juste si c’est à sens unique, acquiesça Ivan.

Les deux garçons joignirent les mains et le télépathe tendit la main vers Vlad. Avant que le Valois n’ait eu le temps de réagir, il avait de nouveau la sensation désagréable qu’on lisait en lui.

C’est bon. Tu es content maintenant, Garet ? pensa-t-il en grinçant des dents.

Son ami pouffa de rire et lâcha la main d’Ivan.

– Waou ! Ça a marché ! J’ai lu dans ton esprit, Vlad !

– Utilisons ma télépathie pour trouver les voleurs, proposa Ivan, visiblement satisfait.

 – Attends un peu ! l’arrêta Garet. Les gens peuvent savoir que tu lis dans leurs pensées ?

Ivan le fixa d’abord quelques secondes, interdit, avant de comprendre.

– Oh ! Je vois ! Vous sentez lorsque j’utilise ma psynergie, c’est ça ? Vlad et toi êtes des mystiques… C’est pour ça que vous savez quand je lis dans vos esprits. Les gens normaux ne peuvent rien deviné. Il n’y a pas de souci. J’utilise mes pouvoirs depuis longtemps, je le saurai autrement.

Le garçon dû sentir que ses interlocuteurs n’étaient pas complètement rassurés, car il ajouta :

– Et ne vous inquiétez pas. Je ne lirai plus dans vos esprits sans votre accord. J’imagine que j’ai pris de mauvaises habitudes avec le temps…

Les garçons approuvèrent.

– Allons lire dans les pensées des villageois, alors.  

En les voyant repartir ensemble, le maire les remercia une bonne dizaine de fois en leur souhaitant bonne chance. Alors qu’il échangeait encore quelques mots avec Ivan, sa fille tira discrètement la manche de Vlad.

– Vous allez aider Ivan, c’est ça ? demanda-t-elle sur un ton timide.

Il acquiesça et elle ajouta :

– Ne le répétez pas aux autres, mais Ivan peut parler aux animaux.

Ne sachant pas trop ce qu’il devait en penser, Vlad se contenta de remercier la fillette et lui promit de garder le secret. Quand il passa près de lui, le fils du maire, quant à lui, le regarda de haut comme s’il doutait de sa capacité à être utile.

Leur enquête dura une bonne partie de l’après-midi. Leur stratégie était simple : Vlad ou Garet interrogeaient les villageois tandis qu’Ivan lisait discrètement dans leurs pensées. Quand il utilisait la télépathie, le disciple d’Hammet s’arrangeait pour établir un contact physique avec l’un des Valois sans attirer l’attention. C’était parfois une main sur une épaule, parfois des doigts qui touchaient discrètement leurs dos. Parfois, tout simplement, il faisait mine de tirer sur leurs bras pour attirer leur attention sur quelque chose. Il veillait toutefois à ce que ces gestes ne deviennent pas trop envahissants et rivalisait d’ingéniosité pour lever la main vers ses interlocuteurs en un geste anodin sans qu’ils perçoivent le but réel de son mouvement.

Entre la spectaculaire éruption du Mont Alpha et les vols qui avaient suivis, les habitants de Vault étaient rongés par l’inquiétude. De nombreux biens avaient été dérobés et les malfaiteurs avaient même pillés le temple et à l’atelier du forgeron. Les Vaultois qui acceptaient de parler au trio ne le faisaient que parce qu’Ivan, lui-même victime, en faisait partie. Les autres semblaient considérer qu’en tant qu’étrangers, ils étaient forcément suspects.

Le chien du village était un des rares à ne pas céder à la paranoïa ambiante. Quand, à la suggestion de Vlad, curieux de tester sa capacité à « parler aux animaux », Ivan demanda au berger ce qu’il pensait de tous ces vols, celui-ci s’assit bien droit et les regarda avec un air grave. « Volez en pleine éruption volcanique... Les humains préfèrent l’argent à leurs vies. Je ne le comprendrai jamais » entendirent Vlad et Garet en touchant l’épaule du télépathe.

– Je crois que je ne verrai plus jamais les animaux de la même manière, souffla Garet à Vlad, médusé, pendant qu’ils s’éloignaient de l’animal.

De manière générale, les soupçons semblaient se concentrer sur un petit groupe d’étrangers qui séjournait à l’auberge depuis l’éruption. « Ces trois-là ont trompé l’aubergiste et son épouse. C’est le genre de personne qui se croit tout permis. » pensait une jeune fille qui travaillait à l’auberge. Le garde de la ville était du même avis, même s’il ne le disait pas à haute voix. Vlad mit d’abord ces pensées sur le compte de la xénophobie ambiante, mais Ivan le démentit.  

– J’ai essayé de lire dans leurs pensées par le passé et ils étaient complètement paniqués. Ils sont clairement louches.

Quand ils interrogèrent l’aubergiste à ce sujet, elle repoussa leurs questions d’un geste agacé.

– Tout le monde pense que nos clients sont des voleurs, mais je pense qu’il est injuste de les accuser sans preuves. Ils ont l’air louches, mais ils sont polis et paient cash, pas comme certains ! 

Son époux s’approcha d’eux et annonça sur un ton plus conciliant.

– Il est vrai que nos clients n’étaient pas dans leur chambre au moment de l’éruption. Mais par la suite, nous l’avons fouillé plusieurs fois sans rien trouver. Je suis désolé, mais ça ne peut pas être eux.

Il était sincère, comme put le confirmer Ivan par la suite, mais ils comprirent que l’éruption mettait en danger le commerce du couple en faisant fuir la clientèle. Ils avaient dû renoncer à payer un charpentier pour réparer les dégâts du toit et c’était leur gendre qui s’était attelé à la tâche. Ces étrangers, bien que louches, étaient peut-être leur seul espoir de s’en sortir financièrement.

– On ne peut pas vraiment leur en vouloir, j’imagine, soupira Garet alors qu’ils montaient les escaliers.

Au premier étage, ils tombèrent nez à nez avec l’homme aux cheveux longs qu’ils avaient rencontrés un peu plus tôt. En voyant qu’ils étaient accompagnés d’Ivan, l’homme écarquilla les yeux et battit en retraite.

– Attendez ! appela Vlad en s’élançant derrière lui.

Il déboucha dans un dortoir qui couvrait presque l’intégralité de l’étage. Là, un homme arborant une coupe de cheveux et des vêtements similaires à ceux de l’individu qu’il poursuivait se retourna.

– Que voulez-vous ? aboya-t-il à l’adresse de Vlad alors que son compère le rejoignait.

– Il y a ce gamin bizarre avec eux ! gémit son associé.

– Quoi ?

L’autre recula en voyant le disciple d’Hammet surgir à son tour dans la pièce.

– Je ne le supporte pas. Ne le laisse pas m’approcher !

Bizarre… Ivan avait pourtant largement montré, au cours de l’après-midi, qu’il était rôdé d’en l’art de dissimuler sa télépathie. Il fit signe au garçon de rester en arrière tandis que Garet les dépassait en s’éclaircissant la gorge.

– On cherche des informations au sujet du bâton de Hammet, annonça le roux les mains dans les poches.

L’homme qui semblait être le chef le fusilla du regard.

– Vous nous accusez d’avoir volé ce bâton ?

– J’ai pas dit ça…

– Ha ! Bien sûr ! s’écria son compère. Je savais que vous étiez trop malins pour croire ces rumeurs ! C’était pas nous ! D’ailleurs, nous ne savons même pas ce qui a été volé !

Un moment de flottement s’ensuivit.

– Hein hein… lâcha Garet alors que le chef jetait un regard assassin à son larbin. Si vous vous voulez bien m’excuser…

Il tourna les talons pour rejoindre Vlad et Ivan.

– Ils sont clairement louches, ces deux-là, souffla-t-il.

– Je vous l’avais dit. Quelque chose cloche, confirma Ivan.

– Mais on ne pourra pas utiliser la télépathie, si tu ne peux pas les approcher, remarqua Vlad.

Ivan jeta un regard pensif vers les deux hommes.

– Peut-être que nous pourrions en isoler un.

Vlad se tourna vers les deux suspects. Ils étaient loin d’être aussi baraqués que Garet, mais des dagues brillaient à leurs ceintures. Le chef était clairement hostile. Quant à l’autre, qui sait ce dont il était capable s’il paniquait.

– Ça pourrait mal tourner, murmura-t-il.

– Ils ne prendront pas le risque de se battre ici, tenta de le rassurer Ivan. Même s’ils paient bien, l’aubergiste les jetterait dehors. Ça va marcher. Ne vous inquiétez pas.

Guère rassuré, Vlad fit rouler pensivement les perles larcins entre ses doigts. La psynergie leur aurait été d’un grand secours, mais, en dehors de Vale, ils n’étaient censés s’en servir qu’en tout dernier recours… Toutefois, si personne ne faisait le lien avec eux…

– Ok. Voici ce que je propose.

Il expliqua succinctement son plan, soulignant l’importance de ne pas se montrer hostile. Quand il eut terminé, Garet se redressa avec un air approbateur.

– Passez devant tous les deux, dit le roux avant de se placer à l’entrée du dortoir, prêt à intercepter les malandrins s’ils tentaient de s’échapper.

Vlad et Ivan échangèrent un regard entendu avant de se diriger vers leur cible

– Les re-voilà ! Et ils viennent à un contre un ! s’écria le larbin.

– Fais ce qu’il faut pour les tenir à l’écart ! ordonna son chef en reculant vers le fond de  la pièce.

A voir son expression, le cœur de son associé balançait clairement entre sa loyauté et la terreur que lui inspirait Ivan.

– On veut juste vous poser quelques questions, annonça Vlad en levant les mains en signe de paix tandis que le télépathe se glissait discrètement dans la rangée de lit adjacente

– On… on a rien à vous dire ! protesta leur cible, nerveuse.

Ses yeux suivirent Ivan et il recula, signe qu’il n’était pas dupe. Le disciple d’Hammet parut le remarquer et lui tourna le dos, faisant mine d’examiner les affaires qui traînaient sur un lit.

– Ecoutez, on ne vient pas d’ici non plus, continua Vlad. On nous soupçonne comme vous ! Croyez-moi, je comprends ce que vous ressentez.

Ses paroles parurent faire mouche et les yeux du larbin revinrent vers lui. Oui, c’est ça…  

– On doit se serrer les coudes. Vous comprenez ? insista-t-il tandis qu’Ivan reprenait silencieusement son approche.

– Je… Oui… Oui… J’imagine…

L’homme secoua la tête.

– Mais attendez, dans ce cas, pourquoi êtes-vous avec… ?

Tout se passa très vite. Alors qu’Ivan n’était plus qu’à deux pas de leur cible, le chef du groupe surgit silencieusement derrière lui, dégainant sa dague.

– Ivan ! cria Vlad

Il tendit la main et appela mentalement la dague de toutes ses forces. Au moment où le bandit la brandissait, l’arme glissa entre ses doigts et traversa les airs. Le mystique l’évita de justesse, la laissant percuter le mur, tandis qu’Ivan se tournait vers son assaillant.

– Où est le bâton ? prononça le télépathe en agrippant l’individu qui fixait sa main, déstabilisé.

– Non, mais ça va pas ! hurla le bandit en se débattant.

Il se dégagea en cognant le visage du télépathe, qui recula de quelques pas, étourdi. Alerte, Vlad sauta par-dessus le lit qui les séparait et dégaina son épée en direction de l’individu. Tout le monde se figea immédiatement.

– Ne fais pas l’imbécile, gamin, souffla l’étranger, nerveux.

Vlad entendit les pas de Garet qui se rapprochaient dans son dos et recula vers ses amis sans quitter son adversaire des yeux. Le larbin en profita pour ramasser la lame de son chef et la lui lancer.

– On va juste partir d’ici, prononça lentement le Valois.

– Et vous croyez qu’on va vous laisser faire ? demanda son adversaire, plus confiant avec une arme en main.

Il fit un pas dans sa direction avec un sourire mauvais.

– Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda une voix dans le couloir.

– L’aubergiste ! s’exclama Ivan en se redressant.

Vlad et les voleurs s’empressèrent de rengainer. Ils eurent à peine terminé que la tenancière pénétrait dans la pièce. Elle s’immobilisa, dévisagea le trio de mystique avec un air suspicieux puis se tourna vers les deux voleurs.

– Est-ce que tout va bien ?

Le chef afficha un sourire forcé.

– Mais oui. Ces jeunes gens avaient juste quelques questions à nous poser. Ils allaient partir d’ailleurs, n’est-ce pas ?

Vlad acquiesça et échangea un regard entendu avec ses compagnons. Ils s’empressèrent de quitter les lieux sous le regard inquisiteur de l’aubergiste.

– C’était chaud là-haut, soupira Garet, quand ils eurent rejoint le rez-de-chaussée. Tu as appris quelque chose, Ivan ?

 Ivan, qui se tenait toujours la tête, acquiesça. 

– Ce sont bien eux ! Et ils ont volé tout un tas d’autres choses…

Vlad et Garet échangèrent un regard.

– Attends, je vais jeter un œil, dit Vlad en s’approchant de leur nouvel ami.

Une bosse commençait à se former sur le front du serviteur d’Hammet. Vlad saisit sa main, ferma les yeux et se concentra pour le soigner. Il sentit le télépathe sonder instinctivement son esprit, mais fit mine de ne pas s’en être rendu compte. Après tout, ils ne se connaissaient que depuis quelques heures ; il ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas leur faire entièrement confiance. Quand il eut terminé, toute trace de contusion avait disparu.

– Merci. Je me sens mieux, dit Ivan avec un air gêné. Est-ce que tous les mystiques peuvent faire ça ?

– Tous les mystiques de la terre et quelques mystiques du feu. Mais je ne sais pas pour les autres éléments.

Le télépathe le remercia à nouveau avant de reprendre.

– Ces trois-là, ils cachent leur butin quelque part dans l’auberge, mais je ne sais pas où.

Pas dans la chambre en tout cas. Le mari de l’aubergiste avait l’air sincère quand il disait qu’ils avaient déjà fouillé la pièce. Le rez-de-chaussé alors ? Même s’il y avait du monde en journée, rien ne disait qu’ils ne s’y glissaient pas la nuit.

– On pourrait peut-être…, suggéra Garet en jetant un coup d’œil vers l’escalier.

– Non, ils ne me laisseront plus les approcher, soupira Ivan.

– Bon, on a pas d’autre choix que de fouiller l’auberge alors…

– Fouiller mon auberge ? répéta une voix derrière eux. Vous plaisantez, j’espère ?

Ils se retournèrent et tombèrent nez à nez avec l’aubergiste, qui venait juste de redescendre. Celle-ci cracha :

– Ecoutez, j’en ai assez de toutes ces histoires ! Je passe mon temps à nettoyer cette auberge ! S’il y avait quelque chose de dissimuler dedans, je le saurais ! Si vous n’avez pas de preuve pour accuser mes clients, sortez !

Ils ne purent que s’exécuter, atterrés. Au dehors, le soleil commençait à décliner.

– Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? demanda Garet alors qu’ils échangeaient un regard affligé devant la porte.

– Excusez-moi, vous n’auriez pas vu mon mari ?

Ils se tournèrent vers leur interlocutrice, que Vlad reconnut pour l’avoir interrogée plus tôt. C’était la fille de l’auergiste. La jeune femme les rejoignit en quelques pas.

– Euh…non…, répondit Garet.

– Il devrait être en train de réparer le toit, mais je ne le trouve nulle part, s’énerva la jeune femme. Ce vaurien, il doit encore être en train de se cacher pour faire la sieste !

Le toit ! Mais oui, bien sûr ! Vlad échangea un regard excité avec Ivan, qui venait visiblement d’arriver à la même conclusion. Tous deux se tournèrent d’un même mouvement vers l’échelle adossée au mur et sur lequel ils avaient vu le gendre de l’aubergiste s’activer un peu plus tôt.

– Je passe en premier, annonça le Valois.

– J’ai loupé quelque chose ? demanda Garet en les voyant s’éloigner, l’air déterminé.

Une fois sur le toit, Vlad n’eut besoin que d’un coup d’œil pour confirmer ses soupçons : dans la chaume, une ouverture assez grande pour laisser passer un homme permettait d’accéder aux combles. On y distinguait un espace agrémenté d’un tapis et de plusieurs décorations. Une seconde échelle avait été coincée entre les poutres pour permettre d’y descendre facilement. A voir, les moutons de poussière aux quatre coins de la pièce, cette partie de l’auberge était condamnée depuis longtemps. Pourtant, une fois à l’intérieur, des traces sur le sol signalaient des allers-retours récents vers une caisse poussée contre un mur. En la déplaçant, le trio de mystique découvrit qu’elle dissimulait une porte.

– On y est, souffla Ivan.

Vlad s’approcha de la porte en dégainant son épée et tourna silencieusement la poignée.

La première chose qu’il vit, en poussant le montant, fut le nombre incalculable de caisses entreposés dans la pièce concomitante. La seconde, fut le gendre de l’aubergiste qui se débattait au sol, ligoté et bâillonné. Bon sang ! Vlad s’empressa d’aller le libérer.

– Je suis venu au grenier pendant que je réparais le toit, leur expliqua le malheureux. Mais j’ai réalisé que je ne pourrais pas en sortir facilement. J’y réfléchissais quand tout à coup, BAMF ! Enfin, vous voyez ce que je veux dire…On m’a assommé par derrière et je me suis retrouvé ligoté ici.

C’est pas bon, ça.

Leur interlocuteur parut soudain prendre conscience de ce qui l’entourait.

– Bizarre… Je ne me souvenais pas de toutes ces caisses… Pourtant j’étais là quand nous avons condamné les combles…

– Peut-être que les objets volés s’y trouvent, suggéra Ivan.

Mais alors qu’il s’approchait d’une des caisses, une voix retentit derrière eux.

– On dirait que nous avons été démasqués !

Sous leurs yeux horrifiés, les deux voleurs qu’ils avaient croisés à l’auberge pénétrèrent dans la pièce, un troisième individu sur les talons.

– Tu es bien persévérant pour un larbin de Hammet, gamin ! cracha le chef à Ivan.

L’un de ses associés, celui qu’ils avaient vu à l’auberge, renchérit :

– Pourquoi tu travailles si dur pour lui ? Combien il te paie ?

– De toute façon, il s’est fait capturer par pire que nous ! conclut sombrement le troisième bandit.

– Qu… Quoi ? demanda Ivan abasourdi.

– J’ai appris qu’il était parti pour Lunpa après l’éruption.

A cause du débris qui avait failli les tuer, Vlad avait complètement oublié cette histoire, mais il se souvenait maintenant que le marchand avait mentionné Lunpa quand ils avaient croisé sa caravane.

– Tu as dit Lunpa !? répéta le gendre de l’aubergiste. Un homme riche comme Hammet ne devrait même pas s’approcher de cet endroit !

– C’est… C’est si grave que ça ? demanda Garet. Je croyais qu’ils avaient un code de l’honneur ?

Ce n’est plus vrai maintenant, songea Vlad. Lunpa portait le nom de son fondateur, un célèbre voleur, qui avait toujours veillé à ce que ses hommes restent honorables. Même après sa disparition, son fils, Donpa, avait fait en sorte que ses associés conservent un code moral. Mais les dernières rumeurs rapportaient que Dodonpa, le petit-fils de Donpa, se moquait éperdument de l’honneur.

Comme en écho à ses pensées, le chef des voleurs confirma, cruel :

– C’est Dodonpa qui est aux commandes de Lunpa maintenant. Il est perfide et ignoble, même avec ses hommes. Alors avec un riche marchand comme Hammet…

Un silence de mort s’installa et le visage d’Ivan perdit toutes ses couleurs.  

– Vous voyez ? reprit le chef. Nous ne sommes pas si mauvais ! Est-ce qu’on peut partir maintenant ?

Vlad en resta bouche bée. Mais quel culot !

– Hors de question, lâcha-t-il.

– Quoi ? Même si on rend tout ce qu’on a volé et qu’on s’excuse ? s’exclama l’un des deux larbins.

– Tu dois rigoler ! gronda l’autre. Nous avons gagné ça à la sueur de nos vols !

Le leader eut un sourire mauvais.

– On va vous faire taire définitivement alors !

Il dégaina son couteau, imité par ses associés.

– Garet, murmura Vlad sans les quitter des yeux. Evite les étincelles.

« On t’a déjà dit que t’étais pas marrant ? » eut-il le temps d’entendre avant qu’un des bandits ne lui saute dessus. Le garçon eut juste le temps d’esquiver son adversaire et de voir sa lame passer à quelques centimètres de lui. Il tenta à son tour de porter un coup, mais fut trop lent. Au moment où son adversaire se dérobait devant son épée, Garet poussa un cri et percuta le chef des brigands juste à sa droite. Vlad réalisa alors que son ami n’était pas armé, contrairement à lui. Son manque d’attention faillit lui coûter la vie et il ne para la lame de son adversaire que par pur réflexe. Il échangea ensuite une série de coups maladroits avec le voleur sans qu’aucun d’eux ne parvienne à prendre le dessus.

Il n’était pas prêt pour ce genre de combat. Garet et lui s’étaient entraînés pendant des années à la maîtrise de la psynergie, mais le maniement des armes avait toujours été secondaire pour eux. Ils s’imaginaient combattre des mystiques pas des gens ordinaires. Sans leur psynergie, ils étaient désavantagés.

« Ton ami est en danger ! » alerta Silex.

Vlad bondit en arrière et jeta un rapide coup d’œil autour de lui. A sa gauche, Ivan et le gendre de l’aubergiste étaient aux prises avec un larbin. A sa droite, Garet était affalé contre une caisse, la joue en sang, les mains serrées sur celles de son adversaire pour maintenir sa lame à distance.

Bon sang ! Vlad para le poignard de son propre adversaire et le repoussa de toutes ses forces, imprimant une infime dose de psynergie dans son épée. Le voleur fut projeté à deux pas de lui mais retrouva immédiatement son équilibre. Le Valois lui jeta alors son épée et profita de la distraction engendrée pour se précipiter vers le chef des voleurs. Il percuta le bandit de plein fouet et le plaqua contre le mur de la pièce, faisant tomber les armes qui l’ornaient. Mais le bandit le repoussa d’un coup de pied et se saisit d’un cimeterre qui venait de se planter dans le parquet.

– Vlad ! cria la voix de Garet.

Il entendit un choc derrière lui et aperçut, du coin de l’œil, un couteau et une hache entrecroisés.

– Tu ne devrais pas te laisser distraire ! dit le chef des brigands en se jetant sur lui.

Vlad ne parvint à esquiver son attaque que de justesse et appela mentalement une des armes au sol. La poignée d’une claymore atteignit sa main juste à temps pour parer un second coup de son adversaire.

Interloqué, le bandit recula d’un bond. Ses yeux passèrent de Vlad à sa nouvelle arme et une expression mauvaise se dessina sur son visage.

–       Toi…

 Il porta deux doigts à sa bouche et siffla. Les bruits de combats s’interrompirent immédiatement, puis deux cris retentirent à l’unisson derrière Vlad. En se retournant le Valois aperçut une lame qui allait le transpercer.

– Non ! 

Un arc électrique cueillit son agresseur puis rebondit derrière Vlad. Les trois voleurs s’écroulèrent en même temps.

Un lourd silence s’ensuivit. Ivan regardait ses mains, les yeux écarquillés.

– Waouh ! finit par s’exclamer le gendre de l’aubergiste, secoué. J’ai… J’ai bien cru que nous étions perdus.

Il balaya la pièce du regard, encore choqué. Quand ses yeux se posèrent sur Ivan, Vlad put y lire une lueur de terreur.

– Je… Je vais chercher le maire, finit-il par ajouter.

Il contourna le disciple d’Hammet aussi largement que possible puis quitta la pièce.

– Merci pour la reconnaissance, marmonna Garet avant de se tourner vers leur nouvel ami. C’était incroyable, Ivan ! J’avais jamais vu un truc pareil !

– Je ne savais même pas que j’en étais capable, souffla Ivan. J’ai juste agi par instinct.

Comme en réponse, un ricanement sinistre s’éleva dans la pièce. Affalé, contre une caisse, le chef des voleurs les contemplait, un sourire mauvais sur les lèvres. Il parut vouloir se redresser, mais retomba immédiatement, paralysé.

– Tu es un monstre, tu le sais, ça ? lança le brigand à Ivan, frustré. Pas étonnant qu’Hammet ait voulu t’avoir à ses côtés. Tu fais une belle bête de foire.

Ivan accusa le coup, livide. Fou de rage, Garet s’approcha du brigand et lui asséna un coup de poing pour l’assommer.

– C’est juste un pauvre type, ne l’écoute pas, lança le rouquin au télépathe.

Celui-ci acquiesça mais resta silencieux.

– Après tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on a volé, gémit l’un des larbins en se tordant au sol.

– On t’a pas dit que voler, c’est pour les nazes ? le sermonna Garet, énervé. 

– Je vous l’avais dit… qu’on aurait dû éviter cette ville…, se plaignit l’autre.

– Le mal ne vaincra pas ! clama le Valois en réponse.

Ivan tapota l’épaule de Vlad et lui tendit son épée. Le Valois la récupéra en le remerciant. Malgré les coups, l’arme semblait intacte, à son grand soulagement.

– Je vais récupérer le bâton de Maître Hammet et me dirigez vers Lunpa, lui annonça Ivan pendant que Garet continuait à humilier les voleurs. Et vous ? Qu’est-ce que vous pensez faire, Vlad ?

– Je suppose qu’on va essayer de rattraper Pavel et les autres…

– Pavel ? répéta Ivan.

Il parut hésiter puis leva doucement la main dans sa direction cherchant des yeux son accord. Comprenant ses intentions, le Valois acquiesça d’un mouvement de tête. Il avait désormais confiance en Ivan et raconter leur histoire à voix haute aurait été bien trop long. Tandis qu’une désagréable sensation familière l’envahissait, il se concentra sur tous les évènements qui les avaient menés jusqu’ici.

– Je vois… C’est ce qui s’est passé.., murmura Ivan après de longue secondes en interrompant le flux de psynergie.

Sur ces entrefaites, des bruits de pas leurs indiquèrent que le gendre de l’aubergiste était de retour.

– Ce sont les voleurs, Monsieur le maire, annonça-t-il en pénétrant dans la pièce.

Le vieil homme le suivit, accompagné de deux gardes et de quelques gros bras. Il se pencha vers les trois hommes à terre.

– Ce que vous avez fait est mal ! Voler au beau milieu d’une catastrophe !!!

– Hé ! protesta l’un des voleurs C’est vous qui avez laissé vos portes ouvertes ! C’était presqu’une invitation. AOUCH !

L’un des gardes venait de lui asséner un coup de pied.

– Désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher…

– Qu’allons-nous faire d’eux ? demanda un homme en se tournant vers le maire.

– Et bien, ils vont moisir en prison pendant bien longtemps ! répondit le vieil homme.

Les gardes acquiescèrent puis se dirigèrent vers les bandits.

– Hé ! Réveillez-vous ! lança l’un d’eux à leur chef, toujours inconscient. Allez debout ! 

Comme il restait inerte, le garde en profita pour entraver ses mains, assisté par Garet. Ils firent de même avec ses deux associés pendant que leur chef sortait lentement de sa torpeur. Après quelques minutes, la paralysie qui affectait les voleurs parut se dissiper et les gardes les remirent sur pied. Avant de quitter la pièce, escortée par les gardes, leur chef s’arrêta et lança, un regard noir en direction du trio de mystiques :

– Hé, toi ! Vlad, c’est ça ? Je ne t’oublierai pas ! Crois-moi. Tu me le paieras.

Le garçon maintint son regard jusqu’à ce que les gardes poussent le bandit en dehors de la pièce.

– Merci d’avoir attrapé ses voleurs ! dit le maire en s’avançant vers lui. Vous avez notre sincère gratitude. Passez me voir demain. Je ferai en sorte que vous ayez vos provisions...

– Monsieur le Maire, ce n’est pas votre urne familiale ? les interrompit un de ses hommes, qui avait commencé fouiller les caisses

Tandis que le maire se précipitait vers lui, un autre sortit une statuette en or d’un coffre.

– Hé ! Ça vient du… Ils ont volé ça au temple ? Les monstres !

Alors que les hommes du maire oscillaient entre soulagement et colère en découvrant les biens volés, Ivan allait d’une caisse à l’autre, cherchant désespérément le bâton de son maître. Vlad et Garet ne pouvaient que le suivre et l’assister comme ils pouvaient. Mais ce fut finalement l’un des gardes qui mit la main dessus.

– Ivan, n’est-ce pas ce que tu cherchais ?

Il brandit un bâton noueux presque aussi grand que le garçon.

– Oui, souffla le garçon en récupérant le bien de son maître.

Vlad et Garet s’approchèrent. A leur grande surprise, hormis sa forme tortueuse, le bâton n’avait rien de particulier. Ce n’était qu’un morceau de bois, probablement sans valeur.

– Attends, c’est tout ? demanda Garet, incrédule.

Le mystique du feu paraissait aussi dépité que Vlad. Comment Hammet a-t-il pu demander à Ivan de rester pour ça ? songea son ami avec colère. Surtout en fuyant pour sa propre vie.

– Maintenant tu peux retourner auprès de Maître Hammet ! se félicita le maire.

En voyant l’expression d’Ivan, il parut réaliser sa bourde.

– C’est vrai ! J’ai appris que Maître Hammet allait vers Lunpa !

– Alors c’est vrai, soupira Ivan, accablé. Oh non… Dodonpa ne manquerait pas une telle occasion.

Le maire grimaça.

– Malheureusement, il est probable que ton maître se soit fait kidnappé.

– Comment puis-je le sauver ?

– Personne ne peut entrer lorsque les portes sont fermées, soupira le maire, et c’est sûrement le cas depuis l’éruption. Tu ne pourras rien faire.

– Mais que va-t-il lui arriver ? s’inquiéta Ivan.

– Calme-toi. Il est sans doute sain et sauf. Dodonpa sait qu’il peut en tirer une forte rançon des habitants de Kalay. Mais malheureusement nous ne pouvons pas faire grand-chose avant qu’il n’agisse. Dès que le pont sera réparé, je prendrai contact avec Lady Layana et je l’aiderai au mieux.

Il marqua une pause.

– Ne fais pas quelque chose d’irréfléchi, s’il-te-plaît.

Le garçon ne répondit pas, mais la détermination dans son regard était éloquente.

– Je n’oublierai jamais l’hospitalité de cette ville, finit-il par prononcer en s’inclinant. Merci pour tout.

Le maire poussa un soupir.

– Je vois que je ne t’arrêterai pas. Je te souhaite de réussir, mon garçon. Si tu veux revenir, notre porte te sera toujours ouverte.

Il se tourna vers Vlad et Garet.

– Tous les deux, vous avez ma profonde gratitude. Vous nous avez été d’une grande aide. N’oubliez pas de passer me voir avant de quitter la ville.

Il échangea un dernier adieu avec Ivan avant de quitter la pièce, suivi de ses adjoints.

– Quelle pagaille, soupira Garet, après quelques instants. Nous avons enfin récupéré le bâton et maintenant, il y a ça qui nous tombe dessus. J’aimerai pouvoir t’encourager, Ivan... Tu as l’air déprimé…                    

– Je veux juste sauver Maître Hammet, c’est tout..., lâcha le télépathe. Mais je ne peux pas vous demander votre aide. Votre mission est trop importante. Je l’ai lu en vous.

Il se détourna.

– Je ne pensais pas que cette éruption avait eu tant de conséquences, murmura-t-il pour lui-même.

Garet grimaça et se tourna vers Vlad.

– C’est vrai, si nous ne trouvons pas Pavel, nous aurons de gros ennuis.

– Je suppose que c’est le moment de se dire au revoir alors, reprit Ivan.

– Attends ! l’interrompit Vlad. On peut t’aider !

– Non. Je vous remercie, mais vous avez déjà fait beaucoup pour moi. Je ne peux pas vous en demander plus. Bonne chance, mes amis !

Il leur fit un dernier signe d’adieu avant de se diriger vers la sortie.

– Il ne va quand même pas partir ce soir ? demanda Garet, inquiet.

Vlad préféra se persuader que non et suggéra de replacer les armes qu’ils avaient fait chuter du mur au cours de la bagarre. Mais quand ils sortirent enfin du grenier, une fois cette tâche acquittée, ils aperçurent, éclairés par une torche, des habits chatoyants qui s’éloignaient vers le Nord. Bonne chance. J’espère que tu réussiras.







 

 




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