Un monde d'Arcs-en -ciel
Chapitre 20 : L’inconnu démasqué
Après la représentation, une réception fut donnée en l’honneur de la première d’Isadora. Enjouji Madoka se dirigea vers Kuronuma en quête de compliments.
-Alors, Kuronuma-sen'seï, comment avez-vous trouvé la pièce ?
-Les chants et les danses étaient parfaits, mais je trouve que le personnage manquait de profondeur.
-Voulez-vous dire que mon interprétation était superficielle ?
-C’est cela même. Désolé si cela vous choque, mais je dis toujours ce que je pense.
Effectivement, Madoka était vraiment vexée, aussi se tourna-t-elle vers Yuu et Maya.
-Et vous, jeunes gens, avez-vous apprécié le spectacle ?
- J'ai été vraiment emballé par les chants et les danses !
- C'était merveilleux. Les dialogues résonnent encore en moi !
Masumi s’approcha et dit à Maya :
- Lequel en particulier, Chibi-chan ?
-C’est difficile à dire, il y en a tant. Celui du bar, par exemple…
Et elle se met à jouer la scène, imitant à la perfection le jeu de Madoka, jusqu’au moindre geste et à la moindre intonation. Plusieurs jurés du festival, ainsi que le président de l’Association Nationale du Théâtre et, bien sûr, des journalistes flairant le bon papier s’approchèrent pour la voir. Madoka n’en revenait pas.
-Vous avez mémorisé toutes les lignes ?
-Oui, ainsi que celles des autres personnages.
Le metteur en scène d’Isadora bondit.
-Impossible, c’est la première fois que la pièce est jouée ! Personne n’est capable de réaliser un tel tour de force !
-Vous croyez ? Chibi-chan, y a-t-il un autre passage que tu as particulièrement aimé ? Tu veux bien nous le jouer, cela prouvera que tu as bien mémorisé toutes les lignes.
-Eh bien, la scène finale m’a beaucoup émue.
Et elle la joua, y compris avec les pas de danse. Lorsqu’elle eut fini, le président de l’ANT lui demanda :
-Vous n'avez pas dit la dernière réplique de la même manière qu'Enjouji-kun. Alors qu’elle semblait écrasée par la vie, vous, vous sembliez avoir retrouvé votre instinct pour la danse. Pourquoi donc ?
-Et bien, je crois que si j’étais Isadora, c’est ce sentiment-là que j’aurais eu.
-Je vois. C’était vraiment remarquable, félicitations, Ojô-san.
-C’est ce qu’on pouvait attendre de la lauréate du prix du meilleur second rôle féminin, Kitajima Maya. Ton prochain rôle est celui d'une fille-louve, n'est-ce pas ? Tu ne voudrais pas nous en montrer un extrait ?
Yuu ne put en supporter plus. Il prit Maya par les épaules et lui dit :
-Maya-chan, allons-nous en. C’est de la provocation.
-Quoi, aurais-tu peur d’être mauvaise ? Tu sais jouer le rôle des autres mais pas le tien ?
Masumi avait touché le point sensible. Peur d’être mauvaise ? Au cours du temps, Maya avait peu à peu pris conscience de son talent, même si elle n’en soupçonnait pas encore l’étendue. Comment osait-il mettre en doute ses compétences ? Elle se mit à quatre pates, et aussitôt qu’elle se mit à grogner, son visage perdit toute trace d’humanité. Masumi continua à la provoquer en lui demandant de venir prendre une cuisse de poulet qu’il tenait à la main. Yuu voulut intervenir, mais Kuronuma l’en empêcha. Maya bondit et mordit cruellement la main de Masumi. Elle lui arracha la veste qu’il tenait sur son bras et la piétina. Ce n’était plus Maya, mais Jane elle-même. Enfin, Kuronuma intervint.
-Ça suffit, Maya-kun. Tu as prouvé ton immense talent.
Toute l’assistance était profondément impressionnée. Le président de l’ANT dit à Kuronuma :
-Je serai ravi de voir votre pièce. Pourriez-vous m’envoyer une invitation, Kuronuma-sen’seï ?
-Avec le plus grand plaisir, Kaichô.
Avant de partir, Maya se tourna vers Masumi.
-Vous êtes méprisable. Je vous déteste !
Shiori, qui avait accompagné Masumi, le rejoignit.
-Tu as été particulièrement dur avec elle. Tu avais une raison pour ça ?
-Tu comprendras quand tu liras les journaux demain. Ouille, elle m’a fait vraiment mal !
En disant cela, il embrassait la morsure de Maya. Ce qu’avait prévu Masumi arriva. Tous les journaux relatèrent l’incident de la veille avec la photo de Maya jouant la louve en première page. La publicité engendrée par ces articles fut telle que les réservations pour la pièce furent pleines pour une période d’un mois au moins.
Quelques jours avant la première de La Jungle Oubliée, Maya se rendit au cimetière pour le premier anniversaire de la mort de Haru. Arrivée à sa tombe, elle eut la surprise d’y trouver un bouquet de roses pourpres et deux bâtons d’encens qui brûlaient encore.
Mon inconnu aux roses pourpres, il est venu pour le premier anniversaire de sa disparition. Mais comment a-t-il su ?
Soudain, un éclat lumineux attira son attention. Au pied de la tombe, dans l’herbe, se trouvait un briquet en or. Elle le ramassa, et vit qu’il portait gravées dans le métal les initiales H M. Le cœur de Maya se mit à bondir. Ce briquet, elle était sûre de l’avoir déjà vu. Et ces initiales…
H.M… Hayami Masumi… Non, ce n’est pas vrai ! Ça ne peut pas être lui ! Pourtant… cette impression que j’ai eue lorsqu’il m’a prise dans ses bras quand j’ai eu mon prix… Ce que m’a écrit mon fan après les Deux Princesses et maintenant… Je dois en avoir le cœur net. Mizuki-san, elle doit savoir !
Maya avait préparé un album avec les photos de tous les rôles qu’elle avait joués, pour l’offrir à son fan. Elle téléphona à Saeko pour lui donner rendez-vous dans le salon de thé près de l’immeuble Daito, et s’y rendit avec cet album.
-Mizuki-san, est-ce bien le briquet d’Hayami-san ?
-Mais oui ! Il était désolé de l’avoir perdu.
-Je l’ai trouvé près de la tombe de Ka-san, avec un bouquet de roses pourpres. Mizuki-san, dites-moi la vérité. Est-ce lui mon inconnu aux roses pourpres ? J’ai besoin de savoir !
Saeko ne savait que faire. Elle avait promis à Masumi de ne jamais révéler son identité secrète, mais d’un autre côté, Maya avait le droit de savoir. Le silence de Saeko était éloquent. Il confirmait les soupçons de Maya.
-Alors c’était bien lui. Comment ai-je pu être aussi aveugle pendant tout ce temps. Maintenant, je comprends mieux certaines choses. Je croyais que tout ce qui m’arrivait était pures coïncidences, mais en fait, tout était calculé.
Elle prit une profonde inspiration.
-Mais pourquoi ? Pourquoi être si cruel face à moi et si bon en coulisse ? Pourquoi m’avoir caché son identité ?
-Il ne pouvait pas faire autrement. Vis-à-vis de son entourage, il devait continuer à porter ce masque d’homme froid et impitoyable. Mais je savais bien qu’au fond, il était tout différent. Et puis, il t’aime, Maya-chan. Il t’a aimée dès le jour où il t’a vue jouer Beth. Il n’en a pris vraiment conscience que lorsqu’il est allé te voir dans son pavillon d’été.
Maya se souvenait très bien de ce jour et elle sourit tendrement. Son premier baiser, si doux, si léger… Comment oublier un tel bonheur !
-Oui. C’est ce jour là que j’ai juré de n’appartenir qu’à lui. Mais alors pourquoi ne s’est-il jamais déclaré ?
-Il a peur d’être rejeté par toi. Il pense que tu le hais de toutes tes forces. Et puis, il se sent responsable de la mort de ta mère. Il ne se l’est jamais pardonné.
-Je sais, je l’ai vu dans son regard. Il a été maladroit, mais son intention était bonne. Augmenter de cette façon ma popularité. Mais moi-même, quelle excuse ai-je de l’avoir abandonnée, de ne plus lui avoir donné de mes nouvelles aussi longtemps ? C’est pour cela qu’elle a cherché à me revoir. Je peux pardonner à Masumi, mais qui me pardonnera ?
-Tu l’aimes toi aussi, n’est-ce pas. Alors, que vas-tu faire ?
-J’attendrai qu’il se déclare. Mais maintenant qu’il est fiancé…
-Je ne crois pas que ce mariage se fera. Ils ont déjà repoussé la date à plusieurs reprises. Et puis, tu as parfaitement le droit de tenter ta chance, il n’est que fiancé après tout. Alors, que feras-tu s’il tarde trop ?
Une lueur coquine traversa le regard de Maya.
-S’il tarde trop, c’est moi qui lui sauterai dessus ! Tenez, vous voulez bien lui donner cet album ? Je pense que ça lui fera plaisir. Et… ne lui dites pas que je suis au courant, n’est-ce pas ?
-Je m’en garderai bien ! Il m’en voudrait à mort s’il savait ce que je t’ai dit !
Ayumi était contrariée. Cet idiot d’Onodera bavait d’admiration devant elle et sous-estimait le talent de Maya. Avec lui comme metteur en scène, elle était certaine de perdre devant sa rivale. Et elle tenait, si ce n’est à la battre, au moins à l’égaler. Elle alla trouver Masumi.
-Hayami-san, j’ai un immense service à vous demander.
-Dis-moi donc, Ayumi-kun. Ce sera avec plaisir si c’est possible.
-Pourriez-vous me débarrasser d’Onodera ? Il a la réputation d’être un bon metteur en scène, mais avec moi, il est parfaitement incompétent !
-Je le ferais avec joie, car j’ai autant de sympathie pour lui que toi. Malheureusement, mon père s’est entiché de lui et n’acceptera jamais son renvoi. Ça me coûte de refuser quelque chose à la meilleure amie de Maya, mais je n’y peux vraiment rien.
-Vous l’aimez, n’est-ce pas ?
-Cela se voit tant que ça ? Je t’en prie, ne le lui dis pas.
-Soyez tranquille, je ne lui dirai rien. Parce que… ce n’est pas à moi de le lui faire… mais à vous !
Qu’est-ce qu’elles ont toutes, ces bonnes femmes ! Saeko, passe encore, elle me connait si bien. Mais Tsukikage-sen’seï me l’a bien fait comprendre, et maintenant Ayumi-kun !
Masumi et Shiori continuaient à sortir ensemble pour ne pas éveiller les soupçons des deux vieux crocodiles. En public, ils jouaient la comédie des fiancés épris l’un de l’autre. En privé, ils étaient devenus d’excellents amis. Shiori était de compagnie très agréable et Masumi ne s’ennuyait pas avec elle. La veille de la première de La Jungle Oubliée, elle l’attendait dans le salon de sa villa d’Izu qu’il ait fini de téléphoner. Elle regardait les livres dans sa bibliothèque lorsqu’elle vit l’album de photos de Maya.
Alors voila la femme pour laquelle il a refusé de coucher avec moi ? J’en aurai le cœur net demain, lorsqu’on ira voir sa pièce au théâtre.
Le lendemain, ils se rendirent ensemble voir La Jungle Oubliée. Shiori, qui pensait que Maya n’avait rien d’exceptionnel fut très impressionnée lorsque Maya commença à jouer. C’était véritablement un animal sauvage qui évoluait sur scène. Elle regarda Masumi et vit à son expression qu’elle avait deviné juste. De toute évidence, il était fou amoureux de cette fille. Et elle, est-ce qu’elle l’aimait aussi ? Il fallait qu’elle sache. Après la pièce, ils allèrent ensemble féliciter Maya.
-Tu as été superbe, Chibi-chan. Ce justaucorps couleur chair que tu portais au début à dû provoquer de belles émotions chez les hommes !
-Merci, mais il n’était pas nécessaire de me le faire remarquer !
Shiori serra le bras de Masumi plus étroitement, et dressée sur ses pieds, elle l’embrassa sur la joue. En faisant cela, elle observa attentivement Maya. Elle vit passer dans ses yeux un éclair de douleur et de jalousie.
Bon, pas de doute. Elle aussi est amoureuse de Masumi. Normal, il est si bel homme ! Ma petite, il faudra qu’on ait une sérieuse discussion toutes les deux !