Un monde d'Arcs-en -ciel

Chapitre 15 : Grandeur et décadence

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Dernière mise à jour 02/02/2012 04:09

Chapitre 15 : Grandeur et décadence


         Maya prit un train de la ligne Tokaido et alla jusqu’au terminus Kōbe, à 590 km de Tokyo au sud du Japon. C’était une grande ville d’environ 1,5 millions d’habitants* où elle était sûre de pouvoir se cacher. Mentant sur son âge, elle trouva rapidement un travail comme serveuse dans une auberge qui, en plus d’un fort maigre salaire, lui offrait une minuscule chambre où elle pouvait à peine bouger et deux repas par jour. Elle avait décidé de redevenir la fille ordinaire qu’elle était avant et de rompre avec son passé. Elle savait que la douleur d’avoir perdu sa mère s’estomperait avec le temps, mais pour le moment, elle ne voulait plus revoir personne. Elle avait fait un beau rêve, mais c’était bien terminé. Elle ne sentait plus capable de remonter sur scène…
         Au théâtre où elle devait jouer, c’était l’affolement général. C’était le jour de la première, et la vedette était introuvable. Le plus ennuyeux, c’est qu’aucune doublure n’avait été prévue. Il allait falloir annuler et rembourser tous les billets, une horreur pour un directeur de théâtre ! Norie comprit que son heure était venue. Elle s’avança et dit :
-Euh… J’ai assisté à toutes les répétitions de Kitajima-san et je connais toutes les répliques de son rôle. Si cela vous arrange, je veux bien essayer de jouer à sa place.
Le directeur sauta sur l’occasion. Un vrai miracle ! Il accepta avec reconnaissance la proposition de Norie. Le soir venu, l’annonce suivante fut faite au public :
-Pour des raisons indépendantes de notre volonté, le rôle principal ne sera pas tenu par Kitajima Maya-san mais par Otobe Norie-san. Nous vous prions de nous en excuser.
Norie avait attentivement observé le jeu de Maya et l’imita de façon assez convaincante. Aussi la pièce connut-elle un certain succès. La fuite de Maya fut un énorme scandale, et les journaux qui l’encensaient la veille la mirent plus bas que terre. Les sponsors, après avoir vu jouer Norie, la trouvèrent suffisamment talentueuse et lui confièrent tous les rôles de Maya. Celle-ci fut alors inscrite sur la liste noire officieuse du monde du spectacle, et plus aucun producteur n’aurait osé l’employer.
         Ayumi et Rei étaient effondrées. La fuite de Maya, pour compréhensible qu’elle puisse être, les avait beaucoup affectées. Rei surtout se demandait comment Maya, si timide et naïve allait pouvoir s’en tirer seule, elle qui avait toujours été entourée d’amies. Mais Ayumi avait un autre motif de préoccupation. Rei et elle avaient jusqu’à présent caché leur relation. Mais cela n’allait-il pas être trop pesant pour Rei ? Elle décida de lui en parler.
-Rei chérie, cela ne te gêne pas trop que nous soyons obligées de cacher notre amour ? Je suis encore mineure et je ne voudrais pas que tu aies des ennuis. Alors…
-Ne t’en fais pas, Chérie. Moi non plus, je ne voudrais pas avoir d’ennuis avec la justice. J’attendrai que le bon moment vienne.
-Dès que j’aurai dix huit ans, je crierai au monde entier que je t’aime et que tu es la femme de me vie !
-Alors, ce jour-là, toutes les gamines qui fréquentent le restaurant où je travaille vont prendre le deuil.
-Pourquoi ? Elles sont toutes lesbiennes ?
-Non, elles croient que je suis un garçon !
Elles éclatèrent de rire et oublièrent un moment leurs angoisses au sujet de Maya.
         Ayumi voulait en avoir le cœur net. Certes, la mort brutale de sa mère pouvait expliquer l’attitude de Maya, mais elle sentait qu’il devait y avoir autre chose. Apprenant que Norie avait récupéré tous les rôles de Maya, elle décida de s’intéresser de plus près à elle. Un jour, la porte de sa loge étant légèrement entrouverte, elle surprit une discussion entre Norie et son manager.
-Pas mal, le coup d’apprendre à Maya que la Daito était responsable de la mort de sa mère. Mais maintenant, il va falloir assurer pour devenir aussi populaire qu’elle.
-Ne vous inquiétez pas. Après tout, elle n’était pas meilleure que moi !
Pas meilleure que toi ? Tu rêves, ma pauvre. À côté d’elle, tu n’existes même pas ! Je vais te montrer ce qu’est une vraie actrice. Tu vas t’en mordre les doigts.
Le plan d’Ayumi était la simplicité même. C’est sur scène qu’elle allait écraser cette punaise. Elle lui ferait tellement honte qu’elle n’oserait plus se montrer nulle part ! Apprenant que Norie allait avoir le premier rôle dans une autre pièce, Le portrait de Camille, elle décida d’aller trouver Masumi.
-Hayami-san, j’ai une grande faveur à vous demander.
-Tout ce que tu voudras, Ayumi-kun.
-Pourriez-vous faire en sorte que j’aie le second rôle dans Le portrait de Camille ?
Masumi, qui était une des rares personnes à connaître le fort lien d’amitié entre Maya et Ayumi, se douta qu’elle préparait quelque chose. Ayant lui aussi un compte à régler avec Norie, il lui dit avec un sourire complice :
-Une vendetta personnelle ?
Ayumi ne dit rien, mais sourit de façon très éloquente. Ils s’étaient compris.
-Pas de problème. Tu auras le second rôle de cette pièce. Inutile de te dire de faire de ton mieux, n’est-ce pas ?
Vint le jour de l’annonce de la distribution.
- Pour le rôle de Maria Karenstein : Otobe Norie. Et le rôle du vampire, Camille : Himekawa Ayumi.
Grand étonnement dans la salle. Le second rôle pour Himekawa Ayumi ? Une actrice aussi géniale qu’elle ? C’était à n’y rien comprendre. Ayumi s’avança vers Norie et lui prit la main.
- Ravie de te rencontrer, Otobe Norie. Faisons de notre mieux, d’accord ?
Pendant les répétitions, Ayumi eut vite fait de juger Norie.
Aucun charisme, aucune personnalité. Un talent à peine médiocre. J’aurais presque de la peine de l’écraser !
Le manager de Norie était inquiet. Pourquoi une actrice aussi célèbre et talentueuse qu’Hime-kawa Ayumi avait accepté de ne jouer qu’un second rôle ?
-Tu n’es plus une doublure, maintenant. Tu as intérêt à assurer, avec Ayumi-san comme partenaire…
-Ne vous en faites pas. Elle ne me fait pas peur. Je vais lui montrer que je méritais ce premier rôle !
-Tu as intérêt, sinon ton sponsor te lâchera. Tu sais ce que cela signifie…
Cela signifiait que sa carrière s’arrêterait avant même d’avoir commencé.
Lorsqu’arriva le jour de la représentation, Norie ne montra aucun signe d’inquiétude. Elle avait une confiance aveugle en son talent, qu’elle croyait aussi grand que celui de Maya ou d’Ayumi. Celle-ci savait exactement à quel moment et de quelle façon elle allait la déstabiliser. Par la perfection de son jeu, elle vola peu à peu la vedette à Norie, qui se retrouvait de plus en plus projetée dans l’ombre, ne sachant pas comment redresser la barre. À la fin de la pièce, lorsque Norie salua, elle reçut tout juste des applaudissements polis. Lorsqu’Ayumi salua, ce fut une véritable ovation, tous les spectateurs s’étant levés pour l’applaudir. Les jeux étaient faits.
Maya, ma chérie, je t’ai vengée. Mais reviens-nous vite, tu nous manques terriblement !
         Masumi avait envoyé des hommes ratisser toutes les villes du Japon. Il leur fallut trois semaines pour localiser Maya. Il se rendit aussitôt à Kōbe pour aller la récupérer. Lorsque le patron de l’auberge sut qu’elle était mineure, c’est avec soulagement qu’il vit Masumi l’emmener. Pendant tout le voyage, Maya ne desserra pas les dents. Masumi ne savait quelle contenance prendre. Il aurait voulu la serrer dans ses bras et la réconforter, mais c’était bien entendu exclu, vu la haine qu’elle éprouvait pour lui. Une fois arrivée à Tokyo dans le bureau de Masumi, elle laissa exploser sa colère.
-Vous avez tué Ka-san ! Je vous hais, Hayami-san ! Je vous hais…
-Tu ne le croiras sans doute pas, mais je le regrette. J’ai fait une terrible erreur que je ne me pardonnerai jamais. Frappe-moi, si ça peut te soulager.
Elle allait le faire… Mais au moment où elle levait son bras pour le gifler, elle vit dans son regard qu’il était sincère. Elle laissa retomber son bras.
-Qu’attendez-vous de moi. Je ne suis plus capable de jouer. Chaque fois que je pense à Ka-san, ma vue se trouble et ma tête se vide. Je ne suis plus bonne à rien.
-Je vais te rendre ton contrat. Tu seras ainsi libérée de la Daito. Mais avant, j’ai une faveur à te demander. Je voudrais que tu joues une dernière pièce pour moi.
-Je viens de vous dire que j’en étais incapable !
-Même si c’est Ayumi-kun qui joue le premier rôle ?
-Ayumi joue dans cette pièce ?
Maya avait toujours rêvé de jouer sur la même scène qu’Ayumi. Si elle ne le faisait pas cette fois, elle n’en aurait plus jamais l’occasion.
-Donnez-moi le script. Je le ferai !
Ce n’était qu’un petit rôle, et Maya eut vite fait de le savoir par cœur. Dans la scène qu’elle partageait avec Ayumi, celle-ci lui donnait des gâteaux que Maya mangeait en disant qu’ils étaient délicieux. Son personnage s’appelait Toki et Ayumi jouait le rôle d’une princesse. Le jour de la représentation, les autres actrices, furieuse qu’on accordât une nouvelle chance à Maya, remplacèrent les gâteaux par des boulettes de boue. Lorsqu’Ayumi vit Maya, son cœur fit un bond dans sa poitrine.
Maya, enfin je te revois, et sur scène en plus. Je suis si heureuse !
Lorsque Maya ouvrit la boite contenant les gâteaux, elles virent avec horreur ce qu’elle contenait. Mais que faire ? Cette scène était fondamentale pour la suite, et Maya n’avait pas le choix. Elle mangea les boules de boue en disant que ces gâteaux étaient vraiment délicieux. Dès qu’elle sortit de scène, Masumi l’emmena rapidement aux toilettes pour lui faire recracher la boue qu’elle avait avalée. Les actrices qui lui avaient joué ce vilain tour n’en revenaient pas qu’elle ait fait ça. Ayumi arriva à ce moment-là.
-Vous pouvez la remercier, car elle a sauvé la pièce. Maintenant, disparaissez, vous me dégoûtez !
Elle entre dans les toilettes et Maya et elles se jettent dans les bras l’une de l’autre.
-Si tu savais, ma chérie, comme tu nous as manqué. Rei était morte d’inquiétude pour toi.
-Vous me pardonnez, dis ? Je ne pouvais plus jouer, je ne voulais plus voir personne. Je voulais disparaître… Mais là, quand j’ai joué Toki… Je la ressens encore dans toutes les fibres de mon corps. Je… Je veux rejouer encore !
Elle se tourne vers Masumi.
-Hayami-san, je dois vous remercier. En m’obligeant à jouer, vous m’avez fait retrouver ma raison de vivre. Merci infiniment.
-Je crois bien que c’est la première fois que tu me remercies, non ? Tiens, voila ton contrat. Tu peux le déchirer. Je ne te demanderai qu’une chose. Viens avec moi dans la voiture qui nous attend dehors. Tu viens avec nous, Ayumi-kun ?
-Et comment ! Pas question que je la lâche maintenant que je l’ai retrouvée !
La voiture les conduisit à l’ancien appartement de Maya, où Rei l’attendait devant la porte. Dès que Maya descend de la voiture, elle se précipite sur elle et la prend dans ses bras.
-Bon retour chez toi, petite sœur chérie. Je suis si heureuse, si tu savais !
-Saeko a ramené tes affaires ici. A-t-elle bien fait ?
Les trois filles lui répondent ensemble « Oui ! »
Sur le chemin du retour, Masumi songeait :
Merci, Ayumi-kun. Merci d’avoir fait ce qui m’est toujours interdit : la prendre dans mes bras et la réconforter…
-Dites, les filles, si vous veniez chez moi cette nuit ? On pourrait prendre un bain à trois, comme la dernière fois, non ?
-Ah non alors ! Vous allez recommencer à me gêner. Pas question !
-Mais non, on ne le fera pas, n’est-ce pas, Rei chérie.
-Tout à fait, mon amour. C’est promis !
Elles allèrent chez Ayumi, passèrent une excellente soirée et rirent beaucoup dans le bain. Pour ne pas gêner le couple de ses amies, Maya alla dormir dans la chambre d’ami la plus éloignée de leur chambre.
*Merci l’encyclopédie Wikipedia !

 

À suivre...
 

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