Un monde d'Arcs-en -ciel

Chapitre 3 : Duel

Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/01/2012 16:11

Chapitre 03 : Duel


                À treize ans, Ayumi avait quasiment atteint sa taille adulte et était déjà bien formée. C’était une très belle fille rousse aux yeux verts, couleurs qui étonnaient toujours lorsqu’on apprenait qu’elles étaient naturelles. Sans doute de lointains ancêtres vikings ? En plus de sa beauté, elle était douée dans de nombreux domaines, comme la danse, le piano, le théâtre, et, bien sûr, les études. Enfant, elle avait souffert de la notoriété de ses parents. Tous ses professeurs étaient aux petits soins pour elle et la favorisaient, ce qui énervait les autres élèves, jaloux d’un tel favoritisme. Elle se retrouvait alors écartée de leurs jeux et n’avait aucun ami. Elle se jura donc de tout faire pour sortir de l’ombre de ses parents, et lorsqu’à huit ans, elle joua pour la première fois le rôle principal dans une pièce, ce fut une révélation. Les applaudissements du public lui étaient destinés, pour sa propre prestation, et non parce qu’elle était la fille d’Himekawa Utako et Mitsugo.
Voilà le moyen d’être reconnue pour moi-même et non pas comme la fille de Papa et Maman. Je vais dès à présent consacrer tous mes efforts au théâtre. Et un jour, je serai plus célèbre que Maman !
C’est ce jour là qu’était née la passion qui allait guider toute sa vie.
À partir de ce jour,  elle intégra l’école de théâtre Ondine et s’y investit de toutes ses forces. Elle progressa si vite que les autres élèves, impressionnés par son talent, ne pouvaient que l’admirer de loin, n’osant se lier d’amitié avec elle. De toute façon, les garçons, qu’elle trouvait immatures et assez stupides, ne l’intéressaient pas. Quant aux filles, leur niveau était si bas qu’elle n’en voyait aucune susceptible de devenir son amie. Elle acquit ainsi une réputation de froideur et de fierté, voire de dédain, qui la faisait souffrir, mais dont elle ne pouvait se défaire. Jusqu’au jour où elle rencontra Maya…
                Comme elle l’avait promis, Maya retourna voir Chigusa. Elle était encore enthousiasmée par sa première expérience théâtrale, et en même temps désespérée de ne pouvoir, faute de moyen, intégrer une école de théâtre.
-Je ferai n’importe quoi pour entrer dans une école de théâtre. Je prendrai un emploi à mi-temps pour payer les frais s’il le faut !
-Et tu penses qu’aller au collège, travailler à mi-temps et en plus suivre des cours de théâtre vont te permettre de développer ton talent ? Être actrice est exigeant. Cela demande un investissement total. Es-tu prête à tout sacrifier pour être actrice ?
-S’il le faut, bien sûr. Je ne suis ni belle, ni intelligente, mais je sens que jouer est la seule chose que je saurais bien faire.
-Dans ce cas, suis-moi.
Elle emmena Maya à Tokyo dans un grand bâtiment, sur la façade duquel était inscrit École théâtrale Tsukikage. À l’intérieur se trouvait une salle immense, des miroirs et des barres d’exercices aux murs et un plancher de bois. Au premier étage, différentes salles pour les cours et au second étage, un dortoir pour les pensionnaires.
-À l’époque, j’ai été moi aussi une actrice, jusqu’à ce qu’un accident me défigure au-delà de toute chirurgie réparatrice et mette fin à ma carrière. Mais la passion du théâtre ne m’a jamais quittée, c’est pourquoi j’ai fondé cette école.
-Oba-san, non, Sen’seï, laissez moi rejoindre votre école. Je travaillerai pour payer les cours. Je vous en prie, acceptez-moi dans votre école.
-Alors tu n’as donc rien compris ? Que comptes-tu faire plus tard, travailler et abandonner le théâtre ?
-Non, jamais. Je veux être actrice. C’est mon seul rêve… Je veux être actrice !!
-C’est ce que je voulais entendre. Ne t’inquiète pas pour les frais. Je t’accorderai une bourse. Les cours commenceront dans trois semaines. Je peux compter sur toi ?
-Oui, je serai là. Quoiqu’il arrive, je viendrai, soyez en sûre.
Le problème allait être de convaincre sa mère. Comme elle s’y attendait, elle essuya un refus catégorique.
-Arrête donc de rêver. Tu n’as aucun talent de ce genre. Tu ferais mieux de te consacrer à tes études ! Une école de théâtre, et à Tokyo en plus ! J’aurais tout entendu !
-Mais, Ka-san, je suis sûre que ça, je saurai le faire bien.
-Il n’en est pas question. Je te l’interdis formellement !
Maya comprit alors qu’il n’y aurait qu’une seule solution : s’enfuir de la maison. Deux jours avant l’ouverture de l’école Tsukikage, une fois sa mère endormie, elle prit le strict nécessaire et, laissant un petit mot pour sa mère, elle quitta la maison. Elle marcha suffisamment pour être loin de la ville puis finit le trajet en car. Elle arriva de bon matin à l’école.
-Sen’seï, comme promis, me voilà. Laissez-moi être une de vos pensionnaires.
-Est-ce que ta mère est d’accord pour que tu restes ici ?
-B-Bien sûr. Je ne serais jamais venue sans son autorisation.
Elle ment, c’est évident. Mais je ne peux pas me permettre de laisser se gâcher un si grand talent. Je vais prendre le risque de la garder.
Chigusa amena Maya dans un petit salon pour la présenter aux autres pensionnaires.
-Les enfants, voici une nouvelle pensionnaire. Elle vient de Yokohama et se nomme Kitajima Maya. Soyez gentilles avec elle.
-E-Enchantée de vous rencontrer.
Les élèves se présentèrent une par une.
-Sawatari Mina, d’Hokkaido. Ravie de te rencontrer.
-Kasuga Taiko d'Hakata. Enfin une nouvelle tête !
-Minazuki Sayaka de Nagano. J’espère que nous serons amies !
-Aoki Rei de Tokyo, le plus vieux membre de la bande. C'est un plaisir de te rencontrer.
Maya fut troublée par cette dernière personne.
-Ah ! Aoki-sama !
Les filles éclatèrent de rire. Sayaka lui dit en riant encore :
-Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, Rei est une fille !
- Hein ? Quel dommage...
Rei était une grande jeune fille de seize ans, les cheveux brun coupés court et toujours vêtue d’un pull ample qui masquait ses formes et d’un jean. Malgré son visage fin et régulier, elle était immanquablement prise pour un garçon.  À la longue, elle s’y était habituée et s’amusait de voir les filles se pâmer devant elle. Les quatre pensionnaires, ayant déjà une expérience théâtrale, furent affectées à la classe “A”. Maya, qui était une parfaite débutante dut aller dans la classe “C”. Les cours commencèrent, et les maladresses de Maya faisaient bien rire les autres élèves. Ils se demandaient pourquoi Sen’seï avait accordé une bourse à une pareille empotée. Un jour, Haru, la mère de Maya, fit irruption dans l’école. Elle ordonna à Maya de la suivre pour rentrer à la maison.
-Non, Ka-san, je ne retournerai pas à la maison !
-Je vais te ramener à la maison même si je dois t’arracher pour ça !
Maya s’enfuit et s’enferme dans la cuisine. Haru la suit et Chigusa intervient.
-Je suis Tsukikage Chigusa. Je ne la laisserai pas partir avec vous. Vous n’avez pas compris le potentiel que possède Maya. Avec vous, elle étouffe et son talent ne s’épanouira jamais.
Maya était revenue et s’était réfugiée derrière Chigusa. Avisant une bouilloire remplie d’eau bouillante, Haru s’en saisit et menace de la jeter sur Chigusa. Devant le refus de bouger de celle-ci, elle la jette sur elle. Chigusa se retourne et protège Maya de son corps.
-Le visage d’une actrice est son bien le plus précieux. Si vous aviez atteint votre fille, sa vie aurait été ruinée.
Haru s’enfuit alors en criant qu’elle n’a plus de fille. Bouleversée, Maya se précipite en pleurant dans les bras de Chigusa. Une fois Maya calmée, Chigusa l’emmène dans un couloir où, dans une vitrine, se trouvaient trois masques anciens.
-Dans l’antiquité, les acteurs mettaient des masques pour jouer sur scène. Voici ceux des trois émotions primaires : le rire, la colère et la tristesse. Avec ces trois masques seulement, on peut déjà jouer une pièce. Mais il existe des milliers d’autres masques : jalousie, joie, admiration, dégoût... Tu les as tous en toi. Maya, tu es la fille aux mille masques.
-La fille aux mille masques ?
Deux jours plus tard, un colis arrive à l’école. Il contient du linge de rechange pour Maya ainsi qu’une lettre d’Haru. Dans cette lettre, elle s’excuse de son attitude, lui confie Maya et lui demande de lui donner des nouvelles d’elle de temps en temps.
-Genzo, allez brûler ce colis.
-Mais, Madame…
-Faites-le ! Maya doit rompre totalement avec son passé. Si elle a un endroit où se réfugier en cas de difficulté, elle ne progressera jamais. C’est sans doute cruel, mais c’est pour son bien.
Genzo était le serviteur de Chigusa depuis plus de vingt ans. Il lui était entièrement dévoué, et, plus qu’un serviteur, c’était aussi son confident, parfois son conseiller, mais surtout son ami. Avec un peu de regret, il obéit à sa maîtresse.
         Yuu, qui avait eu le coup de foudre pour Maya, s’était mis à sa recherche et avait fini par la retrouver à l’école de théâtre Tsukikage. C’est lui qui apprit à Ayumi que Maya étudiait le théâtre avec la célèbre Tsukikage-sen’seï. Un soir, alors que Masumi et Onodera rendaient visite à ses parents, elle entendit parler pour la première fois de La Nymphe Écarlate.
-Maman, qu’est-ce que La Nymphe Écarlate ?
-C’est une pièce mythique autrefois jouée par Tsukikage-sen’seï. Comme elle en possède les droits exclusifs, aucune actrice après elle n’a été autorisée à jouer ce rôle.
Onodera, comme à son habitude, mit son grain de sel.
-Il semble qu’elle veuille former elle-même l’actrice qui lui succèdera. Mais elle se fait des illusions. Nous obtiendrons les droits de production, et c’est vous, Utako-san, qui jouerez La Nymphe Écarlate.
Alors elle veut former l’actrice qui jouera ce rôle. Mais qui ? Kitajima Maya ? Il faut que j’aille m’en assurer. Yuu m’a dit qu’ils feraient un exercice demain. J’irai voir de quoi elle est capable. La Nymphe Écarlate, c’est moi qui la jouerai !
L’exercice en question consistait à jouer sur scène en n’utilisant que quatre mots : « oui, non, merci et désolé ». La difficulté était de n’employer ces mots qu’à bon escient. Tout autre mot ou tout emploi inapproprié était éliminatoire. L’exercice commença et plusieurs élèves se firent éliminer très rapidement par l’assistant de Chigusa qui opérait sur scène. C’est alors qu’Ayumi pénétra dans la salle. Elle se dirigea vers Chigusa pour se présenter.
-Je m’appelle Himekawa Ayumi. Ma mère Utako m’a dit que vous avez été sa sen’seï. M’autorisez-vous à assister à cet exercice ?
-Bien volontiers. Je me souviens bien d’Utako. Une élève particulièrement douée.
-Si ce n’est trop demander, pourrais-je prendre la place du sen’seï sur scène ?
-Bien sûr. Cela ne pose aucun problème. Je vais te choisir une élève.
Un frisson parcourut tous les élèves. Qui oserait affronter Himekawa Ayumi, le jeune prodige du théâtre ? Chigusa, qui avait remarqué qu’Ayumi fixait Maya, vit là une occasion de tester son talent face à une telle adversaire.
-Maya, monte sur scène.
-M-Mais… Sen’seï, je ne suis qu’une débutante et…
-Dépêche-toi de monter sur scène !
Ayumi était ravie. C’est effectivement Maya qu’elle voulait comme adversaire. Ayant souvent pratiqué cet exercice, elle ne doutait pas de faire chuter Maya très vite. Elle attaqua d’entrée de jeu. La scène se passait dans la maison d’Ayumi, qui recevait Maya.
-Puis-je vous offrir du café ou du thé ?
-Non… Merci.
-Vous n’aimez ni l’un ni l’autre. Alors du lait ?
-Oui.
-Combien de sucres ?
-Non.
Le jeu continua ainsi pendant une heure. À chaque question piège que posait Ayumi, Maya trouvait la réponse adéquate. Les élèves de la classe encourageaient bruyamment Maya.
Cette fois, tu ne t’en tireras pas !
-Aimez-vous la musique ? J’en ai ici de plusieurs genres.
-Oui.
-Dites-moi quel genre de musique vous préférez et je la mettrai.
Cette fois, Maya était coincée. Aucun des quatre mots ne convenait pour répondre. Elle réfléchit rapidement, puis se lève et se dirige vers le meuble qui est censé contenir les CD de musique. Elle mime une personne qui cherche un disque, puis le trouve. Elle prend le CD invisible et le tend à Ayumi.
-Merci.
Chigusa frappe dans ses mains pour indiquer la fin de l’exercice. Les élèves se précipitent pour féliciter Maya. Celle-ci en est profondément émue.
Tout le monde est devenu si amical avec moi. Je suis si heureuse d’être dans cette troupe ! Ça me fait sentir qu'il y a une chose que je peux bien réussir.
En partant, Ayumi dit à Chigusa :
-Tsukikage-sen'seï, j'ai hâte de voir votre troupe de développer.
Dans la voiture qui la ramène chez elle, Ayumi réfléchit à ce qui venait d’arriver.
Je n’avais jamais été battue à ce jeu. Elle m’a tenu tête jusqu’au bout. Ce sera sans doute elle ma rivale pour La Nymphe Écarlate. Mais je ne baisserai pas les bras. Kitajima Maya, nous nous affronterons très certainement encore.

 

À suibre...
 
 

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