Un monde d'Arcs-en -ciel

Chapitre 2 : La rencontre

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Dernière mise à jour 29/01/2012 11:39

Chapitre 02 : La rencontre


                Quelques jours plus tard, le collège de Maya préparait son festival annuel. Sa classe devait jouer une pièce, et il manquait une fille pour compléter la distribution. Le sen’seï* demanda alors que quelqu’un se porte volontaire. Une des filles de la classe proposa Maya.
-Pourquoi ne pas prendre Kitajima Maya ? Elle est plutôt douée pour imiter les personnages des dramas ou des films qu’elle a vus.
Les élèves de la classe applaudirent à cette proposition et Maya se retrouva enrôlée d’office sans même l’avoir demandé. La pièce parlait d’un prince qui, pour trouver une épouse, eut l’idée de se faire passer pour un condamné à mort qui serait gracié si une jeune fille acceptait de l’épouser. Seule une fille au cœur noble ferait ce sacrifice pour sauver une vie humaine, c’est ce que pensait le prince. Mais avant que l’héroïne ne se propose, Bibi, l’idiote du village acceptait d’épouser le condamné, si elle convenait. Bien entendu, le prince déclinait cette offre.
« Je préfère mourir plutôt que d’épouser cette chose pitoyable ! »
Suivait alors un monologue dans lequel Bibi exprimait son désespoir. Le sen’seï, plein de bonne volonté, mais pas très doué en la matière, pensa faire de cette pièce une aimable comédie qui divertirait les parents d’élèves. Le lendemain, le sen’seï indiqua la distribution. Le rôle de Bibi fut attribué à Maya. En regardant le script, elle vit que c’était le rôle le plus profond de la pièce. Elle se trouvait dans le parc quand elle vit arriver Chigusa. Elle lui montra le script en lui disant quel rôle elle devait interpréter.
-C’est le rôle le plus difficile et le plus délicat. Il demande beaucoup de finesse, et je suis certaine qu’aucune élève de ta classe n’aurait pu l’interpréter correctement. Mais toi, et toi seule, tu seras capable de le faire. Une fois sur scène, tu ne seras plus Maya, mais tu porteras le masque de Bibi. Tu seras Bibi.
Quand sa mère apprit quel rôle jouerait Maya, elle n’en fut pas étonnée. Comment aurait-on pu donner un rôle sérieux à une bonne à rien comme elle !
-Ka-san, je sais que je ne fais rien de bien, mais ça, je sens que j’y arriverai. Tu viendras me voir, hein ? Tu le promets ?
-Mais oui, je viendrai. Allez, dors maintenant.
Vers le milieu de la nuit, Maya se leva, et en faisant le moins de bruit possible, apprit tout son texte. Aussi finit-elle par s’endormir en classe, ce qui fit bien rire tous ses camarades.
À la répétition, le sen’seï insista pour que le monologue de Maya fut dit d’un ton léger, de façon à faire rire le public.
Sen’seï se trompe. Il est impossible de faire rire avec ces mots. C’est le cri de désespoir d’une âme profondément meurtrie. Si ce n’est pas dit avec le ton juste, cela ne produira aucun effet. Tant pris ! Je me ferai incendier après, mais je l’interpréterai à ma façon.
Le jour du festival arriva et cinq minutes avant la représentation, Haru, sa mère, n’était toujours pas là. Maya en ressentit une peine immense, mais le rideau allait se lever, et il n’était plus temps de s’apitoyer sur elle-même. Elle allait entrer sur scène, et elle ne serait plus Maya, mais Bibi. Au début, elle fit bien rire le public avec ses pitreries. Puis vint la scène principale.
-Sa Majesté, dans sa grande bonté, accordera sa grâce à ce criminel si une jeune fille veut bien, en l’épousant, racheter ses péchés.
Bibi s’avance et dit :
-Je suis laide, et stupide et je n’ai pas de robe de mariée, mais si je conviens, je veux bien l’épouser.
-Je préfère mourir que d’épouser cette chose pitoyable !
Bibi s’approche du prisonnier et lui prend le visage entre ses mains.
-Vous préfèreriez mourir plutôt que de m’épouser ?
-Oui, et plutôt deux fois qu’une !
Le moment crucial était arrivé. Maya se relève, fait face au public et pousse un cri déchirant dans lequel on pouvait sentir toute la peine et le désespoir de Bibi. Pétrifié, le public retient son souffle.
-Si je suis stupide, laide et pitoyable... Ce n'est pas de ma faute ! Ah... Est-ce que m'épouser est vraiment pire que la mort ? Je savais que vous diriez ça, et pourtant je l'ai demandé. Depuis... Depuis ma naissance, j'ai pris l'habitude d'être la risée de tous. Mais jamais je n'ai été aussi humiliée que ça.
Elle se jette à terre, et le visage enfoui dans ses bras, elle dit :
-Je voudrais mourir… Pourquoi ai-je vécu jusqu'à présent ?
Puis elle éclate en sanglots. Dans le public, plusieurs personnes essuient furtivement des larmes. Dans les coulisses, le sen’seï est catastrophé. Au moment où il croit que la pièce est un fiasco, un tonnerre d’applaudissements retentit. Le public, complètement conquis, fait une véritable ovation à Maya. Dans le fond de la salle, Chigusa jubile.
Je ne m’étais pas trompée. Son interprétation de Bibi était fabuleuse. Sur scène, elle est réellement devenue Bibi et a trouvé d’instinct le juste ton. Maya, tu es la fille aux mille masques !
Après le spectacle, le sen’seï enguirlanda copieusement Maya, mais en lui-même, il reconnut que c’est elle qui avait raison. Haru, ne voulant pas voir sa fille ridiculisée sur scène avait renoncé à aller la voir. Aussi fut-elle étonnée lorsque des voisines, qui avaient vu la pièce lui dirent que Maya avait eu un franc succès.
Cette fille… C’est sûrement une erreur. Ce sont les autres qu’on a applaudis. Comment une bonne à rien comme Maya pourrait-elle avoir ce genre de talent ?
Après la représentation, Maya était encore toute excitée. Être montée sur scène, avoir été longuement applaudie et sentir encore dans toutes les fibres de son corps la présence de Bibi !
C’est une expérience extraordinaire. Je l’ai fait, j’ai réussi à incarner Bibi ! Non, sur scène, j’étais Bibi. Je veux encore jouer, ressentir les mêmes sensations, devenir encore quelqu’un d’autre… Mais je ne connais rien au théâtre. Il faudrait que je suive des cours.
Le lendemain, en revenant d’une livraison, une affiche attira son attention.
« L’école de théâtre Ondine recrute des élèves. » Voilà ce qu’il me faut. J’irai voir demain pour me renseigner.
Elle se rendit donc à Tokyo après les cours et arriva à l’école Ondine. À la réception, elle apprit avec effarement les conditions d’admission.  Des tests à passer, et en cas d’acceptation, payer les droits d’inscription et six mois de cours d’avance. Pour Maya, cela représentait une somme astronomique qu’elle ne pourrait jamais se procurer.
Inutile de rêver. Jamais Ka-san ne pourra me payer une telle école. Déjà qu’on s’en sort à peine avec les frais du collège ! Ce genre d’école n’est pas pour moi…
Elle allait repartir lorsqu’elle entendit la voix d’un homme. Cela venait d’une pièce dont la fenêtre était ouverte.
-Non, tes yeux ne rient pas. Combien de fois faudra-t-il te le répéter ?
Avisant deux caisses en bois qui traînaient à proximité, Maya les empila pour monter au niveau de la fenêtre. La curiosité était la plus forte. Elle voulait voir à quoi ressemblait un cours d’art dramatique. Seul le haut de sa tête dépassé, et certains élèves la remarquèrent. Maya resta ainsi suspendue à la fenêtre deux heures durant, faisant en même temps que les élèves tous les exercices que leur demandait le sen’seï. Soudain, un grognement sourd la fit se retourner. Un doberman, oreilles baissées et babines retroussées s’apprêtait à lui bondir dessus. De peur, Maya tomba de son fragile échafaudage de caisses. Un élève sauta par la fenêtre pour lui porter secours, et arrêta le chien en rattrapant sa laisse. Entre temps, Masumi était arrivé et, soulevant Maya de terre, la porta à l’infirmerie pour lui faire soigner une blessure à la jambe. En le voyant, Maya sentit à nouveau son cœur battre plus vite.
-Dieu merci, cela n’est pas bien grave.
-Je vous remercie, Hayami-san.
À ce moment, le jeune homme qui avait arrêté le chien arriva à l’infirmerie.
-Merci de m’avoir sauvée.
-Alors tu es resté pendue deux heures à cette fenêtre pour nous observer ?
Deux heures, uniquement pour voir une leçon de théâtre ? Quelle passion anime cette Chibi-chan ? Tsukikage-san aurait-elle raison ?
Onodera arriva à son tour pour récupérer Masumi.
-Tiens, comme on se retrouve, Kitajima-kun ! Masumi-kun, il serait temps d’y aller.
-Très bien. Porte-toi bien, Chibi-chan !
-Au revoir, Hayami-san, et merci encore.
Onodera et lui quittèrent la pièce, devant les élèves curieux, agglutinés devant la porte de l’infirmerie.
-Puisque tu veux nous voir travailler, pourquoi ne pas venir dans la salle. Au fait, je m’appelle Yuu, Sakurakouji Yuu. Mais appelle-moi seulement Yuu, ce sera plus simple.
-Euh… Et moi Maya, Kitajima Maya. Encore merci pour tout à l’heure.
-De rien, Maya-chan. Viens, je vais te présenter aux autres.
Les élèves réservèrent un accueil froid à Maya. Comment cette gamine pouvait-elle connaître à la fois Hayami-sama et Onodera-sen’seï ? Lorsque le sen’seï annonça l’exercice de pantomime, l’une des filles lui demanda :
-Sen’seï, faites-le donc effectuer par cette fille, puisqu’elle veut intégrer notre école.
-Hein, mais je n’ai jamais…
Yuu intervint pour éviter cette épreuve à Maya.
-Laissez-la tranquille. Je ne l’ai pas invitée à venir pour qu’elle passe un test !
-Euh, Yuu-kun, c’est quoi une pantomime ?
-C’est une scène que tu dois jouer sans dire un seul mot. On doit comprendre uniquement avec les gestes. Mais tu n’es pas obligée…
-Laisse, je veux essayer.
-Il s’agit d’un oiseau qui s’échappe de sa cage lorsque tu vas le nourrir. Il vole dans la pièce et tu le poursuis jusqu’à ce que tu le rattrapes. Vas-y !
Dans le fond de la salle, une élève observait attentivement Maya. Ayumi avait un étrange pressentiment. Cette fille, banale en apparence l’intriguait. Elle sentait en elle quelque chose d’indéfinissable. Maya ferma les yeux quelques secondes pour se concentrer. Lorsqu’elle les rouvrit, elle n’était plus dans la salle avec les élèves, mais dans une pièce où se trouvait une table basse sur laquelle était posée la cage à oiseau, à droite une commode et à gauche un haut buffet. Elle se dirigea vers la table basse, ouvrit la cage et l’oiseau en sortit. Aux mouvements seuls de ses yeux, on pouvait suivre le vol de l’oiseau. Il se posa d’abord sur la commode, puis se percha sur le buffet. Maya s’arrêta en regardant le haut du buffet et resta immobile.
-Alors, qu’attends-tu pour l’attraper ?
-Mais… il est trop haut et je n’arriverai pas à l’atteindre !
Tous les élèves, sauf Ayumi et Yuu éclatèrent de rire. Apparemment, Ayumi était la seule à avoir vraiment vu aussi bien l’oiseau que le mobilier de la pièce.
C’est incroyable ! Et c’est la première fois qu’elle fait une pantomime. Elle doit avoir un talent inné remarquable. Si un jour elle monte sur scène, elle sera une rivale redoutable. Oh, que j’aimerai bien avoir enfin une vraie rivale !
-Sen’seï, permettez-moi de terminer la pantomime.
Ayumi s’approcha de Maya, se souleva sur ses deux pieds, et elle fit se poser l’oiseau sur son index dressé. Enfin, elle le mit dans la cage et referma la porte. Maya était confuse. Ayumi-san, que tout le monde considérait comme un génie, avait assisté à sa pitoyable prestation. Elle eut honte d’elle-même et s’enfuit précipitamment de la salle. Tout le monde applaudit le jeu d’Ayumi, sans se rendre compte que celui de Maya était au moins égal. Ils ricanaient et se moquaient du jeu de Maya.
-Quelle empotée. Rester immobile au lieu d’attraper l’oiseau !
-Elle doit être vraiment stupide !
-C’est vous qui êtes stupides. Cette fille faisait une pantomime pour la première fois, et elle y a mis tout son corps et son cœur, au point que ce n’était plus un jeu d’acteur, mais la réalité. C’est pourquoi elle n’a pas pu attraper l’oiseau. Remerciez le ciel qu’elle ne soit pas dans la troupe, sinon vous en seriez réduites à jouer les utilités.
En rentrant chez elle, Ayumi pensait encore à Maya. Comment une fille d’allure aussi ordinaire pouvait dans son corps fluet contenir une telle puissance, une telle présence. Elle pressentait qu’elle aurait encore affaire à elle à l’avenir.


*Sen’seï : substantif ou suffixe : professeur, maître

 

À suivre...
 

 

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