Un monde d'Arcs-en -ciel

Chapitre 1 : Le don de Maya

Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/01/2012 09:52

Chapitre 01 : Le don de Maya

        
« Je m’appelle Maya, Kitajima Maya. Aujourd’hui, je fête mes treize ans. J’espère que Ka-san* a pensé à me faire un gâteau ! Tô-san est mort quand j’avais cinq ans, et depuis, je vis avec Ka-san dans un petit appartement au dessus du restaurant chinois où elle travaille. »
               Maya semblait être une jeune fille tout à fait ordinaire. De petite taille, mince, un visage qui n’attirait pas l’attention et uneintelligence moyenne. Rien qui la distinguât des autres filles de sa classe. Elle était en quatrième au collège et ses résultats, sans être mauvais, n’étaient pas très brillants. Plutôt timide et maladroite, elle était traitée de bonne à rien tant par sa mère que par les patrons du restaurant et même par leur fille Sugiko ! Après l’école, elle aidait au restaurant en livrant les ramens et autres plats commandés. Pourtant, dès qu’elle passait devant le magasin d’électronique où des téléviseurs étaient en vitrine, s’ils passaient un film ou un drama, elle s’arrêtait immanquablement pour le regarder. De nombreuses commandes furent ainsi non-livrables pour avoir trop tardé. En effet, Maya était passionnée par tout ce qui était spectacle, et elle était capable d’imiter à la perfection le jeu des acteurs qu’elle n’avait vus qu’une seule fois. Cette mémoire, quasi photographique lui permettait de retenir non seulement les dialogues de tous les personnages, mais également jusqu’au moindre de leurs gestes. Malheureusement, cette mémoire ne fonctionnait qu’avec le théâtre ou le cinéma, mais pas avec ses matières scolaires, particulièrement les mathématiques qu’elle détestait cordialement.
             Régulièrement, elle se rendait au parc près du port de Yokohama, où elle racontait aux enfants le dernier épisode du drama de la veille. Elle jouait si bien tous les personnages que les enfants en étaient ravis et en redemandaient. C’est là qu’elle rencontra un jour une grande femme brune, toute de noir vêtue. Elle avait vu Maya interpréter plusieurs personnages, changeant chaque fois sa voix et ses attitudes, et son cœur s’était mis à battre plus vite.
Aurais-je enfin trouvé celle que je cherche depuis si longtemps ? Cette fille possède un potentiel dont elle n’a sûrement pas idée. Peut-être l’ai-je enfin trouvée. Je dois m’en assurer.
S’approchant de Maya, elle la félicita pour sa prestation, et elle eut tôt fait de connaître son nom et l’endroit où elle habitait.
-Il faudrait qu’un jour tu voies une vraie pièce de théâtre. Cela n’a rien à voir avec les films qui passent habituellement à la télévision, et encore moins avec les dramas. Je suis certaine que tu trouveras cela bien plus enrichissant.
-Sans doute, vous devez avoir raison, mais je n’en ai jamais encore eu l’occasion.
L’idée de voir une vraie pièce de théâtre lui trotta dans la tête. Si seulement elle avait les moyens de se payer un billet ! Malheureusement, il n’était même pas question d’en parler à sa mère, pour qui ce genre coûteux de distraction semblait parfaitement inutile. La veille du jour de l’an, elle vit dans le journal que La Dame aux Camélias serait prochainement jouée au théâtre Daito, avec dans le rôle principal la célèbre actrice Himekawa Utako.
-Si seulement je pouvais aller la voir ! Malheureusement, le billet doit être hors de prix !
Sugiko l’avait entendue et s’approcha d’elle. Elle tenait à la main un billet de théâtre, et pas n’importe lequel !
-C’est ce billet que tu aimerais avoir ? Je veux bien te le donner, mais à une condition : que tu fasses toutes les livraisons du réveillon à ma place.
-D’accord, je les ferai toutes. Mais tu promets de me donner ce billet après ?
-Oui, mais seulement si toutes les livraisons sont faites avant les douze coups de minuit. Si une seule commande n’a pas pu être livrée, tu ne l’auras pas.
Une véritable course contre la montre commença alors pour Maya. Il lui fallait livrer une centaine de commandes, seule et à pieds, aux quatre coins de la ville et ce, en moins de quatre heures. Pour tout autre chose, Maya eut baissé les bras. Mais là, il s’agissait d’une pièce qu’elle désirait voir de toutes ses forces. Elle y mit donc toute sa volonté, toute sa hargne et sa détermination. Au prix d’efforts surhumains, elle réussit à livrer la dernière commande quelques secondes avant que ne retentissent les sirènes du port saluant la nouvelle année. Épuisée, elle retourna au restaurant où elle pensait retrouver Sugiko. Mais celle-ci était partie avec son petit ami admirer sur le port le feu d’artifice du nouvel an. Malgré sa fatigue, elle s’y rendit aussitôt.
-Toutes les commandes ont été livrées avant minuit. Alors, tu veux bien me donner le billet ?
Le petit ami de Sugiko s’étonna de cette demande.
-Hé, mais je croyais qu’on devait y aller ensemble !
Sugiko n’en croyait pas ses oreilles. Elle pensait avoir trouvé un moyen commode et sans risque d’échapper à la corvée des livraisons. Jamais elle n’aurait imaginé que Maya parviendrait à les livrer toutes à temps. Elle prit le billet entre le pouce et l’index et l’éleva au dessus de sa tête.
-Puisque tu y tiens tant, viens donc le chercher !
Disant cela, elle écarta suffisamment les doits pour que le billet soit emporté par le vent. Il s’envola et après un petit vol plané tomba dans l’eau du port.
-Oh, désolée ! Je n’ai pas fait exprès. De toute façon, cette pièce n’était pas faite pour une bonne à rien comme toi…
Sans réfléchir, Maya enjamba le parapet et plongea dans l’eau glacée. Après une courte nage, elle arriva à saisir le billet.
Enfin, il est à moi. Je vais pouvoir aller voir une vraie pièce de théâtre !
Le théâtre Daito se trouvait à Tokyo, à 30 km au nord de Yokohama. Pour excuser la conduite grossière de sa fille, la patronne du restaurant offrit à Maya non seulement le prix du transport mais également de quoi manger dans un restaurant. Le jour tant attendu arriva enfin et Maya se rendit au théâtre pour y voir La Dame au Camélias. Le théâtre semblait immense et Maya se sentit un peu perdue. Un jeune homme vit son embarras et s’avança vers elle. Il était de grande taille, les cheveux châtain et les yeux noisette. Il portait un élégant costume trois pièces bleu-pétrole, visiblement fait sur mesure par un grand couturier européen, et qui avait dû coûter une petite fortune. Avec un sourire qui faisait des ravages dans la gent féminine, il lui demanda :
-Puis-je vous aider, Ojô-san* ?
-Euh… Oui. J’ai du mal à trouver ma place…
Levant les yeux, elle vit son interlocuteur. Et, pour une raison inconnue, elle sentit son cœur battre plus vite et plus fort. Mais elle n’arriva pas à comprendre pourquoi. En se retourna, il appela une ouvreuse.
-Veuillez indiquer à cette jeune fille l’emplacement de son fauteuil.
-Volontiers, Hayami-sama.
Il les accompagna jusqu’à destination, et quand Maya fut installée, il prit congé.
-Profite bien du spectacle, Chibi-chan* !
Après son départ, l’ouvreuse apprit à Maya que cet aimable et beau jeune homme s’appelait Hayami Masumi, et qu’il dirigeait pour son père la société Daito. Ce théâtre, ainsi que la plupart des théâtres et cinémas de Tokyo appartenaient à cette société, qui produisait les plus grands spectacles de la ville. Des commentaires dans le public attirèrent l’attention de Maya. Deux personnes venaient d’entrer. Il s’agissait d’Himekawa Mitsugo, célèbre réalisateur de films et de sa fille Ayumi. Maya connaissait Ayumi de nom, mais ne l’avait jamais vue.
Qu’elle est belle ! Si raffinée et élégante, une vraie princesse ! Dire que nous avons le même âge et qu’elle est déjà une actrice renommée… et moi qui ne suis qu’une bonne à rien…
Enfin les lumières s’éteignirent et le rideau se leva. Durant toute la pièce, Maya ne put détacher son regard de la scène. Chaque dialogue, chaque geste des acteurs, leur attitude, leur position sur scène, tout s’imprimait automatiquement dans sa mémoire. Encore envoûtée par le spectacle, elle était restée assise sur son siège, bien après que les spectateurs fussent partis. Une ouvreuse vint la tirer de sa rêverie.
-Ojô-san… Ojô-san ! La pièce est terminée. Vous devriez sortir avant que le théâtre ne soit fermé.
À regret, Maya quitta la salle, sans remarquer dans l’ombre, au fond de la salle, une grande femme brune vêtue d’une longue robe noire. Quelques jours plus tard, Maya fut envoyée faire une livraison un peu particulière.
-La cliente nous offre 10.000 ¥ pour un bol de ramen. Elle a insisté pour que ce soit Maya-chan qui le livre. C’est un peu loin, mais ça en vaut la peine.
Effectivement, cette cliente habitait le quartier résidentiel sur les hauteurs de la ville. C’était dans un grand hôtel particulier, et avant qu’elle ait sonné, un majordome ouvrit la porte.
-Entrez, Ojô-sama, Madame vous attend.
Dans le salon, Maya retrouva avec surprise la femme qu’elle avait rencontrée au parc.
-Alors, Maya, es-tu allée voir une pièce, comme je te l’avais recommandé ?
-Oh oui ! Je suis allée voir La Dame au Camélias. C’était merveilleux !
-Tu veux bien me raconter l’histoire ?
-Volontiers, Madame… euh, Madame…
-Oh, pardonne-moi, je ne me suis pas encore présentée ! Je m’appelle Tsukikage Chigusa.
         Sur la route, Masumi, en compagnie d’Onodera, se rendait à la résidence Tsukikage. Onodera était un célèbre metteur en scène, mais un individu parfaitement méprisable. Fourbe, menteur, près à toutes les bassesses pour atteindre ses buts, il était si apprécié par Hayami Eisuke, le père de Masumi, qui voyait en lui une sorte d’alter-ego, qu’il était devenu le metteur en scène attitré de la société Daito. Ils se rendaient chez Tsukikage Chigusa pour tenter, une fois de plus, de négocier les droits de production de la mythique pièce La Nymphe Écarlate, droits dont Chigusa avait l’exclusivité. En chemin, Onodera demanda :
-Vous croyez que la vieille bique va se laisser fléchir cette fois ?
-C’est la raison de votre présence, Onodera-san.
-Je vois. Vous avez besoin de moi pour que j’encaisse les coups. Pas bête, mais je doute que ça puisse marcher. Cette vieille folle est plus têtue qu’une mule !
Masumi méprisait cordialement Onodera. Il l’avait déjà vu à l’œuvre, et les procédés de l’individu le dégoûtaient. Lui-même n’était pourtant pas un ange ! Lorsqu’ils arrivèrent, Maya était en train de jouer pour Chigusa une scène de La Dame aux Camélias. Chigusa était enchantée. Ce qu’elle voyait confirmait bien ce qu’elle avait ressenti dès leur première rencontre.
C’est elle ! Il n’y a plus aucun doute. C’est la fille que je recherche depuis plus de vingt ans. La seule qui pourra un jour reprendre ce rôle.
Maya reconnut aussitôt le jeune homme qui l’avait aidée au théâtre.
-Ha-Hayami-san ?
-Tiens, Chibi-chan, tu es là ?
-Tu connais cette fille, Masumi-kun ?
-Oui, je l’ai rencontrée au théâtre et je l’ai aidée à trouver son siège.
-Ce n’est pourtant pas ton genre d’aider les jeunes filles en détresse !
Onodera, qui avait assisté à une partie de la scène jouée par Maya, se permit de donner son avis.
-Sa diction, ses attitudes, ses gestes, tout est faux ! Cette fille n’a aucun don d’actrice. Vous perdez votre temps, Tsukikage-san.
Maya prit brusquement conscience de l’heure, et pour ne pas se faire enguirlander d’avantage par sa mère, décida de rentrer.
-Euh… Il faut vraiment que j’y aille, Tsukikage-san, sinon je vais me faire gronder.
-Vas-y, Maya. Mais promets-moi de revenir me voir, d’accord ?
-Avec plaisir, Oba-san*. À bientôt.
Après le départ de Maya, Chigusa se tourna vers les deux hommes.
-Vous avez raison sur un point. Cette fille est une parfaite novice. Pourtant, vous savez, Onodera-san, Masumi-kun, elle a retenu les dialogues, la mise en scène et le moindre mouvement du plus petit rôle d’une pièce de trois heures et demie qu’elle n’a vue qu’une seule fois !
Masumi n’arrivait pas à le croire. Comment une fille d’allure aussi banale pouvait avoir une telle capacité ? Cela relevait du mystère. Chigusa ajouta :
-Cette fille est un véritable phénomène, Vous verrez, vous entendrez parler de Kitajima Maya.


*Pour les néophytes : Ka-san (Oka-san) : Maman, Mère ; Ojô-san : Mademoiselle ; Chibi-chan : Petite fille ; Oba-san : Tante (ici, Madame)

 

À suivre...
 
 

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