Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
7 août 2006, 9 h 00.
Vêtue d’une longue robe blanche, je suis au salon, assise sur le canapé, en train de tricoter un chandail à manches courtes pour moi. Des coups discrets se font entendre à la porte. Jim, assis à mes côtés, se lève rapidement et accourt vers la porte d’entrée. Il demande à son interlocuteur la raison de sa visite. Intriguée, je me lève de mon canapé pour le rejoindre. C’est Todd Darger. Il est vêtu d’un complet bleu marine, d’une chemise blanche et d’une cravate bleu foncé. Je trouve vraiment bizarre qu’il soit ainsi habillé, lui qui est habituellement plus décontracté. De sorte que je me demande bien la raison de sa visite. Mais ça doit être sérieux, pensé-je.
Il regarde alternativement Jim et moi puis murmure :
— Désolé de ne pas m'être annoncé…
Jim réplique d’un ton chaleureux :
— Ce n’est pas grave, Todd… Entre amis, tu es toujours accueilli à bras ouverts…
Un petit sourire au coin des lèvres, notre voisin murmure d’une voix rauque :
— Merci, Jim et Melinda…
Il s’éclaircit la gorge puis continue d’un ton sérieux :
— Je dois vous communiquer certaines informations vous concernant directement…
J’interviens :
— Viens, entre ! On serait mieux à l’intérieur !
Nous le laissons entrer et Jim l’accompagne jusqu’au salon. Je referme la porte et j’envoie Jack et Christopher jouer dans leur chambre. Je reviens aussitôt au salon. Jim et moi sommes assis sur un canapé, côte à côte ; Todd sur l’autre canapé.
Notre voisin s’éclaircit la gorge puis dit d’un ton sérieux :
— Jim et Melinda, mes amis, je dois vous dire qu’un danger imminent semble vous guetter…
Je me tords les mains, un peu nerveuse et tendue en imaginant Dieu sait-quoi. Mon époux fait un signe rotatif de sa main.
Todd poursuit :
— Je l’ai compris dans une série de rêves depuis ces dernières nuits… Je vous résume… Il y a cinq signes qui doivent se réaliser…
Jim l’interroge, les sourcils froncés :
— Par rapport à nous ?
Todd répond :
— Exactement… Ils sont les suivants, à savoir…
Il énumère une liste avec ses doigts élégants :
— Un, l’abeille qui saigne…
Il me semble que j’ai déjà entendu parler de l’abeille qui saigne. C’était avec le professeur Payne, si ma mémoire ne me trompe pas… Je tremble malgré moi, en serrant nerveusement la main de Jim, qui m’enlace aussitôt comme pour me rassurer.
Notre voisin continue :
— Deux, le retour d’un défunt…
Je pense, perplexe : « Ne s'agirait-il pas de l’apparition de Mary… lorsqu’elle m’a expliqué… les circonstances… de sa mort ? » Je cligne des yeux pour réprimer les larmes qui me montent aux yeux à ce douloureux souvenir.
Il poursuit :
— Trois, la colombe morte…
Je pense, encore plus inquiète : « Le professeur Payne a raison ! La mort du pauvre oiseau est un signe ! Ah, mon Dieu ! Protège-nous ! »
Todd continue :
— Quatre, le retour de l’oublié et cinq, la mort d’un proche…
Il fait une courte pause silencieuse, puis reprend, en regardant alternativement Jim et moi : — Je comprends que trois de ces signes se sont déjà réalisés et que deux sont à venir… Maintenant, tentons de les interpréter…
Jim intervient :
— Je te suggère de faire appel à mon… euh… désolé… à notre… ami le professeur Richard Payne… Il est professeur d’Anthropologie des sciences occultes… à l’Université Rockland…
Todd lève timidement sa main droite pour demander pourquoi. Mon mari lui explique que notre ami universitaire a une vaste connaissance dans le domaine de la symbolique et des croyances anciennes, ce qui pourrait nous aider dans notre interprétation des cinq signes. Notre voisin accepte cette aide. Les yeux brillants d’une lueur joyeuse, mon époux se lève du canapé sur lequel il était auparavant assis et téléphone à Richard Payne.
Il revient à sa place initiale et commente :
— Le professeur arrivera dans quelques minutes…
Todd confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
Et voilà qu’au bout de quelques minutes, qui me semblaient être des secondes tellement le temps passe vite pour moi, le professeur Payne devant notre porte. Mon mari la lui ouvre et l’invite à s’asseoir sur un fauteuil à côté des canapés. Jim en profite pour le présenter à Todd et pour présenter Todd à Richard. Ce dernier est en complet brun cravate avec une chemise blanche. Et je remarque qu’il a apporté un sac à dos bleu marine avec lui, qu’il dépose sur ses genoux.
Ensuite, notre voisin répète ce qu’il nous a déjà dit.
Notre ami universitaire, mine songeuse, l’écoute sans mot dire. Après une pause silencieuse, qui semblait une éternité pour moi, il s’éclaircit la gorge et dit d’une voix claire :
— Monsieur Darger, vous nous dites qu’il y a cinq signes…
Il fait un geste de sa main droite pour désigner le chiffre et poursuit :
— Mais pourquoi cinq ? Vous êtes-vous posé la question ?
Jim, Todd et moi tournons nos têtes en un signe négatif.
Le professeur continue d’une voix claire, les yeux perdus dans le vague :
— Cinq, c’est le chiffre de l’homme… Ce que je suggère de comprendre de la manière suivante…
Il s’interrompt lui-même pendant quelques secondes puis ajoute aussitôt :
— Je ne prétends pas détenir la vérité… Mais c’est une piste de réflexion que je vous propose, mes amis…
Par automatisme, je fais un geste rotatif de la main pour l’inciter à développer son point de vue.
Le professeur Richard Payne poursuit son explication d’une voix claire :
— Cinq, c’est un nombre… Attendez que je vérifie…
Il sort de son sac à dos bleu marine deux livres qu’il dépose sur la table basse, puis qu’il feuillette rapidement. Le professeur les referme et continue son explication :
— Cinq, c’est un nombre symbolisant l’union, le centre, l’harmonie et l’équilibre pour les Pythagoriciens…
Perplexe, je pense : « J’espère que je ne vais pas me perdre avec ces explications… Bon, on va voir ! »
Notre ami universitaire poursuit :
— Il symbolise aussi le mariage, la hiérogamie, en tant qu’union des principes célestes et terrestres… Ce nombre représente aussi le monde sensible, le monde matériel, dans sa totalité… Pour les Chinois, c’est le symbole du centre… Celui de la conjonction, du mariage du principe masculin et du principe féminin, le yin et le yang… Pour les hindous, le cinq représente le principe de vie, en tant qu’union du principe mâle et femelle… Pour les Mayas, il est le symbole de la perfection… On peut dire qu’il représente la vie manifestée en tant qu’il est un nombre impair…
Je pense spontanément : « Que dois-je conclure de toutes ces informations ? »
Il fait une courte pause puis reprend d’une voix neutre :
— De sorte, que, pour résumer ce que je viens de dire… Pourquoi cinq signes ? Je dois souligner… insister… sur le fait que tous les signes… sont négatifs… Je veux dire à connotation négative…
Jim intervient, les sourcils levés, en agitant ses mains devant lui :
— Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?
— Oui, bien sûr… Par connotation négative, je veux dire que tous les cinq signes que vous avez mentionné, Monsieur Darger, ne sont pas positifs… Ils réfèrent à quelque chose… de mauvais… de mal… si je peux le dire ainsi… Le premier… Une abeille qui saigne, qui perd son sang… Le deuxième… Le retour d’un défunt, c’est-à-dire le retour, l’arrivée, de quelqu’un qui n’est plus en vie… Le troisième… la colombe…
Todd le corrige :
— La colombe morte…
Son interlocuteur murmure :
— Merci…
Le professeur reprend d’un ton sérieux et calme :
— C’est-à-dire un oiseau qui n’est plus vivant… Le quatrième… Le retour d’un oublié, d’un individu indésirable… Et le dernier est une menace de mort sur un proche… Dans tous les cas, ils sont négatifs… De sorte que je pense que ces cinq signes sont des menaces d’un homme ou de plusieurs hommes… À mon avis, ces menaces concernent votre existence, Madame Gordon, vous ou votre époux… C’est une destruction de votre mariage… Une destruction de votre harmonie, de votre perfection… Comprenez-vous, Monsieur Clancy et Madame Gordon ?
Il regarde alternativement Jim et moi, en disant d’un ton sévère, à la limite glacial :
— À mon avis, c’est sérieux… Très sérieux… et très menaçant…
Jim et moi hochons la tête pour manifester notre compréhension.
Par automatisme, je me signe en pensant : « Seigneur, aide-nous, tes pauvres serviteurs ! »
Notre voisin dit à voix basse :
— Merci, Monsieur le professeur…
Richard Payne :
— Il n’y a pas de quoi…
— Pouvons-nous revenir aux signes en tant que tels ?
Notre ami universitaire, mon mari et moi confirmons à l’unisson :
— Oui !
Je murmure :
— Excusez-moi… Mais seulement que j’aille chercher mes notes…
Todd, sourire chaleureux, réplique :
— Va-y ! Nous t’attendons !
Je file dans ma chambre chercher mon carnet et je reviens à ma place au salon.
Je m’éclaircis la gorge puis demande d’un ton neutre :
— Todd, tu dis que le signe de l’abeille s’est réalisée…
Todd confirme d’un hochement de tête.
Je continue, après avoir feuilleté et lu en diagonale certaines notes :
— Ce signe s’est réalisé…
Je termine d’une voix tremblante :
— Avec… par… l’attentat de Carl Neely sur moi…
Le professeur tousse brièvement et commente :
— Je me rappelle vous avoir longuement expliqué le symbolisme de l’abeille… Votre interprétation fait du sens… En tant que l’abeille représente une âme pure et la vie éternelle…
Je termine sa phrase :
— Et cette âme pure… C’était moi…
— Exactement… J’ajouterais, à la blague, qu’il semble vous tenir en haute estime… Pour vous considérez, Madame Gordon, comme une reine…
Je murmure, un peu gênée :
— Merci du commentaire…
Todd intervient :
— Voilà un signe compris… Passons au suivant…
Il regarde alternativement Richard Payne, Jim et moi et dit :
— Le deuxième signe qui s’est réalisé est le retour du défunt… C’est apparemment l’apparition d’un esprit errant, si quelqu’un peut me confirmer…
Je bouge ma tête de haut en bas pour approuver ses propos.
J’ajoute peu après d’une voix émue :
— Il s’agit de l’apparition de l’esprit errant qu’est devenue ma sœur… il y a quatre ans… en janvier… Elle m’a alors expliqué les circonstances de sa mort… La pauvre… Tuée froidement… le 3 janvier 1997… par… Carl Neely qui a osé affirmer ensuite qu’il s’agissait d’un accident sur la route…
J’éclate en sanglots et Jim me berce doucement pour me calmer. Un silence règne dans la pièce le temps que je sèche mes larmes.
Sur les lèvres de Todd se dessine un bref sourire d’encouragement et il poursuit :
— Le prochain signe, c’est le retour de l’oublié… Peut-être un individu dont tu as oublié l’existence, ou que tu n’as vu qu’une seule fois dans ta vie…
Je pense avec amertume : « Il me semble que mon père m’a dit qu’il a rencontré le prétendant pot de colle de Kevin McCall… C’est vrai qu’il est indésirable ! »
Je confirme ses propos en disant :
— Exactement… C’était le retour de l’esprit errant d’un ancien prétendant… dont son nom n’a pas d’importance…
Jim m’enlace d’un air possessif. Je comprends immédiatement qu’il aurait été jaloux si mon ancien prétendant avait osé revenir en chair et en os à Grandview. Je comprends très bien sa réaction. Moi aussi, je ne serais pas contente qu’une ancienne copine vienne frapper à la porte de notre maison. Les femmes que mon mari a connu avant moi, c’est du passé sur lequel je préfère ne pas y penser, puisque je suis son épouse. Depuis notre mariage, je m’attends à ce qu’il me soit fidèle, ce dont je ne doute pas.
Je poursuis :
— Mon père, qui est aussi un esprit errant… l’a rencontré en mars dernier à l’entrée de notre ville… Je ne l’ai pas vu en personne…
Je lève rapidement mes yeux au plafond pour m’exclamer :
— Et Dieu merci !
Je regarde à nouveau Jim, Todd et Richard et je continue :
— Ce prétendant était des plus ennuyants, avec ses tentatives de séduction à peine voilées… Des bouquets de fleurs, des propositions de sorties au restaurant, des compliments de lèche-bottes et que sais-je encore…
Jim intervient d’une voix un peu aigüe :
— Merci, Mel, mais épargne-nous les détails…
Notre voisin nous adresse un sourire amical et approuve les propos de mon mari d’un mouvement de tête.
Je les rassure en disant que je ne leur raconterai pas les détails, puisque je les ai moi-même oubliés. Mon époux m’embrasse furtivement sur les lèvres pour me faire savoir qu’il est rassuré.
Todd, petit sourire aux lèvres, enchaîne aussitôt :
— Ensuite, nous avons… les deux signes qui devront se réaliser… à savoir la colombe morte et la mort d’un proche… Comment les comprendre ? Est-ce que quelqu’un a une piste de réflexion ?
Je feuillette à nouveau mon carnet de notes ; le professeur sort à nouveau ses deux livres.
Je m’éclaircis la voix et je dis d’une voix un peu tremblante malgré moi :
— La colombe… est morte en mai dernier… Et, j’ai conclu, lors d’une discussion avec le professeur Richard Payne…
Notre ami universitaire intervient :
— Si vous le permettez, Madame Gordon, je vais réexpliquer ce que je vous ai déjà dit au sujet du symbolisme de la colombe…
Je murmure en faisant un geste vers lui :
— Allez-y…
Il reprend :
— Eh bien, comme je l’ai expliqué à Madame Gordon, la colombe est le symbole de la pureté, de la simplicité, de l’harmonie, de l’âme, de la paix, de la liberté et de l’espoir. De plus, c’est le symbole de la fin du Déluge dans la Genèse. De sorte que voir une colombe morte signifie la mort d’un être cher. À moins qu’elle puisse aussi signifier la mort de la pureté en l’âme d’un homme, la mort de l’espoir et la mort de la paix… Dans tous les cas, peu importe la signification à laquelle le pauvre oiseau peut renvoyer, elle est négative et n’annonce rien qui vaille pour vous, mes amis… Je ne peux pas cacher mon inquiétude…
J’interviens d’une voix tremblante malgré moi :
— De sorte… que je comprends… le signe de la colombe… comme celui qui annonce… soit la mort de mon époux… ou de l’un de mes fils... soit qu’elle annonce la souillure de leur âme,... soit elle annonce… un conflit entre… moi et eux…
Notre ami universitaire murmure :
— Merci, Madame Gordon, de partager vos réflexions avec nous…
Je réplique :
— Il n’y a pas de quoi… Puisque j’y avais réfléchi…
Je fais une courte pause puis en faisant un geste vers Todd et Richard, j’ajoute :
— Comme vous êtes là pour nous aider… Je me sens obligée de vous dire ce que j’en pense… Surtout lorsque ceci me concerne…
Je serre encore plus la main de mon époux pour me ressaisir.
Notre voisin murmure d’un ton cordial :
— Melinda… Tu n’as pas besoin de te justifier entre amis… Tu peux simplement dire…
Je confirme d’un mouvement de tête positif.
Todd, après une courte pause silencieuse, s’éclaircit la gorge et affirme d’un ton sérieux :
— Quant au signe, ou plutôt, à la menace à peine voilée… de la mort d’un proche, j’ai compris à partir de mes rêves qu’il concerne Jim… Dans une forêt… Dans une cabane dans un bois… Quelqu’un… Un homme armé… planifie de le tuer….
Je regarde du coin de l'œil mon mari, qui cligne rapidement des yeux. Je lui serre la main pour le rassurer. Il m’enlace par les épaules.
Notre voisin, les yeux dans le vague, ajoute :
— J’ai compris qu’un homme qui voit les esprits errants est aussi au courant des cinq signes…
Je balbutie, étonnée : — Qui ?
Il hausse les épaules et dit :
— J’ignore son nom, car il ne s’est pas présenté dans mon rêve… La seule chose que je parviens à déduire est qu’il est un homme qui travaille dans un bar…
Je pense perplexe : « Attend, attend… Il me semble qu’il pourrait s’agir de Gabriel, le barman qui voit les esprits ! Avec qui j’ai déjà discuté de nombreux cas d’esprits errants… »
J’interviens :
— Je connais quelqu’un qui voit les esprits qui pourrait correspondre à la description que tu mentionnes…
Il fait un geste rotatif de la main.
Je lance dans un souffle le nom :
— Gabriel Lawrence… un barman qui travaille dans le restaurant Best Meals… si je ne me trompe pas… dans notre ville…
Notre ami murmure un timide remerciement puis poursuit :
— Cet homme est vêtu, laisse-moi me rappeler… dans l’un de mes rêves… d’une chemise blanche, d’un pantalon de complet bleu marine… Et qu’il voit les esprits, puisqu’il a suivi dans mon rêve une forme fantomatique… une forme fantomatique… un fantôme noir… pour ne pas dire une entité que je qualifierais de démoniaque… qui l’a amené jusque dans les bois… Jusqu’à une cabine dans laquelle se trouve Jim… Et un autre homme armé d’un fusil de chasse…
Todd fait une courte pause puis reprend d’un ton songeur :
— Si vous dites que cet homme est Gabriel Lawrence… Je dois vous dire quelque chose d’autre le concernant… Dans un autre rêve, j’ai vu qu’il est dans une grande maison… Maison dans laquelle il réunit des esprits pour une raison que je ne comprends pas du tout… Apparemment, il se rend seul dans cette grande maison en pierres, loin de tout, car il ne semble pas avoir de voisins proches… Pour moi, une telle activité est vraiment bizarre… Qu’en pensez-vous ?
Jim dit :
— C’est vrai que c’est étrange…
Je hausse les épaules en pensant : « Je n’ai aucun avis sur les genres d’activités louches de Gabriel, mais je trouve ça inhabituel… »
Richard Payne intervient :
— Peut-être une activité illégale ou occulte ?
Todd d’un ton hésitant, gratte son menton :
— Possible… Votre hypothèse est intéressante…
Il fait une courte pause puis dit d’un ton sérieux, en regardant le professeur, mon époux et moi :
— Pour en être certains, je vous propose de demander à un bon ami policier qui voit les esprits… Paul Eastman… de fouiller la maison de Gabriel Lawrence…
Étonné, Richard Payne interroge : — Pourquoi ? Il est votre ami ?
Jim répond à la place de Todd : — Oui, Monsieur le professeur… Paul Eastmsn est notre ami commun…
— Merci de l’explication… Alors, oui, j’accepte !
Nous approuvons sa suggestion d’un mouvement de tête positif. Et Jim se propose pour téléphoner au policier.
Aussitôt dit, aussitôt fait, il revient à sa place initiale. Il commente simplement que notre ami policier viendra nous dire les résultats de sa fouille demain vers 9 h 00. Tous les quatre, nous demeurons silencieux pendant un certain temps. Je me demande bien comment Paul parviendra à trouver cette maison s’il ne connaît pas l’adresse. À moins qu’il parvienne à la trouver à partir de l’annuaire ou qu’un esprit Observateur le guide… Je pense en mon for intérieur : « Que le Seigneur protège Paul Eastman ! »
À ce moment précis, je remarque qu’un esprit vient de faire apparition devant moi, me cachant Todd : l’Observateur français. Intriguée, je me demande bien ce qu’il aura encore à me dire. Jim, Todd et Richard me fixent d’un air curieux. Je lève mon index droit pour les inciter à la patience.
Jean Bude de Guébriant, mine sévère, dit :
— Vous devez savoir d’autres détails au sujet de Monsieur Gabriel Lawrence… Il s’appelle en réalité Gabriel Hastings.
Perplexe, je pense : « Il m’a donc menti sur son nom ! »
Je soupire d’exaspération.
L’Observateur poursuit, comme s’il ignorait mes pensées :
— C’est une identité pour échapper à l’asile psychiatrique dans lequel il avait passé sa jeunesse, jusqu’à sa majorité. En tant que serveur, métier qu’il exerce depuis qu’il a quitté l’asile et qu’il a réintégré la société, il recevait des médicaments de la part du Docteur Nora Sutherland, ou de l’infirmière Jennifer Quinlan si vous préférez — c’est la même personne — pour empoisonner sur commande des gens indésirables, lorsque Monsieur Matthew Mallinson l’ordonne. Je vous ai déjà dit ce détail.
Je confirme ses propos par la pensée : « Je me souviens vaguement d’un tel propos… Sauf que je ne le compte pas parmi mes ennemis… Mais c’est vrai que Jim m’a dit lorsque j’ai rencontré Gabriel, que ce n’est pas parce qu’il voit les esprits qu’il est bon… Peut-être qu’il a raison… »
Mon interlocuteur poursuit d’un ton sérieux :
— Le barman accepte de faire ce service pour une prime supplémentaire. Gabriel vit dans un appartement avec sa femme et ses enfants… En plus de posséder une grande maison à l’extérieur de Grandview, dans laquelle il réunit des esprits.
Je murmure :
— Pourquoi ?
En me tournant vers les autres vivants, je dis :
— Excusez-moi, mais amis, mais je suis en conversation avec l’Observateur… Je vous rapporterai ses propos après…
Jim murmure :
— C’est correct, Mel…
Je ramène mon attention vers Jean Bude de Guébriant, qui m’adresse un sourire amical avant d’ajouter d’un ton affable :
— Vous aurez davantage de détails demain… Je ne voudrais pas vous surcharger d’informations…
Je murmure : — Merci…
L’Observateur me salue d’un mouvement de tête et s’évapore dans les airs jusqu’à disparaître complètement de ma vue.
Je cligne des yeux et je regarde alternativement Jim, Todd et Richard, pour leur résumer les principaux éléments que l’Observateur français m’a dit.
Notre ami universitaire murmure d’une voix neutre :
— Après ces explications de l’esprit, nous reprenons notre conversation…
En faisant un geste vers Jim et moi, il dit d’un ton sérieux :
— Je vous propose, afin peut-être de mieux cerner le danger des deux derniers signes… de comprendre un message à partir du numéro de téléphone ou d’autres numéros et nombres… Autrement dit, servons-nous un peu de numérologie pour approfondir les deux derniers signes…
Il fait une courte pause silencieuse, puis reprend :
— D’ailleurs, je dois souligner que s’il reste deux signes qui se réaliseront, ceci peut s’expliquer par le symbolisme même du chiffre deux…
Il lève son index droit et murmure :
— Seulement si vous me permettez de vérifier…
Jim murmure :
— Allez-y…
Richard fouille à nouveau dans ses deux livres qu’il referme après avoir lu une page bien précise. Il les dépose doucement sur la table basse puis dit d’une voix claire :
— C’est ce que je pensais…
Par automatisme, Jim et moi faisons un geste rotatif de main.
Notre ami universitaire s’éclaircit la gorge puis dit d’un ton sérieux, en regardant alternativement mon époux et moi :
— Le chiffre deux symbolise l’opposition, la dualité, l’équilibre, l’ambivalence latente… Mais aussi l’équilibre, la réciprocité, l’amour, la haine… vous comprenez ?
Jim et moi secouons la tête de haut en bas. Je me demande bien où il veut en venir avec ces explications…
Il continue :
— Aussi, le deux signifie complémentarité et opposition… C’est pourquoi chez les Africains et les Celtes, les animaux étaient en double pour renforcer leur valeur en annulant, pour ainsi dire, leur opposition interne… On peut dire que c’est la même chose avec votre couple : il y des moments de complicité et des moments de tension…
Gênée, je baisse les yeux. « Il a tellement raison », pensé-je.
Il s’interrompt lui-même pour ajouter d’un ton songeur :
— Je sais de quoi je parle, puisque j’étais marié…
Il termina sur un air ému, les yeux mouillés, comme s’il était touché :
— À Kate…
Richard Payne, baisse les yeux, s’éclaircit la gorge, relève la tête puis continue d’un ton neutre :
— Que je revienne à ce que je disais…
Je l’écoute attentivement, en tenant Jim par la main.
Notre interlocuteur :
— Le deux ! Le deux, pour les Iraniens, est rattaché à la dualité jour-nuit, en tant que cycle éternel du temps, mais aussi à la dualité du monde des vivants et l’au-delà… Ce qui est explicitement, dirai-je, rattaché à vos tâches de passeuse d’âmes, Madame Gordon : permettre le lien entre les deux mondes…
Je confirme discrètement ses propos d’un signe discret de tête.
Je murmure d’un ton ému :
— Vous avez en quelque sorte raison, Monsieur le professeur…
Il m’adresse un sourire furtif puis enchaîne aussitôt :
— D’ailleurs, chez les Perses, ce qui est doublé augmente sa puissance… C’est pourquoi je vous suggère d’être très prudents pour bien saisir les petits signes avant-coureurs de ces deux menaces… qui pourraient annoncer une séparation, une scission, de votre couple… Soyez prudents, mes amis…
Il fait une courte pause avant de continuer :
— Maintenant que nous avons résolu le sens du nombre deux, il faut quand même glisser quelques remarques au sujet du nombre trois… qui est le nombre de signes qui se sont réalisés jusqu’à maintenant… Me suivez-vous ?
Todd, Jim et moi répondons affirmativement.
Notre ami universitaire consulte rapidement ses livres puis poursuit son explication d’un air très sérieux :
— Trois, le nombre qui représente un ordre intellectuel et spirituel, en bref, un nombre parfait… puisqu’il est la conjonction, l’addition, du un et du deux… C’est le nombre de l’organisation, de l’activité et de la création… Il est aussi associé à des pratiques divinatoires, qui consistent à tirer au hasard trois flèches ou trois roseaux… Plus près de l’éthique judéo-chrétienne, il y a trois choses qui détruisent la foi de l’homme, à savoir…
Je termine sa phrase, car je sais ce dont il parle :
— Le mensonge, l’impudence et le sarcasme… Tandis que les trois choses qui guident… l’homme vers la foi… sont la pudeur, la courtoisie et la peur du Jour du Jugement…
Les sourcils levés, le professeur d’Anthropologie s’exclame :
— Merci, Madame Gordon ! Où avez-vous appris ces connaissances ?
Je réponds simplement et sans hésiter :
— De mon père, qui l’a appris de son propre père, qui était un diacre orthodoxe de son vivant…
— Dans ce cas, vous savez aussi les trois choses qui mènent l’homme vers l’Enfer ?
— Oui… Ce sont la calomnie, la haine et l’endurcissement…
Mon interlocuteur applaudit et s’exclame :
— Félicitations !
J’interviens :
— Mais nous pouvons aussi associer le chiffre trois à la Trinité… Le Père, le Fils et le Saint Esprit…
D’un ton neutre, il réplique :
— Bien vu ! Je l'avais presque oublié… Ou plutôt, c’était ce que je voulais dire…
Il ajoute en baissant un peu la voix :
— Merci de m’avoir volé les mots de la bouche… Mais, entre amis, je vous pardonne…
Il me fait un clin d’œil complice puis il continue d’un ton sérieux :
— Bon… Toutes ces belles explications pour dire que peut-être que le fait que trois signes sur cinq se sont réalisés… Trois… qui pourrait alors signifier qu’il s’agit de l’action d’un homme ou d’un groupe d'hommes qui vous déteste et qui vous calomnie dans leur endurcissement…
Je pense ironiquement : « Quel jeu de mots ! Monsieur le professeur ne cessera pas de m’étonner ! »
Richard :
— Et ce, peut-être avec l’aide d’une pratique divinatoire quelconque… Dans tous les cas, rien n’est au hasard… Je vous répète encore une fois le même conseil : soyez prudents…
Jim soupire et remercie Richard Payne de son exposé sur les nombres.
Nous demeurons silencieux pendant un certain temps, pour assimiler l’information que je viens d’entendre.
Ce silence est brisé par le professeur qui demande, en faisant un geste des mains vers mon époux et moi :
— Si vous le voulez bien vous prêtez au jeu de l’analyse de votre numéro de téléphone et de votre adresse, par associations…
Jim et moi répondons d’un mouvement de tête affirmatif.
Il reprend :
— Très bien… Commençons alors… Quel est votre numéro de téléphone ? Et n’oubliez pas de l’écrire sur une feuille pour faciliter la visualisation des chiffres…
Jim murmure :
— Entendu… Et bien notre numéro de téléphone, c’est le 478 345-1959…
Je griffonne notre numéro de téléphone sur une feuille vierge de mon calepin. Je l’arrache et je la tends au professeur, qui sort un stylo de son sac. Il demeure pensif pendant je ne sais combien de temps avant de griffonner quelque chose sur la feuille de papier.
Il nous regarde alternativement, Jim et moi, s’éclaircit la gorge puis affirme d’un air sérieux : — Madame Gordon et Monsieur Clancy, si nous additionnons tous les chiffres, nous obtenons cinquante-cinq… qui est formé de cinq fois dix plus un… Ou encore de onze fois cinq… D’ailleurs… Attendez un instant…
Il feuillette à nouveau ses deux livres et griffonne quelque chose sur la feuille de papier. Mine pensive, le professeur referme les livres, dépose son stylo à côté. Il demeure silencieux pendant un certain temps avant de reprendre la parole :
— Si nous ajoutons dix à cinquante-cinq, nous obtenons soixante-cinq, qui est le chiffre de Mars selon Paracelse…
J’interviens à voix basse :
— Et alors ?
— Eh bien, Mars est le Dieu romain de la guerre… Ce qui annonce à mon avis, un conflit… Aussi, on peut comprendre le chiffre cinquante-cinq comme un âge…
Il s’interrompt lui-même pour nous demander si nous ne connaissons pas quelqu’un qui est mort à cet âge. Je feuillette mon calepin pour essayer de trouver parmi les cas d’esprits répertoriés s’il n’y en aurait pas un qui est mort à cinquante-cinq ans. N’ayant trouvé aucun résultat, je réponds négativement à la réponse de notre ami universitaire. Mon époux répond aussi par un signe de tête négatif.
Richard Payne soupire et reprend :
— Dans ce cas, peut-être qu’il s’agit d’une menace que l’un d’entre vous mourra à cet âge…
Je pense, en fronçant les sourcils : « Voyons… Je suis née en 1979… Ce qui signifie que j’aurai cinquante-cinq ans en… 2034... Jim est né en 1967… Il aura cinquante-cinq ans en… 2022… Ah ! Seigneur, protège-nous ! »
Richard lève les yeux vers le plafond en murmurant :
— En espérant que cela ne sera pas le cas…
Il reprend d’un débit de voix normal en nous regardant d’un air bienveillant :
— Une fois de plus, je ne peux que vous recommander prudence, mes amis…
Jim et moi s’entr’observons, mais nous confirmons ses propos en secouant nos têtes de haut en bas.
Le professeur nous sourit amicalement, jette un coup d’œil rapide sur la feuille puis reprend d’un ton sérieux :
— D’ailleurs, je vous ferais remarquer que le chiffre dix est plusieurs fois présent dans votre numéro de téléphone…
Par automatisme, je fais un signe rotatif de main. De même pour mon époux, qui serre ma main gauche.
Notre interlocuteur nous affiche un bref sourire puis reprend d’un air sérieux, en ajustant ses lunettes sur son nez :
— J’y reviendrai un peu plus tard… Je ne veux pas oublier d’expliquer le chiffre onze… Il représente…
Il fouille à nouveau dans ses deux livres, les referme et reprend :
— Le chiffre onze est un chiffre ésotérique, qui est présent dans de nombreuses traditions ésotériques… Il est en rapport avec la fécondité, en tant qu’il est associé à la femme… Le onze symbolise un renouvellement des forces vitales… Mais aussi l’initiation individuelle, en raison du fait qu’il peut symboliser deux colonnes, comme celles des temples ou des loges des sociétés secrètes… Aussi, ce nombre peut être vu comme celui qui représente le rapport microcosme-macrocosme… Ajouté au dix, qui est déjà une totalité, le onze est alors, au contraire, l’excès, la démesure, la folie, le péché, en quelque sorte… De sorte que je peux comprendre que les deux signes qui doivent se réaliser le seront par un homme ou des hommes débauchés, peut-être initié à la Franc-Maçonnerie, pour détruire votre harmonie de couple…
Richard Payne fait une courte pause puis dit à voix basse, en regardant Jim et moi :
— Ce qui serait vraiment dommage… Vous formez tellement un joli couple…
Il s’éclaircit la gorge et reprend :
— Bon, que je revienne sérieusement à votre numéro de téléphone… Si nous additionnons 478, 345 et 1959, nous obtenons 2782… Nous avons encore le nombre deux qui revient deux fois, en miroir, au début et à la fin… Comme pour confirmer qu’il reste deux signes à réaliser à votre adresse… Le sept est un chiffre divin… Le huit est un chiffre associé à l’infini… Mais aussi à l’équilibre cosmique…
En me fixant d’un air bienveillant, il ajoute :
— De sorte que vous comprenez, Madame Gordon, votre rôle de passeuse d’âmes, en tant que vous permettez d’assurer l’équilibre du monde… Je suis heureux que vous preniez votre don avec grand sérieux… Car ce n’est pas léger…
Je confirme d’un mouvement de tête positif.
Il cesse de me fixer, pour regarder Jim, Todd et moi :
— Aussi… Le huit est associé à l’équilibre central… Idée qui se trouve dans l’ogdoade des Pythagoriciens… Il est associé à la justice… D’ailleurs, le huitième jour est le Jour de la résurrection, de l’ère future éternelle…
J’interviens :
— La résurrection du Christ et de l’Homme… Jour annonciateur de la transfiguration et de la béatitude du siècle futur dans un nouveau monde, lié à la Jérusalem Nouvelle…
Richard murmure d’un air bienveillant :
— Exactement…
En fixant mon époux et moi, il dit :
— De sorte que l’on peut dire que vous, Monsieur Clancy et Madame Gordon, êtes sans doute bien protégés…
Il s’interrompt pendant quelques secondes, mine pensive, avant de reprendre :
— Si nous additionnons chaque chiffre de 2782 — qui est la somme de tous les nombres de votre numéro de téléphone — nous obtenons dix-neuf… Et dix-neuf… signifie… symbolise… Un nouveau départ… Mais aussi le soleil dans le tarot… Et un plus neuf donne dix… Dix est le chiffre de la Tetraktys des Pythagoriciens, des anciens philosophes avant Platon… Qui est la somme des quatre premiers nombres… Le dix est le nombre de l’achèvement, le retour à l’unité… Sur un plan plus général, il représente aussi l’alternance et la coexistence de la vie et de la mort… Pour les Mayas, le dixième jour était néfaste car il appartenait au dieu de la mort…
Perplexe, en jouant nerveusement avec le bas de ma robe, je pense, perdue par le tas d’informations que je viens d’entendre : « Mais où veut-il en venir avec tout ça ? »
Je remarque du coin de l'œil que Jim s’est levé de sa place pour aller dans la cuisine. Je le suis du regard pour le voir revenir au salon avec quatre verres remplis d’eau qu’il dépose sur la table basse. Puis il s'assied à mes côtés.
L’universitaire poursuit son explication :
— De sorte que, mes amis, redoubler de prudence…
Mon époux, en regardant d’un air assuré notre interlocuteur, affirme d’une voix rauque :
— Ne vous inquiétez pas, Monsieur le professeur, nous serons prudents…
Par automatisme, je hoche la tête à ses propos.
Un bref sourire apparut sur le visage de Richard Payne. Il fait une courte pause silencieuse avant de reprendre :
— Aussi, je vous ferais remarquer qu’une date est présente dans votre numéro de téléphone…
Je m’exclame d’une voix aigüe, étonnée :
— 1959 !
D’un ton calme, il murmure :
— Exactement…
Il s’éclaircit la gorge puis reprend d’une voix neutre :
— Qu’est-ce que vous associez à cette date ?
Je fouille rapidement dans mon carnet pour repérer cette date. Jim est pensif. Un silence plane pendant ce temps. Seul le bruit des pages tournées s’entend. Mon mari brise le silence en disant d’une voix émue :
— La date de 1959… C’est la date du décès de mon arrière-grand-père, du côté de mon père… Andy… Andy Clancy… qui est né en 1885 si je ne me trompe pas… étant donné qu’il est mort à soixante-quatorze ans…
Richard dit à voix basse :
— Merci de l’information, Monsieur Clancy…
J’ajoute, en levant mes yeux de mon carnet :
— 1959 est aussi la date de mariage de mes grands-parents… paternels… Auguste Mikhaïlovitch Gordon et Angelina Petrovna Bogdanova-Gordona… C’est la date du décès de Miloslav Vláčil… Désolé de la mauvaise prononciation…
Je continue d’une voix un peu tremblante :
— Il est l’un des sorciers tchèques qui suit le policier Carl Neely…
Jim serre ma main pour m’encourager à ne pas pleurer. Je serre la sienne, je me râcle la gorge pour me ressaisir et je continue d’un ton neutre :
— L’année 1959 est aussi celle des secondes noces de Kašpar Bareš — désolé encore une fois de la mauvaise prononciation — … qui est… était l’époux de la… euh… de l’une des petites-filles de Miloslav…
Richard Payne demande d’une voix neutre :
— Si ma question n’est pas indiscrète, ces Tchèques dont vous me parlez, ont-ils un rapport avec votre famille ?
Jim répond :
— Non, pas du tout… Ni avec la mienne ni avec celle de Mel… de Melinda… Ils semblent avoir un rapport avec Carl Neely, mais nous ignorons lequel…
Le professeur murmure :
— Je comprends, Monsieur Clancy… Merci pour les détails…
Mon époux murmure :
— De rien…
Notre ami universitaire inspire et expire profondément puis il reprend :
— Que je revienne… à ce que je disais… Ah, oui ! La date 1959 qui apparaît dans votre numéro de téléphone… Date qui est apparemment associée à des décès et des mariages… Je vous suggère de comprendre ce… fait… de différentes manières… À savoir le remariage de l’un d’entre vous, à la suite de la mort de l’autre… Ce que je ne vous souhaite pas, mes amis… Mais je trouve que cette date est comme une menace sur votre couple, ce qui confirme mon interprétation… Celle que j’ai mentionné auparavant… Avez-vous compris, Monsieur Clancy et Madame Gordon, le sérieux de la situation ?
Jim et moi confirmons d’un mouvement d’un geste positif de tête.
Richard Payne s’éclaircit la gorge puis nous demande :
— Je vous suggère de faire le même exercice avec votre adresse, je veux dire celle de votre domicile et celle de votre boutique…
Mon époux murmure :
— D’accord… Notre adresse, c’est 49, rue Henford… Celle de la boutique, 7 rue Oldstreet…
— Merci…
Le professeur griffonne sur la feuille de papier, fouille à nouveau dans ses deux livres et demeure silencieux pendant un certain moment. Il dit :
— Désolé du délai de réflexion… Vous dites que votre adresse est 49…
Jim et moi secouons nos têtes de haut en bas.
Notre interlocuteur poursuit, en nous regardant d’un air sérieux :
— Si nous additionnons quatre et neuf, nous obtenons treize…
Je murmure :
— Un traître !
Il approuve mes propos d’un mouvement de tête positif puis il continue :
— Exactement… Un traître pense tuer quelqu’un… D’après un plan bien organisé…
Sans doute devant notre moue sceptique, notre ami universitaire s’empresse d’ajouter :
— Le chiffre treize est néfaste, car c’est le treizième, Judas, qui trahit le Christ… Il représente aussi un système organisé et dynamique, une évolution fatale vers la mort…. Ce qui se trouve confirmé par… le treizième arcane majeur du tarot, qui est la Mort…
Je me signe par automatisme en pensant : « Que le Seigneur nous évite de mourir de la main d’autrui ! »
Mon époux et mon ami me sourient gentiment. Je m’empresse de griffonner quelques informations sur une autre feuille de mon carnet.
Richard reprend son sérieux :
— Hormis l’addition de quatre et de neuf, nous pouvons aussi comprendre le chiffre quarante-neuf en lui-même…
Par automatisme, Todd, Jim et moi faisons un mouvement rotatif du poignet, ce qui fait sourire le professeur, qui reprend vite son sérieux.
Il dit :
— Quarante-neuf est le carré de sept… Sept qui est aussi l’adresse de votre boutique d’antiquités, Madame Gordon…
Je confirme d’un mouvement de tête positif.
Il continue :
— De sorte que… qu’il signifie… une répétition cyclique… un cycle de vie et de renaissance… Quarante-neuf est le nombre de jours que l'âme d’un défunt prend pour accomplir son voyage jusqu’à son autre demeure… La quarante-neuvième sourate du Coran, livre sacré de l’islam, est intitulée Al-Hujraat… euh… Les Appartements… qui traite, si je ne me trompe pas… de la foi des Bédouins. Ce chiffre est aussi… le numéro atomique de l’indium, un métal du tableau périodique… Dont j’ignore tout de ses propriétés…
Je pense perplexe : « Moi aussi, je ne sais rien du tableau périodique… Je me demande seulement où il veut en venir avec autant d’informations… Quel rapport avec les cinq signes ? »
Il continue :
— Aussi, c’est l’indicatif téléphonique international pour l’Allemagne… Ce que je vous propose comme un mauvais coup d’un Allemand… Ou plutôt… que les deux derniers signes peuvent se réaliser par la présence d’un Allemand… À moins que les agences secrètes allemandes vous ont sous la loupe, mes amis… Je ne sais pas exactement que conclure…
Je me demande bien pourquoi des espions allemands s’intéresseront à moi…
Jim murmure d’un ton affable :
— Merci, Monsieur le professeur, de partager vos réflexions avec nous…
Le professeur réplique :
— Il n’y a pas de quoi…
Richard Payne s’éclaircit la gorge, boit de l’eau puis affirme d’un ton sérieux :
— Si nous prenons les chiffres séparément, c’est-à-dire comme quatre et neuf… Où le quatre… est le chiffre sacré par excellence, comme le disent les Français…
Devant sans doute notre expression faciale d’étonnement, le professeur nous adresse un sourire très amical puis nous traduit en anglais ce qu’il venait de dire en français. Il enchaîne ensuite :
— Je disais… Le quatre comme chiffre sacré par excellence… puisqu’il est… à égale distance du un, de l’unité que du sept… Il est un principe organisateur, unificateur, symbole de la totalité… comme le prouvent les quatre points cardinaux, les quatre saisons, entre autres…
Richard Payne, après avoir bu un peu d’eau, continue :
— Bon, je vais m’arrêter ici avec les explications au sujet du symbolisme du quatre… Inutile de multiplier les exemples, n’est-ce pas ?
Jim, Todd et moi confirmons en secouant nos têtes de haut en bas.
Il nous adresse un bref sourire, ôte ses lunettes pour se masser le nez et affirme d’un ton neutre :
— Maintenant, passons au neuf…
Il remet ses lunettes sur son nez et continue son explication :
— Le neuf, quant à lui, est un nombre complet… Trois fois trois… Trois fois la Trinité… Il exprime donc l’universalité… Une sorte de surnombre, si l’on veut… Il a une valeur rituelle dans de nombreuses cultures… Pour les Aztèques, le neuf était associé… aux dieux de la nuit, des ténèbres, de l’enfer et de la mort…
Richard Payne fait une courte pause avant de poursuivre d’un ton légèrement ému, en fixant mon époux et moi :
— C’est pourquoi, je vous dis, mes amis, soyez prudents… Je crains que des hommes s’en prennent à vous par des moyens occultes… pour vous faire mourir… Ce que je ne vous souhaite pas… Mais heureusement qu’il existe différents moyens pour se protéger… Je laisse ceci pour une autre discussion si vous êtes intéressés…
Jim et moi, touchés de l’attention du professeur, répondons à l'unisson :
— Bien sûr…
Il soupire, boit un peu d’eau, s’éclaircit la gorge puis continue d’un ton sérieux :
— Il est aussi possible de comprendre quarante-neuf comme la date de 1949… Date qui correspond à beaucoup d’événements… Si ma connaissance de l’histoire mondiale ne me trompe pas… c’était en 1949 qu’avaient eu lieu des guérisons de masse à Herford puis au Traberhof, près de Rosenheim, en Allemagne… de la part d’un certain guérisseur miraculeux… Un certain Bruno Gröning… C’était aussi l’année de la création de l’OTAN… C’était aussi l’année de la proclamation de la République démocratique allemande… Ainsi que la création de la République fédérale d’Allemagne…
Je pense, exaspérée de la longueur de son exposé : « Et alors ? »
Il fait une courte pause avant de continuer, mine pensive :
— De sorte que je me demande si… s’il ne serait pas possible de comprendre… Ceci comme l’intérêt d’un Allemand… Ou encore de l’OTAN… Pour vos activités… pour votre don… Qui le sait au juste ?
Il fixe mon époux et moi en disant d’une voix claire :
— J’espère seulement que vous n’aurez pas d’ennui avec les services de renseignements… et autres gens de la sorte…
Notre ami universitaire fait une courte pause, jette un coup d’œil rapide sur la feuille, relève la tête vers Jim et moi et poursuit :
— Que je revienne à nos moutons… Qu’est-ce que je disais ?... Ah, oui ! Quatre… Neuf… Quarante-neuf… Maintenant, le sept… il symbolise la totalité, mais pas n’importe quelle totalité, une totalité dynamique… une totalité en mouvement… D’ailleurs, il y a sept jours, sept planètes, entre autres… Il est aussi le nombre de l’achèvement et du renouvellement… D’ailleurs, ce chiffre est fréquent dans la Bible…
Par automatisme, je confirme d’un geste positif et j’interviens :
— La création du monde par Dieu en sept jours, le chandelier à sept branches, les sept vaches grasses et les sept vaches maigres du rêve de Joseph…
Ses yeux bleus brillant d’une lueur de joie, le professeur murmure :
— Exactement ! Comme vous avez visiblement compris où je voulais en venir… Je ne vais pas multiplier les exemples…
Il s’éclaircit la gorge et reprend d’un air sérieux :
— Eh bien, pourquoi ne pas faire des associations avec les noms des rues de votre domicile et de votre boutique ?
Jim et moi confirmons à nouveau à l’unisson :
— Pourquoi pas ?
— Donc, la rue de votre maison est Henford… Henford… C’est comme Hereford… une ville au Royaume-Uni… Connue pour être le siège du Special Air Service… Qui est une unité des forces spéciales de l’armée britannique… Des parachutistes, sauf erreur de ma part… La ville est aussi connue pour son cidre, sa bière et son bétail… La race hereford… et pour détenir la carte médiévale du monde, la mappa mundi…
Todd, Jim et moi manifestons notre incompréhension en un geste négatif.
Le professeur sourit furtivement puis continue son explication :
— Désolé… La mappa mundi, ou carte du monde en latin, est une carte du monde du XIIIe siècle… Il semble qu’elle soit la plus grande carte et la plus détaillée qui existe… Mais que je revienne au nom de votre rue, Henford… Nous pouvons aussi faire le rapport avec le Mont Hereford, au Canada, dans la province du Québec si je ne me trompe pas… Hertford… Une ville en Angleterre… dont le nom signifie « le gué du cerf »… Le chef-lieu du Hertforfshire… qui a un château qui est l’objet de visites touristiques… Nous pouvons aussi faire le rapport du nom de votre rue avec Hertford dans notre pays, en Caroline du Nord… Le comté d’Hertford… qui a été formé en 1759… pour honorer… Si je ne me trompe pas… Francis Seymour-Conway, le premier marquis d’Hertford… en Angleterre... Ah, oui ! C’est aussi près de Herford, en Allemagne… Ville connue pour… Herford qui a connu des guérisons de masse en 1949… Il y avait jusqu’à trente mille personnes par jour qui venaient chercher l’aide de Gröning… Ceci faisait la une des journaux à l’époque… De sorte que je pense que vous pouvez être sauvés de ces signes… Je veux dire… d’avoir de la chance dans le malheur… Seulement faut-il rester confiants…
— Quant à la rue de votre boutique d’antiquités, Madame Gordon… Oldstreet… La vieille rue… Rien de plus thématique pour une telle boutique !
Je murmure : « Merci du commentaire… »
Le professeur m’adresse un sourire furtif puis continue son explication :
— Mais Old Street, en deux mots, c’est une route en Angleterre d’un point six kilomètres… c’est-à-dire un mile… dans le nord-est de Londres… De sorte que…
Il regarde alternativement Jim et moi en disant :
— Je vous propose de comprendre ce que je viens de vous dire avec les cinq signes de la manière suivante : clairement, une menace bien organisée, apparemment bien plus qu’à l’échelle locale, voire à l’internationale… D’une manière à vous prendre comme des cerfs…
Sans doute que je ne peux pas camoufler mon inquiétude, car il ajoute d’un air chaleureux :
— Cependant, je vous le répète, mes amis, vous pouvez toujours être chanceux et vous en sortir sans grande tragédie… Ce que j’espère pour vous…
Émue du soutien de notre ami universitaire, les larmes me montent presque aux yeux et je secoue par automatisme ma tête de haut en bas.
Jim serre ma main droite entre les siennes et murmure :
— Monsieur le professeur Payne, ne vous inquiétez pas pour nous, nous serions vigilants… N’est-ce pas, Mel ?
Je confirme ses propos en murmurant :
— Oui…
Un sourire amical aux lèvres, Richard dit :
— Alors, moi, j’ai fini mes explications…
En faisant un geste vers Todd, Jim et moi :
— Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Nous entr’observons pendant quelques secondes avant de répondre d’un signe de tête négatif.
Todd prend alors la parole :
— Alors, ça sera tout pour aujourd’hui…
Jim et moi confirmons d’un signe de tête positif et le professeur murmure un « Oui ».
Todd, les yeux brillants, ajoute :
— Nous nous retrouvons demain pour connaître les résultats de l’enquête de notre ami Paul… de Paul Eastman…
Les sourcils levés, Richard Payne demande :
— Vous l’avez déjà informé ?
— C’est Jim qui l’a appelé, Monsieur le professeur…
L’universitaire secoue sa tête de haut en bas et murmure : — Au début de notre conversation ?
Mon époux confirme : — Oui…
En ôtant ses lunettes, Richard balbutie : — C’est moi qui est alors fatigué de cette conversation… Mais elle est très intéressante…
Todd intervient : — C’est correct, Monsieur Payne… Nous aussi, nous avons tous hâte de terminer cette discussion… disons… riche en informations…
Jim surenchérit :
— Je vous propose de se donner rendez-vous à la même heure… Et si Paul arrive un peu plus tard, je m’excuse du délai, mais je n’ai aucun moyen de le contacter lorsqu’il fait une enquête sur le terrain… De sorte que nous n’avons pas trop le choix… Mais bon !
Il se tourne vers nos deux amis et ajoute :
— Merci d’être venus ! Passez une bonne journée et à demain !
Todd et Richard à l’unisson répliquent :
— À demain !
Mon époux les raccompagne jusqu’à la porte d’entrée. Je profite de ce temps pour aller frapper doucement à la porte de la chambre de Christopher et de Jack pour leur dire qu’ils peuvent venir dans le salon. Jim, lorsqu’il revient, regarde sa montre et s’exclame :
— Mel, il est bientôt midi ! J’ai faim ! C’est quoi au menu ?
Je réponds, petit sourire au coin des lèvres devant son impatience feinte :
— Des kalitki… Celles que j’ai préparé hier… Il faut seulement les réchauffer…
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous nous attablons et nous mangeons notre repas. Le reste de la journée est tranquille, malgré mon inquiétude des deux derniers signes… Je n’ai pas cessé de retourner les grands traits de la conversation : deux dangers… Peut-être que Jim sera la victime d’une attaque armée… Mais qui s’intéresse ainsi à moi et aux miens ? Je soupire, dépassée et impuissante par tout ce que je viens d’entendre. Trop d’informations, c’est comme ne pas en avoir assez : je ne sais que conclure de tout cela.
Pour me rassurer, je récite quatre fois de suite la prière du soir avant de m’endormir enlacée par mon mari. Cependant, j’ai eu un mauvais rêve, dans lequel je me trouve derrière un arbre, en train de regarder comment un homme, que je ne parviens pas du tout à identifier, tire froidement d’un coup sur mon mari, qui est dans une cabine en bois.
Je me réveille en sursaut. Je serre le bras de Jim qui m’enlace, ce qui le réveille. Je lui raconte d’une voix tremblante mon cauchemar. Il me rassure en m’embrassant sur les lèvres et nous nous endormons à nouveau après avoir récité une fois de plus la prière du soir.
Toutefois, le cauchemar se poursuit malgré moi. Le décor est le même. Je m’avance vers la cabine – une cabane en bois, éclairée par une petite ampoule – ; pour constater que mon époux gît, atteint d’une balle à la poitrine. Je m’agenouille pour tâter ses poignets. Ils sont froids. Aucun signe de vie. Je pleure. Et je me réveille en pleurant, encore secouée par ce rêve.
J’enlace mon époux qui se réveille à mon contact. Je lui raconte mon rêve. Il me rassure en disant que ce n’est que le fantasme de nos ennemis et non la réalité.
« Nous n’aurons qu’à être vigilants, peu importe où nous nous trouvons », dit-il en guise de conclusion. « Pour l’instant, le meilleur n’est-il pas de dormir dans mes bras ? »
J’approuve ses propos d’un mouvement de tête positif et je m’endors à nouveau, enlacée par Jim.