Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
Chapitre 44 : Suite des découvertes
4284 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a environ 1 mois
8 août 2006, 9 h 05.
Jim et moi sommes en ce moment au salon depuis quinze minutes, question de se préparer à entendre Dieu-sait-quoi au sujet du barman de Grandview. Auparavant, j’ai envoyé encore une fois nos fils dans leur chambre. Et nous avons déjà placé cinq verres d’eau sur la table basse, au cas où la discussion serait longue comme celle d’hier. Todd est aussi sur un canapé en face de nous. Sur le fauteuil, Richard Payne est assis. Nous attendons tous l’appel de Paul Eastman, qui devrait sans doute nous rapporter ce qu’il a vu hier dans la maison de Gabriel Lawrence.
Tout à coup, le téléphone sonne.
Je pense, contente : « Est-ce enfin Paul Eastman ? »
Mon mari se lève rapidement de sa place pour soulever le combiné. Il revient quelques secondes plus tard, les yeux brillants d’une lueur joyeuse. Il s’éclaircit la gorge et dit d’un air enjoué :
— C’est Paul…
Je pense, en levant les yeux au plafond : « Que le Seigneur soit Loué ! »
Jim termine sa phrase :
— Qui dit qu’il arrivera dans quelques minutes…
Ces minutes d’attente me semblent être une éternité, tellement j’ai hâte de connaître ce qui se passe dans la mystérieuse maison de Gabriel Lawrence…
Des coups discrets se font entendre à la porte d’entrée. Jim accourt aussitôt et il revient au salon, suivi de Paul Eastman, vêtu de son uniforme de policier. Je remarque qu’il tient dans ses bras un porte-document. Nous le saluons et Jim l’invite à prendre place sur le canapé, à côté de Todd. Il dépose son porte-document sur la table basse, entre deux verres.
Impatiente, je demande :
— Alors, Paul, qu’avez-vous…
Il me sourit gentiment et murmure :
— Entre amis, en plus du même âge, on peut se tutoyer…
— D’accord… Donc….. Qu’as-tu vu dans la maison de Gabriel ?
Le policier sourit furtivement, puis reprend une mine sérieuse.
Il dit, en regardant vaguement le professeur, notre voisin, Jim et moi :
— Vous seriez vraiment surpris de savoir tout ce que j’ai vu hier dans la maison de Gabriel…
Par automatisme, je fais un geste rotatif de ma main.
Il continue :
— J’ai vu des esprits qui faisaient la fête dans un grand salon… Ils semblaient bien s’amuser… Certains qui jouaient aux cartes autour d’une table, d’autres qui jouaient au billard dans un autre coin… D’autres encore qui regardaient une série passée à la télévision…
Je pense, perplexe : « Je sais bien que les esprits peuvent jouer avec les ondes électromagnétiques et qu’ils se comportent comme s’ils étaient vivants… Mais qu’ils bougent des objets du monde physique, c’est impossible… »
Je m’éclaircis la gorge puis demande :
— Est-ce que c’est avec des objets du monde physique ?
Mine pensive, Paul répond :
— Oui et non… Je veux dire que certains esprits… s’amusaient avec des objets qui n’étaient pas physiques… C’est vraiment bizarre à voir…
Il fait une courte pause silencieuse, puis continue :
— Dans tous les cas, ces esprits sont vraiment coquins… Ah, oui ! D’autres se promenaient d’une salle à l’autre… Des couples d’esprits étaient dans des chambres… Ils s’entraident bien…
Jim intervient, en faisant un geste rotatif de sa main :
— En quel sens ?
Paul :
— Au sens où, lorsque je me suis dirigé tranquillement jusqu’au salon, où j’ai vu plusieurs esprits attroupés… Je veux dire… des vieux, des jeunes, des hommes et des femmes… Je dirais de tous les âges et d’époques différentes, étant donné leurs vêtements… À ce moment précis, voilà que quelqu’un frappe à la porte… Je pensais que c’était Gabriel… J’ai accouru vers la porte d’entrée, pour remarquer que c’étaient des esprits, des adolescents et des jeunes hommes, qui ont frappé à la porte…
Le professeur Richard Payne s’éclaircit la gorge et intervient d’une voix claire, en tournant légèrement sa tête vers notre interlocuteur :
— Si vous permettez…
Le policier fait un geste de la main pour l’inviter à dire sa pensée.
Le professeur continue :
— Un petit commentaire… Les esprits qui ont frappé ainsi à la porte de la maison de Gabriel Lawrence me font penser… à ceux qui avaient appuyé sur la sonnette de la maison de Carl Gustav Jung en décembre 1916… Selon ce que j’ai entendu de la part de mon collègue du département de Philosophie et de Psychologie, Élie James…
Perplexe, je me demande bien où il voulait en venir avec un tel commentaire.
Sans doute devant notre expression faciale, un sourire bref apparaît sur le visage de Richard Payne.
Il continue :
— Je précise… Carl Gustav Jung était un médecin du siècle passé… J’en ai entendu parlé de lui par l’entremise de mon collègue Élie James… Pour informations, Jung était l’élève le plus célèbre de Sigmund Freud, le père de la psychanalyse… Il était un proche collaborateur de Freud jusqu’en 1915… si je ne me trompe pas dans les faits historiques… Peu importe… Mais la similitude est quand même frappante, n’est-ce pas ?
Paul Eastman, Todd Darger, Jim et moi confirmons d’un mouvement de tête positif.
L’universitaire poursuit :
— Quant au fait que c’est à la porte que les esprits ont frappé… Cela peut s’expliquer par le symbolisme même de la porte… qui est un lieu de passage…
Il murmure :
— Attendez, laissez-moi deux secondes, le temps de vérifier…
Le professeur fouille à nouveau dans ses deux livres puis ajoute aussitôt après les avoir refermés :
— La porte symbolise le lieu de passage d’un monde à l’autre… Mais aussi d’un état à l’autre… Comme il s’agit ici d’esprits, nous pouvons très bien comprendre… Au moins, c’est ce que je vous suggère… du passage du monde des vivants vers celui des morts, celui des esprits… De sorte que l’on pourrait dire que ces esprits errants, en allant dans la maison de Gabriel, espèrent, ou veulent, aller dans l’au-delà… Par contre, le seul détail qui ne concorde pas… pour ainsi dire… c’est le fait que ces esprits se trouvent dans le monde des vivants. Voilà, c’est tout que je voulais dire !
Paul intervient :
— Merci de votre commentaire, Monsieur le professeur… Je suis tout à fait d’accord avec vos propos…
Petit sourire amical aux lèvres, le professeur réplique dans un murmure :
— Il n’y a pas de quoi…
Le policier, mine pensive, demeure silencieux pendant je ne sais combien de temps, s’éclaircit la gorge puis ajoute :
— Par contre, un seul détail m’échappe, à savoir pourquoi le propriétaire de la maison les garde…
À ce moment précis, un esprit fait soudainement son apparition à la droite du canapé sur lequel est assis Paul Eastman. Ce dernier et moi-même tournons nos têtes vers lui. Je le reconnais immédiatement : Jean Bude de Guébriant.
Je pense : « Sans doute que Monsieur veut expliquer la suite des informations qu’il ne m’a pas dit hier… »
L’Observateur français dit d’un ton sérieux :
— Si Monsieur Gabriel Hastings réunit des esprits dans sa maison, c’est pour un sinistre projet, à savoir celui de bloquer la Lumière…
Paul se retourne vers Jim, Todd et Richard en disant :
— Messieurs, un peu de patience, car nous débutons une conversation avec un esprit qui vient d’apparaître à ma droite…
Je le corrige :
— C’est l’Observateur français… dont je ne peux pas répéter le nom, mais vous savez tous de qui il est question…
Jim, Todd et Richard secouent lentement leurs têtes de haut en bas.
Je poursuis :
— Il est déjà venu hier pour me dire que Gabriel Lawrence est une fausse identité… Son vrai nom de famille est Hastings… Il avait changé de nom pour échapper à l’asile dans lequel il a passé sa jeunesse…
Jean Bude de Guébriant confirme mes propos d’un mouvement de tête positif puis il ajoute : — Madame Gordon, je dois vous préciser que si Monsieur Gabriel Hastings a été dans sa jeunesse en asile psychiatrique, c’est simplement parce qu’il était le seul garçon dans sa famille à voir les esprits errants… Ses parents et son frère aîné ne l’avaient pas cru.
Je demande :
— Excusez-moi, Monsieur l’Observateur, mais comment se prénomment ses parents et son frère ?
Un petit sourire apparaît furtivement sur le visage de mon interlocuteur qui répond sans hésiter :
— Son père s’appelle Matthew Hastings, sa mère Rosanna Facos-Hastings, son frère Michael.
Je murmure :
— Merci de votre réponse…
Comme mon époux, mon voisin et mon ami universitaire me regardent avec impatience, Paul s’empresse de résumer les propos du Français. Ils confirment leur compréhension d’un mouvement de tête positif.
L’Observateur intervient à nouveau :
— De plus, vous devez savoir que les parents de Monsieur Gabriel Hastings l’avaient envoyé chez un docteur malintentionné, de sorte qu’il ne savait jamais quoi faire avec les esprits… Il les considérait comme des amis, passant son temps avec eux pour se reposer du travail…
Paul Eastman intervient en murmurant :
— Une question, s’il vous plaît…
— Oui…
— Est-ce que Gabriel Lawrence sait que les esprits errants doivent, selon l’ordre des choses, passer dans la Lumière ?
Un furtif sourire apparaît sur le visage sérieux de l’Observateur, qui secoue sa tête en un signe négatif et qui répond :
— Le pauvre, il l’ignore… Car il avait été repéré par le sombre esprit démoniaque de Antonio Romano, qui l’avait convaincu d’acheter une maison à l’extérieur de la ville de Grandview… Car il n’y a pas d’autre monde que le nôtre. Les esprits, après la fin d’une vie, retournent dans un autre corps, qui est alors un embryon dans le corps d’une femme enceinte… Du moins, c’était l’explication qui lui avait dit cet esprit impur…
Révoltée en mon for intérieur, je m’exclame : — Comment ça ! Ne me dites pas qu’il empêche les esprits de partir dans la Lumière ? Êtes-vous sûr qu’il… n’avait pas entendu l’histoire d’un Paradis et d’un Enfer lorsqu’il était petit ? »
Jean Bude de Guébriant dit :
— Non, car le psychiatre qui s’était occupé de lui ne parlait pas de religion. Et ses parents non plus. Le pauvre passeur d’âmes n’avait pas cette chance, comme vous, Madame Gordon, d’avoir des parents très pieux. D’ailleurs, je dois vous préciser que si Monsieur Gabriel Hastings sait les cinq signes, c’est parce que le sombre Romano l’en avait informé. Voilà comment il travaille à son insu pour le Mal, en collaboration avec cet esprit…
Paul murmure :
— Par ignorance… En effet, c’est vraiment triste…
J’ai même pitié de Gabriel.
Jean Bude de Guébriant dit d’un ton neutre :
— Mais au fond, Monsieur Gabriel Hastings n’est pas un homme si méchant… Sauf quand il est alléché par une grosse prime, les scrupules moraux tombent… C’est la raison pour laquelle il accepte de glisser sur commande du poison si l’agent du Federal Bureau of Investigation Matthew Mallinson le lui demande…
Il lève son index droit et s’exclame :
— Pour cela, il répondra de ses actions et de ses pensées immorales ! Rien n’échappe au Seigneur !
Puis l’Observateur disparaît de notre vue.
Le policier résume aux autres hommes dans la pièce l’essentiel de notre conversation avec le Français. Ils confirment leur compréhension d’un signe de tête.
Paul ajoute, mine pensive :
— Heureusement que l’Observateur a ajouté les détails au sujet de Gabriel… Je dois reconnaître que sinon, il nous serait impossible de comprendre le mobile de ses actions… Tout est clair… De sorte que je n’ai plus rien à ajouter…
Richard Payne demande :
— Puis-je seulement vous posez une question, Monsieur Eastman ?
— Oui…
— Puisque vous voyez les esprits errants, avez-vous essayé d’engager la discussion avec les esprits dans la maison de Monsieur Lawrence ?
— Oui, j’ai essayé de parler avec l’un des esprits qui déambulait dans la maison… Il m’a dit qu’il appréciait la joyeuse compagnie qui se trouve ici, en attendant la suite. Malgré que je l’ai pressé comme à un interrogatoire…
Il murmure :
— Désolé, déformation professionnelle…
Il reprend :
— Je n’ai pas pu lui soutirer plus de détails…
J’interviens :
— Ce n’est pas grave, Paul… Tu ne pouvais pas le forcer à répondre à tes questions… Comme avec les vivants…
L’interpellé murmure, petit sourire aux lèvres :
— Tu as raison…
Jim remercie notre ami policier d’avoir fait l’enquête et de nous avoir rapporté ce qui s’était passé. Todd, Richard et moi en faisons autant. Nous nous levons de nos canapés et Jim et moi remercions nos trois amis d’être venus. Mon époux raccompagne nos invités jusqu’à la porte d’entrée. Il revient ensuite me rejoindre au salon.
En serrant ma main droite, mon mari me regarde d’un air bienveillant et murmure en russe :
— Alors, Mel, tu vois bien que j’avais raison au sujet de Gabriel…
Je réplique d’un ton bourru :
— Ouais… Tu as peut-être malheureusement raison… J’étais trop idéaliste…
— Et naïve, dirais-je…
Je pense, un peu vexée, en croisant mes bras sous ma poitrine : « Merci de la remarque ! Au moins, tu es honnête avec moi ! »
Il murmure :
— Désolé, Mel, je ne voulais pas te fâcher…
Je décroise mes bras.
Jim continue :
— Il est un menteur… et ton… euh… notre ennemi…
— En un certain sens…
Je soupire puis je reprends :
— Mais le plus bizarre…
Mon époux termine ma phrase :
— … Est que Gabriel sache les cinq signes…
Il continue en haussant un peu la voix :
— Forcément, il sait alors que trois des signes se sont déjà réalisés… Et que le pire reste à venir…
Les larmes me montent aux yeux malgré moi. J’opine du chef pour faire savoir que je partage son avis.
Je m’exclame d’une voix larmoyante :
— Moi qui pensais que Gabriel était un bon ami…
Jim réplique d’un ton sérieux :
— Pourtant, toutes ses actions démontrent le contraire, Mel…
Il me câline doucement le bras et murmure :
— Il faudra seulement faire preuve de prudence en la présence de Carl Neely et de Gabriel Lawrence….Euh Gabriel Hastings… Peu importe son nom !
Je murmure d’une voix tremblante :
— En espérant qu’ils ne sont pas complices…
J’éclate en sanglots. Pour me calmer, je m’appuie contre Jim, qui me berce doucement.
Il murmure d’un ton chaleureux :
— Mel, ne pleure pas… S’il te plaît… Calme-toi… Il ne sert à rien de s’inquiéter au sujet de certaines hypothèses qui sont peut-être fausses…
Je relève ma tête pour le regarder droit dans les yeux et je réplique, en reniflant :
— N’oublie pas que Gabriel est quand même un échappé de… d’un institut psychiatrique, qui cache son passé… Un menteur peut-être pathologique… Qui sait ?
Mon époux dit, la mine pensive :
— C’est un fait… D’autant plus que nous pouvons nous attendre à tout d’un tel homme… Comme Carl Neely…
Il termine d’une voix vibrante en me serrant contre lui :
— De sorte qu’une collaboration entre eux n’est pas à exclure… Surtout s’il est vrai que Carl Neely est un bâtard…
Je soupire et l’interromps :
— Sérieux, Jim ! Ne sois pas si cynique !
Il s’excuse de son cynisme puis poursuit d’une voix songeuse :
— Dans tous les cas, il est un policier criminel…
– Ouais…. Et où veux-tu en venir ?
Il me libère de son étreinte et m’explique :
— C’est simple, Mel… Si les deux hommes, un barman sans scrupules et un policier meurtrier collaborent ensemble à notre… perte, c’est possible… D’autant plus qu’ils ont le même agent du FBI auquel ils obéissent… Donc, peut-être que le professeur Payne a raison lorsqu’il dit que des agences secrètes s’intéressent à nous… en raison de ton don… De là, un réseau… Ça fait du sens et ça explique les amis de Carl Neely…
J’interviens :
— … mais il me semble que le professeur a aussi suggéré qu’il s’agit d’un réseau beaucoup plus vaste…
Mon époux, sourire bienveillant, me corrige :
— plus large que l’échelle locale…
— Euh… Oui…
En agitant ses mains devant lui, Jim poursuit, mine sérieuse :
— De sorte que si les espions… les salauds… qui s’intéressent à toi… te menacent ainsi… C’est qu’ils pensent peut-être que tous les cinq signes se réaliseront…
En me tordant les mains, nerveuse, je murmure :
— Et quoi alors ? Est-ce une fatalité ? D’autant plus que les visions de Todd et mon rêve d’hier m’inquiètent beaucoup…
Aux souvenirs du rêve, je commence à pleurer silencieusement.
Front plissé d’inquiétude, Jim réplique, en m’enlaçant par les épaules :
— S’il te plaît, Mel… Ne pleure pas… Reste forte…
Nous demeurons silencieux pendant je ne sais combien de temps. Au moins, je parviens à sécher mes larmes. Je me raisonne en me disant que je ne dois pas paniquer pour un événement du futur et que, peut-être, le Seigneur nous sera clément. Je préfère garder foi en un miracle plutôt que de voir mon avenir d’une manière pessimiste et fataliste.
D’une voix songeuse, je réplique :
— Il faut demeurer confiants…
Je lève les yeux au plafond en ajoutant :
— … et espérer que le Seigneur nous évitera… une tragédie ou que sais-je encore quel autre malheur…
Jim, pour approuver mes propos, m’embrasse sur le front. À nouveau, un silence s’installe. Je regarde d’un air absent devant moi, tout en essayant de me souvenir de quelques détails de nos conversations d’hier et d’aujourd’hui. Bien qu’il me soit impossible de se rappeler de tout, mais l’impression générale qui s’en dégage est la suivante : Ma famille et moi sommes menacés par Dieu-sait quels salauds de mort… Je me demande bien ce que j’ai pu faire pour ainsi être en danger constant… Cette pensée fait en sorte que mon cœur frappe très fort dans ma poitrine. Je serre nerveusement la main de Jim en soupirant, exaspérée.
Il me regarde d’un air étonné, les sourcils levés. Il murmure d’une voix chaleureuse :
— De quoi t’inquiètes-tu, ma chérie ?
Je réponds d’une voix tremblante :
— J’ai tellement peur de te perdre…
— Pourtant, je suis là… J’ai bien eu un accident… il y a un peu moins de cinq ans… Et je m’en suis bien sorti…
Je confirme ses propos d’un mouvement de tête positif, en pensant par automatisme : « Dieu merci ! »
Il s’éclaircit la gorge, avec un petit sourire en coin des lèvres, il ajoute :
— N’oublie pas, Mel, qu’il est possible que nous soyons bien protégés sans que nous le sachions…
— C’est vrai… Il ne faut pas se laisser aller au désespoir…
Je m’interromps moi-même pour reprendre d’un air triste malgré moi, en fixant mon époux : — Mais ça ne change pas…
Je soupire, dépassée. J’ai tellement l’impression de vivre quelque chose qui ne relève pas de mon pouvoir.
Je termine ma phrase d’une voix plaintive :
— … au fait que peut-être plus d’individus veulent notre perte… Mais nous ne savons rien d’eux… Comment les repérer ?
Mon époux me fixe droit dans les yeux et réplique :
— Mel, par l’amour du ciel, ne sois pas si…
Je l’interromps :
— Je sais, mais… le rêve semblait tellement réaliste… De sorte que je pense… que tu es… concerné… ciblé… par…
Il termine ma phrase :
— Le signe de la mort d’un proche… Comme je l’ai déjà dit, nous n’aurons qu’à être prudents, surtout en forêt… où il est facile pour un salaud de se cacher…
Il fait une courte pause puis continue d’une voix songeuse :
— D’ailleurs, je me demande bien ce que nous ferons dans une forêt… Surtout lorsque nous avons le parc pour les promenades…
J’approuve ses propos d’un mouvement de tête.
Jim :
— De sorte que nous pouvons comprendre ton rêve comme les désirs de nos ennemis… Qui, peut-être, ne se réaliseront jamais…
J’interviens :
— Mais le signe de la colombe semble aller dans le même sens… La mort d’un être cher… Mais aussi la mort de l’âme… Une double mort… C’est pourquoi je…
— Tu crains de me perdre pour de vrai ? Voyons, Mel !
Je gémis en l’enlaçant :
— S’il te plaît, mon amour, sois prudent…
— N’oublie pas un détail…
Je l’invite d’un geste de main à développer.
Il murmure d’une voix chaleureuse :
— Que tu es vraiment née sous une bonne étoile pour avoir un mari comme moi… Et des enfants aussi adorables…
Je murmure :
— Des anges… De sorte que tu comptes bien que mes alliés… je veux dire à la fois du côté des vivants que des esprits… nous permettront d’éviter un malheur…
— De l’éviter, peut-être que oui, peut-être que non… mais dans tous les cas, de dévier le cours des événements, pourquoi pas ?
Je lui saute au cou de joie.
Mon mari ajoute :
— D’ailleurs, Mel, qu’est-ce qui te dit que les cinq signes doivent se réaliser ? De prime abord, rien… Du reste, ne cesses-tu toi-même de me répéter qu’il faut demeurer confiant en Notre Seigneur, auquel rien n’échappe ?
Émue de la justesse de sa parole, je secoue légèrement ma tête de haut en bas.
Je murmure :
— En tous cas, je suis perplexe quant à… à l’attitude de Gabriel… Hastings…
— Ma chérie, laissons ce barman de côté pour l’instant… Je te suggère de ne pas trop te préoccuper de lui… Il est clair que nous ne sommes pas du même côté… Sinon, il ferait comme toi, c’est-à-dire de passer les esprits errants dans la Lumière… Il ne les retiendrait pas comme il semble le faire… Et c’est tout ! Aucun ambiguïté, n’est pas ?
— Ouais… C’est seulement dommage de ne pas…
— L’améliorer ? Avec tout son passé… Il ne peut pas être aidé… Mon conseil : évite-le au maximum et on aura la paix de lui…
Je l’embrasse sur les lèvres ; il m’embrasse en retour.
Je pense : « Que le Seigneur nous vienne en aide ! »
Confiante que le futur ne soit pas aussi sombre que ce que je pensais, je me libère de l’étreinte de Jim pour me rendre devant la porte de la chambre de Christopher et de Jack. Là, je les appelle d’une voix douce pour leur dire qu’ils peuvent revenir au salon.
Lorsque l’heure du midi approche, je m’empresse de filer dans la cuisine pour réchauffer nos portions de pierogis. Après avoir mangé, Jim et moi faisons la vaisselle, puis nous profitons du temps ensoleillé pour une promenade dans le parc, question de se changer les idées.