Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 41 : Piscine hantée

5277 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois



8 juillet 2006, The Antique Shop of Grandview, 8 h 15.


Delia entre dans la boutique, simplement vêtue d’une ample robe bleu royal sans décolleté et avec des manches courtes. Elle a, comme depuis que la connaît, son sac à main noir qu’elle tient par la manche de sa main droite.

Étonnée, car je sais qu’elle ne travaille pas de la journée, je lui demande ce qu’elle fait ici.

Elle répond sur un ton sérieux, en montrant d’un grand geste l’intérieur de la boutique et en s’avançant jusqu’au comptoir : 

– Madame Melinda Gordon, je cherche des objets pour décorer une maison dont je suis chargée de la vente… C’est une vieille maison du siècle passé… Et des nouveaux acheteurs viendront en après-midi faire la visite… C’est pourquoi je voudrais la rendre encore plus attrayante avec des vieux objets…

Je réplique d’une voix douce, les mains posées sur le comptoir, que je cesse de tambouriner lorsqu’elle est entrée : 

– Je comprends…

Je viens au-devant du comptoir de la caisse, d’où je regarde les différents objets et meubles dans la boutique en tournant lentement ma tête de gauche à droite. Aucun n’attire mon attention, si ce n’est qu’un abreuvoir à oiseaux, près de la deuxième rangée vers ma droite. Une petite main, celle d’un enfant-fantôme, en sort. 

Je sursaute, reculant un pas derrière, de sorte que je heurte la table richement décorée du comptoir – une table style rococo en bois laqué – qui est près de moi. Heureusement que je touche le comptoir de mes mains, par réflexe, évitant à ma hanche de se cogner solidement au meuble. 

Je pense, en regardant vers la direction de l’abreuvoir : « Que voulez-vous dire ? Vous pouvez vous manifester devant moi… Je vous vois… car je suis une passeuse d’âmes… Ce sera plus simple… pour engager la conversation. » 

La main de l’enfant esprit s'agite encore, faisant apparaître des bulles sur la surface de l’eau de l’abreuvoir.

Delia s’exclame, les yeux agrandis, les sourcils levés en désignant du menton l’objet : – Êtes-vous… correcte ?

Je me retourne vers mon associée. Me forçant à sourire, je réplique : – Oui…

– Madame Gordon, qu'est-ce qui se passe ?

Je réponds : – Ce n’est rien… Je m’occupe de cet abreuvoir à oiseaux… Il a peut-être un défaut…

Je pense, en saisissant l’objet de mes mains : « Dieu merci que je suis ingénieuse pour camoufler l’esprit ! »

Je me retourne vers mon associée pour lui dire d’une voix claire : 

– Madame Delia Banks, je vous laisse regarder les objets que vous voulez prendre pour décorer la maison à vendre…

Elle confirme d’un mouvement de tête positif.

Je continue : – Pourvu que vous m’inscrivez sur une feuille de papier les objets que vous avez pris et que vous les ramenez une fois que vous n’en aurez plus de besoin… C’est correct ?

Elle hoche la tête.

Contente, je me rends dans l’arrière-boutique, où je dépose l’abreuvoir à oiseaux sur une table en fer du siècle passé. L’eau est encore aussi agitée.

Je soupire en pensant : « Pouvez-vous m’expliquer ce qui vous est arrivé ? »

L’eau cesse de s’agiter et je vois clairement un esprit apparaître devant la table, devant moi. Je m'assieds sur la chaise en bois rembourrée près de la table.

Je la détaille : une fillette, aux yeux bleus translucides et aux cheveux bruns qui sont collés à sa tête. Elle est vêtue d’un chandail à manches courtes de couleur rose et d’un pantalon d’une nuance un peu plus foncé. Je déduis qu’elle est sans doute morte dans l’eau. Cependant, le seul détail qui me trouble est la tache de sang séché à la hauteur de sa poitrine. 

Je la regarde attentivement et je murmure d’une voix douce : 

– Petite fille, peux-tu me dire pourquoi tu es attachée à cet abreuvoir ? Qu’est-ce qu’il a de spécial ?

L’esprit répond d’une voix fluette : 

– Il est dans la maison de mes parents… Je ne comprends pas… Pourquoi maman l’a apporté ici… 

Elle demeure silencieuse puis, les yeux brillants d’une lueur d’inquiétude, s’exclame d’une voix désespérée en agitant devant elle ses petite bras : 

– Pourquoi papa, maman et frérot ont quitté la maison ?

Je pense, attristée, la poitrine serrée, en baissant les yeux : « Sans doute qu’après sa mort, ils ont déménagé… Normal… »

La fillette se déplace devant moi. Ayant remarqué du coin de l’œil qu’elle s’est déplacée, je relève ma tête pour l’observer attentivement.

Elle proteste en me fixant d’un air courroucé, les mains sur les hanches : 

– Quoi ?... Vous trouvez que… c’est normal qu’ils quittent… la maison… dans laquelle nous vivons ?

Elle fait agiter à nouveau l’eau de l’abreuvoir. Elle revient devant la table où se trouve l’abreuvoir.

Je soupire en faisant un geste de la main en pointant d’un air désespéré l’objet.

Je pense, en levant mes yeux vers le plafond, en baissant mes bras : « Seigneur, aide-moi à comprendre le cas de cette fillette ! » 

Je sors rapidement mon calepin et un stylo bleu de mon sac à main, que j’ai laissé sur l’une des chaises dans l’arrière-boutique, celle en face de l’ordinateur, qui trône, avec son écran noir, sur une table en bois solide au fond de l’arrière-boutique.

Puis je ramène mon attention vers l’esprit. Ce dernier me regarde d'un air que je traduis comme étant étonné. J’ai compris qu’il m’a suivi discrètement, pour l’avoir vu du coin de l’œil. Il murmure : 

– Quoi ?

Mon plus beau sourire aux lèvres, en faisant un geste vers la fillette, je réplique : 

– Quel est ton nom ? Moi, c’est Melinda…

Elle répond, en me regardant d’un air fier, la poitrine gonflée : 

– Je m’appelle Emily…

Je griffonne rapidement sa réponse sur une page vierge de mon carnet. En la regardant plus attentivement, je déduis qu’elle doit être un peu plus âgée que mes fils.

Je m’éclaircis la gorge et je continue : 

– Emily, peux-tu m’expliquer les dernières choses dont tu te souviens ?

Emily, mine pensive, est silencieuse. 

Au bout d’un certain temps, elle répond d'une voix tremblante : 

– Je joue avec un ballon… près de la piscine… dans le jardin… Quelque chose… Quelque chose de dur… me touche… ici…

Elle désigne de son index droit l’espace entre ses deux omoplates. 

Je pense, effrayée en mon âme : « Ah ! Seigneur ! Sans doute Carl Neely l’a tué ! »

Je me signe par automatisme d’une main tremblante, après avoir déposé le stylo sur la table devant moi.

Elle poursuit, comme si elle ignore ma pensée, les yeux dans le vague : 

– Je tombe dans l’eau… Je suis au-dessus de la piscine… Je vois un corps… mon corps… flotté sur l’eau…

Sans doute que je n’ai pu réprimer une moue de dégoût, étant donné que l’esprit errant me fixe d’un air effrayé. Il tremble de toute son âme. Il me fait vraiment pitié. Des larmes brouillent ma vue tellement je suis touchée par son récit. Comme toujours lorsque j’entends des fins aussi tragiques. Surtout que ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à des esprits ayant connus une fin terrible… Là, je pense tristement à toutes les victimes du sordide policier Carl Neely, dont j’en ai perdu le compte… « Pourquoi il doit en être ainsi ? Pourquoi une mort violente ? », pensé-je en jouant nerveusement avec mon stylo.

Je me dis à moi-même que je dois rassurer cette pauvre enfant qui ne comprend peut-être pas qu’elle est morte sous une balle. 

Je soupire en pensant : « Que le Père, le Fils et le Saint Esprit éclairent la pauvre Emily ! Et me donnent la force de la rassurer ! »

Je ramène mon attention vers la fillette.

Cette dernière, après un long silence, murmure : 

– Et mon frère…

D’une voix douce, je demande : 

– Comment s’appelle ton frère ?

Sans hésiter, elle répond : – Jake…

Elle s’interrompt elle-même, puis après quelques secondes de silence, elle poursuit d’une voix tremblante : 

– Et Jake… qui accourt près… de la piscine… Il…

Emily termine sa phrase d’une voix larmoyante : 

– Il cherche… à… à… dég… à… sortir… le… mon… corps de l’eau… Il appelle papa et maman… Mais maman dort… Et papa est… au travail…

À ce moment-là, un esprit apparaît derrière la fillette : l’Observatrice française. 

J’ai presque lâché mon stylo d’étonnement. Je regarde rapidement vers sa direction en pensant : « En espérant ne pas entendre encore une histoire sordide… »

Emily, intriguée, se retourne pour voir Laurie Gibeau. Cette dernière lui sourit gentiment, puis l’enlace maternellement. Lueur de méfiance dans son regard, la fillette essaie de se dégager de son étreinte. 

La Française la rassure en ces termes, la tête penchée vers elle :

– Ne t’inquiète pas, mon enfant… Je ne veux que ton bien… Je m’appelle Laurie… Surnommée par mes collègues la préposée aux affaires familiales dans le Monde des Esprits…

La fillette cesse de se débattre et la regarde d’un air étonné. Elle balbutie : 

– Que veux-tu dire ?

Laurie regarde alternativement Emily puis moi. Son expression redevient sérieuse. La fillette et moi la regardons, attendant qu’elle dise quelque chose.

Notre interlocutrice dit d’un ton sérieux : 

– Madame Gordon, vous devez savoir que la mère d’Emily Morrison, Madame Angela Morrison, ne dormait pas…

La fillette, les yeux écarquillés, balbutie, en jouant avec le bord de son chandail qu’elle enroule et déroule sur son index droit: 

– Comment ?

Perplexe, je pense, en jouant nerveusement avec le coin de la page du carnet : « Sa mère lui a menti ? »

Un petit sourire se dessine sur les lèvres de l’Observatrice. Elle poursuit : 

– Oui, vous avez bien compris… Angela Morrison a menti à sa fille… Elle a prétendu dormir dans sa chambre, alors qu’en réalité, elle a vu depuis la fenêtre, cachée derrière les rideaux, la mort de sa fille…

De surprise, je lâche le stylo que je tenais. 

Je pense, révoltée en mon for intérieur : « Comment une mère peut-elle ainsi agir envers son enfant ? »

J’interviens, en faisant un geste rotatif de ma main droite : – Pouvez-vous préciser…

L’Observatrice : – Bien sûr… Madame Morrison a été complice avec son amant, Jeffrey Colson…, 

Perplexe, je pense, en saisissant à nouveau le stylo de ma main droite : « Qui est-il ? »

Laurie poursuit : 

– Il est le policier qui a intercepté votre époux alors que vous vous êtes dirigés vers Openview il y a deux ans, lors de votre enquête improvisée avec les descendants des esprits tchèques…

Je pense, effrayée, en lâchant mon stylo sous l’effet de la surprise : « Donc, il est aussi assassin que Carl Neely ! Ah, Mon Dieu ! Grandview est en danger ! Que le Seigneur nous protège ! »

Je me signe par automatisme.

La fillette, en promenant son regard de moi à la Française et en levant ses bras en un geste désespéré, s’exclame : 

– De quoi parlez-vous ?

Je réponds d'une voix douce après avoir reprise le stylo : 

– Ce n’est rien… qui t'intéresse… Ce sont deux esprits qui suivent un policier… de Grandview…

Je ne voulais pas lui donner plus de détails, car ceci ne la concerne pas du tout. Je songe tristement au fait que les deux sorciers tchèques ont maudit la famille de Jim… Des larmes commencent à poindre, que je me force à réprimer en clignant rapidement des yeux pour ne pas subir les questions d’Emily.

L’Observatrice confirme mes propos par un mouvement de tête positif. Elle continue d’un ton sérieux sans sourciller, en serrant contre elle la fillette : 

– C’est Jeffrey Colson qui a tué Emily, avec l’accord d’Angela Morrison, afin que son époux, Frank, ne doute pas de leur relation.

Je griffonne les noms sur la feuille du carnet en pensant : « Ah ! mon Dieu ! Les pêcheurs ! »

La fillette murmure d’une petite voix : – Est-ce vrai ?

Laurie libère Emily de son étreinte ; la fillette se retourne vers elle, en agitant sa tête d’un air incrédule. 

Je soupire en pensant : « Comment une mère peut être aussi mauvaise ! »

Je regarde Emily puis l’Observatrice, attendant que l’une d’elles dise quelque chose. Le silence est brisé par la fillette qui balbutie sa question : 

– Est-ce vrai ?

Laurie confirme sa question en secouant sa tête de haut en bas.

Emily fixe d’un air incrédule la Française. Cette dernière s’éclaircit la gorge, se penche pour être à la même hauteur que la fillette. Elle la rassure en ces termes : 

– Ma petite Emily, je te dis la vérité… Car j’ai tout vu… Et… disons que ma mémoire ne se trompe jamais…

L’esprit errant, les yeux grands comme des soucoupes, agite sa main droite comme pour protester.

L’Observatrice murmure d’une voix douce : 

– Mon enfant… Je sais que tu te demandes comment cela est possible…

Je pense, perplexe devant une telle conversation entre esprits, en jouant avec mon stylo et en tapant légèrement des pieds sous la table : « Moi aussi, je suis ne comprends pas grand-chose de ce que vous dites… »

La Française ajoute, en saisissant les mains d’Emily entre les siennes : 

– Tu n’es pas la seule à se demander si c’est possible… que ta mère soit responsable de ta mort…

La fillette ouvre sa bouche, mais notre interlocutrice réplique : – Ne me coupes pas la parole ! C’est malpoli de faire ça…

Elle poursuit : – Je disais donc… que ta mère est responsable de ta mort… Bien qu’elle a toujours affirmé t’aimer…

Je pense, en jouant avec une mèche de cheveux rebelle : « Ce n’est pas une mère ! C’est un monstre ! »

Emily tourne alors sa petite tête vers moi pour me lancer un regard noir puis elle ramène son attention vers l’Observatrice.

Notre informatrice, comme si elle ignore mes pensées, continue d’un air immuable : 

– Sauf que ta maman ne t’a jamais aimé… Ni toi, ni ton frère…

Je cligne des yeux, offusquée. J’ai beau avoir entendu des histoires d’adultères, mais il n’en demeure pas moins que ceci est choquant pour moi. J’ai quand même été bien élevée en matière de religion par mes parents. « Comme si elle n’aimait pas son époux ? Pourtant, n’y a-t-il pas plus saint et sacré lien que le mariage ? » Je n’arrive quand même pas à imaginer qu’une femme puisse en désirer un autre homme et inversement… Comment une mère ne pas aimer ses enfants ? Je suis dépassée devant une telle remarque… Pourquoi l’être humain est-il sans cesse attiré par le Mal ? 

Je soupire, exaspérée.

Laurie : – … Bon… je ne vais pas t’expliquer tous les détails… Tu es trop petite pour les entendre…

Elle fait une courte pause puis continue d’un ton neutre : 

– Mais, allons à l’essentiel…

Je suis déconcentrée par Delia, qui de l’autre côté de la porte de l’arrière-boutique s’exclame d’une voix forte : – Madame Gordon !

Je soupire, me lève et ouvre la porte de l’arrière-boutique.

Sans doute que je n’ai pas pu cacher une moue renfrognée, étant donné le petit sourire coupable qui apparaît tout à coup sur son visage.

En portant ses mains sur sa poitrine, mon associée balbutie : – Désolée… de vous déranger…

Je réplique machinalement : – C’est correct… Ne soyez pas désolée… Que se passe-t-il ?

Elle brandit une feuille de papier devant elle et dit : – J’ai trouvé trois objets dans la boutique…

Je la corrige : – Dans notre boutique…

– D’accord… dans notre boutique… pour décorer la maison dont j’ai à assurer la vente…

Je l’interromps brusquement, énervée par son intervention qui a coupé à ma conversation avec les deux esprits : 

– Avez-vous… Les avez-vous mentionnés sur cette feuille ?

– Oui…

En tendant ma main droite pour saisir la feuille, j’ajoute : – Et vous n’oublierez pas de les rendre ? 

– Bien sûr, je n’oublierai pas… Avez-vous réglé le problème de l’abreuvoir ?

– En partie… Mais ne vous inquiétez pas, je saurai m’arranger pour le régler…

Nous nous saluons et Delia sort de la boutique avec une caisse qui contient sans doute les objets qu’elle a choisi. Je me rends derrière le comptoir de la boutique, question de voir s’il y a un client qui entre. Je jette un coup d’œil à la feuille sur laquelle mon associée a fait la liste des objets empruntés : une figurine en porcelaine représentant une femme ; un vieux livre et une serviette vintage. Je plie la feuille en deux et je la range dans le tiroir de la table sur laquelle se trouve la caisse.

À ce moment, Laurie et Emily apparaissent de l’autre côté du comptoir. 

L’Observatrice dit : 

– Après une pause publicitaire avec Madame Delia Banks, revenons à nos moutons… C’est-à-dire à l’essentiel de l’histoire de la petite Emily Morrison… Par sa mort, sa mère a voulu camoufler sa relation avec Jeffrey Colson… Jake, son frère cadet, jouait alors à un jeu vidéo, de sorte qu’il n’a rien remarqué… C’était leur mère qui lui a suggéré de jouer... Et lorsqu’il est arrivé dans le jardin pour voir où était Emily, il a vu son corps flotter sur l’eau de la piscine…

Horrifiée au fait d’imaginer une telle scène, ce qui me rappelle ma propre sœur, je pense : « Ah ! Mon Dieu ! » J’ai pitié du pauvre gamin, de voir ainsi le corps mort de sa sœur. « C’est tellement triste ! »

Laurie poursuit, comme si elle ignore ma pensée : 

– Le gamin, n’ayant pas compris de ce qui s’est passé…

Je l'interromps en levant ma main droite : 

– Excusez-moi, puis-je vous poser une question ?

Elle tourne sa tête vers moi, en me regardant d’un air bienveillant.

– Oui…

– Eh bien, dis-je, en tenant mon stylo près de mon carnet, où était à ce moment le meurtrier d’Emily ?

– Il s’est enfui. Car il était derrière des arbustes. Il avait un fusil de tireur d’élite, ce qui lui avait permis de tirer sans faillir.

La fillette intervient d’un ton courroucé :

 – Pourquoi ne pas dire… Pourquoi ne pas dire la vérité à papa et à frérot ?

Je pense, exaspérée : « Je ne suis pas sûre que ton papa sera content… »

Laurie commente, en tournant son index droit en un signe négatif : 

– Ce n’est pas une bonne idée… Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire… 

Elle s’agenouille de manière à regarder la pauvre Emily droit dans les yeux. Elle ajoute : – Mon enfant, je sais que tu t’inquiètes pour ton petit frère, qui se sent coupable de ta mort…

L’esprit errant confirme en secouant de haut en bas sa tête.

L’Observatrice continue, en déposant dans un geste maternel ses mains sur les épaules de la fillette : 

– Par contre, tu peux faire quelque chose pour rassurer ton frère…

Les yeux agrandis sans doute de surprise, les sourcils levés, la bouche entr’ouverte, l’esprit errant balbutie : – Quoi ?

Un sourire chaleureux se dessine sur les lèvres de son interlocutrice. Elle murmure : – L’informer au moyen du rêve… Je m’occuperai d’en informer ton papa…

Emily baisse les yeux et dit à voix basse : – C’est possible ?

En relevant la tête de la fillette en posant ses doigts sous son menton, la Française répond : – Oui… Viens avec moi et je vais te montrer comment faire…

Son interlocutrice confirme ses propos d’un mouvement de tête positif.

Je pense, un peu froissée : « Merci d’informer les vivants sans passer par moi ! Je suis qui ici, alors ? »

Laurie se relève et tient la main droite d’Emily. Toutes les deux se retournent face à moi.

L’Observatrice m’adresse son sourire le plus gentil puis commente : 

– Madame Gordon, vous avez fait ce qu’il faut faire… Sortir la petite Emily de l’eau… Pour le reste, je m’en charge personnellement… Simplement, ceci vous évitera de contacter les parents et le frère d’Emily, tout particulièrement leur scepticisme…

Je murmure en inclinant ma tête en signe de remerciement : 

– Merci beaucoup de faire autant attention à moi…

Elle me fait un clin d’œil complice puis ajoute en désignant la fillette : 

– Je sais très bien quelle est la volonté d’Emily… Elle veut que son père lui lise la fin de l’histoire Bonne nuit la lune. Sauf qu’au lieu que ce soit son père, c’est moi qui lirai l’histoire… Et nous le ferons devant vous, afin de vous prendre en témoin…

Puis les deux esprits disparaissent de ma vue.

Je demeure un certain temps immobile, à fixer la direction vers laquelle se trouvaient auparavant Emily et Laurie. Je pense, émue de ce que j’ai entendu : « J’ignorais qu’il était possible de se lier d’amitié avec des Observateurs… Au moins, je vais me coucher moins bête ce soir ! » 

Contente et surprise de la tournure de cette histoire, profitant de l’absence des clients, je file rapidement dans l’arrière-boutique pour ranger mon calepin et mon stylo dans mon sac à main beige.

Le reste de la journée est tranquille. De même pour le soir. Évidemment, je résume à mon époux les principaux événements autour de la discussion avec les esprits.


Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, je suis au salon, en train de tricoter un chandail pour moi. Mes deux fils jouent joyeusement. J’ai le temps de tricoter un ou deux rangs que deux esprits apparaissent devant moi. Étonnée, je laisse mon tricot de côté. Ces esprits sont Laurie Gibeau et Emily Morrison. Toutes les deux semblent contentes, comme le témoignent leurs sourires et leurs yeux brillants d’une lueur de joie. Elles se tiennent par la main, comme une mère sa fille. 

L’Observatrice lâche la main d’Emily puis dit, en s’agenouillant pour la regarder droit dans les yeux : 

– Maintenant, ma petite, que nous avons informé ton papa et ton frère, je vais te lire ton histoire préférée Bonne nuit la lune… Puis tu partiras dans la Lumière, dans l’Au-delà, où tes grands-parents s’occuperont de toi… Tu seras une gentille fille, comme tu l’as toujours été… D’accord ?

L’esprit errant hoche la tête.

Moi, je suis émue par autant d’amour, à un tel point que j’en pleure presque. C’est vraiment touchant !

Laurie se relève et, en regardant alternativement la fillette et moi, large sourire aux lèvres, fait apparaître en un claquement de doigts un livre entre ses mains. Je suis ébahie avec la rapidité avec laquelle elle a fait apparaître de nulle part un livre.

Petite sourire aux lèvres, sans doute devant mon expression faciale d’étonnement involontaire, l’Observatrice commente d’un ton neutre : 

– Heureusement qu’il existe une copie de Bonne nuit la lune dans le Monde des Esprits…

Elle se retourne vers la fillette, qui la fixe d’un air encore plus étonné que moi, si cela était possible.

La Française ouvre le livre et commence à le lire. La fillette écoute. Moi, je trouve simplement mignon la scène. Ceci me rappelle lorsque je lisais des contes pour enfants à Christopher et Jack. Perdue dans mes pensées, car j'essaie de me souvenir si j’avais lu cette histoire à mes fils, je n’écoute pas attentivement.

Une fois la lecture terminée, Laurie ferme le livre et Emily tourne soudainement sa petite tête vers sa droite. Je remarque que son apparence est plus normale, je veux dire que la tache de sang et l’aspect mouillé de ses vêtements et de ses cheveux ont disparu.

La fillette s’exclame d’un air enjoué : 

– Une lumière !

Je murmure, malgré les larmes qui me montent aux yeux tellement je suis émue : 

– Va-y, c’est pour toi !

Laurie ajoute : – Et tu ne seras pas seule… Ne t’inquiète pas pour tes parents et ton frère…

Emily se retourne vers moi : – Merci, Melinda…

Je réplique dans un murmure : – Merci à toi Emily…

Je pense en levant les yeux au plafond : « Que le Seigneur ait pitié de cette pauvre âme innocente et la prenne en Son Royaume !... En priant pour qu’elle ait un meilleur destin dans sa prochaine vie… »

La fillette se retourne vers sa droite et s’exclame : 

– Merci, Laurie ! C’est vrai ! Voici papi et mamie qui me font des signes de les rejoindre ! J’arrive !

Elle s’avance à sa droite, en s’éloignant de Laurie et de moi, puis elle disparaît quelques secondes plus tard. Elle est partie dans la Lumière, sans l’ombre d’un doute.

De joie, je lâche une larme.

L’Observatrice s’éclaircit la gorge puis dit d’un ton neutre : 

– Maintenant que la petite Emily est partie, je peux vous dire toute l’histoire…

Elle fait disparaître le livre qu’elle tient entre ses mains.

Elle reprend : 

– Je vous ai mentionné que Madame Angela Morrison a trompé son époux avec Jeffrey Colson…

Je confirme ma compréhension d’un mouvement de tête positif.

Laurie : 

– Sauf qu’elle s’est permise cette adultère car son époux l’a trompée avec une jeune femme, une collègue. Je n’ai pas besoin de dire que leur ménage n’allait pas bien…

Je pense, en soupirant « Pourtant, qu’est-ce qu’il y a de compliqué dans la fidélité ? »

Comme si mon interlocutrice ignorait mes pensées, elle dit : 

– De sorte que la mort de la petite Emily était, pourrais-je dire, en quelque sorte, la bienvenue, pour détourner le problème de l’infidélité mutuelle… Ainsi, Madame Morrison pousse la faute sur son mari… Et sur la mort de leur fille…

Je me signe par automatisme puis je pense : « Dieu merci que je n’ai pas de tels parents ! Et heureusement que je ne me comporte pas ainsi envers mes enfants ! »

Laurie Gibeau me sourit gentiment puis ajoute d’un ton chaleureux : 

– Aussi, la petite Emily hantait la piscine… Qui était pour elle le lieu de sa mort…

Je pense : « Ce qui sans doute, faisait une mauvaise réputation à la maison… À moins que la manifestation de l’esprit a été Dieu-sait comment expliquée… »

Mon interlocutrice, comme si elle confirme ma pensée, dit : 

– Exactement… Rationnellement, pour les agents immobiliers et les potentiels acheteurs, il y a un problème avec le système d’irrigation de l’eau et avec la piscine… Car la petite Emily ne jouait pas seulement avec l’eau de la piscine, mais aussi avec celle dans les tuyaux des éviers…

Je pense cyniquement : « Certainement qu’avec un problème si généralisé, la maison est difficile à vendre ! »

– Vous avez bien deviné… C’est la vérité au sujet de cette maison dont votre associée s’en charge de la vente…

Laurie fait une courte pause, puis ajoute d’un ton chaleureux : 

– Voilà ! J’ai tout dit ce que je voulais… Sur ce, passez une bonne journée !

Je réplique par politesse : – Pareillement pour vous !

L’Observatrice disparaît de ma vue.


Contente, j’attends que Jim revienne de son cours, aux environs de midi, pour lui rapporter la fin de l’histoire de la petite Emily Morrison. Lorsque nous faisons la vaisselle, j’ajoute aussi mes commentaires au sujet du comportement immoral de sa mère. Il confirme mon point de vue en m’embrassant sur les lèvres ; je lui rends son bisou, rassurée.



En après-midi, je suis dans ma boutique, en train de faire l’inventaire. Delia entre et me rapporte les trois objets qu’elle a emprunté. Je la remercie puis je lui demande si la vente s’est bien passée. Elle me confirme que la semaine prochaine, elle procède à la signature du compromis de vente. Je la félicite et lui souhaite une bonne journée. Lorsque mon associée quitte la boutique, je pense, contente : « Il est certain que la vente a pu se faire sans problème, maintenant que l’esprit ne hante plus la demeure ! Dieu soit Loué ! Une maison hantée de moins à Grandview ! Un esprit en moins ! »



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