Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 40 : Nouvelle associée

5469 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois




29 mai 2006, The Antique Shop of Grandview, 8 h 15.


Comme tous les jours, depuis la mort d’Andrea, je jette un coup d’œil aux candidats ayant postulés à mon offre d’emploi. Je veux absolument trouver un associé pour m’aider dans la gestion de ma boutique, je ne peux pas y arriver seule. Certains ne présentent aucun intérêt, puisqu’ils sont des étudiants, sans aucune expérience de travail. D’autres sont des messieurs ou des mesdames qui ont déjà un emploi à temps plein ou à temps partiel, que ce soit dans des domaines aussi variés que caissières dans un supermarché ou serveurs de restaurant. Je sépare les candidats les plus intéressants, ceux qui me semblent encore les plus compétents pour m’assister dans ma boutique. Ainsi, je relis attentivement les différents curriculum vitae. L’un est celui d’un étudiant en comptabilité, un autre d’une étudiante en médecine, un autre d’une fleuriste. Mais celui d’une certaine Delia Banks, une agente immobilière depuis une dizaine d’années, est une candidate sérieuse. « Au moins, elle saura m’aider pour la caisse et pour placer les objets sur les étagères de manière à rendre la boutique plus présentable… De plus, elle habite dans un appartement à quelques pas de la boutique… Je l’appelle ! »

Je regarde une dernière fois les CV des candidats. J’en repère deux autres, un certain Alexi Del Pio – un étudiant à l’école secondaire de Grandview – et une certaine Stacy Brunet – une étudiante en communication à l’Université Rockland, qui a travaillé comme caissière dans une petite boutique de vêtements dans notre ville. Je me dis que je pourrais peut-être leur donner une chance.

Comme il n’y a ni client ni esprit dans la boutique, je téléphone à Delia Banks au numéro indiqué sur son CV. 

Une voix féminine enjouée répond au bout de l’appareil : – Bonjour !

Je réplique : – Bonjour ! Je suis Melinda Gordon. Je voudrais parler avec Madame Delia Banks…

– C’est moi-même…

– Très bien ! J’ai reçu votre candidature au poste d’associée de boutique à The Antique Shop of Grandview. Je serais intéressée à discuter avec vous…

– Merci…

– Pour vous dire que vous êtes convoquée à une entrevue cet après-midi, dans ma boutique, à 13 h 00. Ceci vous convient ?

– Oui, Madame Gordon ! 

Je demande, pour être certaine : 

– Connaissez-vous l’adresse du The Antique Shop of Grandview ?

– Oui ! 7, rue Oldstreet…

– Exactement !

Delia ajoute aussitôt d’un air enjoué : 

– À tout à l’heure !

– À tout à l’heure, Madame Banks !

Je raccroche le combiné puis je téléphone aux deux autres candidats, l’un pour une entrevue à 14 h 00, le dernier à 15 h 00. Et tous confirment pouvoir être présents. Une fois les appels faits, je reviens derrière le comptoir de la boutique. Le reste de l’avant-midi est tranquille. Quelques clients ont regardé avec curiosité les objets et sont sortis sans rien acheter. Seulement l’un d’eux a acheté une petite figurine décorative.


Vers midi, je ferme la boutique pour me rendre chez moi pour le repas. Jim, qui a cours ce matin, arrive avec nos deux fils, qu’il a laissés dans une garderie rattachée à l’Université, question que les voisins ne disent pas que nous sommes de mauvais parents qui laissent les enfants seuls à la maison. Ils sont devant la porte lorsque je suis près de la maison. Nous rentrons et mon époux file dans la cuisine pour réchauffer notre repas, à savoir des vareniki à la viande. Nous mangeons puis faisons la vaisselle. 

Ensuite, je reviens dans ma boutique pour l’entrevue avec Delia Banks. Pour l’occasion, je revêts un complet bleu marine et une chemise blanche. J’installe dans mon arrière-boutique deux chaises en bois rembourrées face à face, de chaque côté latéral d’une petite table. Sur cette dernière, je dépose deux verres d’eau et un pichet d’eau. Ensuite, je me fais une liste de questions à poser pour l’entrevue sur une feuille de papier.


J’attends la candidate derrière le comptoir. Vers 12 h 55, une femme bien enrobée – pour ne pas dire obèse – vers la quarantaine, vêtue d’un complet noir et d’une chemise blanche, entre dans ma boutique. Elle tient un sac à main noir de sa main droite. Je ne remarque pas un esprit errant à ses côtés. La femme regarde à gauche et à droite. 

Elle m’apostrophe sur un ton neutre : 

– Excusez-moi, Madame, je suis Delia Banks et je viens pour…

Large sourire aux lèvres, je termine sa phrase : 

– Une entrevue… 

Je tends ma main droite au-dessus de comptoir : 

– Melinda Gordon ! Enchanté !

Après une poignée de main, je l’invite dans l’arrière-boutique pour l’entrevue. Delia me suit et s’assied sur la chaise que je lui ai indiqué. Je sors de mon sac à main la feuille contenant les questions de l’entrevue et un stylo pour prendre note des réponses.

Je m’éclaircis la gorge puis je demande : – Madame Banks, où avez-vous trouvé l’offre d’emploi ?

Sans hésiter, les mains posées à plat sur la table, elle répond d’un ton neutre : – Dans les journaux locaux.

Je pense cyniquement : « Hourra ! Les journaux sont encore lus malgré l’arrivée de l’Internet ! »

Je m’éclaircis la gorge pour cesser de divaguer dans mes pensées : – Merci de votre réponse…

Je fais une courte pause, le temps de lire ma deuxième question : – Maintenant, expliquez-moi comment votre expérience professionnelle vous permettra de bien exécuter les différentes tâches du poste ?... 

Je lève mes yeux de ma feuille puis enchaîne aussitôt, en énumérant une liste avec mes doigts : – … tâches qui comprennent la manipulation d'une caisse, l’inventaire mensuel, la rédaction des rapports des chiffres d’affaires, la présentation visuelle des différents produits, ainsi que répondre aux questions des clients et les conseiller dans leurs achats. 

Delia hoche la tête puis répond d’un ton neutre en agitant ses mains devant elle : 

– Mon expérience d’agente immobilière me permettra de pouvoir conseiller les clients de votre boutique… C’est comme les conseiller pour l’achat d’une maison ou d’un condominium, sauf pour des objets d’une plus petite dimension…

Je pense, en griffonnant quelques mots sur ma feuille : « L’explication est intéressante… On dirait une personne sérieuse… »

Mon interlocutrice poursuit : 

– Même chose pour la présentation visuelle des produits d’une boutique… C’est comme celle des propriétés dont je m’assure la vente… Il suffit simplement de trouver les bons objets et de les placer au bon endroit… Ce sont des éléments de marketing… Quant au fait de répondre aux questions des clients, c’est aussi quelque chose avec laquelle je suis à l’aise, étant donné les années d’expérience que j’ai à travailler avec différents individus, que ce soit des vendeurs, des potentiels acheteurs et d’autres agents immobiliers… 

Elle s'interrompt pendant quelques secondes, comme si elle cherchait ses mots, puis me demande : – Excusez-moi, mais est-ce qu’il y a d’autres tâches que j’aurai oublié ?

Avec mon plus beau sourire, je réplique d’une voix douce : – Vous avez seulement oublié la manipulation d’une caisse et l’inventaire…

Un petit sourire coupable, elle murmure : 

– Désolé… Faire l'inventaire… je dirais que c’est comme annoncer une propriété dans un catalogue promotionnel… Quant à la manipulation d’une caisse, je ne le sais pas très bien, mais vous me montrerez comment elle fonctionne et au bout de quelques semaines, me voilà capable de l’utiliser…

– Merci de votre réponse.

Je bois une gorgée d’eau puis je continue :

– Quelles sont vos qualités qui font du vous la candidate idéale au poste ?

Mine pensive, Delia demeure silencieuse pendant je ne sais combien de temps avant de répondre d’une voix hésitante : – Je dirai la ponctualité, le sérieux et… Laissez-moi encore un peu de temps pour réfléchir…

Je réplique : – Prenez votre temps, pas de problème si vous en avez besoin… Pourvu que nous terminions notre entrevue avant 14 h 00, c’est correct pour moi… 

Un petit sourire furtif se dessine sur ses lèvres puis elle termine sa réponse : – Je dirai aussi l’éloquence…

Je pense, contente de la candidate : « Madame Banks est vraiment convaincante… J’ai hâte d’entendre la suite de ses réponses… En espérant qu’elle ne me décevra pas… »

Je la remercie d’un signe de tête, puis j’enchaîne avec ma prochaine question :

– Quel est votre plus grand défaut ?

Petit sourire coupable aux lèvres, elle répond : 

– La gourmandise…

Je pense : « Je m’en doutais bien… Assez de faire des remarques déplacées ! »

Je m’éclaircis la gorge pour me ressaisir. Je lis ma prochaine question :

– Pourquoi avez-vous postulé à l’offre ?

La candidate répond d’un ton assuré, la tête haute : 

– Pour être honnête, j’ai toujours voulu… Travailler dans une petite boutique d’antiquités… question de se changer les idées de la vente des maisons… Seulement, je n’ai pas trouvé d’offres d’emplois dans notre ville… mais dans des régions éloignées…

Je pense : « Au moins, elle sera motivée à travailler… Candidate intéressante et passionnée ! Je ne doute pas qu’elle fera bien les tâches… »

Je réplique d’un ton aimable : – Merci de votre réponse…

En jetant un coup d’œil sur ma feuille, j’ajoute d’un air enjoué : – Maintenant, ma dernière question…

Je continue d’une voix neutre : 

– Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de travailler dans une petite boutique d’antiquités ?

Delia demeure silencieuse pendant un certain temps, puis répond d’un ton joyeux : 

– Ce qui m’intéresse dans le fait de travailler dans une petite boutique d’antiquités, c’est le petit local, la familiarité des collègues et des clients… On peut dire que tout le monde connaît tout le monde à Grandview…

Je confirme ses propos d’un mouvement de tête positif.

Elle poursuit : 

– De plus, je trouve les anciens objets très intéressants. Disons qu’ils ont un certain charme, une certaine beauté… Et une histoire…

Je pense : « Je suis d’accord avec vous… J'ajouterai que les vieux objets sont aussi liés à des esprits… Ce qui me donne du travail supplémentaire… »

Je dis d’un air enjoué : 

– Moi, j’ai terminé avec mes questions. En avez-vous ?

La candidate répond : 

– Comme tout était clair dans l’offre, je n’ai aucune question…

– Merci beaucoup, Madame Banks, d’être venue à l’entrevue !

Je fais une courte pause puis j’ajoute que dans tous les cas peu importe la réponse, positive ou négative, elle sera contactée. 

Nous nous levons de nos chaises, échangeons une poignée de main solide et je la raccompagne jusqu’à la porte d’entrée. Une fois la porte refermée, je reviens derrière la caisse. 

La candidate me fait une bonne impression. « Je dois en discuter avec Jim… » 


Ensuite, à 14 h 15, mon prochain candidat se présente à la porte de ma boutique. Je pose les mêmes questions que celles que j’ai posées auparavant à Delia. Cependant, Alexi Del Pio hésite beaucoup dans ses réponses. Et avec son retard de quinze minutes, il est vraiment désavantagé. Sinon, je n’ai rien à redire quant à sa politesse ou à sa tenue vestimentaire. 


Vers 15 h 00, ma dernière entrevue de la journée avec Stacy Brunet, qui me fait une bonne impression. Elle est une jeune femme dynamique qui se montre intéressée à en apprendre plus sur les vieux objets. Cependant, un esprit errant qui l’a suivi m’a dit qu’elle a été renvoyée de son poste de caissière après une dispute avec son supérieur immédiat, avec lequel elle a été en relation intime. De plus, je trouve sa tenue vestimentaire peu décente, avec un chandail à décolleté qui laisse voir sa généreuse poitrine. Je serais jalouse que Jim la regarde… Tant pis, Mademoiselle ! Mais votre nom n’est pas retenu ! C’est donc Delia Banks qui sera mon associée. Elle est ponctuelle, professionnelle et s’habille d’une manière tout à fait décente.

Le reste de l’après-midi est tranquille. Quelques curieux sont venus pour regarder les objets, mais une minorité ont acheté des figurines et une chaise.


Vers 17 h 00, je ferme la boutique et je reviens chez moi. Je discute avec Jim du déroulement des entrevues, sans oublier de mentionner la candidate retenue. Il partage mon avis. Le soir est très routinier : le souper, la vaisselle, le tricot, envoyer nos fils dormir dans leur chambre, la prière du soir et enfin le sommeil réparateur tant désiré.




Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, je file dans ma boutique, fébrile, pour informer Delia Banks que sa candidature a été retenue et qu’elle est embauchée la journée même. Elle devra seulement passer en après-midi pour l’ouverture de son dossier d’employée. Je téléphone également aux deux autres candidats qui sont passés la veille en entrevue, afin de les informer que leur candidature n’a pas été retenue et en leur souhaitant tout le bien dans leur recherche d’emploi. 

Dès que ma nouvelle associée de boutique s’est pointée devant la porte de son nouveau lieu de travail, je l’accueille chaleureusement et je lui tends les papiers à remplir pour pouvoir ouvrir son dossier. Une fois fait, je lui montre le fonctionnement de la caisse. Je remarque du coin de l’œil que Delia prend des notes sur une feuille de papier qu’elle sort de son sac à main. Le reste de l’après-midi est tranquille. Seuls trois clients sont entrés et un a acheté une petite figurine en porcelaine. Je regarde comment Delia interagit avec eux. Son approche me semble correcte. Cependant, je suis à la caisse, pour être sûre qu’elle ne commet pas d’erreur. 

Vers 17 h 00, j’annonce à Delia que la journée de travail est terminée. Une fois mon associée sortie, je sors à mon tour de la boutique et je reviens tranquillement chez moi, très contente de ma journée.

Après le souper, je rapporte à Jim les principaux événements de la journée, sans oublier de souligner comment je suis contente de ma nouvelle employée. Il m’embrasse sur les lèvres en signe d’encouragement. Nous nous endormons enlacés, après la prière du soir.

 





1er juin 2006, The Antique Shop of Grandview, 8 h 10.


Je suis derrière le comptoir de la caisse. Delia ne débute qu’en après-midi. Vers 12 h 00, elle se pointe dans ma boutique. Quelques minutes après, je vois un homme, vers la trentaine ou la quarantaine, entrer dans la boutique. Je le détaille : un homme costaud, large d’épaules, vêtu d’un complet bleu marine et d’une chemise blanche. En regardant mieux son visage, il me semble l’avoir déjà vu quelque part… Avec ses yeux bruns et ses cheveux bruns foncés… Il me rappelle vaguement quelqu’un… Est-ce que c’était à l’hôpital Mercy, lors d’une visite à mon mari ? Je ne me souviens point. Il est donc un collègue de Jim…

Je m’éclaircis la gorge et je demande à l’homme ce qu’il cherchait.

Il répond d’un ton affable, en regardant discrètement vers la direction de mon associée : 

– Je cherche Madame Delia Banks…

Étonné, l’interpellé réplique : 

– Qui êtes-vous ?

Il s’incline devant elle, la main droite sur sa poitrine et se présente : 

– Timothy Flaherty, un ambulancier de profession.

Je me permets de commenter :

 – Excusez-moi, mais puis-je vous poser une question…

Timothy, en tournant légèrement la tête vers moi, réplique : – Oui…

Je reprends : – Êtes-vous un collègue de mon époux, Jim Clancy ?

– Oui !

Je fais une courte pause puis demande à l’homme : – Mon associée, Madame Delia Banks, est là…

L’interpellée, qui est alors dans l’arrière-boutique, puisqu’elle s’est discrètement retirée lorsque j’ai parlé avec Timothy, sans doute pour laisser son sac à main, revient d’un pas rapide derrière le comptoir, me rejoignant à ma droite.

Timothy, les yeux brillants de joie, tourne sa tête vers elle et s’exclame d’un air enjoué, en tendant sa main droite par-dessus le comptoir, comme s’il voulait saisir celle de la quarantenaire : 

– Madame Delia Banks ! Je vous invite à un café dans le parc de Grandview !

Il se retourne à moitié de manière à être dos à nous. Il s’exclame en montrant dans un geste théâtral l’extérieur de la boutique : 

– Il serait bien de profiter du temps ensoleillé… Qu’en pensez-vous ? 

Delia baisse sa tête et murmure : 

– J’accepte votre proposition… J’ai, en effet, envie de boire un café…

Elle se tourne vers moi et dit : 

– Excusez-moi, Madame Gordon… Puis-je revenir dans quinze minutes ?

Avec mon sourire le plus aimable, je réplique : 

– Aucun problème ! Seulement, vous devez inscrire sur votre prochaine feuille de temps l’heure exacte à laquelle vous avez commencé à travailler… 

– C’est entendu, Madame Gordon… À tout à l’heure !

Delia se retourne vers le collège de mon mari et dit d’une voix gênée : 

– Monsieur, je vous suis… Seulement que j’amène mon porte-monnaie…

Timothy agite son index droit en un signe négatif et murmure : 

– Madame, c’est moi qui paie le café…

Elle réplique dans un murmure : – Merci…

Et elle le rejoint de l’autre côté du comptoir et tous les deux sortent de la boutique. Ils se dirigent d’un pas lent vers le parc, qui est en face de mon petit local.

Je pense, en les suivant du regard jusqu’à ce que je les perde de vue : « On dirait que Monsieur Flaherty courtise Delia Banks… L’amour est dans l’air… »

Je dépose mes mains sur le comptoir, rêveuse. 

« Ceci me fait penser lorsque Jim m’avait fait la cour avant nos fiançailles… Il m’avait invité à discuter de tout et de rien… »

Je sors de mes pensées par l’irruption d’un client, qui regarde avec curiosité les objets sur les étagères. Je le suis discrètement du coin de l’œil. Au bout d’un certain temps, il sort de la boutique sans rien acheter.


Effectivement, voilà au bout d’un certain temps, Delia et Timothy devant la porte de ma boutique. Je fais des grands signes des mains pour l’inviter à entrer. Elle entre après avoir échangé quelques paroles avec l’homme, ce que je peux deviner aux mouvements de leurs lèvres et de leurs têtes. Et enfin, mon associée entre dans la boutique et balbutie quelques vagues excuses, rouge comme une pivoine. Je souris gentiment et lui laisse la boutique entre ses mains. Je reviendrai vers 17 h 00 pour la fermer. Après les formules de politesse, je reviens chez moi. Jim a cours et personne n’est à la maison, puisqu’il a laissé les enfants à la garderie de l’Université. J’attends qu’ils reviennent pour expliquer à mon époux ce qui vient de se passer dans ma boutique. Il partage mon avis quant au fait que Timothy courtise Delia, sans l’ombre d’un doute. Il m’enlace tendrement. Nous sommes contents pour eux, en espérant entendre la nouvelle d’un mariage prochain, si Dieu le veut. Le soir est tranquille.





10 juin 2006, The Antique Shop of Grandview, 15 h 00.


Mon associée et moi sommes en train d’organiser la présentation de certains objets dans la boutique.

Delia me dit : – Excusez-moi, Madame Gordon, mais je dois aller voir où est mon fils…

D’un affable, je demande : – Si ma question n’est pas trop indiscrète, comment s’appelle votre fils ?

– Ned. Il a douze ans… Croyez-moi, un gamin turbulent ! Je voudrais m’assurer qu’il ne traîne pas avec des filles ou avec des amis…

– Je comprends… Vous êtes simplement une mère qui se préoccupe de son fils… Moi-même, j’ai deux fils… Sauf qu’ils sont beaucoup plus jeunes que le vôtre…

– Comment s’appellent vos fils ?

– Christopher et Jack… Ils ont respectivement… quatre et trois ans.

– Intéressant ! Mais je dois vous laisser… Je dois aller voir où est mon fils turbulent ! 

Elle prend son sac à main, qu’elle jette nonchalamment sur son épaule droite, et sort en trombe de la boutique. Je le regarde jusqu’à ce que je la perde de vue, en tournant au coin d’une rue. Je crois alors discerner une forme diaphane à sa droite. Sauf qu’elle disparaît aussitôt, de sorte que je ne peux pas déterminer sa stature et son apparence. Je soupire et je fixe bêtement la porte, perdue dans mes pensées. « Ainsi, Delia est mère d’un fils… un adolescent… Intéressant ! Au moins, sa postérité est assurée ! Et son mari ? Pourtant, je n’ai pas remarqué qu’elle porte une alliance… J’espère seulement pour elle qu’elle ne soit pas une mère monoparentale… à ne pas exclure… Mais c'est ce que je comprends en raison de la cour de Timothy… Sinon, elle aurait gardé ses distances… Déduction : elle est soit divorcée, soit veuve de son époux… » Je soupire pour cesser de divaguer dans mes pensées. « C’est sa vie, ça ne devrait pas m'intéresser ! »

Lorsque je reviens à la maison, je discute avec Jim de mes hypothèses concernant Delia. Il me dit qu’il a entendu qu’elle est veuve de son mari, ce qui peut expliquer pourquoi elle ne refuse pas les avances de Timothy. Cependant, mon cher époux ne peut pas m’expliquer plus au sujet du décès du mari de mon associée, car il ignore tout des circonstances. Il sait seulement que celui-ci est mort il y a trois ans et que son nom est Charlie Banks. Après la prière du soir, nous nous endormons enlacés.







15 juin 2006, The Antique Shop of Grandview, 13 h 00.


J’entre dans ma boutique, pour prendre la relève de mon associée, qui est derrière la caisse, en train d’ouvrir un carton. Intriguée, je lui demande ce que c’est. Elle répond que ce sont de nouvelles acquisitions qui ont été apportées ce matin, par une dame d’un certain âge.

Je commente d’un ton ironique : 

– J’espère, Madame Banks, que vous n’avez pas fait l’inventaire de ces nouveaux objets…

– Non… J’attendais votre arrivée pour les ouvrir et les ranger… C’est quand même vous qui êtes ma patronne…

Petit sourire aux lèvres, je murmure : 

– Merci…

Je fais une courte pause puis je reprends d’un débit de voix normale : 

– Eh bien… Regardons ce que contient cette boîte.

Mon associée ouvre la boîte. Je jette un coup d’œil : un chapeau en feutre noir. Il semble visiblement usé et pâli, comme le montrent son bord qui est plus gris que noir. 

Delia le sort de la boîte en commentant : 

– J’aime les chapeaux ! C’est pratique en été pour se protéger du soleil…

Je confirme ses propos d’un mouvement de tête positif en pensant : « Mais il faut quand même faire preuve de prudence lors des grandes chaleurs… Un chapeau ne fera pas en sorte d’être au frais…. C’est de l’air climatisé qu’il faut… » 

D’un geste sûr, sans trembler, Delia place le chapeau sur sa tête. Lorsque je la regarde attentivement, le chapeau me fait penser à celui de Romano, le sombre esprit que j’ai déjà rencontré. Je suis effrayée à l’idée qu’un tel objet soit arrivé dans ma boutique. Sans être superstitieuse, je vois la présence d’un tel objet comme étant maléfique.

Perplexe, je me demande bien comment faire pour qu’elle l’ôte. « Que Dieu me pardonne ! », pensé-je, « Mais le plus simple est de mentir qu’une araignée ou une bestiole de la sorte se promène sur le chapeau… Peut-être qu’elle a peur de ces horribles bêtes… »

Contente de mon idée, je m’éclaircis la gorge puis lui dire d’un ton sérieux, mon cœur battant la chamade à l’idée que mon mensonge soit découvert : 

– Madame Delia Banks, une araignée se promène sur le chapeau…

Les yeux agrandis, les sourcils levés, mon associée balbutie, en ôtant prestement le chapeau : – Sérieux ?

Elle jette l’objet sur le comptoir d’un geste sec. Elle murmure : 

– Je n’ai rien remarqué… 

Puis elle s’exclame, en regardant le comptoir, les yeux écarquillés sans doute de terreur : 

– Puah ! Ces bestioles ! J’ai horreur !

Je commente d’un air aussi sérieux : 

– En ôtant le chapeau, l’araignée est sans doute tombée par terre et elle se promène sur le plancher de la boutique…

Delia regarde rapidement le sol près de la caisse puis s’exclame, les yeux exorbités : 

– En tout cas, je ne l’ai pas repéré ! Je vous laisse la chasser loin de la caisse ! En attendant, je vais m'asseoir sur une chaise dans l’arrière-boutique… En espérant qu’elle ne soit pas arrivée là !

Je confirme d’un hochement de tête puis j’ajoute aussitôt : 

– Ne vous inquiétez pas, Madame Banks, dès que je réglerai le cas de l’araignée, je vous ferai signe de revenir…. 

Je m'interrompt pendant quelques secondes en pensant, me tapant le front avec la paume de ma main droite : « Mais c’est vrai ! Elle a terminé son quart de travail ! »

Je reprends : – En fait, désolé…. De quitter, puisque vous avez terminé votre journée de travail…

Elle réplique dans un souffle : 

– Merci !

Et mon associée court jusqu’à l’arrière-boutique. Je profite de la situation pour refermer la boîte contenant le chapeau noir. 

À ce moment, l’Observateur français apparaît devant moi. Sa mine est très sérieuse, m’effrayant jusqu’à un certain point.

Intriguée, je lui demande mentalement dans un soupir : « Que voulez-vous me dire ? » 

D’un ton sérieux, qui va bien avec son visage figé en une expression presque glaciale, il répond : 

– C’est au sujet du chapeau, Madame Gordon…

Je l’enjoins d’un geste rotatif de ma main à poursuivre.

Mon interlocuteur affirme, le visage aussi inexpressif : 

– Ce chapeau ne vous fait-il pas penser à quelque chose ?

Je réponds mentalement : « À celui du sombre Romano… »

Jean Bude de Guébriant confirme mes propos : 

– En effet, ce chapeau lui avait appartenu de son vivant…

Étonnée, je m’exclame mentalement : « Comment est-ce possible ? »

– Il avait plusieurs chapeaux sur le même modèle… Et je dois répondre à votre question à savoir comment ce chapeau-ci a pu arriver entre vos mains…

Par automatisme, je fais un mouvement rotatif de la main droite.

Mon interlocuteur poursuit : 

– Eh bien, la dame qui l’a apporté est la descendante de sa sœur. Son nom n’a pas d’importance pour vous. Le point étant que, dirigée par son défunt frère, Antonio, elle a apporté cet objet, en pensant que celui-ci hantera votre boutique… Je dois préciser que ce chapeau en particulier est investi d’une magie particulière, puisqu’il a été porté par Antonio Romano lors d’une tournée parmi ses adeptes d’Italie de décembre 1995 à janvier 1996…

Les yeux larmoyants, je pense : « Mais comment est-il possible de se débarrasser de cet objet ? Surtout… »

Il termine ma phrase : 

– lorsque vous savez qu’il est votre ennemi juré dans le Monde des Esprits ? C’est simple… Il suffit de jeter l’objet maléfique dans la rivière entre Grandview et Openview…

Je confirme en secouant la tête de haut en bas. 

L’Observateur disparaît de ma vue en passant à travers la porte de la boutique. 

Contente, je me rends à l’arrière-boutique pour dire à mon associée que j’ai retrouvé l’araignée et que je l’ai expulsée à l’extérieur de la boutique. Delia me remercie et sort du local. 

Une fois la journée terminée, je me rends d’un pas rapide jusqu’à la rivière, où je jette la boîte, qui flotte pendant je ne sais combien de temps avant que je la perde de vue. À ce moment précis, le sombre esprit apparaît à ma gauche, me faisant sursauter malgré moi. Homer apparaît à ma droite et grogne vers la direction de Romano, le mettant en fuite. Je remercie le chien-esprit d’un mouvement de tête ; il jappe de joie et s’évapore dans les airs jusqu’à disparaître complètement de ma vue. Contente, je remercie le Seigneur de bien me protéger. Au moins je comprends mieux les propos des Observateurs au sujet d’Homer : il doit me protéger de mes ennemis dans le Mondes des Esprits, qui est parallèle au nôtre. 

Je reviens d’un pas léger chez moi, où Jim me reçoit à la porte, impatient sans doute pour le souper. Après le repas, lorsque nous faisons la vaisselle, je lui explique ce qui s’est passé à la boutique. Comme toujours, il m’écoute attentivement puis il m’embrasse sur les joues en signe d’encouragement. Heureusement, Dieu soit Loué, le soir est tranquille, comme les autres nuits depuis quelques semaines.





30 juin 2006, The Antique Shop of Grandview. 13 h 00.


Delia et Timothy, main dans la main, entrent dans la boutique. Ils m’annoncent à l’unisson qu’ils se marient le 29 août prochain. Je les félicite. Mon associée de boutique ajoute que Jim et moi sommes les invités d’honneur. Je les remercie puis ils quittent le local d’un pas lent, comme s’ils avaient tout le temps du monde. Je pense rêveusement à mon propre mariage…

Lorsque je reviens du travail, j’en informe mon époux. Ce dernier m’assure pouvoir être présent, car la session d’été sera déjà terminée, tandis que celle d’automne ne débute qu’en septembre. D'ailleurs, il ajoute que son collègue lui a annoncé l’heureux événement.



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