Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
Chapitre 38 : Où est Andrea Marino-MacNeil ?
4410 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 23 jours
12 mai 2006, The Antique Shop of Grandview, 8 h 10.
Je suis derrière la caisse, attendant qu’un client fasse irruption. Je suis perdue dans mes pensées, en train d’imaginer les scénarios possibles en ce qui concerne la mort d’Andrea.
Tout à coup, voilà Andrea, toujours vêtue de son complet bleu et de sa chemise blanche salis, qui apparaît devant moi.
Je sursaute et tourne ma tête vers elle.
Je pense : « Andrea, tu fais vraiment triste mine… »
L’esprit errant hoche tristement la tête puis murmure :
– Je le sais…
Je murmure, les sourcils foncés :
– Peux-tu m’expliquer ce qui s’est passé ?
Mon associée répond :
– Un accident de voiture… Hier… J’ai perdu le contrôle du véhicule sur l’autoroute…
À ce moment-là, un esprit fait brusquement son apparition à la droite d’Andrea, que je reconnais immédiatement : l’Observateur.
Andrea et moi, toutes les deux étonnées, tournons légèrement nos têtes vers sa direction.
Je pense en soupirant : « J’espère seulement ne pas entendre encore des histoires sordides… »
Le Français s’éclaircit la gorge puis affirme d’un air sérieux, sans sourciller :
– Mesdames, vous devez savoir que le responsable de l’accident de voiture n’est nul autre que Carl Neely.
Nous nous exclamons d’une seule voix :
– Comment ?
Sans se laisser déconcentrer, notre interlocuteur continue d’un air aussi sérieux :
– Oui, vous avez bien entendu… Maintenant, vous comprenez pourquoi l’autoroute est surnommée « l’autoroute de la mort ».
Nous approuvons ses propos d’un mouvement de tête positif.
Jean Bude de Guébriant poursuit :
– Carl Neely est responsable de l’accident de Madame Andrea MacNeil, parce qu’il a tiré sur les pneus du côté gauche du véhicule. Elle a alors perdu le contrôle de l’automobile, de sorte qu’elle a foncé sur un arbre en contrebas. Le coup a été fatal.
Je soupire en pensant tristement : « Rien de nouveau sous le soleil ! Ce n’est pas la première fois que Carl Neely agit de la sorte… À croire qu’avec le temps, il a perfectionné ses méthodes ! »
L’Observateur confirme mes pensées en bougeant sa tête de haut en bas.
Il ajoute aussitôt :
– Je sais, Mesdames, que vous vous demandez bien la raison d’une telle action…
Andrea et moi nous exclamons à l’unisson :
– Oui !
Un furtif sourire triste se dessine sur les lèvres de notre informateur, qui continue sa phrase : – Parce qu’il est furieux que vous vous êtes mariée à un homme que vous aimez et qui vous aime.
Mon associée, les sourcils levés, les yeux écarquillés, balbutie :
– Pourquoi ?
Jean Bude de Guébriant répond :
– Parce qu’il voulait vous avoir pour lui seul… C’est lui qui a éloigné de vous tous les prétendants les plus sérieux, en leur disant que vous êtes sa petite-copine… D’après lui, vous n’auriez pu vous marier à Monsieur Frank MacNeil, puisqu’il a calculé qu’il n’était pas un prétendant sérieux… De sorte, que, dans sa colère, depuis votre mariage, le perfide policier a réfléchi à tous les moyens possibles pour vous faire périr puisqu’il a compris qu’il n’a aucune chance de vous connaître…
L’esprit errant qu’est devenue Andrea fronce des sourcils et balbutie d’une voix hésitante : – Vous êtes sérieux… Monsieur ?
– Oui, c’est pourquoi il vous a été difficile de trouver votre âme-sœur. Heureusement pour vous, le Seigneur a été clément et vous a permis de rencontrer Frank MacNeil.
– Excusez-moi… Puis-je vous poser une question ?
D’un ton affable, l’Observateur réplique :
– Oui…
Andrea, d’un air étonné :
– Et bien, lorsque vous parlez de Carl Neely, c’est un jeune policier aux yeux gris qui m’avait courtisé il y a quelques années ?
– Exactement.
J’interviens :
– Par ailleurs, Andrea, tu dois savoir que ce n’est pas la première fois que Carl Neely agit ainsi…
L’esprit errant, les yeux grands comme des soucoupes, les sourcils levés, balbutie : – Sérieux ?
Je réplique :
– Bien sûr ! À quoi tu penses ? À une blague ?
Je soupire puis je continue d’une voix quelque peu tremblante malgré moi :
– Je le sais… en raison… des conversations avec… les différents esprits errants… qui le suivent… Et de ceux qui ont été ses victimes… Ce qui est aussi confirmé par Monsieur ici présent..
Je fais un geste de ma main droite vers l’Observateur et je termine ma phrase :
– Désolé d’avoir oublié son nom… Mais je sais qu’il est un Observateur, un Français du Moyen Âge…
L’interpellé intervient :
– Je me présente. Je suis Jean Bude de Guébriant… Et je peux vous dire que Madame Melinda Gordon vous dit la vérité, car elle a très bien résumé mes propos…
Je commente :
– Même si le rapport entre Carl Neely et les deux esprits tchèques demeure encore aujourd’hui pour moi un mystère…
L’Observateur me coupe sèchement la parole :
– Je vous ai déjà dit que vous avez trop d’indices ! À vous d’établir le rapport entre Carl Neely et les deux esprit sordides qui le suivent partout !
Andrea intervient :
– Si vous permettez une question…
L’Observateur d’un ton chaleureux :
– Oui, Madame…
– Et bien, si vous dites que ce n’est pas la première fois que Carl Neely agit ainsi, ceci signifie que je ne suis pas la seule victime…
L’Observateur :
– Exactement… Pour le reste, je laisse Madame Gordon vous expliquer.
Puis, avant qu’un son ne sorte de ma bouche, voilà notre informateur qui disparaît de notre vue en passant à travers la porte de la boutique.
J’explique alors à Andrea ce que je sais au sujet de Carl Neely.
Ma défunte associée me regarde d’un air triste, les yeux agrandis sans doute de peur.
Elle murmure :
– C’est vraiment… trop tôt… de mourir après un an et quatre mois de mariage…
Je commente, les larmes montant à mes yeux :
– En effet… Dommage… pour toi, Andrea…, de ne pas profiter de ton mariage et d’être mère…
Je termine d’une voix cassée :
– Je te souhaite plus de chance la prochaine fois…
L’esprit errant gémit :
– Je dois forcément être née sous une mauvaise étoile pour ainsi se marier si tard, pour ne pas avoir d’enfant…
Elle termine en pleurant sa phrase :
– Et ne pas savoir ce qui est advenu à mon frère…
Je sors un mouchoir de la poche de mon pantalon pour essuyer mes larmes tellement je suis émotive.
Andrea demeure silencieuse pendant je ne sais combien de temps avant de murmurer d’une voix triste :
– En parlant de mon mari, veux-tu lui dire de surmonter rapidement ma perte ?
– Oui…
– Et lui dire que je lui permets de se remarier avec une autre femme ?
– Je lui dirai tout, ne t’inquiète pas…
– Merci !
– Il n’y a pas de quoi…
La revenante soupire puis gémit :
– Je trouve ça tellement bizarre d’être près de Frank mais de ne pas pouvoir l’embrasser, le câliner ou lui parler… D’ailleurs, comme il m’ignore, ce qu’il ne fait jamais, j’ai compris qu’il ne voit pas, comme toi, les esprits errants…
Ma défunte associée se tait pendant quelques secondes, s’éclaircit la gorge puis demande d’un ton neutre :
– Mel, peux-tu me dire qui est le monsieur qui a parlé avec autant d’assurance ?
– Oui, répondis-je. Puis je lui explique ce qu’est un Observateur.
Elle m’écoute attentivement, comme toujours depuis que je la connais, puis murmure : – C’est vraiment bizarre de voir les esprits… Moi qui imaginais que le monde était moins peuplé !
Je réplique d’un ton un peu ironique :
– Bienvenue dans mon quotidien !
– Disons que je préfère mieux ne pas les voir… Cette expérience de l’autre côté m’est suffisante !
– Merci pour cette blague, Andrea… Mais sérieusement, pourquoi restes-tu encore parmi les vivants ?
L’entité soupire puis répond d’un ton larmoyant :
– Je veux seulement savoir si mon frère est vivant… J’ai entendu, avant d’arriver ici, qu’il est mort… De sorte que je me sentirais fautive si c’était vrai…
Étonnée, je pense en fronçant les sourcils : « Qui t’a dit une telle information ? »
– Un esprit vêtu de noir avec un chapeau noir sur la tête…
Je murmure d’un ton courroucé malgré moi :
– Romano !
Puis je lui explique en résumé ce que je sais au sujet de ce sombre revenant.
Nous demeurons silencieuses pendant je ne sais combien de temps.
Ma défunte amie brise le silence :
– Mel…
Elle joint ses mains en une prière et murmure d’une voix larmoyante :
– Peux-tu me dire avec certitude si mon frère est encore vivant ?... Le sombre esprit m’a affirmé qu’il est mort, mais je ne sais même pas s’il a embarqué dans l’avion… Est-ce tu l’aurais vu parmi les passagers ?
Je cligne des yeux, perplexe, en pensant : « Comme ça, de mémoire, il me semble que non… Mais je peux toujours trouver un moyen de vérifier… En cherchant s’il n’y a pas un avis de décès… Comment il s’appelle, déjà, ton frère ? »
Mon associée répond aussitôt sans hésiter :
– Mitchell Marino… Au lieu de chercher sur l’Internet et de fouiller sur trois-cent résultats, le moyen le plus rapide est d'appeler son numéro de téléphone à domicile…
Je murmure :
– Tu as raison ! Peux-tu me dire son numéro ?
– Oui… C’est le 497 973 2135…
Je griffonne rapidement le numéro sur le bas d’une page de mon calepin puis je remercie d’un mouvement de tête le fantôme. Remarquant qu’il n’y a aucun client dans la boutique, je me rends dans l’arrière-boutique pour téléphoner au numéro que m’a communiqué Andrea.
Je tombe sur une boîte vocale. Je soupire, mais je laisse quand même un message : « Bonjour, Monsieur Mitchell Marino, je suis Melinda Gordon, la propriétaire de la boutique The Antique Shop of Grandview, où a travaillé votre sœur Andrea. Je voudrais simplement vous transmettre mes condoléances car celle-ci est morte hier dans un accident de voiture sur l’autoroute de la mort… Si vous êtes intéressé à discuter avec moi, merci de me rappeler au numéro suivant : 478 777 4578. Merci et bonne journée ! »
Je raccroche le combiné.
Andrea, à ma droite, murmure d’une voix larmoyante :
– Je ne sais pas, Mel, comment comprendre son silence…
Je reviens derrière le comptoir ; elle apparaît en face de moi, expression d’inquiétude sur son visage.
Je lui adresse mon plus beau sourire amical et j’essaie de la rassurer en ces termes :
– Andrea, peut-être que ton frère est au travail… Tu m’as mentionné qu’il est marié…
– Exactement…
– Est-ce que sa femme travaille aussi ?
– Non, elle est femme au foyer…
Notre conversation est interrompue par la sonnerie du téléphone dans l’arrière-boutique. Je cours pour soulever le combiné :
– Bonjour ! Melinda Gordon à l’appareil !
À l’autre bout de la ligne, une voix féminine répond calmement :
– Bonjour, Madame Gordon… Je suis France Lacroux-Marino, l’épouse de Mitchell Marino… J’ai reçu votre appel… Par contre, mon mari est au travail et ne reviendra pas avant 17 h 20…
Je réplique d’un ton aimable :
– Aucun problème, Madame Lacroux-Marino… J’attendrai l’appel de votre époux… Mais je suis sincèrement attristée de la mort de sa sœur Andrea, qui a été mon associée de boutique… Voulez-vous lui transmettre ce message ?
– Oui, bien sûr, Madame Gordon ! Dans ce cas, Mitch… Euh… Mitchell n’aura pas à vous rappeler…
– Pour être sûre qu’il ne me rappelle pas, voulez-vous m’écouter puis rapporter mes propos à votre époux ?
– Oui… Sans problème !
– Merci d’avance de votre collaboration… Et bien, j’ai entendu de mon associée, Andrea Marino, que vous avez dû embarquer dans l’avion Trans-Eastern 395 en direction vers Johannesburg qui s’est écroulé hier dans la clairière près de Grandview…
– Oui… Seulement la veille nous avons annulé le vol, pour prendre celui du mois prochain…
Je pense, soulagée : « Dieu merci ! »
Je m’éclaircis la gorge puis je continue :
– Je suis contente de savoir que votre mari et vous êtes sains et saufs… Si je vous pose la question, c’est en raison de l’inquiétude d’Andrea…
L’épouse de Mitchell m’interrompt :
– Vous voulez dire qu’elle s’était inquiétée ?
– Non… Ce n’est pas une erreur… Vous avez bien entendu… Comme j’ai été avertie par l’âme du Capitaine Nilsen, qui était le pilote de l’avion…
Elle m’interrompt à nouveau :
– Comment ? Vous n’allez quand même pas…
Je m’éclaircis la gorge pour ramasser mon courage à deux mains.
Andrea, à ma droite, murmure :
– Vas-y, Mel ! Ne t’inquiète pas, France est au courant pour ton don…
Je pense : « Tu en as sans doute parlé à ton frère, qui l’a dit à sa femme ? »
Mon associée répond par un mouvement de tête positif.
Je réponds au téléphone :
– Je vois les esprits ? Bien sûr ! Je suis antiquaire et passeuse d’âmes…
Mon interlocutrice au bout de la ligne balbutie :
– Merci de l’explication… J’ai entendu de mon mari que sa sœur a travaillé avec une femme qui voit les esprits… Seulement, je ne me souviens pas du nom… Donc, c’est bel et bien vous ?
Je m’exclame d’un air enjoué :
– Oui !
– Dans ce cas, continuez vos explications et si vous avez des questions, c’est avec un grand plaisir que je répondrai…
– Merci d’avance de votre gentillesse !
Je fais une courte pause de quelques secondes, le temps de remettre mes pensées dans l’ordre. Je note que les yeux d’Andrea brillent de joie.
Elle s’exclame :
– Heureusement que mon frère est vivant !
Je m’éclaircis la gorge et je reprends d’un ton calme au téléphone :
– Et bien, Madame Marino, je voulais simplement vous dire que la sœur de votre époux est morte hier en route pour vous avertir de ne pas prendre l’avion… Elle voulait seulement s’assurer que vous n’étiez pas embarqués dans l’avion… Et elle est venue en tant qu’esprit errant… Car elle craint que vous soyez défunts… Maintenant qu’elle sait que vous êtes bien vivants, elle partira bientôt dans la Lumière, lieu où vont les âmes après leur mort physique…
Je me tourne vers ma défunte associée :
– N’est-ce pas, Andrea ?
Celle-ci confirme en bougeant sa tête de haut en bas.
Je reviens au téléphone :
– D’ailleurs, c’est ce qu’elle vient de me dire… Si vous n’avez pas de questions…
L’épouse de Mitchell Marino me coupe la parole d’un ton calme :
– Oui… Seulement une dernière question…
– Oui…
– Comment avez-vous averti Andrea de l’écrasement d’avion ? Ne seriez-vous pas aussi voyante ?
– Non pas du tout…
Et je lui résume les événements de la veille, à savoir ma rencontre avec l’esprit du Capitaine Nilsen puis ma réaction et celle de mon associée.
France Lacroux-Marino me remercie de l’information et ajoute qu’elle en informera son époux.
Je la remercie à mon tour de m’avoir écouté puis nous raccrochons nos appareils.
Andrea, qui a sans doute suivi la conversation à ma droite, s’exclame d’un air enjoué : – Merci, Mel ! Je me sens tellement légère ! Hourra !
Je réplique d’un ton joyeux :
– Je suis contente pour toi… Mais pas la peine de crier à mon oreille…
Elle murmure :
– Désolée…
Je reviens derrière la caisse. Mon associée apparaît aussitôt devant moi, le visage envahi par un large sourire, les yeux pétillants d’une joie indescriptible.
Je pense : « Alors, prête à partir dans la Lumière ? »
Le sourire s’efface de son visage. Andrea répond d’un ton un peu triste :
– Je dois faire mes adieux à mon cher Frank…
Puis elle me tourne les talons pour sortir de la boutique en passant à travers la porte.
Je pense cyniquement en fixant la direction vers laquelle l’entité se trouvait : « Que Dieu me pardonne ! Mais c’est l’avantage qu’ont les esprits… Inutile d’ouvrir les portes ! »
Je sors de mes pensées par l’arrivée d’un client. Un jeune homme, vêtu d’un chandail blanc à manches longues et d’un pantalon de jogging beige. Il regarde les différents meubles et les objets sur les étagères, pour finalement acheter deux complets d’ustensiles de style baroque. Et il paie sans rechigner, me salue respectueusement et sort discrètement de la boutique.
Vers midi, je ferme la boutique pour aller manger avec mes fils et mon mari. Je préfère manger à table un plat chaud avec eux plutôt que de dévorer un sandwich froid derrière le comptoir. Après le repas, mon époux et moi faisons la vaisselle. Chemin faisant, Jim me rappelle de rédiger une offre d’emploi, car je dois avoir une caissière pour me seconder dans ma boutique.
Je reviens alors dans ma boutique. Pour passer le temps en attendant un éventuel client, je rédige une offre d’emploi pour les journaux locaux et les sites Internet de recherche d’emplois. Je la lis puis la relis pour s’assurer qu’elle ne contienne aucune faute, puis je la publie.
Peu après l’ouverture de l’après-midi, le mari de mon associée entre dans ma boutique, Je note derrière lui la présence d’Andrea, qui m’adresse un sourire amical. Nous nous saluons et je lui transmets mes condoléances puis le message de la défunte concernant la possibilité d’un remariage. Frank me remercie et il sort aussi discrètement qu’il est entré. Je me doute bien qu’Andrea a agi sur son époux pour le pousser à venir dans ma boutique.
Le reste de l’après-midi est très tranquille. Quelques clients sont entrés, certains ont acheté quelques objets, d’autres sont partis sans rien acheter.
Tout à coup, voilà Andrea qui entre dans la boutique en passant à travers la porte. Son visage est illuminé d’un large sourire et ses yeux brillent d’une joie irréelle. Elle murmure :
– Merci, Mel ! Merci de m’avoir aider à voir clair dans la situation de mon frère !
Émue jusqu’aux larmes, je réplique :
– Tu sais, Andrea, que je ne fais que ce que je dois faire, c’est-à-dire d’aider les esprits errants à quitter en paix le monde d’ici-bas…
– Merci encore une fois ! Je ne pensais pas que c’était si sérieux, être passeur d’âmes…
D’une voix douce, je réplique :
– Eh bien, tu le sais maintenant…
Ma voix se brise. Je termine mentalement ma phrase : « … que tu es de l’autre côté … »
Andrea tourne sa tête vers sa droite et s’exclame d’un air enjoué :
– Maintenant que je viens de faire mes derniers adieux à mon cher Frank et à mon frère, je suis prête à partir dans la Lumière… Que je vois, devant moi… Elle est tellement chaleureuse… Tellement brillante…
Je murmure :
– Va-y, Andrea ! C’est pour toi… Bon voyage !
Mon associée s’avance vers sa droite puis elle disparaît de ma vue.
Je soupire de joie en pensant : « Un esprit errant de moins ! »
Je fixe le client qui vient de faire irruption dans la boutique.
Je pense tristement : « Je remarque à quel point une associée me manque ! Jim a raison ! Je dois en trouver une nouvelle ! J’ai hâte de voir les candidatures… »
Le client, que je suivais discrètement du regard, flâne dans la boutique comme s’il avait tout le temps du monde devant lui. Finalement, il sort sans rien acheter.
Vers 17 h 00, je verrouille la porte de la boutique.
J’entends une voix masculine m’apostropher :
– Madame, puis-je vous poser une question ?
Je me retourne : devant moi se tient un homme d’âge mûr, simplement vêtu d’un complet brun et d’une chemise brune. Il tient un microphone dans sa main droite. Un peu en retrait, vers ma droite, se trouve un autre homme, vers la trentaine, vêtu d’un chandail beige à manches longues, par-dessus lequel est jeté une veste brune et d’un pantalon de complet brun. Il tient une caméra entre ses mains et me fixe avec impatience.
Perplexe, je pense « Sans doute un journaliste curieux… Mais pourquoi ? »
Je m’éclaircis la gorge et je réponds d’un air calme pour cacher ma surprise :
– Oui, bien sûr… Mais qui êtes-vous et que voulez-vous ?
L’homme qui tient le microphone balbutie :
– Désolé, Madame, de ne pas s’être présenté… Je suis un journaliste pour Fox News… Nous venons afin de vous poser une question concernant l’écrasement d’avion survenu hier dans votre ville…
Je murmure :
– Bien sûr…
Le journaliste se retourne vers l’autre homme et s'exclame :
– Action !
Il tient le micro devant moi et me demande ce que je pense de l’écrasement du Trans-Eastern Air 395 survenu hier matin dans votre ville.
Avec mon plus beau sourire et mon air le plus aimable, je réponds :
– C’est une tragédie pour les habitants qui ont perdu des proches, qu’ils soient des passagers ou des membres de l’équipage… Je ne peux que transmettre mes condoléances…
Le journaliste ramène le microphone vers lui et dit :
– Merci beaucoup de votre réponse.
Il fait un signe discret de la main gauche à son collègue, qui baisse aussitôt sa caméra. Les deux hommes me remercient et s’éloignent de moi pour aller interroger dans le parc un autre habitant de Grandview.
Une fois qu’ils se sont éloignés, je reviens tranquillement chez moi. Jim m’ouvre la porte et m’embrasse lorsque je franchis le seuil et je chausse mes pantoufles. Je l’entraîne dans la cuisine afin de lui expliquer comment Andrea Moreno est partie dans la Lumière.
Je gémis :
– Je suis contente qu’elle soit enfin partie… Mais une amie est partie… Elle me manque… Surtout que je n’ai pas d’autres amis… Ah ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un destin si cruel ? Pourquoi mes proches doivent mourir si rapidement ?
Mon époux m’encourage en ces termes :
– Ne t’inquiète pas, Mel… Rassure-toi que nos fils et moi sommes là…
Émue, des larmes coulent de mes yeux. Il me berce doucement.
Je murmure, la gorge nouée :
– Tu as raison… Mais ma sœur, mon père… et mon amie sont… morts de la main de Carl Neely…
Jim murmure d’un ton rassurant :
– Je comprends que c’est difficile, mais dis-toi qu’il est possible que tu trouveras une associée aussi collaborative qu’Andrea…
Je soupire et je murmure :
– C’est vrai… Ainsi va la vie… Au moins, je comprendrai ce que ressentent les gens que je rencontre… Mais je me demande bien pourquoi un couple doit être séparé avant l’heure par la mort ? Pourquoi ?
– Mel, au lieu de réfléchir sur des questions qui te dépassent, concentre-toi sur ce qui est positif… Pense au fait que tu as fait ce qu’il faut faire, c’est-à-dire…
Je termine la phrase de Jim d’un voix tremblante :
– d’être parvenue à faire passer dans la Lumière la plupart des esprits errants des passages et des membres de l’équipage hier… Ainsi qu’Andrea aujourd’hui…
Je me tais, je sèche mes larmes avec mon mouchoir en pensant : « Jim, tu as vraiment le don de m’encourager comme personne… »
J’enlace mon époux, qui m’embrasse sur les lèvres, les joues et le front. Pour se changer les idées, nous regardons, assis sur un canapé, nos fils jouer au salon avec leur insouciance habituelle.