Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 35 : Suite des histoires de la famille de Carl Neely

5997 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois


5 mai 2006, The Antique Shop of Grandview, 8 h 10.


Je suis derrière la caisse et j’attends qu’un client fasse irruption. Je suis perdue dans mes pensées, inquiète de la mort de la colombe qui est survenue hier… Il ne me reste qu’à prier que Jim, Chris et Jack soient saufs et que le Seigneur les aide à rester sur le droit chemin… Je sursaute lorsque, de l’autre côté de la caisse, un esprit se matérialise devant moi. 

Étonnée, je le détaille : un vieil homme aux cheveux gris, au visage ridé, visage rehaussé par des grandes lunettes bleues. Il est vêtu d’un complet bleu marine, d’une chemise blanche et de souliers blancs. 

Je balbutie : 

– Monsieur, quel est votre nom ?

D’une voix enrouée par l’âge, il répond : 

– Dorian Neely.

Je m’éclaircis la gorge puis demande d’un ton assuré : 

– Pourquoi errez-vous encore parmi les vivants ?

Mon interlocuteur cligne rapidement des yeux. Il murmure, ses yeux bruns grands ouverts, les sourcils froncés : 

– Pourquoi me posez-vous cette question ? Si vous me voyez, c’est que je suis encore vivant… Vous me traitez comme un défunt…

Je lui coupe la parole : 

– Ce que vous l’êtes… Je vous en assure…

– Pourquoi alors mon fils et mes petits-fils m’ignorent ? 

Je soupire puis je réponds d’un ton chaleureux : 

– Parce qu’ils n’ont pas un don comme le mien, qui leur permet de voir les esprits errants…

Un petit sourire au coin des lèvres, Dorian Neely réplique : 

– En tous cas, ça fait du sens… Merci de votre explication…

D’un ton affable, je le questionne : 

– Monsieur, que voulez-vous ? Pourquoi errez-vous encore parmi les vivants ?

Mine pensive, front plissé, il demeure silencieux pendant quelques secondes avant de répondre d’une voix tremblante, le regard dans le vague : 

– Je veux que… l’un de mes fils ou l’un de mes petits-enfants, pourvu qu’il soit un homme… récupère la bague… que j'avais portée de mon vivant sur mon majeur droit.

Petit sourire aux lèvres, je demande de me la décrire et de me dire ses derniers souvenirs la concernant.

Il s’éclaircit la voix puis répond d’un ton sérieux malgré sa voix enrouée par l’âge : 

– C’était une bague en or… Dont le chaton représente un soleil stylisé… Il me semble qu’elle était restée sur mon doigt… 

L’esprit jette un coup d’œil rapide sur sa main droite. Je suis du regard son mouvement pour constater que sa main est vierge de bague. Je remarque que seule l’alliance se trouve sur son annulaire gauche. Je ramène mon attention sur son visage. Dorian Neely relève sa tête, expression inquiète dans ses yeux.

Il murmure. en clignant des yeux : 

– À moins que je l’avais vendu chez un bijoutier… Ou donné informellement à l’un de mes fils… Je voudrais simplement m’assurer de savoir qui porte ma bague… Comprenez-vous ?

Je confirme ma compréhension d’un mouvement de tête positif.

Un grand sourire se dessine alors sur ses lèvres puis il s’évapore dans les airs jusqu’à disparaître complètement de ma vue. Je soupire en pensant que je dois retrouver son arbre généalogique afin d’établir la liste des descendants de cet esprit errant, dont je soupçonne être en rapport de parenté avec Carl Neely.

Comme aucun client n'est dans la boutique, je me rends rapidement dans l’arrière-boutique pour y faire une recherche sur Dorian Neely. Il est né le 4 avril 1900 à Grandview et mort dans la même ville le 9 octobre 1980. Je découvre ainsi qu’il est marié à Henriette Norden – de dix-huit ans sa benjamine – du 3 mai 1937 jusqu’à sa mort. Avec elle, il a trois enfants, Jeremiah (né le 7 décembre 1937), Alfred (né le 20 septembre 1938) et Juniper (née le 3 août 1940). Sa femme, elle, est décédée le 3 avril 1987 dans leur maison à Grandview.


Ensuite, je parvient à établir la généalogie suivante :


Dorian Neely (1900-1980) + Henriette Norden-Neely (1918-1987), mariés depuis 1937 = Jeremiah (1937), Alfred (1938-2001) et Juniper (1940)

Jeremiah Neely (1937) + Pamela Dawley-Neely (1940), mariés depuis 1958 = Stephan (1960) et Peter (1962)

Juniper Neely-Boswell (1940) + Martin Boswell (1940), mariés depuis 1967 = Vanessa (1968)

Alfred Neely (1938-7 janvier 2001) et Cecile Whitman-Neely (1948), mariés depuis 1970 = Charlie Neely (5 février 1972) et Carl Neely (18 octobre 1973) 


En lisant l’avis de décès d’Alfred Neely, j’ai l’impression de l’avoir déjà lu. À ce moment précis, un esprit errant se matérialise à ma droite. Intriguée, je tourne mon regard vers lui. Le reconnaissant à son pull brun, sa chemise blanche et son pantalon brun, je m’exclame : – Monsieur Alfred Neely !

L’entité répond en secouant sa tête de haut en bas.

Je cligne des yeux, perplexe en pensant : « Donc, ça veut dire que… Dorian Neely est votre père ? »

L’esprit répond d’une voix douce : – Oui…

Il fait une courte pause puis ajoute d’un ton cordial : 

– Madame Gordon, pour vous épargner des heures de recherches sur Internet au sujet de mon père, je vous propose mon aide…

Je murmure un merci à peine audible. J’éteins aussitôt la machine, puis mon interlocuteur s’éclaircit la gorge et affirme : 

– Mon père était de son vivant un médecin, c’est pourquoi je suis moi-même devenu médecin…

Je confirme avoir noté l’information en hochant la tête.

Alfred poursuit : 

– Ce qui explique aussi pourquoi mon fils aîné, Charlie, est anesthésiste… Mais revenons à mon père… J’ai, en effet, entendu parler de cette histoire de la bague de mon père avec un soleil stylisé… Seulement, je sais que ni moi ni mes fils ne la portons… De sorte que je pense que le porteur de la bague est soit mon frère, soit l’un de mes neveux…

Je m’éclaircis la voix pour lui demander ce qu’elle a de particulier, cette bague. 

Alfred hausse les épaules puis dit d’une voix douce : 

– À vrai dire, rien de particulier… Elle avait été le cadeau de mon grand-père maternel à mon père la journée de leur mariage…

Je le remercie de l’information puis l’esprit errant s’évapore lentement dans les airs jusqu’à disparaître complètement de ma vue. J’ai ensuite vérifié certaines informations sur Internet, pour les confirmer, car je pense bien que l’esprit errant a une perspective qui pourrait l’amener à fausser ses souvenirs. Au moins, de ce que je peux vérifier, il n’a pas menti. Contente, je reviens derrière le comptoir de la boutique. Le reste de l’après-midi est tranquille : deux clients sont entrés et regardent avec curiosité certaines étagères avant d’acheter une petite figurine en porcelaine. Au moins, une journée aussi tranquille me permet de dresser mentalement la liste des descendants de l’esprit errant qu’est devenu Dorian Neely. Comme Alfred Neely affirme qu’aucun de ses fils n’a la bague, il ne me reste qu’à demander à Jeremiah Neely, à Stephan Neely et à Peter Neely. Une fois les clients sortis, je reprends mon calepin et je reviens à l’arrière-boutique, afin de retrouver les adresses de ces trois descendants de Dorian Neely. Heureusement que je les retrouve rapidement. Ils vivent tous à Grandview. J’en prends note dans mon calepin et je reviens derrière la caisse de la boutique. 


Vers 17 h 00, je ferme la boutique et je reviens chez moi, en espérant que Jim et mes fils vont bien, car le fait de ne plus penser à l’esprit errant me ramène à mon inquiétude concernant le sens de la mort de la colombe d’hier. Mon époux m’accueille à la porte. Rien sur son visage ne montre une inquiétude. Je l’embrasse sur les lèvres pour me rassurer. Une fois rendue au salon, je lui résume la conversation et la recherche au sujet de Dorian Neely. Je m'empresse d’ajouter aussitôt que demain j’irai rendre visite à Jeremiah, à Stephan et à Peter Neely. Il approuve mon idée d’un mouvement de tête positif et me recommande prudence. Il m’enlace pour me rassurer.


La nuit est très tranquille, sans aucun cauchemar.



Le lendemain, après le petit-déjeuner, j’embarque dans la voiture de Jim et je me rends à l’adresse de Jeremiah Neely. J’arrive devant une petite maison unifamiliale en pierres au toit bleu, avec deux petits jardins à l’avant. Des rosiers étirent avec élégance leurs branches et fleurs, conférant un aspect accueillant à la maison. Je frappe doucement sur la porte en bois et quelques secondes plus tard, la voilà entr’ouverte. Je détaille le vivant : un homme âgé aux cheveux gris, son visage ridé, dont des lunettes rondes de couleur bleue mettent en valeur ses yeux bruns, vêtu d’un complet bleu foncé et d’une chemise blanche. Il demande d’un air affable la raison de ma visite. Je remarque du coin de l’œil que Dorian Neely est apparu à ma droite.

Je me présente puis j'ajoute d’un ton sûr que je voudrais parler à Monsieur Jeremiah Neely au sujet de son père. 

Comme mon interlocuteur était l’homme que je cherchais, il m’invite dans son salon. Je lui explique la requête de l’esprit errant, qui nous a suivi en silence. Je ne prête pas vraiment attention aux décors du salon, trop absorbée par les prochains mots à dire, car je veux bien lui expliquer mon don de manière à ce qu’il me prenne au sérieux. Bien que mon interlocuteur ne parvient pas à cacher sa méfiance – comme s’il était incrédule – , je parviens à le convaincre de m’expliquer ce qu’il sait au sujet de la bague de son père. Une femme, aussi âgée, avec des lunettes en or sur son nez, vêtue d’un tailleur bleu marine, rejoint Jeremiah Neely et s’assied à sa droite. Elle se présente : Pamela Neely, son épouse. Je me présente à elle puis je me tourne vers le vieil homme. 

Je dis d’un ton sérieux : 

– Monsieur Neely, je vous assure que l’esprit errant qu’est… votre père…

Mon interlocuteur confirme d’un mouvement de tête positif.

Je poursuis : 

– …est venu à moi… hier… dans ma boutique d’antiquités, The Antique Shop of Grandview, dont je suis la propriétaire…

Jeremiah et Pamela bougent leur tête de haut en bas, sans doute pour confirmer qu’ils m’écoutent.

Je continue : 

– Il veut seulement savoir… lequel de ses descendants porte sa bague…

L’esprit intervient de sa voix enrouée : 

– Fiston, Madame Gordon te rapporte exactement ce que je lui ai dit ! Je dois avouer que je n’aurais pas dit mieux…

Étonnée, je tourne pendant une fraction de secondes mon regard vers l’entité, qui est à la gauche de son descendant, puis je ramène mon attention vers le couple de vivants. 

Je dis au fils de Dorian Neely : 

– Par ailleurs, en parlant de votre père, il est en ce moment à votre gauche…

Les têtes de Jeremiah et de Pamela bougent aussitôt vers la direction mentionnée. Comme s’ils ne voient personne, ils me fixent avec impatience – c’est du moins, l’impression que leur regard insistant me donne.

Malgré ma gêne passagère, je poursuis d’un ton assuré : 

– Il a dit que j’ai très bien rapporté ses paroles… Il ajoute qu’il n’aurait pas mieux dit.

Les deux vivants, clignant rapidement des yeux, balbutient à l’unisson : 

– Êtes-vous sérieuse ou est-ce une blague ? Depuis quand communiquez-vous ainsi avec les esprits, s’ils existent ?

Je soupire puis je me ressaisis. Je gémis d’une voix plaintive : 

– Pourtant, je ne plaisante pas… Je vois les esprits errants, comme je vous vois… En raison d’un don que j’ai hérité de ma mère et de ma grand-mère maternelle… Nous sommes passeuses d’âmes de mère en fille…

Pamela intervient : 

– Alors, quel est le tarif pour votre visite ?

Froissée, je croise mes bras sous ma poitrine et réponds : 

– Madame Neely, vous devez savoir que je n’ai jamais demandé une rémunération en tant que passeuse d’âmes…

Jeremiah commente d’un air un peu ironique : 

– À moins que cette soit-disant histoire d'esprit n'est qu’un prétexte pour déranger les gens… Et pour fourrer votre nez dans des choses qui ne vous concernent pas…

Encore plus vexée, je décroise mes bras et je m’exclame : 

– J’en ai assez de vos insinuations ! Mais sérieusement, par l’amour du Ciel, je vous recommande de vous ôter cette pensée de votre tête ! Je vous assure que je ne m'intéresse pas du tout à la bague de votre père… C’est votre père qui veut savoir qui est le porteur de sa bague !

D’un ton calme, le fils de Dorian reprend la parole : 

– Madame Gordon, je vous recommande que nous arrêtions notre conversation ici et que vous sortez de notre maison… Merci et bonne journée à vous !

D’un bond, je me lève et je réplique : 

– Alors, bonne journée à vous aussi !

Dorian hausse les épaules et murmure : 

– Désolé, Madame Gordon, d’un accueil aussi froid de la part de mon fils…

Je lui réplique mentalement : 

– C’est correct… Vous n’avez aucune raison de vous sentir fautif pour le comportement de votre fils…

– Je vous propose de vous raccompagner jusqu’à la porte…

Je pense : « Merci ! Enfin quelqu’un de gentlemen dans cette maison ! »

L’esprit me fait signe de sa main droite de le suivre et sans hésiter je le suis. Une fois rendue dans la voiture de Jim, il se matérialise à la place du co-conducteur. Pendant que je conduis jusqu’à l’adresse de Stephan Neely, l’esprit errant m’explique qu’il a profité de ma conversation avec son fils pour aller voir dans sa chambre au cas où sa bague serait dans une boîte à bijoux dans l’un des tiroirs de son chevet de nuit. Et il ne l’a vu nulle part, de sorte qu’il conclut que Jeremiah n’est pas son porteur. Je le remercie de l’information et je me rends devant une charmante petite maison en briques beiges, avec une petite voiture stationnée à l’avant, sans aucun jardin.


Une brunette vers la trentaine m’ouvre la porte d’entrée lorsque je frappe doucement sur celle-ci. Je n’ai pas vraiment le temps de la détailler qu’elle me demande d’un ton inquisiteur : 

– Madame, qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Je réponds sans hésiter : 

– Je suis Melinda Gordon, une habitante de la ville, et je recherche Monsieur Stephan Neely.

Elle réplique : 

– Il est mon mari. Pour l’instant, il est indisponible, car il est au travail.

Je reprends : 

– Merci de l’information… Je voudrais discuter avec votre époux au sujet de la bague de… son grand-père Dorian…

Les sourcils levés, mon interlocutrice demande sur un ton sévère : 

– Et alors ? Pourquoi voulez-vous discuter d’histoire de famille avec lui ? Êtes-vous une parente ?

– Non, pas du tout ! Simplement parce que j’ai un don, celui de voir les esprits errants… Tout bizarre que cela puisse paraître, c’est pourtant la pure vérité…

Devant la moue sceptique de la femme, je m’empresse d’ajouter que l’esprit errant qu’est devenu Dorian Neely est venu hier à moi, et qu’il veut savoir lequel de ses descendants porte sa bague. Elle commente tout simplement qu’elle n’a jamais entendu de son époux cette histoire de la bague de son grand-père. Puis elle referme la porte. Je reviens dans la voiture de Jim, où l’esprit errant me rejoint en tant que co-conducteur. Il secoue la tête en un geste négatif et murmure : 

– Mon petit-fils Stephan ne garde point la bague dans une boîte à bijoux… Peut-être la porte-t-il ?

Je hausse les épaules, ne sachant pas la réponse attendue.

Un sourire se dessine furtivement sur ses lèvres puis il poursuit, les sourcils froncés : 

– À moins que ce soit Peter qui la porte ou qui la garde dans une boîte à bijoux…

Je confirme son raisonnement d’un mouvement imperceptible de haut en bas, pour ne pas me déconcentrer de ma conduite.


Rendue devant l’immeuble où se trouve l’appartement de Peter Neely, je retrouve rapidement le numéro, je sonne et j’attends devant la porte que quelqu’un m’ouvre la porte. Un homme vers la quarantaine, étant donné une petite ride au coin de sa bouche, me l’ouvre. Je le détaille : sobrement vêtu d’un chandail bleu et d’un pantalon de jogging bleu, à ses pieds, des pantoufles d’une nuance plus foncée. Je me présente puis je lui explique du mieux que je peux la requête de l’esprit. Intrigué, Peter Neely, car c’est lui-même en personne, m’invite dans son salon pour en discuter. Bien qu’il trouve incroyable le fait que je puisse voir les esprits errants et que son grand-père est venu à moi hier, il avoue avoir entendu cette histoire de la bague de son grand-père paternel. Je lui demande s’il n’en sait pas plus à son sujet, mais Peter hausse les épaules pour toute réponse, ce qui semble attrister l’esprit errant, étant donné son expression de tristesse qui se dessine sur son visage pendant quelques secondes. J’en fais la remarque au vivant, qui me jette un regard étonné. L’entité ajoute qu’elle est vraiment perplexe quant au sort qu’a pu connaître sa bague, car elle ne se trouve pas sur l’un des doigts de son petit-fils ni dans la chambre ni au salon. Je rapporte ses paroles au vivant, qui confirme en effet que ni son frère, ni son père, ni lui ne la porte. Peter suggère que c’est sans doute l’un de ses cousins, Charlie ou Carl, ou encore son oncle Alfred, qui la porte. J’infirme son hypothèse en lui rapportant de mémoire les propos que m’a dit Alfred Neely, qui est un esprit errant. Ainsi, il apprend la mort de son oncle, ce qui visiblement, l’étonne et l’attriste. J’explique alors brièvement à Peter la cause du décès d’Alfred. 

L’esprit errant qu’est Dorian Neely s’exclame, en agitant ses bras devant lui avec impatience : – Madame, savez-vous où se trouve ma bague ?

Je répète la question à son descendant puis je commente aussitôt : 

– Dans tous les cas, des détails manquent… Je vous assure que ce n’est pas moi… 

Je fais une courte pause, puis je m’exclame, exaspérée : 

– Messieurs Neely, pouvez-vous être plus collaboratifs ?

Peter, les sourcils levés, murmure : 

– Pourquoi « messieurs » ?

– Pour votre grand-père, qui est à votre droite, et pour vous.

Le vivant tourne rapidement sa tête vers ladite direction, mais comme il ne voit rien, il ramène son regard sur moi et me fixe.

À ce moment, un esprit se manifeste entre les deux Neely et moi. Je le reconnais immédiatement : L’Observateur français. 

Étonnée, je balbutie : 

– Qu’avez-vous à dire, Monsieur ?

Dorian Neely demande : 

– Qui est ce Monsieur ?

Peter demande : 

– Qu’est-ce qui se passe, Madame Gordon ?

Je réponds d’une voix assurée : 

– Monsieur Peter Neely, un esprit Observateur vient de se manifester devant moi. Et votre grand-père aussi se demande qui il est.

Le vivant fait un geste rotatif de sa main droite pour m’inciter à développer. Je lui explique en résumé le rôle et l’importance des Observateurs.

Je ramène mon attention vers le Français puis je m’excuse de le faire patienter. 

Il me sourit gentiment puis ajoute d’un air sérieux : 

– Monsieur Neely et Madame Gordon, vous devez savoir qu’il manque en effet certaines pièces du puzzle… 

Intrigués, l’esprit errant et moi fixons notre interlocuteur. Je lève mon index droit vers le vivant, pour l’inciter à la patience. Il me fixe avec impatience, en tapotant l’accoudoir du canapé sur lequel il est assis.

Je demande à l’Observateur français : 

– Monsieur l’Observateur, que voulez-vous dire ?

L’interpellé répond d’un air sérieux, sans sourciller et sans hésiter : 

– Et bien, Monsieur Dorian Neely avait laissé à son fils aîné, Jeremiah, sa bague, sauf que celui-ci ne l’avait pas trouvé à son goût et quelque peu démodé, l’avait laissé de côté pendant plusieurs années, avant de la remettre à son fils Stephan, qui l’avait passé à son frère benjamin, Peter. Évidemment, Jeremiah, lorsqu’il l’avait donné à son fils la bague de son défunt père, il a oublié de mentionner qu’elle lui avait appartenu de son vivant. Voilà comment les fils ignorent la réelle valeur de la bague…

Je note du coin de l’œil l’expression de tristesse de l’esprit errant, qui explose :

 – Mais Jeremiah est vraiment un crétin ! Pourquoi a-t-il gardé le silence au sujet de MA bague ? Où est-elle ?

L’Observateur poursuit : 

– Comme Monsieur Peter Neely, le dernier à recevoir la bague, a ignoré tout de l’importance du bijou, il l’a vendu comme du vieil or chez le bijoutier de Grandview Gold & Cie. Depuis, elle repose sagement dans l’une des vitrines…

Dorian Neely, les yeux écarquillés d’étonnement, balbutie : 

– Vous êtes… sérieux ? Comment cela se fait alors que je n’ai rien remarqué ?

La réponse arrive aussitôt :

 – Vous n’êtes pas resté auprès de la bague pour veiller sur elle… De plus, vous n’êtes pas un Observateur comme moi… De sorte qu’il est normal, pour vous, de ne pas tout savoir…

L’esprit proteste : 

– Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt ?

Jean Bude de Guébriant soupire et répond d’un ton aussi sérieux : 

– Monsieur Neely, je ne vous avais pas averti plus tôt, car vous ne m’aurez pas cru. Aussi simplement que ça…

Mon regard se promène de l’Observateur à l’esprit en pensant : « Est-il encore possible de retrouver la bague de Monsieur Neely afin qu’il puisse partir dans la Lumière ? »

Jean hoche la tête. Dorian demeure silencieux. Je pense : « Puisque personne n’a rien à ajouter, je rapporte la conversation à Monsieur Peter Neely… »

L’Observateur confirme à nouveau mes propos d’un mouvement de tête positif.

Je m’éclaircis la gorge puis je résume l’essentiel de la conversation au descendant de l’esprit errant.

Peter commente dans un murmure : 

– Merci, Madame Gordon, de me rapporter ce qui est en train de se passer avec des esprits que je ne vois pas… 

Il fait une courte pause puis s’exclame : 

– Et heureusement que je ne les vois pas !

Il s’éclaircit la voix demeure silencieux pendant quelques secondes avant de reprendre d’un ton sérieux : 

– Donc, Madame Gordon, si je comprends bien ce que vous êtes en train de m’expliquer, j’ai vendu par erreur… la bague de mon grand-père ?

Je confirme : 

– Exactement… Heureusement, selon ce que l’Observateur m’a dit, elle repose encore dans la vitrine du bijoutier de Golden & Cie

il m’interrompt brusquement : 

– Alors, allons-y immédiatement !

L’Observateur français commente : 

– Madame Gordon, je vous recommande de l’accompagner, au cas où Monsieur Dorian Neely dira un commentaire… D’ailleurs, Monsieur Peter Neely ne vous croit pas tout à fait, mais il s’est dit à lui-même que vous avez osé lui mentir, il vous poursuivra en justice pour escroquerie…

Je pense : « Que Dieu me protège d’une telle situation ! »

Je m'éclaircis la voix puis murmure timidement : 

– Monsieur Peter Neely, puis-je vous accompagner ? C’est ce que me conseille l’Observateur français…

L’interpellé répond clairement : 

– Aucun problème, Madame Gordon ! Je serais assez curieux de savoir le dénouement de toute cette histoire qui me sonne très incroyable pour être vraie ! 

D’un bond, nous nous levons prestement des canapés sur lesquels nous étions auparavant assis. Nous sortons rapidement de l’appartement de Peter et nous nous dirigeons d’un pas rapide vers la bijouterie Gold & Cie


Une fois rendus, Peter regarde attentivement les bagues dans les vitrines. Je remarque que son ancêtre est à sa droite et regarde aussi les bijoux. Seul l’Observateur n’est pas venu avec nous. L’esprit errant se déplace rapidement dans la pièce, comme s’il est encore vivant, ce qui me fait sourire malgré moi. 

Tout à coup, Dorian s’exclame d’un air enjoué : 

– Madame Gordon ! J’ai trouvé MA bague ! Merci beaucoup !

Je tousse pour me ressaisir, car je commence presque à rire de son attitude enfantine. Je m’adresse au vivant : 

– Monsieur Peter Neely, n’êtes-vous pas certain que la bague que nous cherchons ne se trouve pas du côté opposé d’où vous êtes ?

Étonné, les sourcils levés, les yeux écarquillés, sans doute d’étonnement, l'interpellé s’approche de moi et murmure : 

– Madame Gordon, comment pouvez-vous savoir à quoi ressemble cette bague ? Moi-même je m’en souviens à peine…

Je répond dans un murmure : 

– Ce n’est pas moi qui l'ai trouvée, mais votre grand-père…

Peter confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif puis se dirige vers la direction que je lui indique, car Dorian est devant la vitrine, émerveillé comme un enfant devant  un nouveau jouet. Je m’approche discrètement d’eux pour voir une bague masculine en or, avec un soleil stylisé sur son chaton. Elle semble briller de mille feux.

Remarquant la bague de son ancêtre, le petit-fils de Dorian Neely se retourne vers moi et balbutie : 

– Madame Gordon… Vous avez raison…

Je réplique en tournant la tête en un signe négatif : 

– Je ne fais que ma part du travail… C’est votre grand-père et l’Observateur français qu’il faut remercier, car ils ont été très collaboratifs, de sorte que vous avez retrouvé rapidement la bague…

Je pense : « Avant tout, il faut remercier le Seigneur de nous avoir été clément et de révéler par l’entremise de l’Observateur la vérité au sujet de cette bague… »

Peter et Dorian hochent simultanément la tête en un mouvement positif.

Je m’adresse au descendant : 

– Monsieur Peter Neely, je vous laisse régler l’achat de la bague… Seulement, une dernière question : une fois achetée, vous la porterez, pour faire plaisir à votre grand-père ?

Peter s’exclame : 

– Oui ! Voulez-vous lui dire ?

Je murmure : 

– Monsieur, il vous entend… Il est à votre droite… Et il semble être heureux de votre décision…

Je fais une courte pause, en regardant attentivement l’esprit errant, puis je reprends : 

– En espérant qu’il partira ensuite dans la Lumière, le lieu où vont les âmes après la fin d’une vie, une fois sorties de leurs corps…

Peter confirme sa compréhension d’un geste positif puis se retourne vers la vitrine. Je me tiens près de la porte, afin de suivre la suite. Je note du coin de l’œil vers ma droite que Dorian Neely est là, silencieux. Sans doute pour suivre la scène.

Son petit-fils interpelle le bijoutier en disant : « Monsieur, je suis intéressé par cette bague avec son chaton en soleil… Pouvez-vous me dire son prix ? »

L’homme répond : 

– Son prix est… 

Il sort la bague et lit le prix qui est sans doute sous le petit coussin sur lequel elle repose puis murmure : 

– 1200 dollars…

Peter proteste : 

– Pourtant, Monsieur, c’est cette bague même que j’ai apportée en 1990…

D’un regard de par-dessus, son interlocuteur réplique : 

– Êtes-vous vraiment certain de ce que vous dites ?

– Oui ! Je l’ai reconnu, sans aucun doute !

– Désolé, Monsieur, mais je ne peux pas vous croire sur parole…

Dorian Neely tremble de rage, mains serrées en poing, faisant blanchir les jointures. Il hurle d’un ton courroucé : 

– Nee jouez pas l’idiot ! Ce n’est pas parce qu’elle a été nettoyée qu’elle est une autre bague ! C’est clairement celle que j’ai portée ! Elle est même plus belle que dans mes souvenirs ! ET QUOI ALORS ! ?

Je me permets de m'immiscer dans la conversation en murmurant : 

– Monsieur, calmez-vous, s’il vous plaît…

Le bijoutier m’apostrophe : 

– Madame, que dites-vous ?

Je m’éclaircis la voix et je dis d’un ton sérieux : 

– Pourtant, Monsieur, c’est la bague de son grand-père… Ce dernier l’a reconnu sans faute… Pouvez-vous être indulgent avec Monsieur Neely, car c’est un héritage de sa famille paternelle…

Au fur et à mesure que je parle, je m’approche de la droite du descendant de l’esprit errant. Je pense à l’adresse de Dorian Neely : « Monsieur Dorian Neely, n’oubliez pas que vous pouvez toujours agir en dernier recours sur le bijoutier… »

Peter ajoute : 

– C’est vrai, je peux vous confirmer l’information… Seulement, lorsque je vous ai apporté la bague, j’ignorais tout de sa valeur…

Le bijoutier, dont le regard sceptique se promène du quarantenaire à moi, murmure : 

– Mais qu’est-ce que cette histoire ?

Je réponds, en fixant la bague : 

– C’est une histoire d’esprit…

Le bijoutier me fixe, les sourcils levés : 

– Comment ?

Je lève mon regard vers le sien et je continue d’un ton très assuré : 

– C’est la vérité…

Puis j’enchaîne aussitôt sur l’explication au sujet de mon don, comme je l’ai déjà dit je ne sais combien de fois jusqu’à maintenant dans ma vie. 

Le bijoutier, après mes explications, me regarde d’un air bizarre. Je remarque du coin de l’œil que l’esprit errant serre les poings derrière lui. Et il le possède, le forçant ainsi à remettre la bague à son descendant en disant tout simplement : 

– Voilà, Monsieur, je vous rends votre bague !

Les yeux agrandis, les sourcils levés et la bouche en o, Peter Neely balbutie un vague remerciement et met aussitôt la bague sur son majeur droit. Puis son grand-père cesse aussitôt la possession sous le regard étonné de l’âme du bijoutier, qui observe la scène en silence. L’homme cligne des yeux puis me demande ce qui vient de se passer. Je lui résume ce que j’ai compris de la situation. Il grommèle un juron entre ses dents, mais me remercie néanmoins de mon explication puis nous souhaite de passer une bonne fin de journée. 

Peter Neely et moi, heureux du dénouement de cette histoire, sortons de la bijouterie, suivis par Dorian. En route vers l’appartement de Peter, Dorian s’exclame, large sourire aux lèvres, les yeux illuminés d’une joie irréelle, visage très serein : 

– Madame Gordon ! Je vois une lumière devant moi !

Je me tourne légèrement vers son descendant puis je commente d’une voix douce : – Monsieur Peter Neely, il semble que votre grand-père est enfin prêt à quitter définitivement le monde des vivants…

L’interpellé murmure : 

– Merci à vous, Madame Melinda Gordon…

Avec mon plus beau sourire aux lèvres, je réplique : 

– Il n’y a pas de quoi…

Dorian intervient : 

– Madame Gordon, je me sens tellement calme devant cette lumière… J’y vais !

Émue aux larmes, je murmure : 

– Bon voyage !

Peter, sur un ton étonné, demande : 

– Qu’est-ce qui se passe ?

Je ramène mon attention vers lui et je réponds dans un murmure : 

– Votre grand-père vient de partir dans la Lumière, ou l'au-delà… Autrement dit, un esprit errant de moins à Grandview…

Mon interlocuteur confirme d’un mouvement de tête positif mes propos puis me remercie encore une fois. Et il se dirige tranquillement chez lui. 


Moi, je rentre dans la voiture de Jim et je reviens chez moi, où l’Observatrice me salue; je la salue en retour. Elle m’assure que Christopher et Jack ont été très gentils pendant mon absence. Perplexe, je pense en fronçant des sourcils : « Jim n’a-t-il pas veillé sur eux ? »

Elle répond d’un ton cordial : 

– Vous avez oublié que Jim travaille ce matin ?

– En effet, j’ai complètement oublié…

Son plus beau sourire aux lèvres, Laurie Gibeau réplique : 

– Ce n’est pas grave… Je suis là pour ça ! Dans tous les cas, passez une bonne journée !

Et elle s’évapore dans les airs jusqu’à disparaître de ma vue.


Vers midi, je m’occupe de réchauffer nos portions de ragoût dans une casserole, puis mes fils et moi nous attablons. Quelques minutes plus tard, j’entends mon époux devant la porte d’entrée. Je m’empresse de la lui ouvrir; il met ses pantoufles et me suit dans la cuisine. Nous mangeons dans un silence d’église, après avoir récité à mi-voix une prière. 

Après, Jim et moi faisons la vaisselle. Je profite du moment pour résumer les principaux événements de ma journée, en soulignant le point qui m’importe le plus dans toute cette histoire : l’esprit errant qu’a été Dorian Neely est parti dans la Lumière. Jim me résume ensuite sa journée au travail, qui a été vraiment tranquille. Après la vaisselle, nous nous rendons main dans la main au salon, pour regarder nos fils s'amuser avec leurs jouets.


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