Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
Chapitre 31 : Le mariage de Samantha Blair
6398 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 14/02/2025 22:37
3 juillet 2004, mairie de Grandview, 10 h 00.
Jim, Christopher, Jack et moi sommes assis sur un banc ; un peu plus loin, Paul Eastman, sa femme et ses enfants – une adorables fillette et deux garçons agités, qui ne se tiennent pas tranquilles sur leurs chaises. Leur mère tente de les rappeler désespérément à l’ordre – ce qui me fait sourire malgré moi. Il y a aussi d’autres personnes qui sont présentes dans la salle. Nous sommes tous venus assister au mariage de Charlie Neely, le frère aîné du policier Carl Neely – ce dernier est absent, de même sa femme et son fils. Charlie et Samantha Blair convolent en justes noces. Les deux époux sont assis face au notaire. Je remarque une femme vers la cinquantaine assise sur le banc le plus près, rayonnante de joie. Étant donné l’air de famille entre elle et le marié, je déduis qu’il s’agit de sa mère. Je note la présence d’un esprit errant masculin à ses côtés, à savoir un grand homme vers la soixantaine vêtu d'un pull brun sous lequel se voit une chemise blanche et un pantalon samt brun moyen. Je suppose qu’il s’agit d’Alfred Neely, son père – étant donné son air de famille avec Charlie. Par ailleurs, il me semble l’avoir déjà vu. L’esprit errant, comme s’il a lu ma pensée, la confirme d’un mouvement de tête positif. Il apparaît devant moi et s’exclame d’un air enjoué : – Mon fils se marie !
Puis il revient aux côtés de sa femme. Cette scène me fait sourire malgré moi et me rappelle la présence de mon beau-père en tant qu’esprit errant à notre mariage. Je serre la main droite de Jim, émue. Il serre la mienne. Je ramène mon attention sur les deux mariés. L’époux est un grand et jeune homme vêtu d’un complet bleu marine et d’une chemise blanche. Ses yeux bruns pétillent de joie.
Perplexe je pense : « Si Charlie est le frère de Carl Neely, ils ne se ressemblent pas… Même pas tant par la physionomie, et encore moins par la couleur des yeux… D’ailleurs, si je me souviens bien de l’apparence de Carl Neely, il ne ressemble ni à sa mère ni à son père… Pourquoi alors porte-il le nom de famille de Monsieur Neely ? La seule explication possible est l’adoption… »
Je soupire pour chasser mes pensées. Et je ramène mon attention vers le jeune couple. La mariée, elle, est une femme au teint hâlé, aux cheveux bruns foncés cachés par son voile ; ses yeux bruns brillent comme ceux de son mari. Je pense avec nostalgie : « J’ai l’impression de revivre ma propre joie à mon mariage avec Jim… Comme ils sont mignons ! »
Je remarque que devant la mariée se tient un esprit errant, qui m’apparaît au coin de l’œil comme une forme diaphane. Intriguée, je me concentre sur lui. Comme si l’entité avait entendu mes pensées, il se fait plus précis. J’en profite pour le détailler : une jeune femme au teint hâlé, aux yeux bruns et aux cheveux bruns foncés, vêtue d’une chemise blanche à manches longues et d’une jupe beige à carreaux jusqu’aux genoux. Elle semble présenter un air de famille avec la mariée. Seule une grosse tache de sang séché à la tempe droite témoigne de sa mort violente. Je détourne rapidement mes yeux de l’esprit pour ne pas faire de grimace. Son regard étonné ne m’échappe pas.
L’entité arrive aussitôt près de moi puis murmure : « Vous me voyez, Madame ? »
Je réponds mentalement : « Oui »
Elle s’exclame, les yeux agrandis sans doute d’étonnement : – Alors pourquoi Sam m’ignore ? Seulement parce que je suis un esprit et que je ne suis plus dans mon corps ?
Je réponds mentalement, les sourcils levés : « Samantha Blair est quelqu’un de votre famille ? »
La jeune femme confirme d’un geste positif de tête puis précise qu’elle est sa sœur.
Je poursuis ma réponse mentalement : « Si votre sœur n’interagit pas avec vous, c’est parce qu’elle n’a pas un don comme le mien, qui lui permet de voir et d’entendre les esprits… Mais soyez assurée qu’elle ne vous ignore pas… »
L’esprit réplique : – Merci de votre explication !
Puis il tourne sa tête vers les bancs et ajoute aussitôt : – Si je vous ai posé la question, c’est parce que le jeune homme là-bas a jeté un regard furtif vers ma direction puis m’a attentivement observée…
Je lui explique que le jeune homme qui l’a vu est Paul Eastman, mon ami policier qui voit aussi les esprits errants. L’entité, mine visiblement inquiète, revient à la droite de la mariée.
Intriguée par sa présence, je pense : « Qui est cette jeune femme ? Et pourquoi erre-t-elle aux côtés de Madame Samantha Blair-Neely ? »
Je me penche légèrement vers Jim pour lui expliquer dans un chuchotement ce que je viens de voir. Il confirme sa compréhension d’un mouvement imperceptible de tête puis commente : – Mel, tu peux toujours essayer d’engager la conversation avec Samantha…
Je complète sa phrase : – Pour élucider le cas de la mort de sa sœur…
Je fais une courte pause de quelques secondes, pensive. Je me dis à moi-même : « Et dans ce cas, elle saura mon don… Et quoi alors si elle est une collègue complice de Carl Neely, je suis finie… » Je soupire, exaspérée, les yeux sans doute écarquillés, étant donné le regard étonné que me jette mon époux. Je murmure en russe que je partagerai plus tard mes réflexions au sujet de la mariée. Jim confirme sa compréhension d’un hochement de tête, puis il ajoute : – À mon avis, il faudrait mieux aborder Madame Blair-Neely après la fête, question de ne pas gâcher son mariage.
J’approuve discrètement son idée. Je ramène ensuite mon attention vers les mariés. Ces derniers ont déjà échangé les anneaux et le notaire s’exclame d’une voix forte : – Voilà ! Monsieur Charlie Neely et Madame Samantha Blair-Neely sont reconnus officiellement comme mari et femme !
Et d’un mouvement, toute l’assistance – y incluant Jim et moi – applaudit bruyamment. Remarquant du coin de l’œil que mes fils suivent du regard, visiblement effrayés, l’esprit errant qu’est la sœur de la mariée, je m’empresse de les rassurer et ils cessent de la fixer.
D’un bond, nous nous levons de nos sièges pour se rendre dans une salle voisine, dans laquelle se trouvent plusieurs longues tables, couvertes de nappes blanches, sur lesquelles se trouvent divers fins mets, des paniers de pains tranchés et des pichets de jus et d’alcool. Mes fils, mon mari et moi nous tenons ensemble, à côté de Paul Eastman. Je profite du moment pour partager au policier mon plan : après la fête, aborder Samantha Blair-Neely au sujet de sa sœur et essayer de convaincre cette dernière de partir dans la lumière. D’ailleurs, je ne cache pas mes inquiétudes quant au fait que, selon moi, Samantha pourrait être une complice de Carl Neely. Paul m’écoute en silence, sans manifester d’approbation ou de refus envers mes propos. Il commente simplement d’un ton calme : – Madame Gordon, le meilleur serait que nous abordions Sam… Désolé, Samantha Blair-Neely, mais pas en présence des enfants, étant donné l’aspect peu présentable de l’esprit… Je propose de les laisser avec ma femme, ma chère Sarah…
Je murmure un « Oui ».
Sourire aux lèvres, le jeune policier lève son verre d’alcool sans doute et ajoute : – À la santé des nouveaux mariés !
J’en fais autant puis je reviens vers Jim, Christopher et Jack, qui sont sagement assis sur leurs chaises. La musique classique se fait entendre. Je serre la main de mon époux. Nous regardons vers la direction des mariés, qui font quelques pas timides de danse. « Apparemment, ils ne savent pas danser », pensé-je avec humour, « Et peut-être qu’ils improvisent à partir d’un cours de danse quelques jours avant leur mariage…. Disons qu’ils sont quand même assez bons… »
Tout à coup, je remarque que l’esprit errant de la jeune femme s’approche de la radio, comme si elle change de programme. Et j’entends
« Я повсюду иностранец, и повсюду я вроде бы свой. »
[Ya povsyudu inostranets, i povsyudu ya vrode by svoy]
[« Je suis partout un étranger et partout je suis un autochtone à ma manière »] *
Je cligne des yeux, perplexe. Je remarque que derrière l’esprit féminin se trouve l’Observateur français. Je pense, en les fixant d’un air bizarre : « Qu’est-ce que c’est que ce message ? »
Le couple arrête de danser. Samantha s’exclame : – Charlie, j'ignorais que les chansons russes étaient au programme ! Est-ce que quelqu’un peut traduire ?
Le marié bredouille quelque chose qui ne parvient pas à mes oreilles, en raison du bruit de l’indignation qui s’élève parmi les invités. Je me tourne vers Jim pour lui expliquer brièvement en russe la situation. Nous nous observons, pour se demander : « Nous aiderons à la traduction puis nous expliquerons mon don pour régler le cas de l’esprit qui hante la mariée ? » Par le regard, Jim et moi sommes entendus pour procéder ainsi. Nous nous dirigeons alors d’un pas rapide vers le nouveau couple, qui nous regarde d’un air étonné, les sourcils levés.
Avant que je puisse dire quoi que ce soit, la radio grésille et j’entends très clairement :
« Полковнику никто
Не пишет,
Полковника никто
Не ждёт. »
[Polkovniku nikto
Ne pishet,
Polkovnika nitko
Ne zhdyot.]
[« Il n'y a personne
qui écrit au colonel,
Il n'y a personne
qui attend le colonel »]**
Samantha et Charlie soupirent à l’unisson. Je les salue d’un geste de ma main droite, je m’éclaircis la voix puis je m’exclame d’un ton sérieux : – Madame et Monsieur Neely, je sais le russe…
J’entends alors à nouveau en boucle les mêmes paroles. Je pense ironiquement : « Sans doute, l’esprit errant joue encore avec la radio… Au moins, je peux traduire les paroles… Merci ! »
Les nouveaux mariés me fixent d’un air étonné. Je leur traduis alors ce que nous venons d’entendre à la radio. J’ajoute aussitôt après – Jim et Paul arrivent à ce moment – en fixant d’un air encore plus sérieux si cela m'était possible Samantha que le changement de chansons dont nous sommes témoins sont les agissements d’un esprit errant. Je remarque l’esprit errant de sa sœur derrière elle, avec un petit sourire coupable aux lèvres. Derrière l’esprit, l’Observateur français, qui affiche un air très sérieux, de sorte que je pense qu’il ne s’agit pas d’une blague d’un esprit coquin. Je me demande bien à qui ces vers s’adressent-ils. Je chasse rapidement mes pensées. Je dois me concentrer sur ce qui se passe dans la salle. Ensuite, je précise au sujet de mon don et Paul Eastman approuve mes propos d'un air très sérieux. Samantha et Charlie nous jettent un regard bizarre, mais Paul leur assure que c’est la vérité puis il décrit avec beaucoup de précisions l’esprit errant féminin ; je signale aussi la présence de l’Observateur derrière l’esprit. Lorsque Paul termine sa description, Samantha baisse son regard et semble fixer ses pieds, comme si elle était gênée par les propos.
Elle murmure : – Si c’est vrai que vous voyez les esprits, la description que vous venez de faire correspond exactement au dernier souvenir que j’ai de ma sœur, mais moins la tache de sang sur la tempe droite…
Elle relève son regard vers moi et me jette un regard mi-intrigué mi-sceptique. Je le soutiens en affirmant d’un air sûr : – Vous comprenez que je vois les esprits errants ?
Samantha hoche discrètement la tête.
Je poursuis : – Et bien, maintenant que nous savons de quel esprit il est question…
Paul termine ma question d’un air très sérieux : – Quel est son nom ?
La mariée répond directement : – Maryann.
Je pense, quelque peu attristée malgré moi : « Elle se prénomme presque comme ma sœur… Quelle coïncidence bizarre ! » Je serre la main droite de Jim pour ne pas divaguer dans mes pensées. Je m’éclaircis la voix pour me ressaisir puis je demande : – Madame Samantha Blair-Neely, pouvez-vous préciser les circonstances de la mort de votre sœur, que faisait-elle ? Quelles sont la date et la cause de son décès ?
Mon interlocutrice demeure silencieuse pendant plusieurs minutes, le regard perdu dans le vague. Vu sa mine froncée, je peux deviner qu’elle est émue, voire touchée, affectée sans doute à la pensée de sa sœur. À ce moment précis, je me sens coupable de gâcher les joies du mariage.
Samantha répond d’une voix presque tremblante, les yeux larmoyants : – Ma sœur est morte… le 17 janvier 2003, à l’âge de vingt-sept ans... J’ignore la cause de décès…
Elle renifle puis continue : – En fait, c’est un peu comme… si vous faites… une enquête…
Paul intervient : – En quelque sorte, Sam. C’est comme une enquête sur l’esprit errant. Il nous faut savoir un maximum d’informations, comme, si tu me permets la comparaison, une scène de crime…
Samantha murmure d’un air mi-neutre mi-ironique : – C’est très apprécié ! Au moins, je comprends mieux… où vous voulez en venir avec vos questions.
Paul, sourire aux lèvres, réplique d’un air chaleureux : – Il n’y a de quoi ! Mais c’était une manière très brève d’expliquer notre interaction avec les âmes errantes…
Il fait une courte pause de quelques secondes, puis enchaîne d’un ton sérieux : – Maintenant, Sam, que tu comprends notre manière de procéder, acceptes-tu de nous dire tout ce que tu sais au sujet de ta sœur ?
L’interpellée répond brièvement : – Oui !
Un sourire furtif se dessine sur les lèvres du jeune policier, puis il enchaîne aussitôt : – Merci d’avance pour ta précieuse collaboration. Évidemment, si Maryann dit quelque chose, nous te rapporterons ses paroles, n’est-ce pas, Madame Gordon ?
Je confirme d’un mouvement de tête positive.
Samantha regarde autour d’elle puis ajoute d’un air gêné : – Paul et Madame Gordon, si cela ne vous dérange pas, je vous propose plutôt de discuter dans la salle voisine, afin d’être tranquilles et de ne pas paraître des rabat-joie.
Paul, Jim et moi répliquons à l’unisson : – Oui !
Elle nous fait un signe de sa main droite pour la suivre. Son mari, visiblement étonné, étant donné ses sourcils froncés, la suit aussi. Paul, Jim et moi suivons le jeune couple. Nous laissons les autres invités danser et s’amuser. Je cherche Christopher et Jack du regard, parmi la foule d’invités. Je les repère rapidement et ils semblent bien s’amuser avec la femme et les enfants de Paul Eastman. Rassurée, je réfléchis aux prochaines questions à poser à Samantha, de sorte que je ne prête pas attention à l’alentour. Nous nous asseyons sur des canapés dans la salle voisine – un salon très accueillant avec une grande fenêtre, deux ou trois canapés, une grande table basse en bois laqué, un meuble de télévision sur lequel se trouve un petit téléviseur éteint – Jim et moi sur l’un, Samantha et Charlie sur un autre, Paul Eastman sur le dernier. Une fois bien installés, Samantha, en regardant alternativement Paul et moi, demande d’une voix claire : – Vous voulez savoir qui était ma sœur ?
Paul répond d’un ton sûr : – Exactement.
Elle soupire puis dit : – Je dois vous préciser un détail peut-être insignifiant, mais Maryann est ma sœur aînée…
Horrifiée, le cœur battant la chamade, je pense : « À l’inverse de la mienne ! Ça sent à un schème sordide de Carl Neely ! Ah, mon Dieu ! Qu’avons-nous fait pour avoir un destin si difficile ? » J’inspire et j’expire profondément pour demeurer calme. De nervosité, je serre encore plus la main gauche de Jim, qui tourne alors son regard vers moi. Je murmure en russe : « C’est correct ! » Il me sourit gentiment puis je ramène mon attention vers la conversation entre Paul et Samantha. Moi, je saisis mon carnet et je prends des notes afin d’être certaine de ne rien rater de la discussion.
Paul ajoute : – Sam, peux-tu me dire la date de naissance de ta sœur ?
L’interpellé répond directement : – Elle est née le 3 février 1975.
– Qui sont vos parents ?
– Joseph Blair, policier dans notre ville, et Patricia Silver-Blair, femme au foyer.
– Quel métier exerçait ta sœur ?
– Elle faisait partie de l’orchestre local de Grandview, pour lequel elle jouait du piano. Ma sœur était une ancienne étudiante à l’École de musique de Grandview, qu’elle fréquenta de septembre 1993 à mai 1995. Elle était une virtuose du piano. Depuis juillet 1996, elle avait obtenu un contrat pour l’orchestre local de Grandview.
Je note la présence de Maryann à la droite de Samantha. L’esprit errant se tient debout, mine pensive, front plissé, comme s’il écoutait la conversation.
Paul Eastman, d’un air toujours aussi professionnel – je me demande bien comment il parvient à garder ainsi son sang-froid, mais je mets ceci sur le compte de son métier de policier – demande : – Que sais-tu au sujet des circonstances entourant sa mort ? Selon son apparence – car nous, les passeurs d’âmes, les voyons telles qu’elles ont été à leur dernier moment…
Samantha hoche imperceptiblement la tête.
Je m’éclaircis la voix puis j’ajoute : – Désolée de vous interrompre, Monsieur Eastman, mais ce n’est pas toujours le cas…
Paul et Samantha me regardent d’un air étonné, les sourcils soulevés.
Je souris de l’étonnement produit puis je poursuis mon explication : – J’ai appris, il y a quelques semaines, qu’il est possible à certains esprits de pouvoir changer leur apparence selon leur volonté et selon la manière dont ils se sentent… De sorte qu’ils peuvent changer leur apparence afin de paraître plus jeune ou plus vieux…
Paul commente : – Merci, Madame Gordon, pour cette précision… Mais admettons que l’aspect de Maryann Blair est réellement celui au moment de sa mort…
Je remarque que l’esprit errant et l’Observateur confirment par un hochement de tête.
Samantha et moi, émues, les yeux larmoyants, approuvons ses propos d’un mouvement de tête.
Paul poursuit d’un ton sérieux, en fixant Samantha et Charlie : – Par ailleurs, Maryann et l’Observateur confirment mon hypothèse… Dans ce cas, sa mort a été visiblement violente, puisque des traces de sang sont visibles sur sa tempe droite…
Pendant une fraction de seconde, malgré son sang-froid, Samantha fait une moue, les yeux écarquillés. Elle balbutie : – Paul, pour être honnête, j’ignore tout de la mort de ma sœur…
Paul demande d’un air sérieux : – Qui était chargé de faire l’enquête ?
Mine pensive, elle demeure silencieuse pendant quelques secondes avant de répondre d’une voix tremblante : – Si ma mémoire ne me trompe pas… C’était Carl Neely…
Terrifiée, je pense : « Ah, mon Dieu ! Encore le même schéma ! » De nervosité, je me tords les mains. Jim les saisit entre les siennes pour me rassurer.
Samantha continue d’une voix tremblante : – Officiellement, Maryann… est… morte happée par un véhicule…
Paul commente d’un air sérieux, le regard tourné vers l’esprit errant : – En tout cas, son apparence ne semble pas concorder avec une telle description… Je serais plutôt porté à conclure qu’elle est morte sous une arme à feu…
Samantha renifle. Charlie l’enlace pour la rassurer, sans doute.
La mariée balbutie d’une voix tremblante : – Je pensais… que ceci n’arrive pas à Grandview… Il est vrai que depuis quelques années… j’ai remarqué… que le taux de criminalité a augmenté, car des habitants meurent mystérieusement… Et nous…
Paul termine sa phrase : – …nous n’avons pas trouvé qui est le criminel…
Il s’interrompt lui-même pendant quelques secondes, inspire et expire profondément puis continue d’un ton toujours aussi sérieux : – Qui est l’un de nos collègues…
Samantha et Charlie lui jettent un regard étonné.
Paul affirme d’un air toujours aussi sérieux, sans sourciller : – À savoir Carl Neely…
Samantha et Charlie s’exclament à l’unisson : – Quoi !?
Paul, sans cligner des yeux : – Pour être honnête, je n’aurai jamais douter, jusqu’au jour où Madame Gordon me l’a dit, ce qui m’a été confirmé par une Observatrice. De sorte que je suis certain que c’est la vérité. Vérité, hélas triste, mais qu’il faut admettre pour mieux comprendre les meurtres mystérieux dont nous sommes témoins dans notre ville.
Samantha et Charlie, les yeux écarquillés, les sourcils levés, la bouche ouverte en o, regardant alternativement Paul puis moi, comme s’ils étaient incrédules.
Le cœur battant la chamade, je m’empresse d’ajouter d’une voix chevrotante malgré moi : – Pourtant, Madame et Monsieur Neely, je vous assure que c’est la vérité… D’autant plus… Que j’ai moi-même…
Mes yeux s’embrouillent de larmes. Jim termine ma phrase, sur un ton quelque peu courroucé : – Ma femme a été sa victime… Sauf qu’elle a survécu à l’attentat… en mars 2001…
Je confirme ses propos d’un hochement de tête.
Nous demeurons silencieux pendant je ne sais combien de temps. Au moins, j’en profite pour sécher mes larmes. Je me dis à moi-même que peut-être la policière est ou bien une bonne comédienne (et donc complice de Carl Neely), ou bien elle est sérieusement étonnée de cette révélation (et donc que je l’accuse à tort). Je ne sais pas quoi penser d’elle.
Samantha, d’une voix songeuse, murmure : – Ainsi, vous pensez que Carl Neely pourrait être le meurtrier de ma sœur ?
Paul répond d’un ton grave : – Il semblerait selon notre raisonnement que oui…
Il tourne sa tête vers Maryann Blair, qui hurle d’un ton courroucé : – C’est l’homme en gris qui m’a tué !
Je sursaute malgré moi. Samantha, Charlie et Jim me regardent d’un air étonné.
Paul commente : – Maryann vient de hurler que c’est en effet l’homme en gris qui l’a tué. Elle semble très en colère…
Je confirme ses propos d’un mouvement de tête positif et j’ajoute : – Or, je sais que l’homme en gris n’est nul autre que Carl Neely…
Samantha et Charlie, d’une seule voix, s’exclament, sans cacher leur étonnement : – Comment pouvez-vous en être si certaine ?
– En raison de la triste tentative…
Ils hochent de la tête, comme s’ils ont compris ce que je voulais dire. Ils s’entr’observent, encore plus étonnés, comme s’ils ne croyaient pas à ce qu’ils venaient d’entendre.
Paul, Jim et moi s’entr’observons d’un air complice. Le policier s’éclaircit la voix puis ajoute : – Pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence, Sam…
Samantha proteste : – Je ne l’aurais jamais dit…
Charlie balbutie : – Mon frère meurtrier ?
Sur le visage de Paul se dessine un bref sourire triste puis il ajoute d’un air sérieux : – Moi aussi, je n’ai jamais douté de Carl.
Samantha, d’une voix blanche : – D’accord, admettons que c’est vraiment Carl Neely qui a tué ma sœur…
Elle tourne légèrement sa tête vers ma direction puis demande d’un ton neutre : – Madame Gordon, pardonnez-moi cette question stupide…
Mon sourire le plus affable aux lèvres, je réplique : – Toute question est la bienvenue…
– Pourquoi le surnommez-vous l’homme en gris ?
– Parce qu’il est toujours vêtu d’un complet gris lorsqu’il commet des meurtres, sans doute pour faire un certain style avec ses yeux gris…
– Quel sens de l’humour vous avez !
– Heu… Disons que je ne plaisante pas… Je suis sérieuse… Et ce n’est pas moi qui le surnomme l’homme en gris, mais les esprits errants de ses victimes, parmi lesquelles… figurent… ma sœur benjamine… et… mon père…
Je termine dans un sanglot ma phrase. Jim m’enlace fermement. Je sèche au bout d’un certain temps mes larmes.
Samantha bredouille : – Je suis vraiment désolée, Madame Gordon…
Je réplique : – Ce n’est pas grave… C’est seulement moi qui est trop émotive…
Jim s’éclaircit la voix et s’exclame d’une voix claire : – Mesdames et messieurs, si vous me permettez d’intervenir…
Intriguée, je tourne mon regard vers lui ; je remarque du coin de l’œil que les autres personnes (vivantes ou esprits errants) en font autant.
Mon époux continue : – Selon nos conclusions provisoires, Madame Samantha Blair, votre sœur semble avoir été tuée par l’arme à feu de Carl Neely. Mais la raison nous échappe. Selon ce que ma femme m’a dit au sujet de ses autres victimes, qui sont aussi des esprits errants comme votre sœur, il semblerait qu’il agisse sur les ordres de ses supérieurs et d’un agent du FBI… En plus d’être motivé par des intentions vraiment très bizarres qui nous échappent encore en partie…
Samantha, Charlie et Maryann s’exclament à l’unisson : – Êtes-vous certain de l’information ?
Je commente d’une voix tremblante malgré moi : – Malheureusement, oui… Je détiens cette information de l’Observateur français… De sorte que nous pensons… que c’est la vérité…
Je me tourne légèrement vers le jeune couple puis ajoute : – D’ailleurs, Madame Blair-Neely, votre sœur semble aussi étonnée que vous à ce sujet…
Samantha confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif.
Charlie balbutie : – C’est sérieux que mon frère est… un criminel ? Vous l’accusez donc d’être… un hypocrite et un agent double ?
Jim confirme par un hochement de tête. J’ajoute aussi au sujet de la possession de Carl par les deux esprits tchèques. Je profite alors de cette occasion pour interroger sans succès Charlie; il a pour la première fois entendu l’existence de ces Tchèques.
Samantha, d’une voix triste, commente, les yeux écarquillés : – Mais pourquoi Carl Neely aurait tué ma sœur ?
Maryann s’exclame d’un ton courroucé : – Le salaud en gris était vraiment un homme emmerdant… Un vrai pot de colle !
L’Observateur intervient d’un air sévère pour intimer le silence à l’esprit errant, qui se tait aussitôt. Je le fixe d’un air étonné. Je remarque aussi les regards intrigués que me jettent Jim, Charlie et Samantha. Paul Eastman leur explique brièvement à voix basse ce qui se passe.
L’Observateur affirme d’un ton sévère, la mine très sérieuse : – Vous devez savoir que Mademoiselle Maryann Blair a été courtisée par Carl Neely depuis 1995, lorsqu’elle a terminé ses études, malgré qu’il était alors marié à Katia Farah…
Je soupire, exaspérée.
Paul Eastman résume à Jim, Charlie et Samantha les propos de l’esprit, ce qui, visiblement, les étonne beaucoup.
L’Observateur continue : – Parce qu’il voulait l’avoir à tout prix pour être certain que Samantha Blair collabore avec lui. Une fois veuf, il a essayé à nouveau de la courtiser, mais sans succès. Possédé par les deux sorciers tchèques, il décide de la tuer avec son arme à feu, en lui tendant un guet-apens dans un cul-de-sac.
Perplexe, je pense : « Mais est-ce que Samantha Blair est vraiment une complice de Carl Neely ? »
L’Observateur répond sans hésiter : – Non, Samantha n’est pas sa complice.
Je pense rassurée : « Que le Seigneur en soit loué ! »
Jean Bude de Guébriant fait une courte pause de quelques secondes puis reprend : – Vous devez savoir que le Bohémien était ainsi poussé à agir afin de fragiliser Samantha Blair. Sauf que, Dieu merci, celle-ci n’a pas cédé. Heureusement qu’elle a du caractère.
Encore plus étonnée d’une telle révélation, je murmure : – Pardonnez-moi…
Paul me défend des regards interrogateurs que lancent vers ma direction mon époux et les deux mariés : – Madame Gordon discute avec l’Observateur.
Je confirme sa remarque d’un geste affirmatif puis ramène mon attention vers mon interlocuteur et je dis d’un ton exaspéré : – Mais pourquoi alors le surnommez-vous le Bohémien, c’est-à-dire le Tchèque ?
L’Observateur répond directement : – Je vous ai déjà dit que je ne réponds pas à cette question.
Je soupire et je m’exclame : – Au moins, pouvez-vous répondre à la question suivante…
– Allez-y, posez-la.
– Est-ce pour faire allusion à Carl Neely que Maryann Blair a laissé entendre à la radio les vers d’une chanson qui traite d’un étranger…
– Oui. C’est moi qui lui ai donné les indices et qui lui ai proposé de jouer avec les ondes de la radio, afin que Madame Samantha Blair-Neely sache qui est le meurtrier de sa sœur…
– Et j’imagine que c’est la même chose avec les vers qui disent que personne n’écrit au colonel… Je trouve bizarre que Carl Neely soit considéré comme un colonel… A-t-il fait un service militaire ?
– Votre déduction est très bonne, Madame Gordon. Sauf que le Bohémien n’a pas fait de service militaire. Par contre, ce n’est qu’un constat de sa situation.
– Vous voulez dire au sens où il n’a contact avec personne ? Au sens où aucun proche ou ami ne lui écrit ?
– Exactement.
Je pense, étonnée : « Au moins, je peux dire que j’ai raison lorsque j’ai conclu que Carl Neely est un pauvre Tchèque adopté par la famille Neely… Ça expliquerait pourquoi il ne ressemble à aucun membre de la famille, mais aussi pourquoi Charlie le considère comme son frère, malgré qu’ils ne se ressemblent pas du tout… Je pourrais néanmoins poser la question à son frère… »
Paul Eastman résume les propos de l’Observateur aux autres vivants présents dans la pièce.
Samantha et Charlie nous remercient pour nos explications. Je me sens encore plus gênée d’avoir osé accuser la pauvre policière d’être une complice de Carl Neely. Je lui présente mes excuses et elle me rassure en disant qu’il est normal d’avoir des doutes. Chemin faisant, je profite de l’occasion pour lui demander au sujet de la mort de Miles Maitland, le comédien tué par Carl Neely qui avait substitué une vraie balle dans le pseudo-revolver – pour ce faire, je fouille dans mon calepin que j’ai de toute façon apporté avec moi. Samantha me remercie pour l’explication et elle s’excuse de son erreur de jugement. L’Observateur intervient pour éclaircir toute l’histoire : si la policière n’a pas remarqué la vraie balle dans le faux revolver, c’est en raison du fait que Carl Neely avait auparavant retiré la vraie balle. Et comme elle n’a rien remarqué de suspect – même si Samantha avait fait une analyse des empreintes digitales, elle n’a pas pu trouver celles de son collègue, puisqu’elle avait comparé les empreintes sur le faux revolver avec celles des membres de l’équipe du tournage, sans succès – elle n’a pu que conclure que la mort du comédien était une erreur. Je résume les propos de l’Observateur français à Samantha, qui me remercie de les avoir rapportés. Et elle s’excuse encore une fois de sa maladresse et de la rapidité de sa conclusion.
Après une pause silencieuse lourde de plusieurs minutes – au cours desquelles je ne me sens que plus coupable de gâcher ainsi un mariage par des tristes histoires d’esprits – je demande à Charlie comment il peut m’expliquer les yeux gris de son frère benjamin. Celui-ci affirme que, selon leur mère, Carl ressemble à son grand-père à elle. Je pense : « L’explication n’est point convaincante… Mais bon… Depuis quand quelqu’un ressemble plus à son arrière-grand-père qu’à ses propres parents ? »
Je me tourne vers Maryann Blair, qui écoute notre conversation sans rien commenter, puis je lui demande si elle veut partir dans la Lumière maintenant que sa sœur sait la vérité au sujet de sa mort – ce qui me rappelle la révélation au sujet de la mort de Mary. L’esprit errant répond qu’elle ne veut pas partir tant que Samantha ne sera pas en sécurité, loin de ce psychopathe de Carl Neely. Puis Maryann disparaît de ma vue, suivie quelques secondes plus tard par l’Observateur français. Je rapporte les propos à Samantha et Charlie, qui me remercient pour mon travail. Puis je m’excuse d’être le rabat-jour de leur mariage, puis nous quittons le salon pour revenir dans la salle dans laquelle les autres invités font la fête. Jim et moi retrouvons rapidement nos fils, qui semblent liés d’amitié avec les enfants de Paul Eastman. Une fois la fête terminée, Jim, Christopher, Jack et moi revenons à la maison.
Nos fils sont envoyés au salon, tandis que mon époux et moi sommes au salon pour partager nos réflexions au sujet de Carl Neely. Je lui fais remarquer que ce dernier est comme un étranger dans la famille Neely, d’où mon hypothèse de l'adoption puisqu'il est probablement né de parents tchèques. Jim réplique que le policier ressemble un peu à Madame Neely, de sorte qu’il pense que Carl serait son bâtard. D’ailleurs, il ajoute : – Mel, tu n’as quand même pas oublier que l’esprit errant qu’est Alfred Neely a dit que le benjamin n’est pas son fils et qu’il est le bâtard de sa femme ?
Perplexe, je fronce des sourcils. Je réplique : – Ne sois pas si cynique ! Comme ça, de mémoire, je ne me rappelle pas de tels propos…
Je vérifie rapidement dans mon carnet, sauf que je ne trouve rien de révélateur. Je commente : – Mais si Carl Neely serait le bâtard, je ne peux pas concevoir qu’une femme soit adultère et fasse passer son bâtard pour un enfant de son mari…
Jim réplique sur un ton très cynique : – Il me semble, Mel, que tu es vraiment naïve…
Vexée, je réplique : – C’est toi qui es trop cynique !
– C’est correct ! Je n’ai pas du tout envie de me disputer avec toi à ce sujet… Dis-moi alors quelles sont tes conclusions concernant Carl Neely ?
Mine pensive, je réponds : – Il a été adopté par la famille Neely, mais né de parents tchèques… Ceci permet d’expliquer pourquoi il porte le nom de famille de Neely, ses yeux gris et les différences entre les deux frères, mais aussi pourquoi Charlie traite Carl comme son frère… Par contre, je ne comprends toujours pas le rapport de Carl Neely avec les deux sorciers tchèques qui ont maudit ta famille…
Jim hausse les épaules et m’enlace, car je commence à pleurer. Tout ceci me dépasse. Au moins, j’ai résolu le mystère des yeux gris de Carl Neely, mais pas celui de son rapport avec les deux sorciers tchèques, car leur nationalité commune n’est pas un élément suffisant… De plus, je suis rassurée au sujet de Samantha Blair : cette dernière n’est point une complice de Carl Neely.
Une fois calmée de mes pleurs, je propose à mon époux de changer d’idées en regardant nos fils jouer avec insouciance au salon. Il accepte ma proposition.
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* Vers de la chanson Иностранец [Inostranets] (L'étranger) de Valery Meladze.
** Strophe de la chanson de Bi-2, Полковнику никто не пишет) [Polkovniku nikto ne pishet] (Personne n'écrit au colonel).