Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
14 juin 2004, 8 h 15.
Jim et moi sommes dans la cuisine, assis face à face, en train de faire notre plan d’action pour les visites aux descendants des deux sorciers tchèques. Avec mon calepin en main, nous dressons la liste des descendants qui vivent à Openview : Jiří Vláčil, Martin Vláčil, Slavoj Bareš, Jaroslav Doležal, Leo Doležal, Dominik Doležal, Helena Jelínková, Diana Vláčilová et Marc Vláčil. Ensuite, Jim file rapidement dans l’arrière-boutique pour retrouver leurs adresses et pour consulter un trajet en voiture. Pendant ce temps, je note l’apparition des deux esprits tchèques devant moi. Ils semblent visiblement en colère. Je pense : « Sans doute qu’ils ne sont pas contents de notre enquête… » Je me signe en pensant : « Que le Seigneur nous vienne en aide ! » Ils disparaissent lorsque Laurie Gibeau apparaît derrière eux, les surprenant.
L’Observatrice me dit d’une voix douce : – Madame Gordon, faites tranquillement votre enquête, j’aurai à l’œil vos fils…
Je murmure, contente : – Merci encore une fois… Et désolée de faire de vous la gardienne de mes enfants…
– Ce n’est pas grave ! Je me sens très utile !
Puis elle disparaît de ma vue pour apparaître assise sur le canapé du salon, ce qui me fait sourire malgré moi.
Lorsque mon époux se pointe dans le cadre de la porte, je suis déjà prête à le suivre. Je lui précise que l’Observatrice française veillera sur nos enfants pendant notre absence ainsi qu’au sujet des esprits tchèques qui nous ont sans doute espionné. Il me rassure en commentant que leur espionnage ne doit pas nous dissuader de faire notre enquête. Ensuite, Jim me montre une feuille de papier sur laquelle il a inscrit les adresses des descendants, selon un certain ordre. Je confirme d’un mouvement positif et je l’embrasse sur les lèvres de joie. Mon époux est tellement génial ! Main dans la main, nous sortons de notre maison, que je verrouille à double tour puis j'entre dans la voiture de Jim. Comme le temps est ensoleillé, nous avons nos lunettes fumées sur le nez. Malgré que j’aie moi aussi un permis de conduire, je laisse mon mari faire le trajet. Et nous voilà en route. Près de la sortie de Grandview, je remarque que mon époux affiche une mine inquiète lorsqu’il jette un coup d’œil rapide au rétroviseur. Je murmure : – Qu’est-ce qui se passe ?
Je remarque du coin de l’œil les deux esprits tchèques assis sur les sièges arrière. Je soupire. Tout à coup, le bruit d’une sirène se fait entendre derrière nous. Je me retourne rapidement pour constater que les deux esprits ont disparu et que la lumière d’une sirène de police brille derrière notre véhicule.
Jim répond d’un air étonné : – Une voiture de police derrière nous.
Il arrête de conduire pour se stationner de côté. Le véhicule policier est derrière le nôtre. Un policier en uniforme frappe à la vitre de la porte du côté du conducteur. Il se présente : Jeffrey Colson. Derrière mon dos, j’entends une voix ricaner : je reconnais immédiatement celle de Carl Neely. Étonnée, je me retourne pour constater que son âme est là, assise sur le siège derrière le mien, avec un sourire ironique aux lèvres. Les deux esprits tchèques sont absents. Sans doute ont-ils disparu et l’un d’eux possède Carl, qui peut se trouver Dieu-sait où dans la ville. Mon cœur bat la chamade, je pense, les yeux écarquillés : « Qu’est-ce qu’il fait ici ? » L’âme du policier me fixe en silence pendant quelques secondes puis disparaît de ma vue. Trop absorbée par cette soudaine apparition, qui me laisse très perplexe, je ne prête pas attention aux propos échangés entre Jim et le policier, qui revient dans son véhicule de fonction. Mon époux reprend la route après avoir laissé passer la voiture de police. Je lui demande alors ce qui s’est passé. Il me répond d’un ton bourru que le policier voulait vérifier ses papiers, car il lui semblait qu’il ne respectait pas les limites de vitesse.
Jim commente : – Pourtant, tu sais très bien, Mel, que je respecte le code routier lorsque je conduis mon ambulance… même en activant les gyrophares… Et je ne change pas de comportement lorsque je conduis ma voiture…
Je confirme d’un hochement de tête ses propos.
Il continue : – De sorte que je me demande si le policier s’est levé du pied gauche pour intercepter ainsi sans raison un citoyen qui respecte les limites de vitesses et les feux rouges…
Je hausse les épaules pour tout commentaire. Après quelques secondes de silence, je lui rapporte ce que j’ai vu. Il commente sur un ton quelque peu ironique : – Sans doute que les esprits tchèques, pour une quelconque raison qui nous échappe, ne semblent pas apprécier notre petite enquête improvisée… Je trouve qu’une telle attitude cache forcément quelque chose de bizarre, mais quoi ? En espérant que nous le saurons bientôt…
Je fais une moue pour lui faire savoir que je n’en ai pas la moindre idée. Jim poursuit la route sans encombre. Nous nous rendons devant une maison unifamiliale entourée de rosiers blancs. Une fois rendus devant la porte en bois, Jim frappe doucement à la porte. Une femme élégante peut-être un peu plus vieille que moi nous l’ouvre et nous demande qui nous sommes et ce que nous voulons. Après s’être présentés, je réponds d’un ton sûr que nous voulons parler avec Madame Helena Jelínková. Elle répond que c’est elle-même. Je lui demande alors si elle peut nous aider à comprendre pourquoi les esprits errants de leurs ancêtres paternels suivent le policier Carl Neely de Grandview. Intriguée, elle me questionne et je lui explique mon don ; elle semble écouter attentivement sans aucun sourire ironique ou regard moqueur. Mais lorsque je lui demande si elle connaît Carl Neely, sa réponse est négative. Nous la remercions néanmoins par politesse puis Jim nous amène jusqu’à notre prochaine destination, à savoir la demeure de Diana Vláčilová.
Une petite maison blanchie à la chaux s’élève devant nous. Aucun arbuste devant. Seul un petit chemin de pierres nous conduit jusqu’à la porte d’entrée, porte en bois, comme les autres du quartier. Une jeune femme vêtue d’une jupe bleu ciel et d’un chandail blanc nous ouvre la porte. Ses yeux noisette brillent d’une certaine curiosité presqu’enfantine. Lorsque je lui explique la raison de notre visite, Diana Vláčilová, car c’est elle en personne, affirme ne pas connaître Monsieur Carl Neely. Nous la remercions néanmoins de sa patience et nous nous rendons chez le prochain descendant de l’esprit tchèque.
Nous nous rendons devant un immeuble. Chemin faisant, je partage à Jim mon désespoir devant les réponses négatives de nos interlocuteurs; il m’encourage en disant que nous avons encore d’autres individus à interroger et que peut-être l’un d’eux nous permettra d’éclairer le rapport entre Carl Neely et les esprits tchèques. De plus, je lui fais la remarque suivante : depuis que nous sommes à Openview, je n’ai pas vu les esprits errants des sorciers tchèques. Mon époux commente que ceci doit être un bon signe. Nous retrouvons l’appartement 59, qui est celui où vit Marc Vláčil. Le jeune homme, lorsqu’il entend notre requête, répond sans hésiter qu’il n’a jamais été à Grandview et qu’il ne connaît pas Carl Neely. Nous nous excusons de l’avoir dérangé et nous embarquons dans notre voiture pour se rendre à notre prochaine destination : la maison de Slavoj Bareš. Elle est encadrée de deux petits jardins dans lesquels se trouvent des sauges. Une femme d’âge mûr vêtue d’une longue jupe beige et d’une chemise brun moyen nous ouvre la porte. Je lui explique d’un ton sûr malgré mon désespoir la raison de notre visite. Lorsque je lui dis que nous recherchons Slavoj Bareš, elle nous répond qu’elle est sa femme, Marina. Elle affirme que son mari est au travail. « Soit vous revenez en après-midi, lorsque Slavoj reviendra du travail, soit vous me dites ce que vous voulez savoir, Madame et Monsieur… » Dit notre interlocutrice avec un visage qui manifeste un ennui à peine caché. Je lui explique ce que nous voulons savoir, ce à quoi elle répond : – Désolé, mais mon mari n’a jamais mentionné un certain Carl Neely… Je ne connais aucun homme qui s’appelle ainsi à Openview. Si un homme s’appelle ainsi à Grandview, j’ignore son existence et, certainement, mon mari ne le connaît pas non plus. » Nous nous quittons après avoir échangé des formules de politesse.
Jim et moi nous rendons devant la maison de Jaroslav Doležal, qui est grande et entourée de tilleuls et de cyprès. Un homme d’âge mûr nous accueille avec un grand sourire. Lorsque je lui explique que nous voulons questionner Monsieur Jaroslav Doležal au sujet d’un policier de Grandview, il nous invite à l’intérieur, dans son salon. Ce dernier est une salle spacieuse et bien éclairée par la lumière naturelle, lui donnant un air très accueillant. Une fois assis sur un canapé en face de notre interlocuteur, Jim et moi expliquons du mieux que nous pouvons – d’une manière que je pense convaincante – le but de notre visite. Jaroslav fronce des sourcils, demeure silencieux et pensif pendant quelques minutes avant de répondre d’un air assuré : « Malheureusement, je ne connais aucun homme au nom de Carl Neely. » Nous le remercions de son accueil et nous sortons sans rien ajouter.
Ensuite, Jim nous conduit jusqu’à la maison de Martin Vláčil. Elle se trouve près de l’école secondaire de la ville. Un homme d’un certain âge, imberbe, lunettes sur le nez, cheveux un peu grisonnants, ouvre un peu la porte d’entrée pour nous questionner qui nous sommes et quelle est la raison de notre venue. Nous déclinons notre identité. Martin nous regarde par-dessus ses lunettes et affirme : « Pardonnez-moi, mais je ne vous connais pas… Je n’ai pas de temps à perdre avec vous… » Et il ferme la porte sans rien ajouter. Nous revenons dans notre véhicule. Je suis vraiment froissée d’un tel accueil. Je m’attendais à plus de tact de la part d’un enseignant… Mais il est vrai qu’en un sens, je ne peux pas m’attendre à une discussion intéressante avec des intrus… Je soupire et j’adresse une brève prière à la Mère de Dieu.
Nous nous rendons ensuite devant la maison de Leo Doležal. Personne ne nous ouvre la porte, malgré que nous avons sonné plusieurs fois. Déçus, nous revenons dans notre véhicule.
Nous retrouvons rapidement l’appartement de Dominik Doležal. Ce n’est que lorsque Jim sonne pour la troisième fois qu’une femme, probablement vers la quarantaine étant donné quelques plis autour de sa bouche lorsque’elle arbore un visage sérieux, nous ouvre la porte et s’exclame d’un ton bourru : – Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
Mon époux répond, en pointant l’index de sa main droite vers sa poitrine : – Je suis Jim Clancy, un ambulancier de Grandview.
En faisant un geste de sa main droite vers moi, il dit : – Et voici ma femme, Melinda Gordon, propriétaire de la boutique The Antique Shop of Grandview.
Ramenant sa main vers lui, il continue d’un ton ferme : – Nous désirons parler avec Monsieur Dominik Doležal… Désolé de la mauvaise prononciation…
La femme répond d’un ton sévère : – C’est mon mari. Il est en ce moment au travail. Que voulez-vous lui dire ?
Je prends la parole : – Nous voulons simplement savoir s’il connaît Monsieur Carl Neely, un policier de Grandview, qui est suivi par des esprits errants, deux ancêtres de votre époux…
Devant la moue de la femme, j’ajoute aussitôt : – Je sais que cette histoire d’esprits errants peut paraître bizarre, mais c’est en raison d’un don que j’ai depuis mon enfance… Je vois de telles entités, tout étrange que cela puisse être… Mais c’est la vérité.
La femme me coupe la parole : – Premièrement, je n’ai jamais entendu le nom de Monsieur Carl Neely. Deuxièmement, cette soit-disante histoire d’esprits errants ne m’intéresse pas. Merci, Monsieur Clancy et Madame Gordon, d’être venus faire perdre mon temps!
Puis elle ferme la porte bruyamment. Nous revenons dans notre véhicule, pour se rendre à notre dernière destination, la maison de Jiří Vláčil.
La maison du policier tchèque est une petite demeure agréablement entourée de deux petits rosiers. Une brunette d’âge mûr nous ouvre la porte et nous demande de décliner notre identité et notre raison de venir. Une fois que nous avons dit que nous voulions voir son mari au sujet d’un policier de Grandview, elle réplique que son mari n’est plus en contact avec ses anciens collègues de Grandview. Je la remercie de sa réponse et nous revenons chez nous.
En passant dans le salon pour se rendre dans la cuisine, je salue l’Observatrice française qui dit simplement : « Ne vous inquiétez pas, Madame Gordon, vos fils ont été bien sages pendant votre absence… » Et elle disparaît de ma vue. Je rapporte ses paroles à mon époux en ajoutant pour simple commentaire : – Au moins, c’est la seule bonne nouvelle de toute cette enquête inutile…
Jim confirme d’un hochement de tête ma remarque. Une fois rendus dans la cuisine, Jim me fait la conclusion de notre enquête : personne ne connaît Carl Neely parmi les descendants des deux esprits tchèques.
Je pense, exaspérée : « Ah, mon Dieu ! Pourquoi ce mystère ? »
Je me signe par automatisme puis commente d’une voix tremblante en russe, en jouant nerveusement avec mon stylo : – Jim, as-tu… une piste de réflexion… pour expliquer… Pourquoi les deux… sorciers tchèques… suivent Carl Neely… alors qu’il ne semble pas… avoir connu… l’un de leurs descendants ?
Mon époux hausse les épaules pour toute réponse. Il se lève de sa chaise pour m’enlacer puis il murmure d’une voix chaleureuse : – Mel, si nous laissons cette histoire pour plus tard… Pour l’instant, nous n’avons aucune piste intéressante… Il faut demeurer confiants… Nous le saurons bien un jour, car tu sais qu’aucun secret n’est éternel…
Émue jusqu’aux larmes, je me blottis contre lui et je les sèche rapidement.
Jim murmure : – Qu’est-ce que tu en dis que nous nous changeons un peu les idées en regardant Chris et Jack jouer ?
Je confirme d’un mouvement d’un tête positif et nous nous rendons au salon, assis l’un à côté de l’autre sur le canapé en face du meuble à télévision, pour regarder nos fils jouer avec leurs petites voitures sur le tapis bleu marine. Au moins, je chasse mon inquiétude au sujet de la présence des deux esprits tchèques auprès de Carl Neely.