Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 29 : Les artistes

7812 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 4 mois





7 juin 2004, The Antique Shop of Grandview, 13 h 15.


Je suis derrière la caisse, fixant la porte dans l’espoir qu’un client y entre. Enfin ! Une femme et un homme font irruption. Nous échangeons des formules de salutations puis tous les deux regardent la boutique de l’intérieur sous différents angles. Je les regarde discrètement du coin de l'œil, j’ai l’impression qu’ils ne cherchent pas un objet. Je me demande ce qu’ils veulent. Après avoir observé les moindres recoins, ils arrivent jusqu’au comptoir de la caisse. La femme, une brunette un peu plus grande que moi, demande d’un ton chaleureux : – Madame, saviez-vous qui est la propriétaire de cette boutique ?

Mon plus beau sourire aux lèvres, je réponds : – C’est moi-même… Melinda Gordon… 

Pendant une fraction de seconde, je remarque une expression d’étonnement sur son visage. Elle s’exclame : – Enchanté ! Je suis Cailly O’Keefe, la directrice en chef de la série Another Life of Doctor Freudenberg

Perplexe, je pense : « Je demanderai à Jim s’il connaît cette série… Pour moi, elle est absolument insignifiante… »

L’homme, qui se tient à sa droite, intervient brièvement : – Je suis son assistant, Duff Faraday.

Cailly continue : – Et bien, nous voulons savoir si vous accepteriez de louer votre boutique pour le tournage de notre trentième épisode de notre série, qui se fait cette semaine. Nous avons regardé les différentes boutiques d’antiquités dans les villes de la région, mais seule la vôtre nous convient… Évidemment, en changeant un peu la configuration de certains meubles… Nous vous proposons de louer votre boutique pendant trois jours, moyennant une somme de mille dollars. Madame Gordon, acceptez-vous notre proposition ?

Je pense : « Je demanderai à Jim si la somme proposée compensera l’absence de clients pendant trois jours… Et je devrai comparer avec le dernier relevé des dépenses et des gains du mois dernier… »

Je m’éclaircis la voix et je dis clairement : – Madame et Monsieur, laissez-moi jusqu’à demain pour réfléchir à votre proposition. Je vous reviendrai demain à ce sujet.

La directrice en chef de la série me réplique d’un ton aimable : – Aucun problème, Madame Gordon ! 

Elle fait une courte pause de quelques secondes puis ajoute : – De plus, Madame, l’un de nos assistants est malade… De sorte que nous comptions bien sur votre collaboration pour nous aider pour nous assister lors du tournage. Si cela ne vous dérange pas… Évidemment, vous serez rémunérée selon le taux horaire en vigueur…

Mon plus beau sourire aux lèvres, j’opine du chef en pensant : « Pourquoi pas ! Ainsi, je pourrai bien remarquer si un esprit errant hante un membre de l’équipe… »

Je réplique d’un ton enjoué : – Je serais honorée de contribuer à votre épisode… D’ailleurs, pouvez-vous aussi accepter l’aide de mon associée de boutique, Mademoiselle Andrea Moreno ?

 La directrice, les yeux brillants de joie, opine du chef et s’exclame d’un air enjoué : – Oui ! Toute aide est la bienvenue !

Nous échangeons des formules de politesse puis les deux invités sortent de ma boutique. 


Un peu plus tard, lorsqu’il n’y a aucun client dans la boutique, je cherche un synopsis de la série sur l’ordinateur de l’arrière-boutique. Ainsi, Another Life of Doctor Freudenberg est une série télévisée qui a débuté depuis septembre 2000, sous la direction de Madame Cailly O’Keefe. C’est l’histoire des relations entre plusieurs docteurs et patients dans une clinique d’une petite ville. L’un de ces docteurs, le docteur Hermann Freudenberg, meurt et revient dans la clinique en se réincarnant dans le corps d’un docteur de la ville voisine. Les principaux protagonistes sont la docteur Fanny Raimbault (jouée par Brook Dennis), le docteur Troy Holden (joué par Grant Harper) et l’infirmière Celeste Barrington (jouée par Suzanne Zale). En parcourant la liste des comédiens qui ont joué dans les différents épisodes de cette série, j’aperçois le nom de Carl Neely, qui jouait un policier dans l’un des épisodes. Je remarque que depuis l’épisode d’août 2003, le personnage du docteur Hermann Freudenberg (joué par Miles Maitland) est absent, car décédé, tué par la docteur Fanny Raimbault. Le personnage ne réapparaît qu’en janvier 2004, joué depuis par Francis Dalton. Je regarde rapidement les images de la série. Personnellement, cette sorte de série ne m’intéresse pas vraiment, mais je me dis que si la série est rendue à son trentième épisode, c’est qu’elle doit avoir un auditoire. À vrai dire, je ne suis pas une cinéphile : je n’ai pas besoin de regarder des histoires fictives, alors que j’ai les histoires des esprits errants. D’ailleurs, je n’ai pas le temps, surtout depuis que je suis mère. En cherchant un peu autour de la série, je découvre avec étonnement que Miles Maitland, qui a tenu le rôle principal, est décédé au cours du tournage de l’épisode du 7 août 2003. Je pense : « Autrement dit, il est sans doute un esprit qui hante l’équipe de tournage… D’ailleurs, le fait que Carl Neely a été un figurant n’augure rien qui vaille pour les comédiens… Ce policier est tellement perfide… » Je soupire en pensant tristement à sa tentative d’assasinat sur moi il y a trois ans, au mois de mars. J’éteins l’ordinateur et je reviens à la caisse. 


Le soir, je discute de la proposition avec Jim. J’apprends que la série Another Life of Doctor Freudenberg est aussi inconnue de lui, car il n’a pas le temps de regarder la télévision, occupé comme il est entre ses études et son travail. D’ailleurs, je jette un coup d’œil au relevé des dépenses et des gains du mois passé, pour effectivement constaté que la somme de mille dollars ne s’obtient pas en trois jours. Par contre, je me plains à mon époux à l’idée de tout déplacer et de remettre les meubles, mais surtout à l’idée de voir Carl Neely, que je soupçonne capable de tuer perfidement l’un des acteurs ou n’importe quel autre membre de l'équipe du tournage. Jim me réplique que c’est encore la moindre des choses que de tout remettre en ordre. « Quant au rôle de figurant de Carl Neely, ça ne veut pas dire qu’il reviendra forcément reprendre le même rôle maintenant », me rassure-t-il.  Je me rends à son avis : j’accepterai l’offre et trois jours plus tard, ma boutique d’antiquités reviendra à la normale. D’ailleurs, Jim ajoute qu’il viendra avec moi pour aider la directrice et son assistant pour déplacer des meubles.




Le lendemain matin, Jim et moi nous rendons dans la boutique. Je me suis assurée que l’Observatrice française veille sur nos fils, qui jouent avec beaucoup d’insouciance au salon. Madame Cailly O’Keefe et Monsieur Duff Faraday se pointent dans ma boutique une heure après notre arrivée. Nous nous saluons, je les informe de ma décision, signons quelques contrats, puis nos invités nous indiquent des meubles à déplacer ; mon époux et moi les aidons du mieux que nous pouvons. Ensuite, Jim revient à la maison. Voilà en quatre heures la boutique prête à accueillir les autres membres de l’équipe de la série. Lorsque mon associée arrive en après-midi, je lui explique que nous accueillerons pendant trois jours l’équipe de tournage et que nous ferons office d'assistantes. Elle confirme sa compréhension d’un geste de tête positif. Je lui dis au passage le taux horaire : trente-trois dollars. 




Le lendemain, le tournage commence. Je regarde de loin, encadrée par la directrice et son assistant, les comédiens arrivent dans ma boutique. Andrea me rejoint cinq minutes plus tard. Au fur et à mesure qu’ils entrent, la directrice les présente : le premier, un grand homme aux yeux bleu-gris et aux cheveux blonds, vêtu d’un complet bleu marine et d’une chemise blanche, est Francis Dalton. La deuxième, une femme un plus grande que moi, aux cheveux brun foncé ramassés en un chignon complexe et aux yeux bleu pétillants d’une joie indescriptible, est Brook Dennis. Je remarque aussitôt qu’elle est suivie par un esprit errant d’un grand jeune homme aux cheveux brun clair et aux yeux bleus qui brillent d’une colère sourde sur sa tempe droite, une trace de sang séchée est visible. Il est simplement vêtu d’un complet beige, d’une chemise blanche et de souliers bruns. Je pense : « C’est sans doute le pauvre acteur mort en août… Comment il s’appelle déjà ? Miles Maitland, il me semble… » Je l’ai en effet reconnu puisqu’il est le même que sur les photographies de la série que j’ai vu la veille. 

Lorsque mon regard se pose sur lui, il murmure : – Madame, vous me voyez ?

Je détourne mon regard de lui, mais je réponds par la pensée : « Oui, en raison d’un don que j’ai… »

L’esprit se déplace en face de moi et affirme d’un ton emporté : – Madame, laissez-moi me venger de mes assassins…

Les yeux écarquillés de surprise, je murmure : – Qui ?

Je remarque du coin de l’œil que Cailly me jette un regard bizarre et réplique : – Madame Gordon, à qui parlez-vous ? De qui parlez-vous ?

L’esprit disparaît de ma vue, sans doute pour revenir près de la comédienne. Je remarque que les autres comédiens entrent dans la boutique, ainsi que les autres membres de l’équipe technique, qui transportent leurs caméras et autres appareils. Seulement, je ne prête pas attention, trop absorbée par l’esprit errant, qui se tient derrière Brook Dennis.

Je n’ai même pas eu le temps d’ouvrir la bouche qu’une voix masculine intervient : – Madame Cailly O’Keefe, vous devez savoir que Madame Melinda Gordon voit les esprits errants…

Je reconnais la voix de Carl Neely. Je sursaute d’étonnement, en pensant « Sa présence n’annonce rien qui vaille… » Je me retourne pour remarquer en effet le policier en uniforme et suivi par les deux esprits des sorciers tchèques. Je demeure sans voix et je pense : « Les deux sorciers le suivent encore malgré qu’il a détruit la bague maudite de son ancêtre, ceci signifie qu’ils ne sont point attachés à l’objet… Pourquoi alors le suivent-ils ? Mystère… » 

Carl Neely me salue discrètement d’un geste de sa main droite. Je remarque qu’un esprit vient d’apparaître à ma droite : Homer, qui grogne vers sa direction. Je me rapproche du policier pour demander ce qu’il fait ici : il reprend son rôle de policier pour l’épisode. Malgré moi, des sueurs froides me coulent sur le dos. Carl m’adresse son plus beau sourire et me remercie de ma visite au sujet de la bague de son arrière-grand-père. Il a remarqué que depuis qu’il s’est débarrassé d’elle, son fils se porte mieux. En mon for intérieur, je suis contente de l’amélioration de sa situation familiale. Je lui dis que l'esprit errant de son arrière-grand-père maternel est parti peu après dans la lumière. Le policier me remercie une fois de plus, s’éloigne de moi et se tient à l’extérieur de la boutique, assis sur une chaise, encadré des deux esprits tchèques, qui l’observent en silence. Le chien-esprit les fixe pendant quelques minutes puis s’évapore jusqu’à disparaître complètement de ma vue. Je ramène alors mon attention vers la directrice qui me fixe d’un air bizarre, comme si elle venait de voir un extraterrestre ou quelque chose de la sorte. Je m’éclaircis la voix pour remettre mes pensées dans l’ordre et je lui confirme que je vois les esprits errants depuis mon enfance et que j’ai remarqué que Miles Maitland semble suivre Brook Dennis. Mon interlocutrice confirme que le pauvre comédien est en effet décédé le 7 août dernier, au cours du tournage de l’épisode dans lequel son personnage est tué. « Si vous le voulez bien, Madame Gordon », dit-elle pour couper court à la conversation, « nous pourrons en discuter plus tard… Pour l’instant, je dois me concentrer sur le tournage en cours. » 

Je murmure : – Il n’y a aucun problème, Madame ! Ce que je veux, c’est comprendre sa raison à errer et je veux l’aider à quitter le monde ici-bas… Désolé pour une explication si théologique, mais mon grand-père et mon arrière-grand-père ont été des diacres… 

Moue sceptique au visage, Cailly O’Keefe murmure d’un ton sec : – Merci de l’explication… Je vous répète encore une fois que je dois me concentrer sur l’épisode en cours de tournage… Merci de votre compréhension !

Je m’éloigne un peu de la directrice pour regarder les va-et-vient de l’équipe dans la boutique, mais sans que personne ne retient particulièrement mon attention. Je suis perdue dans mes pensées, en train d’imaginer les pires scénarios qui puissent se produire en raison de la présence de Carl Neely parmi les figurants. D’ailleurs, je remarque que ce dernier se tient tranquille, assis sagement sur la chaise, la tête légèrement tournée vers la vitrine de la boutique pour regarder sans doute, comme moi, le jeu des acteurs. Andrea, à ma gauche, semble regarder avec plus d'intérêt que moi ce qui se passe dans notre boutique. Dieu en soit loué, il n’y a eu aucun incident, à l’exception d’une ampoule qui a éclaté au-dessus de la tête de Brook Dennis. Ceci est clairement l’action de l’esprit errant, qui est derrière la comédienne, un peu en retrait. Je murmure à l’oreille de mon associée que la comédienne Brook Dennis est hantée par l’esprit errant de son collègue Miles Maitland, qui a fait éclater l’ampoule. Elle confirme sa compréhension d’un mouvement de tête positif. J’en avertis Cailly O’Keefe, qui manifeste sa compréhension par un hochement de tête malgré que le regard qu’elle me jette semble plutôt montrer son scepticisme. 



Vers 17 h 00, lorsque les comédiens et les autres membres de l’équipe ont quitté ma boutique, la directrice en chef, son assistant, Andrea et moi y entrons. Je m’éclaircis la voix et j’affirme d’un ton assuré, en regardant droit dans les yeux la directrice en chef : – Madame O’Keefe, je voudrais en apprendre davantage sur les circonstances de la mort de Monsieur Miles Maitland.

Cailly réplique d’un ton sec : – Que voulez-vous savoir ?

– Je veux savoir comment ce comédien est décédé.

La directrice en chef et l’assistant s’entre-observent. L’esprit errant qu’est devenu Miles Maitland apparaît derrière eux, un peu en retrait. Je tourne mon regard vers lui, en pensant : « Que voulez-vous dire ? » 

L’esprit, en pointant de son index droit vers les deux vivants, hurle d’un ton courroucé : – Ils sont mes assassins !

Je cligne des yeux d’étonnement. Cailly et Duff me regardent d’un air étonné, les yeux écarquillés et la bouche en o. Je murmure : – Madame et Monsieur, Miles Maitland est derrière vous et il semble très fâché contre vous…

L’esprit commente : – Fâché, c’est un peu de le dire… Je veux me venger d’eux !

Ignorant sa remarque, je poursuis d’une voix tremblante malgré moi : – Il vous considère comme ses assassins…

Cailly et Duff s’exclament à l’unisson : – Quoi ?

Je murmure : – Oui, vous avez bien entendu… Je ne fais que vous rapporter les paroles de Monsieur Maitland…

L’esprit s’exclame sur un ton mi-ironique mi-courroucé : – Je vois ça comment vous rapportez mes paroles… En oubliant la moitié de ce que j’ai dit… Vous ne seriez pas une bonne traductrice…

Devant une attaque si personnelle, je le foudroie du regard. Andrea, Cailly et Duff me fixent, visiblement interloqués. Je me justifie : – Ce n’est pas pour vous, mais pour l’esprit errant qui se moque de moi parce que j’ai oublié de vous rapporter tout ce qu’il a dit…

Les trois vivants s’exclament à l’unisson : – Qu’est-ce qu’il a dit ?

Je soupire et je réponds d’un ton exaspéré : – Il a dit… que vous, Madame Cailly O’Keefe et Monsieur Duff Faraday, êtes des assassins, qu’il est fâché contre vous et qu’il veut se venger de vous…

L’assistant, la bouche ouverte en o, les yeux écarquillés, s’exclame : – Pourquoi ?

Je proteste : – Est-ce que j’ai l’air de le savoir ? Non !

Je me retourne vers l’esprit errant, qui s’est déplacé à la gauche de la directrice. Tous, les vivants et le défunt, me fixent, comme s’ils étaient suspendus à mes lèvres. J’inspire et j’expire profondément puis j’exige d’un ton sérieux : – Chacun son tour de parole… Et répondez, s’il vous plaît, directement à mes questions…

Tous confirment leur compréhension d’un mouvement imperceptible de tête. Contente de moi, je m’adresse en ces termes à Cailly et à Duff, en faisant un geste vers eux de ma main droite : – Madame Cailly O’Keefe et Monsieur Duff Faraday, pouvez-vous m’expliquer comment Miles Maitland est mort au cours du tournage de l’épisode du 7 août dernier, car selon ce que j’ai lu en cherchant sur votre série, il semblerait qu’il s’agit d’un accident…

Les deux interpellés s’entre-observent pendant quelques secondes ou quelques minutes, peu importe, mais elles semblaient pour moi une éternité. Un silence lourd s’installe entre nous. Même l’esprit errant est silencieux. Ce silence est brisé par la voix de Cailly qui est vibrante : – Madame Gordon, pour être honnête, nous ignorons tout des circonstances du décès de Miles… Son décès est une perte pour notre équipe… Nous savons seulement que Brook Dennis a pris l’arme, qui n’est pas une vraie, mais une fausse… Nous en avions la certitude… De sorte que lorsque les rideaux sont tirés et que nous avons vu l’absence de réaction, nous avons pensé qu’il ne faisait que jouer d’une manière très crédible son rôle. Lorsque nous avons compris qu’il est réellement mort, et que le sang sur sa tempe droite n’était pas seulement du maquillage ou du colorant, mais du vrai sang…

Elle fait une courte pause et continue d’une voix tremblante : – Nous avons immédiatement appelé la sécurité pour le réanimer… Sans succès…

Duff, visiblement ému, commente : – Nous ignorons qui a substitué un vrai revolver au faux que nous utilisons habituellement pour ces scènes… Nous avons alors engagé la détective Samantha Blair… qui nous a confirmé qu’il s’agissait d’un accident… Car elle n’a rien trouvé de suspect, même après l’interrogatoire de tous les membres de l’équipe.

Émue jusqu’aux larmes, je murmure : – Je suis vraiment désolée…

L’assistant réplique : – Ne le soyez pas… 

À nouveau un silence lourd. Duff le rompt d’une voix un peu tremblante : – Madame Gordon, pouvez-vous dire à Miles…

Je l’interrompt sur un ton chaleureux : – Il vous entend.

Il poursuit : – … que Cailly et moi ignorons absolument comment la substitution a pu être faite… Nous n’avons remarqué aucun mouvement suspect… À mon avis…

L’esprit errant serre les poings de rage. Ses yeux lancent des éclairs. Il hurle : – Il ment !

Étonnée de son intervention, je tourne pendant une fraction de seconde mon regard vers Miles Maitland. Je m’éclaircis la voix, en promenant mon regard de la directrice à l’assistant et inversement, pour leur dire d’une voix un peu tremblante malgré moi : – En tout cas, Miles ne semble pas être d’accord avec vos propos… Il vous accuse de mentir… Et je précise qu’il semble en colère…

Duff, les yeux écarquillés d’étonnement, proteste en agitant ses deux mains devant sa poitrine : – Pourtant, je vous assure de dire la vérité ! Cailly et moi pensons que c’est probablement le fournisseur qui nous a trompé… Pour un motif absolument obscur… 

Cailly, les yeux presque larmoyants, s’exclame, en tendant ses bras devant elle, d’un geste très théâtral : – Il est impossible qu’il s’agisse de quelqu’un d’autre… Personne d’autre ne peut ainsi substituer une arme sans que nous l’avions remarqué…

Je remarque qu'un autre esprit vient d’apparaître à ma droite. Intriguée, je jette un regard vers sa direction. Nul autre que l’Observateur français, Jean Bude de Guébriant. Il affiche un visage de marbre et affirme d’un air sérieux, à la limite glacial : – Mesdames et Messieurs, vous devez savoir que le seul fautif de la mort de Monsieur Miles Maitland n’est nul autre que Carl Neely…

L’esprit errant du comédien et moi nous exclamons à l’unisson : – Quoi ?

Remarquant les regards étonnés et insistants de Cailly, Duff et Andrea sur moi, je tourne légèrement ma tête vers eux pour dire : – Je peux comprendre que vous voulez savoir ce qui vient de se passer… Il y a simplement l’intervention d’un esprit Observateur, c’est-à-dire un informateur très fiable… Il dit que c’est Carl Neely le responsable de la mort de Monsieur Miles Maitland… D’où notre réaction spontanée… Mais laissez-moi le temps d’écouter ses explications, puis je vous les rapporterai, ne vous inquiétez pas…

Je ramène mon attention vers Jean Bude de Guébriant, qui continue sur un ton aussi sérieux : – Je précise que ce policier a substitué la vraie arme à la fausse au cours de la nuit précédant votre mort, Monsieur Maitland.

L’esprit-comédien, les sourcils levés et une moue sceptique au visage, demande : – Pourquoi ce personnage figurant avait intérêt à me tuer ? À moins que ce soit lui qui était en couple avec Brook… Et non avec Grant, comme je le pensais !

Je fronce des sourcils. Je pense : « Excusez-moi, Messieurs… Je dois rapporter les propos échangés à Madame Cailly O'Keefe et Monsieur Duff Faraday… »

Jean Bude de Guébriant et Miles Maitland à l’unisson : – Faites-le !

Une fois les propos rapportés aux vivants, je m’éclaircis la voix et je demande aux deux esprits de m’expliquer le motif du meurtre. L’Observateur répond toujours d’un air aussi sérieux : – Simplement parce que Carl Neely pensait que Brook Dennis et Miles Maitland étaient des amants. Et comme il voulait avoir Mademoiselle Dennis pour lui, il a tué Monsieur…

L’esprit errant du comédien proteste en levant sa main droite en l’air : – Monsieur, êtes-vous sûr que ce n'est pas parce que ma collègue voulait m’éliminer, car elle était la petite copine de Grant et qu’elle voulait que celui-ci prenne ma place même dans la série ?

L’Observateur répond par un mouvement de tête négatif et ajoute : – Tout aussi faux que la pensée de Monsieur Carl Neely. Mais le mal est fait… Je dois ajouter qu’il était alors possédé par Ivo Vláčil au moment où il eu l’idée du meurtre. Il voulait faire de Mademoiselle Dennis son amante pour finalement la tuer lorsqu’il n’aura plus besoin d’elle, afin de se laver de ses meurtres précédents sur des pauvres innocents. Voilà, maintenant, vous avez tout compris.

Et l’Observateur se tait.

Je rapporte à Andrea, Cailly et Duff les propos de l’Observateur français d’une voix tremblante malgré moi. Évidemment, je leur explique brièvement qui sont les deux sorciers tchèques qui suivent Carl Neely, en fouillant dans les notes de mon calepin. La directrice, moue sceptique au visage, me regarde de dessus et commente : – Êtes-vous certaine, Madame Gordon, de dire la vérité ? Ne serait-ce pas un moyen de camoufler ce qui s’est réellement passé ? Êtes-vous certaine des informations de votre soi-disant esprit observateur ?

Le Français, la foudroie du regard. Je soupire d’exaspération devant son air sceptique. Je lui explique du  mieux que je peux le rôle des Observateurs, du moins selon ma compréhension et mon expérience. Au moins, l’esprit errant qu’est Miles Maitland se tient coi. Une fois mes explications terminées, Miles commente : – Si je comprends bien ce que vous nous dites, lorsqu’un Observateur affirme quelque chose, c’est forcément la vérité, puisqu’il a vraiment tout vu, autant les interactions et les pensées des vivants que la présence des esprits… Mais sans qu’il se fasse lui-même remarquer… Un peu comme s’il était un comédien qui joue le revenant dans les films, que les autres feignent de ne pas voir ?

Je souris devant un commentaire si empreint d’expression de son travail… Sa déformation professionnelle est vraiment touchante. Je réponds mentalement : « On pourrait dire, en quelque sorte… »

Me tournant vers les vivants, je m’éclaircis la gorge puis murmure d’une voix neutre : – Madame Cailly O'Keefe et Monsieur Duff Faraday, avez-vous compris ce que je viens de vous dire ? Je ne vous demande pas d’adhérer à une quelconque religion, mais simplement de prêter foi à mes propos et à ma capacité d’interagir avec les défunts… 

Je soupire. Je promène mon regard de la directrice à son assistant pendant quelques secondes, le temps de réfléchir à la suite de mon monologue. Je m’exclame d’une voix aiguë : – Je veux seulement que Monsieur Miles Maitland parvienne à trouver la paix en son âme afin de cesser d'errer parmi les vivants… Tout incroyable que ceci peut vous paraître, c’est pourtant la vérité !

Cailly baisse son regard. Duff me fixe avec un sourire narquois aux lèvres. 

L’Observateur commente : – Madame Gordon, Monsieur Faraday ne vous croit pas vraiment, mais ne vous en faites pas… Madame O’Keefe, elle, est à mi-chemin entre la conviction et l’incrédulité… Après, je ne peux pas faire plus, j’ai tout dit…

Je le remercie mentalement et il s’évapore dans les airs, jusqu’à disparaître complètement de ma vue. J’inspire pour ramasser mon courage à deux mains, puis j’explique à la directrice en chef de la série et à son assistant ma piste de réflexion en faveur des propos de l’Observateur : les différentes victimes de Carl Neely (dont moi-même) et la présence des deux esprits errants tchèques à ses côtés – sans mentionner, bien sûr, leur rapport avec la famille de Jim, ce qui ne les concerne point. Ayant terminé la discussion sur ce point, Cailly et Duff affirment être convaincus de mes explications. Et sans plus tarder, ils me saluent et quittent ma boutique en fermant la porte derrière eux. Je remercie Andrea de son soutien silencieux et je ferme la boutique.



Le soir, je résume à Jim les principaux événements de la journée, sans cacher mon inquiétude envers la présence de Carl Neely comme figurant. Par contre, je suis perplexe au sujet de la présence des deux esprits errants des sorciers tchèques à ses côtés. Je conclus donc que Carl Neely connaît l’un des descendants de Miloslav et d’Ivo Vláčil. Mon époux me berce pour me rassurer et il me propose peut-être de questionner directement les descendants qui vivent à Openview. Je prends note de sa suggestion. « De plus, » ajoute-t-il d’un ton chaleureux, mais avec une lueur d’inquiétude dans son regard, « je te tiendrai compagnie, question d’être plus convaincants à deux… Mais surtout pour ta sécurité, Mel… » Je saisis ce que Jim veut dire : il viendra avec moi pour être certain qu’il ne m’arrive rien. Quel époux attentionné ! Je remercie le Ciel de m’avoir destinée un si bon mari ! Nous convenons de faire cette enquête dans cinq jours, lorsque Jim n’a pas de cours et qu’il est libre du travail.





Le lendemain, c’est la deuxième journée du tournage dans ma boutique. Mon gros du travail consiste à apporter des tasses réutilisables du café le plus proche pour tous les membres de l’équipe, ou encore à déplacer certains objets d’un bout du comptoir à l’autre. Encore une fois, Carl Neely, encadré par les deux esprits des sorciers tchèques, est assis sur la même chaise que la veille. Sauf que cette fois, il est perdu dans ses pensées, comme s’il préparait un nouveau coup. Heureusement, aucun incident n'a eu lieu et tout s’est passé comme prévu, comme me le font savoir Cailly et Duff à la fin de la journée.



Le soir, à peine me suis-je allongée dans notre lit que l'Observateur apparaît au pied du lit. Je sursaute et lui demande la raison de sa venue. Il me répond brièvement sur un ton sérieux : – Carl Neely, possédé par Miloslav Vláčil, vient de substituer l’arme pour le tournage de demain par un vrai revolver, afin de faire mourir Brook Dennis…

Le cœur frappant fort dans ma poitrine sous l’effet de la panique, je hurle : – Y-a-il un moyen de les avertir ?

– À vous d’être vigilante demain !

J’inspire et j’expire profondément pour me calmer. Je pense perplexe : « Monsieur, je ne comprends pas pourquoi vous ne voulez pas me dire le rapport de Carl Neely avec les deux esprits tchèques… Cette histoire ne me laisse que plus intriguée quant à leur influence sur lui… »

Mon interlocuteur affirme d’un ton posé : – Je vous ai déjà dit que je ne réponds pas à des questions aussi évidentes. À vous de faire le lien entre les différentes informations. Bonne chance !

Jean Bude de Guébriant disparaît de ma vue. Je soupire, exaspérée. Tout ceci me dépasse. Pour me calmer, je serre le bras droit de Jim, qui dort depuis quelques minutes tellement il est fatigué de sa journée au travail. Au moins, je ne l’ai pas réveillé. Je récite mentalement trois fois de suite la prière du soir pour parvenir enfin à m’endormir.





Le lendemain matin, je réveille Jim pour lui dire le message inquiétant de l’Observateur français. Mon époux me conseille d’en aviser au plus vite la directrice, son assistant et la comédienne concernée. Vers 8 h 00, j’accueille encore une fois l’équipe. Cette fois, ignorant Carl Neely assis sur la même chaise, je décide d’aborder directement la directrice, son assistant et Brook Dennis. Une fois que j’ai rapporté d’un air très sérieux dans quel danger se trouve l’équipe, tous les trois me regardent de dessus, comme si je donnais une fausse alarme. Pour la convaincre de mon propos, je jette un coup d’œil rapide à Carl Neely, pour en effet constater qu’il est possédé, étant donné son regard inhumain, son visage un peu rouge sans doute d’une légère ivresse et son âme qui est à la gauche de son corps. Malheureusement, je ne parviens pas plus à les convaincre. De sorte que le tournage a quand même lieu, à mon grand désarroi. Je regarde le jeu des acteurs, impuissante. Lorsque Brook Dennis, le revolver à la main, est devant la boutique, Carl Neely, en uniforme, passe, visiblement possédé, car son âme, un peu en retrait me salue froidement, avec un sourire malsain au visage, la panique s’empare de moi. Je questionne du regard l’âme du policier : « Pourquoi ? » Au lieu de me répondre, elle me sourit d’un air qui me semble ironique. Le cœur battant fort dans ma poitrine, les larmes aux yeux, je regarde rapidement Brook Dennis lever lentement, d’un geste presque théâtral l’arme à feu. Je pense : « Je dois faire quelque chose ! » Je hurle, sans considération pour les autres membres de l’équipe du tournage : « Ne tirez pas ! » C'est plus fort que moi. Les hommes derrière la caméra grommellent quelque chose, sauf que je n’y prête pas attention, les yeux rivés sur la comédienne qui sursaute. Homer et l’Observateur apparaissent à sa droite. Je remarque du coin de l’œil que Carl se promène nerveusement en un mouvement de va-et-vient derrière les caméras. Son âme me foudroie du regard. Le chien-esprit jappe furieusement vers Carl Neely puis vers son âme. Je hurle à Brook Dennis : « N’utilisez pas cette arme à feu ! C’est une vraie arme ! »

Miles Maitland se manifeste derrière elle, un peu en retrait. Il semble pensif, mais il possède sa collègue afin qu’elle prend l’arme pour viser Carl Neely, qu’elle rate de peu. L’âme de Brook Dennis, désorientée par cette soudaine possession, regarde, les yeux écarquillés, ce qui se passe. L’âme de Carl Neely affiche une moue de mécontentement. Elle s’approche à quelques millimètres de mon visage. J’entends la directrice crier : « Couper ! Mais bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ? On recommence la scène ! » L’assistant s’approche de moi ; l’âme de Carl disparaît de ma vue. Duff me sermonne d’un ton sévère : – Madame Gordon, restez à votre place au lieu de semer le désordre !

Je soutiens son regard pour pouvoir me concentrer malgré le bruit entre les vivants et les esprits. Je demeure ainsi silencieuse pendant quelques secondes avant d'affirmer d’une voix tremblante : – Je vous ai averti qu’il y a une…

Je ne termine pas ma phrase, car la voix grave de Carl Neely encore possédé, m’interrompt : – Monsieur Faraday, ne vous en faites pas pour Madame Gordon… Peut-être qu’avec…

Il ne termine pas sa phrase, car son âme regagne son corps, effrayée par les jappements furieux de Homer. L’esprit tchèque sort de son corps et les deux sorciers s’évaporent jusqu’à disparaître complètement de ma vue. 

Le policier poursuit d’un ton sérieux après s’être éclairci la gorge : – Peut-être qu’avec ses histoires d’esprits, elle veut créer un désordre au sein de l’équipe… Qu’elle revienne à ses antiquités et tout sera correct !

Froissée, je proteste : – Pourtant, Madame O’Keefe et Monsieur Faraday, je vous assure que l’avertissement que je vous ai dit ce matin, je l’ai entendu hier soir.

Carl Neely, les sourcils levés, commente : – Ainsi, Madame Gordon se permet de flirter avec l’assistant et le directeur… Mais de quoi les avez-vous avertis… Dans tous les cas, je ne remarque rien de bizarre, aucun incident grave et aucun blessé. Pourquoi faites-vous la trouble-fête ?

Je pense ironiquement : « C’est plutôt vous qui êtes le trouble-fête ! »

Cailly O’Keefe s’approche de nous. Je remarque aussitôt que son âme est à la droite de son corps. Elle s’exclame : – Ne jouez pas ici les trouble-fêtes ! 

Elle se tourne vers le policier, qui est visiblement étonné de la tournure des événements. La directrice le scrute attentivement, puis commente sèchement : – Monsieur Neely, vous semblez un peu ivre… Allez vous reposer et nous reprendrons la scène. Si dans deux heures, vous n’êtes pas en état de reprendre votre rôle, je demanderai à un autre de vos collègues…

Le policier s’éloigne de nous sans rien dire. Il me jette un regard noir au passage. Un regard tellement froid et meurtrier qu’un tremblement parcourt mon échine. La directrice prend l’arme des mains de la comédienne, lui murmure quelque chose puis s’éloigne d’elle. Sans doute dans la tente mobile de la production. Duff suit la directrice (dont le corps possédé est suivi par son âme) et il revient quelques minutes plus tard avec une autre arme. 

Je pense, les yeux agrandis de peur : « En espérant que ce n’est pas encore une vraie ! »

Je demeure sur une chaise, assise à la droite de Cailly. Je remarque que son âme regagne son  corps et que l'Observatrice en est sortie. Intriguée, je la fixe pendant quelques secondes, sauf qu’elle hoche furtivement de la tête puis elle disparaît aussitôt sans mot dire. Rassurée, je déduis alors que l’Observatrice a agi sur Cailly, afin d’éviter la mort de la comédienne et de choisir la fausse arme. Je ne peux que remercier le Seigneur de la bonne tournure des événements.

De sorte que la directrice annonce qu’une pause de deux heures sera obligatoire pour tous. Après cette pause, les membres de l’équipe reprennent leur position et c’est parti pour la reprise de la scène ! Je porte mon attention sur le jeu de Brook Dennis. Je remarque que l’Observateur français et Homer ont disparu. Évidemment, Carl Neely a repris son rôle de policier. Aucun incident n'a eu lieu, même pas un bris mineur de matériel. Que le Seigneur en soit loué !

Une fois toute l’équipe sortie de la boutique, Cailly O’Keefe et Duff Faraday nous remercient, Andrea et moi, de notre collaboration. La directrice ajoute en baissant ses yeux, comme si elle ne voulait pas affronter mon regard : – Madame Gordon, merci de l’avertissement…

Je murmure d’un ton chaleureux : – Il n’y a de quoi… Je ne fais que mon travail, celui de vous transmettre les messages des esprits.

– Et désolé de ne pas l’avoir pris au sérieux.

Les sourcils levés d’étonnement, je lui explique qu’elle a été possédée par l’esprit d’une Observatrice. Cailly ajoute : – Merci encore une fois ! Dans tous les cas, nous avons apporté l’arme à la police afin qu’un agent nous confirme s’il s’agit d’une vraie arme ou non. Et un agent, je pense qu’il s’appelle Paul Eastman, a confirmé une heure plus tard qu’il s’agit d’un ancien modèle de revolver utilisé par la police…

Je pense : « Quel machiavélisme de la part de Carl Neely ! »

Je commente, moue dubitative au visage : – Dans ce cas, je ne comprends pas comment la détective Sam Blair a pu conclure que la mort de Monsieur Miles Maitland a été un accident…

Cailly, Duff et Andrea haussent les épaules pour toute réponse. Je pense quelque peu inquiète : « À moins que la détective Blair soit une complice de Carl Neely… Ah ! Seigneur, éclaire-moi sur cette histoire ! »

Je m’éclaircis la gorge pour ne pas divaguer plus dans mes pensées puis j’ajoute d’un ton chaleureux : – L’essentiel, Madame et Monsieur, n’est-ce pas, est d’éviter une mort de plus au sein de l’équipe….

Cailly et Duff confirment d’un mouvement de tête positif. 

Je poursuis : – Et donc, un esprit errant de moins… En parlant d’esprit errant, je n’ai pas remarqué Monsieur Miles Maitland… Pourtant, il n’est pas encore parti dans la Lumière…

L’esprit mentionné apparaît à ce moment à la droite de la directrice. Je tourne mon regard vers lui, les yeux écarquillés d’étonnement. Je commente : – Miles Maitland vient d’apparaître à votre droite… 

Cailly jette un regard rapide vers sa droite, mais ramène son attention vers moi.

Je m’adresse à l’esprit errant : – Monsieur Maitland, maintenant que vous saviez que votre collègue Brook Dennis n’est aucunement responsable de votre mort, êtes-vous prêt à quitter le monde ici-bas et de partir dans la Lumière – ou l’Au-delà, peu importe le nom ?

L’esprit répond d’un ton courroucé : – Si Carl Neely est le vrai fautif de ma mort, en plus d’avoir osé vouloir faire périr ma collègue Brook, je dois me venger de lui !

Je soupire. Deux esprits apparaissent alors à ses côtés, l’un à la droite de Miles, l’autre à sa gauche : Jean Bude de Guébriant et Laurie Gibeau.

L’esprit du comédien les regarde tour à tour, les sourcils levés. Je pense : « En espérant, par le Christ et tous les saints, que cette histoire se terminera bien ! »

L’Observateur affirme d’un air sérieux : – Monsieur Maitland, vous savez que même si vous voulez vous venger de votre meurtrier, vous ne trouverez pas assez de forces en vous pour faire une vengeance qui soit à la hauteur de vos attentes.

L’Observatrice ajoute : – Ce qui n’aura pour effet que de vous rendre plus amer et plus méchant, vous alourdissant encore plus au lieu de vous rendre plus léger…

Moue sceptique au visage, frottant son menton de sa main droite, l’esprit errant du comédien commente : – Pourquoi affirmez-vous de tels propos ?

Jean Bude de Guébriant, d’un air toujours aussi sérieux : – Ce ne sont que des faits que nous avons constaté depuis des siècles que j’observe ce qui se passe parmi les âmes et les vivants.

Laurie précise sur un ton sévère : – Je peux vous confirmer les propos de mon collègue. C’est simplement des principes de psychologie. Et il n’y a aucun jeu de mots ici. C’est du sérieux. De votre décision dépendra le salut de votre âme.

La moue sceptique s’efface du visage de Miles Maitland.

L’Observatrice poursuit : – D’ailleurs, ne l’avez-vous pas vous-mêmes remarqué que depuis que vous ne pensez qu’à la vengeance, vous avez l’impression d'avoir un poids en vous qui vous empêche de quitter le monde ici-bas ?

L’esprit errant hoche lentement la tête.

Son interlocutrice continue : – Et c’est ce poids qui vous pèse lorsque vous cherchez à vous venger, de sorte que vous éprouver une peur envers l’au-delà ?

Miles murmure d’une petite voix : – Oui, vous avez raison, Madame.

L’Observateur intervient : – Pour vous convaincre de votre faiblesse, voici la preuve : si vous aviez eu plus de caractère – ce qui n’est pas votre cas – , vous vous seriez déjà vengé depuis longtemps sur votre pauvre collègue que vous avez tenu à tort coupable de votre mort. 

L’esprit errant, dont le regard se promène de l’Observateur à l’Observatrice, demeure silencieux pendant un certain temps, ce qui me semblait être une éternité. Il reconnaît d’une petite voix qu’ils ont raison. Je commente en affirmant que la prochaine étape est simplement de laisser derrière soi ce qui le retenait parmi les vivants et de partir, serein, dans la Lumière, lieu dans lequel vont toutes les âmes après la fin de leur vie terrestre.

Miles Maitland demeure silencieux et pensif pendant plusieurs minutes – je ne saurai dire combien tellement je suis fébrilement le dénouement de toute cette histoire – avant que son visage ne s’illumine d’un sourire surréel. Il s’exclame d’un ton enjoué : – Je vois une lumière ! Elle m’attire ! Et il semble y avoir du monde !

Émue jusqu’aux larmes, je murmure : – C’est ce que je vous expliquais… Elle est pour vous… Allez-y ! Bon voyage !

Je pense, en regardant l’esprit errant disparaître progressivement dans un flot de lumière : « Et plus de chance dans votre prochaine vie ! »

Les deux Observateurs, le sourire aux lèvres, disparaissent aussitôt de ma vue.

Je sèche rapidement mes larmes de joie et je rapporte en résumé les propos échangés avec les esprits, en précisant que le comédien est parti dans la Lumière, à Andrea, Cailly et Duff, qui m’écoutent sans plus commenter. Nous nous saluons et la directrice de la série et son assistant quittent la boutique. Andrea et moi replaçons en ordre notre boutique. Enfin, le retour à la normale ! Fatiguée de ma journée, je reviens chez moi en traînant des pieds.



Le soir, dans notre lit, je résume à Jim les principaux événements de la journée, sans lui cacher ni mon inquiétude envers la colère de Carl Neely contre moi ni ma joie d’avoir réussie à régler le cas de Miles Maitland. Mon époux m'embrasse pour toute réponse. Nous nous endormons d’un sommeil profond après avoir récité notre prière du soir.


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