Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
3 mai 2004, 22 h 10.
Je suis réveillée par la sonnerie du téléphone. Jim, qui m’enlace, se lève d’un bond du lit.
Je marmonne, en ouvrant à moitié les yeux : – Est-ce le téléphone ?
Il répond brièvement : – oui !
Il sort d’un pas rapide de notre chambre puis revient quelques minutes plus tard.
Je m’étire et je jette un coup d’œil rapide à l’heure affichée sur le réveil : 22 h 12.
Perplexe, en fronçant des sourcils, je pense : « Qui peut bien nous appeler à une heure si tardive ? »
J’entends Christopher et Jack pleurer, sans doute dérangés dans leur sommeil par la sonnerie de l’appareil. Je sursaute et je me sors rapidement du lit, pour revêtir en vitesse une chemise afin d’être plus présentable. En arrivant jusqu’à la chambre de nos fils, je finis de la boutonner. Je m’approche de mes fils, qui me regardent avec leurs yeux rougis écarquillés, les bras agités et leurs petites têtes secouées par leurs pleurs. Mon plus beau et doux sourire aux lèvres, je les enlace maternellement en murmurant en russe : – Mes anges, ne vous inquiétez pas… Ce n’est que le téléphone qui a sonné… Vous pouvez vous endormir à nouveau… Faites de beaux rêves !
J’embrasse Christopher sur le front, car il me fixe d’un air étonné. Au moins, il a cessé de pleurer. Il ferme ses yeux et se retourne vers sa droite. Je fais de même pour Jack, qui ferme ses yeux après mon bisou maternel. Une fois que mes fils dorment, je sors à pas de loup de leur chambre pour revenir dans la nôtre. Au passage, je remarque du coin de l’œil que Jim est au téléphone au salon. Une fois devant notre lit, je m’allonge sur le dos, en jetant les couvertures sur moi. C’est dans cette position que j’attends mon mari. Ce dernier arrive quelques minutes plus tard. Je lui lance à mi-voix : – Qui a appelé ?
Jim maugrée : – C’est mon supérieur, car un collègue, John, qui fait les quarts de nuit, ne s’est pas présenté au travail… C’est donc moi qui dois y aller, car un incendie s’est déclaré il y a quelques minutes dans un immeuble sur la rue parallèle à la nôtre. Alors, à demain, ma chérie !
Je réplique en me retournant vers ma droite : – À demain !
J’entends Jim refermer doucement la porte de notre chambre puis marcher à pas de loup. Je me rendors rapidement, de sorte que je n'entendais plus aucun bruit.
Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, je surveille nos fils au salon, qui semblent bien s’amuser. Je tricote un pull pour moi, en jersey, afin de ne pas avoir à retenir par cœur un motif compliqué, surtout avec des cas d’esprits à régler. Depuis un certain temps, je ne suis que plus perplexe sur le rapport de Carl Neely avec les deux sorciers tchèques. Tout particulièrement depuis les dernières informations que j’ai apprises de Gabriel et de l’Observatrice. Je chasse mes pensées en me répétant mentalement : « Il ne sert à rien de s’inquiéter… Chaque chose en son temps ! De même pour le cas de Carl Neely… Ah Seigneur ! Aide ta pauvre servante ! »
Jim revient à la maison vers midi. Nous nous attablons puis Jim et moi faisons la vaisselle, car il n’a cours qu’à 14 h 00. Je remarque que mon mari semble pensif, le front plissé et lueur d’inquiétude dans ses yeux. Je pense : « J’espère seulement que rien de mal ne s’est passé au travail hier soir ! » Sans doute que mon expression de préoccupation n’a pas échappé à Jim, puisqu’il me questionne d’un air chaleureux, ce qui déride quelque peu son front : – Mel, qu’est-ce qui t’inquiètes ?
– Toi…
Les yeux écarquillés d’étonnement, il m'enjoint d’un geste de sa main droite à poursuivre.
– On dirait que tu es préoccupé… As-tu des ennuis au travail ?
Mine pensive et visage crispé, mon époux répond d’une voix rauque, qui m’inquiète malgré moi : – Pour être honnête, je ne parviens pas à surmonter la culpabilité qui me ronge… Hier, un homme est mort dans l’incendie… Incendie qui est survenu en raison d’une fuite de gaz dans un immeuble… Ce qui nous a obligé, Will et moi, à évacuer tout l’immeuble… Malheureusement, comme une partie du plafond s’est écroulée sur nos têtes, un homme est resté piégé… Je n’ai pu le sauver… Lorsque mon collègue et moi l’avions sorti à grande-peine, il n’était plus vivant…
Dans ses yeux, une lueur de tristesse se voit. Heureusement qu’il n'est pas aussi émotif que moi, de sorte qu’il ne pleure pas.
Jim poursuit d’une voix rauque, les yeux perdus dans le vague : – De sorte que je voudrais que tu me dises si son âme me suit…
Je regarde à gauche et à droite et ne remarquant aucun esprit errant, je pense : « En tout cas, il n’est pas là maintenant… »
Je me racle la gorge puis je réponds d’un ton chaleureux : – En ce moment, je ne vois aucun esprit…
Il murmure : – Merci, mais ça ne me rassure pas pour autant…
Je murmure par automatisme en me signant : « Que le Seigneur aide cette pauvre âme et mon mari ! »
Jim, dont un sourire se pointe furtivement sur ses lèvres, commente : – Ta piété est vraiment touchante… Merci pour un tel soutien…
Je m’approche de lui pour l’embrasser sur les lèvres en signe d’encouragement. Il me rend mon baiser. Il me sourit, comme s’il était rassuré. Je reviens à ma place et je serre ses mains sur la table entre les miennes. Nous demeurons dans cette position pendant quelques minutes, dans le silence le plus complet. J’entends seulement les bruits étouffés des jeux de Christopher et Jack, mais je n’y prête pas vraiment attention, trop absorbée par ce que je viens d’entendre. Je pense simplement « Que le Seigneur nous vienne en aide ! »
Le silence est brisé par Jim qui se racle la gorge puis qui murmure d’une voix douce : – Mel, je te rappelle que je dois aller à mon cours cet après-midi…
Je lâche sa main puis je balbutie : – Désolé…
– Ce n’est pas grave…
Il se lève de sa chaise et file au salon… Je le suis et je m'assieds sur le canapé de façon à avoir vue sur lui et sur nos fils. Jim prend son sac à dos bleu marine. Il vérifie ce qu’il a mis dedans. Il met en vitesse son manteau d’hiver et dit à nos fils : – Mes petits ! Papa va à l’école !
Il s’agenouille sur le tapis bleu marine et caresse paternellement la tête de Jack et de Christopher. Moi, attendrie par la scène, je me lève du canapé pour me tenir devant la porte d’entrée. Jim se relève puis se dirige vers moi, m’embrasse sur les lèvres ; je l’embrasse en retour. Il revêt sur ses pieds ses baskets. J’ouvre la porte et la referme lorsque Jim sort. Je me rapproche de la fenêtre et j’agite ma main droite; il traverse sur l’autre trottoir puis agite sa main vers ma direction. Il se retourne et continue son chemin. Je le regarde jusqu’à ce que je le perde de vue. Je pense, inquiète, le cœur battant la chamade : « Si un esprit hante Jim, je dois l’aider à passer dans la Lumière… » Je soupire. « Voir ainsi Jim se culpabiliser m’attriste… Peut-être que l’esprit errant le suit une fois à l’hôpital, qui est son lieu de travail ?... Il me semble que samedi, il travaille en après-midi… J’irai alors faire un tour pour essayer de régler son cas… » Contente de mon idée, je reviens au salon m’asseoir sur le canapé pour regarder Christopher et Jack jouer avec beaucoup d’insouciance sur leur tapis bleu marine.
Vers 17 h 30, mon mari revient de son cours. Je lui ouvre la porte. Nous nous rendons dans la cuisine, pour discuter tranquillement. Une fois assis l’un en face de l’autre, les mains sur la table, je m’exclame : – Jim, j’ai une idée !
Les yeux écarquillés, lueur d’étonnement dans ceux-ci, il m’enjoint d’un geste de sa main droite à poursuivre.
Le cœur cognant fort dans ma poitrine de joie, je pense par automatisme : « Que le Seigneur soit loué de m’avoir inspirée ! »
Je murmure, le menton tremblant d’un air enjoué : – Comme tu travailles samedi…
Je le regarde avec insistance, pour qu’il me confirme l’information. Jim hoche la tête.
Je poursuis : – … J’irai faire un tour à l’hôpital pour te confirmer s’il y a un esprit qui te suit… Je voudrais bien que tu cesses de te culpabiliser pour la mort de ce pauvre homme… J’espère qu’il comprendra tes bonnes intentions…
Il réplique dans un murmure : – Je l’espère aussi…
Je tends ma main droite vers mon mari, qui la serre de sa main gauche. Je remarque qu’un esprit vient de faire son apparition à la droite de mon époux, un peu en retrait : l’Observateur français. Je l’interroge du regard. Jim tourne la tête vers la même direction, mais revient à sa position initiale. Mon mari murmure : – Mel, un esprit vient…
Je termine sa phrase : – … d’apparaître, à savoir l’Observateur.
Jim hoche la tête pour confirmer sa compréhension.
Le Français, dont un petit sourire apparaît furtivement sur ses lèvres, dit d’une voix chaleureuse : – Madame Gordon, vous devez savoir que l’âme du pauvre homme que vous avez mentionné n’est pas un esprit errant… Il s’appelle Vince Grimaldi… Au moins, il laisse derrière lui son frère Joe. Ce dernier ne l’a appris qu’aujourd’hui, ce qui l’a dévasté… Vince est son benjamin, mort à l’âge de quarante-cinq ans… Vous devez savoir que la fuite de gaz responsable de l’incendie est dû à l’usure de l’une des cuisinières à l’étage où l’incendie a été déclaré… Et que ceci a été laissé exprès par un complice d’un agent du Federal Bureau of Investigation… Désolé pour la mauvaise prononciation…
Les yeux agrandis de surprise, je fronce les sourcils, perplexe, en pensant : « S’agit-il de l'agent complice de Carl Neely ? Si je me souviens bien de son nom, c’est Matthew Mallinson ? »
– Oui… Un petit voleur qui a aussi péri dans l’incendie, parce qu’il espérait ainsi faire mourir votre mari…
Le cœur battant la chamade, je pense : « Que le Seigneur nous protège de tel malheur ! Heureusement que Jim est sain et sauf… »
Remarquant le regard insistant que me lance Jim, je détourne mon regard de l’Observateur et je murmure : – Jim, l’Observateur affirme que l’homme que tu n’as pas réussi à sauver n’est pas un esprit errant…
Mon mari s’exclame, les yeux écarquillés de surprise : – Comment ?
Je réponds directement : – J’attends des explications supplémentaires.
Je ramène mon attention vers le Français puis je murmure : – Désolé, Monsieur, de vous faire patienter…
D’un air affable, Jean Bude de Guébriant réplique : – Ne soyez pas désolée, Madame… Je comprends très bien la réaction de votre époux…
Il s’éclaircit la voix puis ajoute : – Pour revenir à ce que je voulais dire… L’âme de cet homme mort dans l’incendie est simplement partie dans la Lumière, car elle a compris les bonnes intentions de votre mari… Simplement, tel a été son destin…
Il se signe comme un catholique puis ajoute : – Que le Seigneur ait son âme !
Je souris brièvement, touchée par sa piété.
L’Observateur demeure silencieux pendant quelques secondes puis il murmure : – De sorte que, Madame Gordon, votre mari n’a aucune raison de se sentir coupable de la mort de cet homme… Pouvez-vous le lui faire comprendre ?
Émue aux larmes, je confirme d’un geste de tête positif.
Je me retourne vers Jim, qui me regarde avec insistance, les traits tendus et lueur d’inquiétude dans ses yeux. Je m’empresse de sécher rapidement mes larmes puis je commente : – Jim, l’Observateur affirme que tu n’as aucune raison de te sentir coupable de la mort de l’homme dans l'incendie hier. Il a compris tes bonnes intentions et est parti dans la Lumière. Son destin était tel et tu ne pouvais rien faire pour le changer…
Je continue d’une voix larmoyante : – D’ailleurs, l’Observateur précise que l’incendie a été provoqué… par un petit voleur complice de Matthew Mallinson, l’agent du FBI pour lequel Carl Neely travaille… Ils espéraient… te faire… mourir dans l’incendie…
La lueur d’inquiétude disparaît des yeux bleus de Jim, qui sont comme un ciel dégagé. Il murmure : – S’il te plaît, Mel, ne pleure pas…
Il se lève de sa chaise pour s’approcher derrière la mienne, m'enlacer et me bercer doucement. Touchée par son affection, je sèche mes larmes du dos de mes mains. Il revient à sa place lorsque je cesse de pleurer. Je murmure : – Désolé… Mais je suis contente que nous connaissions la vérité au sujet du pauvre homme…
Je tourne ma tête vers le Français et je murmure : – Merci, Monsieur, de l’information…
L’Observateur réplique d’un ton neutre : – Il n’y a de quoi.
Nous demeurons silencieux pendant quelques secondes ou quelques minutes, le Français s’éclaircit la voix puis affirme d’un air sérieux : – Cependant, Madame Gordon, je vous recommande de passer à l’hôpital Mercy, pour aider une pauvre âme qui erre là-bas… Son nom est Peter Harrison, un vieil homme décédé à l’hôpital il y a plusieurs années… J’ai assez dit ! Je ne vous expliquerai pas toute son histoire, pas avant de mener votre propre enquête… Sur ce, passez une bonne journée !
Et Jean Bude de Guébriant s’évapore jusqu’à disparaître complètement. Je fixe encore pendant quelques secondes la direction vers laquelle il se trouve, en pensant, quelque peu inquiète : « En espérant qu’il ne cache pas de mauvaises surprises… »
Je tourne légèrement la tête vers mon époux. Ce dernier murmure : – Mel, qu’est-ce que l’esprit a dit pour te mettre dans un tel état ?
Je réponds d’une voix songeuse : – Il m’a dit quand même d’aller à l’hôpital pour essayer de régler le cas d’un certain Peter Harrison, qui le hante depuis quelques années… Sauf qu’il refuse de me donner plus de détails…
Jim me sourit et murmure d’un air doux : – Tu es capable ! Si tu veux, je peux même rechercher dans les archives de l’hôpital au cas où je pourrai mettre la main sur des informations pertinentes…
Je m’exclame d’un ton enjoué : – Tu es vraiment génial !
– Je le sais ! C’est pourquoi tu m’as pris pour mari !
Nous nous levons de nos chaises pour nous rencontrer sur le côté latéral droit de la table. Nous nous regardons pendant quelques secondes dans les yeux et je l’embrasse sur les lèvres de joie. Il me rend mon bisou.