Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

30 novembre 2003, 7 h 55.



Je me rends au marché pour faire les commissions. Je remarque à l'entrée du marché Gabriel, vêtu de pantalon de complet beige et d'une veste beige sous laquelle se laisse apercevoir un chandail vert. Il me salue d'un geste de la main droite. Je m'approche de lui et le salue à mon tour.

Il s'avance vers moi et une fois devant moi, il murmure : – Madame Gordon, j'ai des choses à vous dire...

Je pense en fronçant des sourcils : « Sans doute une histoire d'esprits... Voilà depuis un certain temps que je ne vous ai pas vu... »

Sans doute j'ai les yeux écarquillés d'étonnement, puisque mon interlocuteur m'adresse un sourire puis affirme à voix basse : – Simplement pour vous dire que j'ai remarqué quelque chose de bizarre... Et je ne sais pas à qui confier ma découverte...

Je l'invite d'un geste de ma main droite à poursuivre.

D'un ton sérieux, il continue son propos : – ... C'est au sujet de Monsieur Carl Neely...

Je retiens mon souffle.

Je remarque que mon interlocuteur a le front plissé.

– Parfois, il vient en civil dans mon bar, rattaché au restaurant Best Meals, où je travaille depuis plusieurs années comme barman. Et il n'est pas seul, il est toujours accompagné de deux esprits errants qui l'encadrent et qui se chuchotent entre eux en une langue que je ne connais pas. L'un d'eux est un vieil homme ridé, aux cheveux et à la barbe blancs, vêtu d'un complet noir uni, d'une chemise blanche et de chaussures noires. Ses yeux gris qui brillent d'une lueur mauvaise ne se cachent pas derrière ses lunettes de vue noires. L'autre est un vieux au regard mauvais, quasi haineux, qui est vêtu comme un paysan du siècle passé...

Je pense, les yeux agrandis par la peur : « Il s'agit des deux sorciers tchèques ! Je dois lui révéler leur identité... » 

Gabriel continue, d'un air étonné devant mon expression faciale : – Lorsque Monsieur Carl Neely boit de l'alcool... Je peux même vous dire ses consommations... Il boit systématiquement plusieurs verres du cocktail Béton, ou encore la Becherovka Mary, le Magic Sunset, le Festival, le Red Moon, le Fresh ou l'Avalanche, l'un de ces deux esprits le possède... Pour information, ces cocktails sont faits sur base de la becherovka, un liqueur produit de Carlsbad en République Tchèque...

Je m'éclaircis la voix, mon cœur battant la chamade, pour dire d'une voix malgré moi tremblante : – Les deux esprits que vous me décrivez sont Ivo Vláčil et Miloslav Vláčil – désolé d'écorcher leurs noms. Ils ont un lien de parenté, si je me rappelle bien, le premier est le fils de l'autre.

Les sourcils levés d'étonnement, Gabriel murmure d'un ton hésitant : – Comment le savez-vous ?

– J'ai fait une recherche il y a quelques mois. Et je m'oblige alors de partager avec vous ce que je sais. Ce sont deux sorciers tchèques très puissants...

Mon interlocuteur, étonné, bouche entr'ouverte, ne dit rien.

Je pense : « Évidemment, le rapport des sorciers avec la famille de Jim ne concerne pas Gabriel. »

Je continue : – Les ayant déjà remarqués, j'ai fait mon enquête... Laissez-moi deux secondes...

Je fouille dans mon sac à main que j'apporte toujours avec moi, pour retrouver mon calepin. Je tourne rapidement les pages pour retrouver rapidement les pages de mes résultats de mes recherches sur les deux esprits tchèques.

Je poursuis d'un souffle coupé, en tenant d'une main tremblante mon calepin : – Les deux esprits... qui suivent Carl Neely... Ivo est le fils aîné de Miloslav... Né dans l'Empire austro-hongrois le 15 octobre 1918... Et mort le 2 septembre 1997 en Tchécoslovaquie... Apparemment de cause naturelle... Ivo était... un simple ouvrier... dans des usines... de textile... dans son coin et en Angleterre. Cependant, il semblait être versé dans l'occulte, comme son père...

Gabriel tousse, m'interrompant dans mon monologue. Je lève les yeux vers lui. Il m'interroge en ces termes : – Désolé de vous couper la parole, mais savez-vous pourquoi ces deux Tchèques demeurent aux côtés de Carl Neely ?

Je soupire puis je réponds brièvement en haussant les épaules : – J'ignore la raison...

Je reprends la parole après quelques secondes de silence, le temps de me retrouver dans mes notes. Je m'éclaircis la voix puis j'affirme d'un ton neutre : – En ce qui concerne Miloslav, il est né en 1888 et mort en 1959 dans l'Empire austro-hongrois... C' était un simple journalier... qui avait travaillé... dans différents villages de sa région natale et en Angleterre. Il semblerait qu'il était un puissant sorcier de son vivant...

Les sourcils levés d'étonnement, Gabriel murmure : – Madame Gordon, n'êtes-vous pas sûre que l'un des descendants des ces esprits tchèques ne sont pas des connaissances de Carl Neely ?

– C'est la conclusion à laquelle je suis parvenue... Je pense que l'un des descendants de ces esprits était une connaissance, voire une aventure de jeunesse, de Carl Neely... Par ailleurs, le fils aîné d'Ivo est un policier d'Openview qui a été de passage à Grandview... De même, son fils benjamin est un enseignant d'anglais d'Openview... Je n'exclue pas la possibilité que Carl Neely connaisse en tant que collègue le policier tchèque – désolé pour le fait que je ne mentionne pas son prénom, car je ne sais pas le lire...

Gabriel murmure d'un ton rassurant, le visage déridé de son étonnement : – Ce n'est pas grave, puisque je ne connais aucun des noms que vous me mentionnez...

– À moins que Carl Neely s'est lié d'amitié avec un autre des descendants d'Ivo, qu'il s'agit de Jaroslav, Leo ou Dominik Doležal (encore une fois, désolé d'écorcher leurs noms), ou de Diana Vláčilová, Marc Vláčil, Helena Jelínková ou encore Patrik Jelínek... Dans tous les cas, je suis encore plus perplexe lorsque j'ai compris que Carl Neely accepte volontairement la possession de ces deux esprits tchèques... Cette histoire est trop compliquée pour moi... Apparemment, il me manque une partie du puzzle pour tout comprendre...

Je soupire, exaspérée par cette histoire d'esprits.

Gabriel commente : – En parlant de possession, j'ai bien remarqué que l'âme de Monsieur Carl Neely se tient à côté de son corps lorsque l'un des esprits... tchèques... le possède... précisément lorsqu'il boit des cocktails à base de cet alcool... Je trouve que ceci est un mauvais signe... À moins de comprendre la consommation de liqueur tchèque comme un moyen de se rappeler de Dieu-sait quel épisode de sa vie en rapport avec la République Tchèque ou avec la Tchécoslovaquie... À moins qu'ils aient réellement un rapport de famille... Peut-être qu'il est leur petit-fils ou arrière-petit-fils... Étant donné leurs yeux gris... En tout cas, à mon avis...

Je pense : « Monsieur, ne soyez pas cynique ! On ne peut quand même pas établir un lien de parenté directe entre des individus par la couleur des yeux ! »

Il demeure silencieux pendant quelques minutes. Je le regarde. Il se gratte la tête de sa main gauche. C'est ainsi que je remarque une alliance à son annulaire. Étonnée, je pense, sourire aux lèvres : « Monsieur Lawrence s'est entre-temps marié ! Que Dieu en soit loué ! »

Je m'éclaircis la gorge puis bredouille : – Pardonnez-moi... Puis-je vous poser une question ?

Gabriel, les sourcils froncés, me montre le dos de sa main et s'exclame d'un air enjoué : – Vous êtes vraiment une fine observatrice, pour avoir remarqué mon alliance ! Heureux mari et père de deux adorables filles !... J'ai enfin trouvé mon âme-sœur... Ma chère Brigitte... En couple depuis deux ans...

Il sort de la poche interne de son manteau son portemonnaie qu'il ouvre pour me montrer une photographie de mariage. Je jette un coup d'œil rapide : Gabriel, en complet bleu marine et chemise blanche, qui enlace une femme d'à-peu-près son âge, vêtue d'une robe blanche, le voile de mariée rejeté sur ses cheveux bruns clairs. Ses yeux brun olive sont brillants et son visage est envahi par un large sourire.

Je pense, rêveuse : « Ça me rappelle mon propre mariage avec Jim... »

La barman commente : – C'est ma photographie de mariage...

Il sort deux autres photographies de son portemonnaie : deux bébés, apparemment des filles, étant donné leurs vêtements de couleur rose. Elles me rappellent mes propres enfants...

Gabriel, sourire aux lèvres, commente d'un air enjoué en pointant l'une des photographies de son index droit : – Ma fille aînée, Sara, qui a maintenant un an... Ma benjamine, Anne, est née le mois dernier…

Je souris puis commente : – Vos filles me font penser à mes fils… Ils sont tellement adorables ! Mon mari me taquine qu’ils me ressemblent trop… Vos filles vous ressemblent… Et votre femme ne vous taquine pas ?

Affichant un sourire rêveur, il répond : – Bien sûr que oui, mais c’est la beauté de la vie de couple…

Il fait une courte pause puis poursuit d’un ton sérieux, après avoir rapidement rangé son portemonnaie : – Je suis tout à fait d’accord… Mais, Madame Gordon, si ce n’est pas trop indiscret, est-ce que vos enfants aussi voient les esprits errants ? Moi je doute bien que Sara les voit, étant donné sa réaction émotive devant certains que j’aborde au cours de certaines promenades familiales au parc ou dans les rues de notre ville… 

Je hoche discrètement la tête puis je regarde rapidement sur ma montre. Voyant l’heure qu’il est (8 h 15), je murmure : – Excusez-moi, Monsieur Lawrence, mais pouvons-nous continuer une autre fois notre conversation ?

D’un air enjoué, ses yeux sombres brillant de curiosité, Gabriel s’exclame : – Sans aucun problème, Madame Gordon !

– En tout cas, je suis content d’entendre de si bonnes nouvelles de vous ! Mais j’ai des commissions à faire…

– C’est correct, Madame… Sur ces belles paroles, passez une bonne journée, votre mari, vos enfants et vous !

Je réplique d’un air enjoué : – Pareillement pour vous et les vôtres ! 

Je m’éloigne de mon interlocuteur pour me diriger vers un étalage. Je fais mes commissions, inquiète. J'essaie de faire sens des propos de Gabriel. En quoi ils m'éclairent concernant le rapport de Neely avec la Tchéquie ? Je n'en suis que plus perplexe de ce mystère. Lorsque je reviens des commissions, je retourne dans ma tête toutes les possibilités pour expliquer le rapport entre Carl Neely, sa consommation d'alcool tchèque, les descendants des deux esprits errants, mais je ne parviens à aucune conclusion satisfaisante. Je m'occupe du repas du midi, car Jim a cours en après-midi. Après avoir fait la vaisselle, je regarde nos deux fils jouer avec insouciance. Ils sont vraiment adorables et mignons... 

Ce n'est que le soir, lorsque Christopher et Jack dorment depuis une heure que je partage avec Jim la révélation de Gabriel au sujet de Carl Neely,  en plus de lui rapporter que Gabriel est marié et est père de deux filles. Mon époux, en tenant ses mains entre les miennes en signe d'encouragement, commente de sa belle voix masculine dans un murmure : « Je suis d'accord avec toi... C'est tout à fait mystérieux... Je trouve seulement qu'il y a peut-être une partie du puzzle qui nous manque pour comprendre le rapport entre Carl Neely et ces sorciers tchèques... Il ne nous reste qu'à espérer que nous saurons ce qui nous manque pour avoir la bonne conclusion. »

Je l'embrasse sur les lèvres. Je le trouve tellement génial... Sinon, il ne serait point MON Jim...

Mon époux m'embrasse en retour puis nous nous endormons enlacés dans notre lit après avoir récité à mi-voix la prière du soir. Heureusement, la nuit est tranquille.