Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 23 : Une apprentie chuchoteuse d'esprits

9069 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/11/2024 01:45



17 novembre 2003, parc de Grandview, 13 h 15.


Jim, en tenant Christopher de sa main droite, et moi, et Jack dans sa poussette que je pousse devant moi, nous nous promenons dans le parc, pour profiter de la journée ensoleillée. Évidemment, nous ne sommes pas la seule famille à flâner dans le parc, il y en a plusieurs autres. Les parents, comme nous, ont des lunettes de soleil sur le nez. Rendus près d'un module à jeu, je remarque une forme humaine près du toboggan. C'est une jeune fille vivante, et non un esprit, j'en suis très certaine. D'autant plus que je remarque du coin de l'œil que Jim aussi semble regarder vers la même direction que moi. Christopher s'approche du module à jeu. La jeune fille sort de sa cachette, de sorte que je la détaille : une adolescente vêtue d'un jeans et d'un chandail blanc à manches longues salis de boue. Ses yeux brun noisette expriment un étonnement et une surprise. Ses cheveux blonds en bataille – entre lesquels s'entremêlent des feuilles de différents arbres que je ne parviens point à identifier – retombent sur ses épaules et son dos. Sans doute que la jeune fille se cache de quelqu'un, mais de qui et pourquoi ? Je remarque qu'un esprit errant se trouve à sa droite : un gamin vêtu d'une chemise à carreaux et d'un pantalon jeans, tous les deux salis par la boue. Son visage comporte quelques égratignures sur les joues. Lorsque mon regard se pose sur lui, ses grands yeux bruns s'agrandissent d'étonnement et de peur. « Sans doute qu'il n'est pas habitué à être vu par des intrus » pensé-je.

Je fais un signe à Jim; il regarde vers la direction de la jeune fille puis vers moi. Il murmure à mon oreille en russe : « Elle n'est pas seule ? »

Je réponds d'un mouvement de tête positif.

Il murmure : – Dois-je la rassurer ? Elle ne semble pas blessée...

Je hausse les épaules et je murmure : – On ne le dirait pas... Mais tu peux lui demander, on ne le sait jamais...

Nous nous approchons de l'adolescente, qui se lève lentement de sa cachette. Jim, sourire chaleureux aux lèvres, retire ses lunettes solaires de son nez, lâche la main de Christopher (qui se tient alors à ma droite, près de la poussette de son jeune frère). Mon époux interpelle la jeune d'une voix claire : – Mademoiselle, ne fuyez pas comme ça ! Auriez-vous la gentillesse de vous présenter ? Ma femme et moi nous vous voulons aucun mal... Vous pouvez très bien constater que nous sommes une famille... Soyez assurée de nos bonnes intentions...

L'adolescente ne dit rien, mais regarde de droite à gauche. Elle recule puis tourne le dos à Jim, qui la rejoint. Il lui dit d'un air amical : – Je suis ambulancier et je peux vous aider...

Elle se retourne.

Mon mari : – Quel est votre nom et que faites-vous ici ?

Elle murmure une réponse qui ne parvient pas à mes oreilles.

Je note que l'esprit errant du gamin murmure quelque chose à l'oreille droite de l'adolescente. Cette dernière hoche la tête. Perplexe, je fronce des sourcils en pensant : « Est-ce qu'elle peut entendre les esprits ? » Mes enfants et moi nous approchons du module à jeux, pour rejoindre Jim et la jeune. L'esprit errant, lorsque mon regard se pose sur lui, me fixe avec méfiance. Je lui adresse mon plus beau sourire pour le rassurer. « Probablement que ce garçon est méfiant envers les étrangers... Bon d'accord... Mais soyez assuré de mes bonnes intentions... Je veux simplement comprendre votre histoire afin de vous aider à partir dans la Lumière, qui est le lieu où vont les âmes après leur mort physique... »

Au moins, les traits de l'esprit se sont détendus. Il me répond de sa voix fluette : – Je dois guider Becca afin qu'elle ne soit pas placée dans une famille malintentionnée...

Je murmure d'un air étonné les sourcils levés et les yeux écarquillés : – Et ses parents ?

– Elle est orpheline.

Je pense : « Ah mon Dieu ! Que le Seigneur soit clément à Becca ! »

L'esprit errant me sourit furtivement puis ajoute d'une voix tremblante : – Ses parents sont morts... alors qu'elle était petite..., de sorte qu'elle est ballottée entre différentes familles d'accueil...

Le cœur en chamade, je réplique d'une voix tremblante : – Quelle est la cause de leur décès ?

– Je l'ignore.

Et il s'évapore dans les airs.

Je ramène mon attention vers Jim et l'adolescente. Je note qu'un esprit diaphane est derrière elle. Je ne perçois que sa silhouette, qui me donne l'indice qu'il s'agit d'une femme, étant donné sa taille de guêpe. L'entité disparaît quelques secondes après que mon regard se soit posé sur lui, comme si elle ne voulait pas être vue. Je fronce des sourcils, perplexe.

Mon époux et l'adolescente se dirigent vers moi. Je pense, sourire aux lèvres : « Jim, tu es vraiment génial ! »

Mon mari, d'un ton amical, dit à voix basse à la jeune : – S'il vous plaît, voulez-vous vous présenter à ma femme ? Moi, c'est Jim Clancy.

L'adolescente me regarde d'un air méfiant pendant quelques secondes avant de murmurer entre ses dents : – Je m'appelle Rebecca Cahill...

Mon plus beau sourire aux lèvres, je m'exclame à voix basse : – Moi, c'est Melinda Gordon ! Enchanté de faire votre connaissance !

Mon interlocutrice me sourit furtivement.

Je continue d'un ton sérieux : – Depuis combien de temps êtes-vous ici ?

Elle hausse les épaules.

Je murmure : – Ce n'est pas grave...

Jim intervient d'un ton rassurant : – Rebecca, ma femme et moi pouvons temporairement vous loger chez nous en attendant...

Je pense : « Pourtant, elle est orpheline ! »

Je m'approche de mon époux pour lui couper sèchement la parole en russe : – La pauvre est orpheline...

Jim, yeux écarquillés de surprise, se ressaisit au bout de quelques secondes, pour poursuivre d'un ton chaleureux en se tournant légèrement vers Rebecca : – ... le temps que nous comprenions mieux votre situation...

L'adolescente hoche la tête, avec un air de méfiance dans le regard.

Jim et moi s'entr'observons d'un air complice. Je pense : « Dans tous les cas, elle peut être notre invitée spéciale, le temps que je comprenne mieux son histoire... Avec deux esprits qui la suivent, j'aurai beaucoup de travail pour démêler les versions... »

Je tourne ma tête vers Rebecca, tout sourire. Ses traits se sont détendus. L'esprit errant du gamin apparaît à sa droite; je note qu'elle aussi tourne légèrement son regard vers lui. Je murmure, en me penchant pour être à la hauteur de mon interlocutrice : – Vous avez vu le gamin à votre droite ?

Lueur d'étonnement et quasi de panique dans ses yeux, Rebecca hoche presque imperceptiblement sa tête. L'esprit commente : – Becca est la seule camarade de classe qui me voit... Les autres m'ignorent, comme s'ils ne me voient pas...

Je pense, sourire aux lèvres : « Il me rappelle Sarah Applewhite... »

Je m'éclaircis la voix pour ne pas divaguer dans mes pensées. Je remarque que mon époux est un peu à l'écart, assis sur un banc, avec la poussette de Jack à sa droite. Je ramène mon attention vers Rebecca puis je dis d'un ton assuré :

– Bienvenue parmi nous !

Jim, la main gauche sur la poussette de Jack, assis sur un banc à l'écart, nous fait des signes de son autre main. Rebecca et moi le rejoignons. Les deux esprits errants qui la suivent sont apparus à ses côtés, le gamin à sa droite, la femme à sa gauche. 

Je murmure à mon époux : – Et si nous revenons à la maison ? Christopher a eu le temps de s'amuser dans le module à jeux, non ?

Jim me sourit et s'exclame d'une voix forte pour être sûr que notre fils aîné l'entend : – Christopher, nous revenons à la maison !

L'interpellé accourt aussitôt. Je lui souris maternellement et lui présente Rebecca, tout comme je présente mes enfants à cette dernière. Nous nous dirigeons ensuite tranquillement jusqu'à notre maison.


Une fois à l'intérieur, nous nous rendons au salon. Je conseille à l'adolescente de se laver. En attendant, je surveille mes deux fils jouer au salon. Jim, lui, réfléchit à l'endroit pour le lit d'invité, puisqu'elle devra rester plusieurs jours chez nous. Nous nous entendons pour l'un des canapés du salon. Ensuite, nous convenons du repas : des pierogis au chou blanc. 

Une fois propre, Rebecca et moi sommes assises sur un canapé, mon mari debout à ma droite et nos enfants sur l'autre canapé. Je remarque que les deux esprits qui suivent notre invitée sont à sa gauche, à côté du canapé, de sorte que Rebecca, Christopher, Jack et moi tournons légèrement nos têtes vers eux.

Je me penche vers l'oreille de Jim puis je murmure en russe : « Je dois, à mon avis, apprendre à Rebecca, à Christopher et à Jack les tâches d'un passeur d'âmes... Le temps que tu prennes contact avec le centre d'adoption de la ville pour notre nouvelle protégée, je me sens obligée de faire ainsi. Ceci me rappelle tellement mon enfance, lorsque ma mère et ma grand-mère maternelle m'ont appris à gérer mon don... »

Mon époux réplique dans la même langue : « Tu sais que je te fais confiance. C'est toi l'experte à rassurer les vivants et à aider les esprits errants... »

Je souris puis ramène mon attention vers Rebecca et nos fils, qui semblent attendre avec impatience que je dise quelque chose.


Les souvenirs de ma formation par ma mère et ma grand-mère me reviennent à la mémoire. Encore petite pour comprendre, ma mère et ma grand-mère m'ont expliqué les principes de base du travail de passeur d'âmes. J'avais entendu ces conseils en polonais et en russe. Maintenant, je dois les traduire en anglais, en raison de la présence de Rebecca. Elles me disaient que bien que je peux entendre simultanément plusieurs esprits, il faut se concentrer pour discerner la voix d'un seul esprit. Une fois concentrée sur un esprit, il faut doucement l'interroger afin de savoir son nom et afin de lui faire savoir qu'il n'est plus vivant. Et il faut surtout comprendre sa dernière volonté et ce qui le retient encore parmi le monde des vivants. Évidemment, il faut avoir beaucoup de tact pour les aborder, surtout compte tenu que pour les autres vivants, les gens qui peuvent les voir semblent parler à eux-mêmes ou avec un être imaginaire. Je sais qu'une telle impression est vraiment désagréable, ayant plusieurs fois, ma sœur et moi, ressenti les regards bizarres que nous ont adressés certains camarades de classe au primaire et au secondaire. Mais revenons à mes leçons... Ma mère m'avait aussi dit qu'il est important de ne pas s'imposer auprès de l'esprit errant, mais leur expliquer que la prochaine étape est simplement de quitter le monde ici-bas et de partir dans la Lumière ou dans l'au-delà. Et il faut faire preuve de patience, le temps que l'esprit comprenne sa situation et se rend à l'évidence de l'inutilité (ou plutôt de l'absence de raison) de ses errements. Bon en théorie, c'est toujours plus facile qu'en pratique, lorsque je me confronte à des esprits errants : certains sont plus raisonnables que d'autres. Tout comme les vivants sont très complexes... Dieu que la vie est difficile ! Pourquoi tout le monde n'est pas honnête et ne respecte pas les Dix Commandements ? On dirait que le genre humain est trop tenté par Satan. Laissons de côté ces considérations théologiques... Un bon passeur d'âmes doit s'armer de patience et ne pas chercher à précipiter les choses; impossible d'imposer son point de vue à son interlocuteur, ce qui produira un contre-effet. Il doit aussi faire preuve d'empathie et de compréhension, à la fois envers les esprits et les proches du défunt. Il faut quand même faire preuve de tact pour comprendre l'histoire de l'esprit, pour le rassurer et pour rassurer les vivants. Autre principe : un passeur ne peut jamais obliger un esprit à passer dans la Lumière; c'est l'esprit seul, lorsqu'il est prêt, qui part dans la Lumière.


J'inspire et je respire profondément en traduisant pour moi-même en anglais les conseils. Je me tourne vers mes fils et Rebecca Cahill, qui me regardent d'un air surpris, les sourcils levés et les yeux grands écarquillés, comme s'ils sont suspendus à mes lèvres. Je leur souris maternellement, m'éclaircis la voix puis explique d'un ton chaleureux les principales tâches d'un passeur d'âmes. Parfois, je cherche mes mots pour rendre du mieux que je peux les conseils que j'avais reçus. Rebecca pose quelques questions, auxquelles je réponds du mieux de mes connaissances. « Au moins », pensé-je, « ma nouvelle protégée se montre une bonne élève ! »


D'ailleurs, je décide d'illustrer mes explications en abordant les deux esprits qui suivent Rebecca. Tous les deux semblent écouter en silence notre cours improvisé. Je tourne légèrement ma tête vers eux. L'esprit féminin disparaît aussitôt. Je sais que Rebecca, Jack et Christopher aussi ont tourné leurs têtes vers l'esprit errant du gamin, tandis que Jim regarde d'un air amusé la scène et quitte sa place pour chercher quatre verres d'eau qu'il dépose sur la table basse. Après une gorgée, j'aborde l'esprit : – Quel est votre nom et pourquoi vous suivez Rebecca Cahill ?

Le gamin, d'une voix fluette, répond : – Daniel Asher. Si je suis Becca, c'est parce qu'elle est une camarade de classe que j'apprécie.

Je tourne mon regard vers Rebecca, dont les yeux sont écarquillés de surprise, les sourcils levés, la bouche légèrement entr'ouverte. Elle s'exclame : – Dan ! Pourquoi es-tu encore ici ?

L'interpellé sourit d'un air malin et murmure : – Tu sais, Becca, que je m'inquiète pour ta sécurité...

Je fronce des sourcils en pensant : « Certainement, puisqu'elle est orpheline... Alors, pourquoi n'a-t-elle pas été adoptée ? »

Daniel, comme s'il a lu ma pensée, affirme d'un ton triste : – Elle a été adoptée par deux ou trois familles, je ne sais pas exactement, depuis qu'elle a perdu ses parents, mais à chaque fois, du moins, depuis que je ne suis plus parmi les vivants, j'ai compris que les parents adoptifs voulaient la rendre folle et la forcer à prendre des pilules... Ou encore de l'envoyer chez un psychiatre... Tout ça parce qu'ils ne nous voient pas... ou par incrédulité envers son don...

Je balbutie, les sourcils levés d'étonnement : – Pourtant, ne peut-elle pas camoufler habilement son don d'une manière ou d'une autre ?

– Oui, mais ils s'en rendent compte tôt ou tard...

D'une voix blanche, je balbutie : – Ouais, vous avez raison...

Daniel continue d'un ton calme : – Heureusement, Becca, que je savais quand tes parents adoptifs voulaient passer à l'action pour te glisser des pilules dans tes plats...

Rebecca sourit d'un air nostalgique et murmure : – Merci, Dan. Je t'en suis reconnaissante... Heureusement pour moi que je te fais confiance... Tu es toujours aussi gentil comme de ton vivant... La seule chose que je ne comprends pas est pourquoi je dois voir les esprits ? Pourquoi moi ? Pourquoi tout le monde ne peut pas les voir ?

Je fixe l'adolescente d'un air qui se veut bienveillant puis la rassure en ces termes à mi-voix : – Rebecca, il ne faut pas s'inquiéter du fait que nous soyons parmi les quelques rares individus qui peuvent voir les esprits errants... Chaque don n'est pas inutile... Seulement, faut-il savoir vivre avec et non le nier ou tenter de le supprimer...

Elle sourit faiblement et hoche la tête pour confirmer sans doute qu'elle a compris mes propos.

Je ramène mon attention vers Daniel puis l'interroge d'un ton maternel : – Et bien, Daniel, si je comprends bien cette histoire, tu protèges Rebecca, qui est une camarade de classe...

Rebecca précise : – Nous sommes amis depuis le début de l'école primaire...

Je hoche rapidement de la tête puis poursuis : – ...qui veut simplement s'assurer que Rebecca se trouve dans une famille qui acceptera son don...

L'esprit confirme mes propos d'un mouvement de tête positif.

Je poursuis : – ... Sauf que vous n'avez pas encore trouvé la famille idéale, pour ainsi dire...

L'esprit et Rebecca disent à l'unisson : – Oui !

Je me tourne légèrement vers elle puis la questionne ainsi : – Au moins, pouvez-vous me dire à quel âge avez-vous perdu vos parents ?

Pour toute réponse, en baissant ses yeux, comme si elle avait honte, elle murmure : – Je ne le sais pas... Je ne me souviens pas de mes parents...

Les yeux écarquillés et les sourcils froncés de surprise, je pense par automatisme : « Ah ! Que le Seigneur soit clément à Rebecca ! »

Nous demeurons silencieux pendant plusieurs minutes.

Je reprends la parole : – Rebecca, je vous laisse interroger votre ami Daniel en fonction de ce que je vous ai expliqué...

L'interpellée relève sa tête, regardant l'esprit errant de son camarade de classe puis l'interroge : – Dan, peux-tu me dire quels sont tes derniers souvenirs avant de quitter ton corps ?

D'un air pensif, celui-ci répond : – J'étais assis sur le siège arrière de la voiture à papa. Papa était au volant. Maman était sur le siège à côté du sien...

Moi, en silence, je sors discrètement mon calepin pour prendre des notes.

L'esprit continu de sa voix fluette, qui tremble presque : – ... Près d'un gros arbre, papa perd le contrôle... Et la voiture se plante dans un autre arbre... Ma tête avait heurté le siège de maman, puis plus rien... Aucune douleur... Je me sens très léger, comme jamais... Je me retrouve au-dessus de mon corps... Mes parents aussi sont au-dessus des leurs... Puis des policiers et des ambulanciers arrivent... Pour extraire nos corps du véhicule...

Le front plissé d'inquiétude, d'une voix blanche, j'interviens : – Te rappelles-tu de la date de l'accident ?

Daniel répond d'un signe négatif de tête. Rebecca s'éclaircit la gorge puis murmure d'une voix tremblante : – Moi... je la connais... , la date de... la mort de Dan... C'était... le... 3 septembre 2000...

Elle renifle bruyamment, les yeux rougis de larmes, larmes qu'elle s'efforce de sécher du revers de sa main droite.

Moi. émue, je pleure silencieusement mais je ravale mes émotions, question de pouvoir rassurer Rebecca. Je remarque du coin de l'œil que Jack aussi pleure. Je le prends aussitôt dans mes bras pour le rassurer en le berçant. Quelques minutes s'écoulent ainsi. Une fois l'émotion passée, je reviens à ma place initiale, m'éclaircis la gorge puis reprends la conversation d'une voix neutre : – Daniel, si je comprends bien, tu as quitté ton corps le 3 septembre 2000 lors d'un accident de voiture... Ce qui signifie que tu erres depuis... trois ans et deux mois à peu près, pour protéger ta camarade de classe Rebecca, qui est ballottée d'une famille d'accueil à une autre...

Je pense : « Dommage que Jim et moi ne pouvons pas l'adopter ! »

L'esprit errant confirme mes propos d'un mouvement positif de tête.

Je continue : – Oui, mais es-tu vraiment sûr qu'une famille acceptera bien son don ?

– Je pense bien qu'il existe une bonne famille... Seulement, faut-il la trouver...

L'esprit errant féminin tousse. Intrigués, Daniel Asher, Rebecca Cahill, mes fils et moi tournons nos têtes vers lui. Elle se fait visible : une jeune femme, que j'évalue probablement entre la vingtaine et la trentaine, vêtue d'une robe blanche jusqu'aux chevilles, aux yeux bleu-gris brillant d'une lueur d'inquiétude et aux cheveux blonds. Le seul détail qui me fait tressaillir est la trace de sang séché qui s'étend de la tempe gauche jusqu'au cou. Je me retiens pour ne pas grimacer.

Je me dis, en regardant alternativement l’esprit et Rebecca : « Elles semblent présenter un rapport de famille... »

D'une voix chaleureuse, je demande : – Quel est votre nom ?

D'un ton neutre : – Joan Cahill.

– Pourquoi errez-vous encore parmi les vivants ?

D'une voix tremblante, elle répond : – Pour protéger ma fille...

– De qui ?

Rebecca est visiblement étonnée, étant donné ses sourcils froncés, ses yeux écarquillés et la moue sur ses lèvres.

Joan répond d'un ton courroucé : – De l'homme en noir !

Effrayée, les yeux agrandis, mon cœur battant vite dans ma poitrine, je pense : « Sans doute un semblable à Carl Neely ? »

Joan continue d'un air courroucé, avec une moue de dédain : – Peu importe son nom ! Je sais seulement qu'il est un homme sans scrupules qui a tué Tony et moi parce qu'il voulait s'approcher de Rebecca, en raison de son don particulier, celui de voir les défunts...

Rebecca, étonnée et effrayée, moue de dégoût au visage, balbutie : – Mère ?

L'esprit errant confirme d'un geste positif de tête puis continue : – Nous sommes morts lors d'une randonnée en forêt lorsque notre fille avait trois ans... C'est pourquoi elle n'a aucun souvenir de nous... La pauvre !... Que je reviens à ce que je disais... Mon époux recevait fréquemment des publicités et des offres pour laisser notre fille dans un orphelinat. Bien que nous n'ayons pas cru au don de de notre Becca, elle reste notre fille... Un jour, au cours d'une promenade en famille, voilà une balle qui se plante dans ma tête et je vois mon corps en bas... J'ai alors réalisé que Becca est en danger... Les salauds veulent instrumentaliser son don pour en soutirer une utilité...

Joan sanglote. Je remarque que mes fils aussi pleurent. Je me rapproche d'eux pour les rassurer maternellement en leur murmurant en russe : – C'est correct... Rien de grave... Pour vous changer les idées, allez jouer dans la chambre de Christopher...

Je pense, attristée de voir mes fils ainsi pleurer : « Désolé ! Je ne savais pas que Madame Cahill était si peu présentable... »

Je fais un signe à Jim, qui accompagne nos fils dans la chambre. Je reviens à ma place et je m'excuse de cette interruption auprès de Rebecca et de sa mère. Toutes les deux s'entr'observent en silence.

Je m'éclaircis la voix, tourne légèrement ma tête vers Joan Cahill et je l'interroge : – Alors, Madame, pouvez-vous m'expliquer dans quel danger se trouve votre fille... Je ne comprends pas très bien...

Les yeux de l'esprit errant lancent des éclairs de colère. Il hurle : – Des hommes en noir et voulaient qu'elle collabore avec eux ! Je trouve cette insistance menaçante !

Je fronce des sourcils en pensant : « Des hommes qui veulent que votre fille vende son don au Diable ? »

Joan ajoute sèchement : – En un sens, ils voulaient que Becca collabore avec les espions...

Elle s'éclaircit la voix, se retourne vers sa fille et s'exclame d'une voix quelque peu tremblante : – Pardonne moi, Becca... Je ne croyais pas que tu pouvais vraiment voir les esprits errants... Je suis vraiment désolée ! Si j'avais pris ton don au sérieux, tu ne serais pas dans une si triste situation...

Rebecca fixe sa mère d'un air surpris, les yeux écarquillés et les sourcils froncés. Elle demeure silencieuse pendant quelques minutes, qui semblent pour moi une éternité, avant de répondre calmement : – Mère, je peux comprendre qu'il est difficile d'accepter mon don, mais quand même... Je te pardonne ton incrédulité... Parce que tu es ma mère, sans laquelle je n'aurais pas vu le jour...

Le visage de Joan s'illumine aussitôt. Les larmes aux yeux, elle s'approche de sa fille pour l'enlacer maternellement. Moi, je regarde d'un air amusé la scène. Je suis néanmoins émue jusqu'aux larmes. Une adolescente vivante enlacée par sa mère qui est un esprit errant...

Je tousse discrètement pour avoir l'attention. L'esprit cesse alors d'enlacer sa fille et se tient à sa droite, mine inquiète au visage.

Je demande d'une voix étranglée : – Madame, pouvez-vous préciser les circonstances de votre mort ?

D'un air triste, les yeux perdus dans le vague, Joan Cahill répond : – Oui... C'était...le 3 mars 1993... Nous nous sommes promenés dans la forêt de Grandview, vous saviez, au bout du parc...

Je hoche la tête pour confirmer que je sais de quel endroit il s'agit.

Joan continue : – ... C'était alors une belle journée ensoleillée... Tony, Becca et moi avons profité de la journée pour une promenade familiale... Jusqu'à ce qu'une balle s'est plantée sur la tête de mon mari, qui a chancelé. Puis à mon tour, j'ai ressenti une balle sur mon crâne. Une douleur sourde, beaucoup de sang coulait de nos blessures, puis tout à coup, aucune douleur. J'ai réalisé alors que je suis sortie de mon corps. De même pour Tony. Mais notre fille a vu notre mort, ce qui a attristé mon cœur de mère... Elle se tenait à l'écart, cachée derrière l'arbre le plus près, tremblante de peur...

À la droite de l'esprit errant qu'est devenue Joan Cahill, un esprit vient d'apparaître, à savoir l'Observatrice Française. Joan et Rebecca la regardent avec curiosité; moi, je lui jette un regard intrigué en me demandant bien ce qu'elle a à dire.

L'Observatrice, en se retournant vers Joan et Rebecca, affirme d'un ton sérieux : – Bonjour, Mademoiselle et Madame Cahill ! Je m'appelle Laurie Gibeau et je suis une Observatrice...

En remarquant sans doute les yeux écarquillés et les sourcils froncés de ses interlocutrices, elle poursuit : – ... ce qui signifie que j'ai vu tout ce qui s'était passé, comme une sorte de caméra de surveillance mais sans angles morts... Pour vous confirmer que c'est un homme criminel qui voulait en effet que Rebecca soit adoptée par Carl Neely, sauf que j'agissais à chaque fois sur le juge du Centre d'adoption de Grandview afin qu'elle soit dans une famille qui pourrait l'accepter... Après, que la famille ne soit point l'idéale, mais elle est meilleure que Carl Neely... Après, je n'ai pas le temps de regarder le moindre détail... Je voudrais aussi préciser au sujet de votre camarade de classe, Daniel Asher et de ses parents... L'accident qui a causé leur mort a été orchestré par Carl Neely, en avertissement à Rebecca...

Rebecca, les sourcils levés d'étonnement, murmure : – Comment ?

– Rappelez vous que Daniel Asher semble entendre les entités que vous voyez ?

Pensive, l'adolescente répond d'un geste de tête positif.

L'Observatrice continue : – Et bien, votre camarade de classe pouvait entendre les esprits errants.

À ce moment précis, Daniel Asher réapparaît à la droite de Rebecca, un peu en retrait. Il a les yeux écarquillés d'étonnement. Il balbutie : – Vous êtes sérieuse ?

– Oui ! Ai-je l'air de plaisanter ? S'offusque la Française, moue renfrognée.

– Non... balbutie Daniel en baissant les yeux.

Un sourire maternel illumine le visage de l'Observatrice, qui continue d'un ton aussi sérieux après s'être éclaircie la voix en fixant son interlocuteur : – Vous n'avez pas remarqué que vous semblez entendre des voix que les autres n'entendent pas ?

Étonné, l'esprit errant du gamin relève sa tête. Mine pensive, son regard se promène de l'Observatrice à Rebecca. Plusieurs minutes de silence s'écoulent ainsi. Daniel, d'un air songeur, s'exclame : – Merci, Madame ! Mais vos explications ont du sens !...

Moi, les yeux écarquillés de surprise, l'invite d'un geste de ma main droite à poursuivre.

Daniel continue : – En fait, les voix que j'entendais étaient celles des esprits errants... Moi qui les considéraient comme de vraies personnes, ce qui m'avait laissé perplexe...

Rebecca fixe l'esprit errant d'un air étonné, les sourcils froncés, les yeux grands ouverts, la bouche légèrement ouverte en o. Elle balbutie : – Dan, pourquoi ne pas s'être confié à moi ?

En fixant ses pieds, il répond d'une petite voix : – Becca, je ne voulais pas t'ennuyer avec les sons bizarres que j'entendais...

L'interpellée murmure : – Dan, tu aurais pu en discuter avec moi...

L'Observatrice intervient : – Sauf qu'il n'avait pas osé en parler, par crainte de subir des moqueries...

Daniel confirme les propos d'un geste de tête positif.

Elle poursuit d'un air sérieux : – Vous devez aussi savoir que la mort des Asher n'est pas un hasard...

Intriguées, les sourcils levés, Rebecca, Daniel et moi fixons notre interlocutrice.

Elle continue, comme si elle ignorait nos expressions faciales : – Et c'est précisément parce que ces deux enfants ont un don commun que les espions, avec lesquels Carl Neely collabore, veulent qu'ils travaillent pour leurs comptes...

Perplexe, en clignant des yeux, je pense : « Je ne comprends plus rien... »

L'Observatrice, visage aussi sérieux, sourit furtivement puis ajoute en haussant la voix : – Pourtant, ce n'est pas compliqué !

Elle fait une courte pause de quelques secondes, puis continue d'un ton sérieux : – Les espions ont compris que ces enfants ont un don particulier, qu'ils voudront bien instrumentaliser pour eux... De sorte qu'ils ont tué les parents de Rebecca Cahill pour avertir ceux de Daniel Asher de subir le même sort... Comme ils n'ont point compris l'avertissement, la jolie famille est morte... Et la mort des Asher sert d’avertissement à Rebecca, pour qu’elle collabore avec les espions. Autrement dit, pour qu’elle vende son don au Diable, ou bien qu'elle meure...

Je pense, horrifiée, les yeux écarquillés : « Quel machiavélisme ! »

– ... En effet, c'est du machiavélisme sordide... Et voilà pourquoi la famille Asher est morte dans un accident de voiture, causé par une perte de contrôle du véhicule puisque l'homme en gris, Carl Neely, a visé les pneus... Les parents, eux, ne sont pas partis dans la Lumière, mais ils sont retenus sous terre, dans la ville souterraine de Grandview, pour servir à des pratiques de nécromancie de la part des espions pour lesquels Carl Neely travaille indirectement...

Daniel, Rebecca et moi s'exclamons à l'unisson, très étonnés : – Quoi ?

– Oui, vous avez bien entendu...

Je pense : « Comment est-ce possible ? »

– En raison qu'ils (ces hommes en noirs versés dans l'occulte), avec l'aide d'un esprit en noir...

Je l'interrompt brusquement : – Romano ?

– Oui... qui retiennent Madame Audrey Asher et Monsieur Samuel Asher par leur culpabilité de la mort de leur fils...

Daniel, lueur d'inquiétude dans le regard, s'exclame d'un ton courroucé : – Êtes-vous sûre, Madame, qu'il n'y a pas un moyen de leur faire savoir que je vais bien et que je partirai dans la Lumière que lorsque Becca sera en sécurité, au sein d'une famille qui l'acceptera ?

L'Observatrice secoue sa tête d'un air triste puis murmure : – Mon petit, j'ai essayé plusieurs fois de leur faire comprendre, mais ils ne me croient pas...

Pensive, le front plissé, elle s'interrompt elle-même. Après quelques minutes de silence, elle s'exclame d'un ton joyeux en se frappant le paume de sa main droite sur son front : – Comment n'ai-je pas pensé plus tôt ! Daniel, venez discuter avec vos parents, puis j'espère bien qu'ils partiront enfin !

L'esprit errant du gamin, incrédule, les sourcils levés d'étonnement : – Vous savez où papa et maman se trouvent ?

– Bien sûr que oui !... Nous nous rendons alors immédiatement auprès d'eux !

Daniel hoche la tête puis les deux esprits s'évaporent.

Rebecca, Joan et moi s'entr'observons, perplexes.

Quelques minutes plus tard, Daniel et l'Observatrice réapparaissent devant nous. Surpris, nous tournons nos têtes vers eux. Tous les deux ont un sourire au visage. Elle s'exclame d'un air joyeux, les yeux brillant : – Que le Seigneur soit Loué ! Les parents de Daniel sont enfin partis dans la Lumière !

Les sourcils levés, je balbutie : – Comment...

Elle m'interrompt : – ... nous y sommes parvenus ? Un miracle ! J'ai encore une fois, pour une énième fois, expliqué la situation à Madame et à Monsieur Asher, en la présence de leur fils. Une fois les retrouvailles faites, ils ont enfin réalisé que j'avais raison. De sorte que, apaisés, ils sont partis... Enfin !

Elle se retourne vers Daniel et murmure : – Merci de m'avoir tenu compagnie !

Daniel réplique d'une petite voix : – Il n'y a de quoi.

L'Observatrice se retourne vers moi et ajoute : – Madame Gordon, si vous voulez savoir depuis combien de temps Mademoiselle Rebecca Cahill est en fuite... Elle l'est depuis deux-trois semaines...

Je pense, les sourcils levés : « Tant de temps ! Je m'étonne plutôt comment les gens du Centre d'adoption de Grandview ne l'ont pas trouvé ! »

Laurie Gibeau me sourit puis répond : – Si les membres du personnel du Centre d'adoption n'ont pas retrouvé Mademoiselle Cahill, c'est en raison de l'aide de Daniel Asher, qui lui servait de guide à travers la ville de Grandview... Et je lui donnais la position des membres du personnel, afin d'être certaine qu'elle soit en sécurité. Voilà, Madame Gordon, vous connaissez toute l'histoire des Cahill et des Asher...

Perplexe, je pense : « Vous me dites tous les détails sur certains esprits, mais pas sur le rapport entre Carl Neely et les esprits tchèques... »

Elle répond sèchement : – Comme mon collègue vous a déjà dit, nous ne répondons pas à des questions évidentes ! 

L'Observatrice s'évapore jusqu'à disparaître complètement.

Daniel s'éclaircit la voix, se tourne vers Rebecca et murmure : – Maintenant que je sais que mes parents sont saufs, je n'attends plus que tu sois en sécurité, Becca.

L'interpellée, visiblement émue, cligne des yeux et murmure d'une petite voix : – Merci pour ton amitié, Dan... Tu es vraiment un très bon ami...

Je pense, songeuse : « Une amitié enfantine même par-delà la mort... Comme c'est mignon ! »

Je vois un esprit apparaître à la droite de Daniel. Je le reconnais aussitôt : mon père. Je lui adresse mon plus beau sourire en pensant : « Quel commentaire vas-tu encore me dire ? Mais, s'il te plaît, ne sors pas une expression latine que je ne comprends pas ! »

Mon père me sourit d'un air paternel, puis se retourne vers Rebecca, qui le fixe avec un air méfiant. Je pense « C'est vrai qu'il n'est pas vraiment présentable, mais quand même mieux que mon beau-père... »

Je m'éclaircis la voix puis, en se retournant légèrement vers Rebecca, je déclare d'un ton sûr : – Rebecca, c'est mon père, le juge Thomas Gordon...

Mon père, d'un air faussement vexé, commente : – Monsieur le juge Thomas Gordon...

Je grommelle : – D'accord ! Mais voilà pour les présentations !

Mon père ajoute d'un ton sérieux : – Melinda, je m'occupe personnellement de régler le cas de Mademoiselle Rebecca Cahill !

Joan Cahill, moue dubitative au visage, s'exclame : – Voilà Monsieur le juge qui prétend tout régler ! Quelle arrogance !

Je soupire en pensant : « En supposant qu'il va agir sur le juge du Centre d'adoption de Grandview afin que la pauvre orpheline soit au sein d'une bonne famille... »

Mon père hoche la tête, me fait un clin d'œil complice puis affirme d'un ton sérieux à Joan : – Madame, je ne joue pas le bouffon lorsque je vous dis que je m'occuperais personnellement de votre fille... La pauvre, elle me fait pitié...

Dans ses yeux bleus, habituellement glaciaux, se laisse apercevoir une lueur de tristesse, que je tiens pour sincère.

Il continue : – Surtout que je ne voudrais pas qu'elle connaisse un mauvais destin entre les mains de gens si malintentionnés ! Heureusement, en tant qu'esprit errant, personne ne peut m'accuser de corruption et de pot-au-vin !

Joan Cahill et sa fille s'entr'observent, les yeux écarquillés.

Mon père poursuit : – ... De sorte que je DOIS vous aider, Mademoiselle... Au moins pour faire une bonne action avant de quitter définitivement le monde des vivants !

Il nous salue d'un signe de tête puis s'évapore jusqu'à disparaître complètement de notre vue. Je soupire puis promène mon regard de Joan à Rebecca et inversement pendant quelques secondes. Elles me fixent d'un air étonné, les sourcils relevés. Je murmure d'un ton neutre : – Mademoiselle et Madame Cahill, ne vous inquiétez pas de l'ingérence de mon père, qui était, de son vivant, un juge soucieux de la justice et qui déteste l'injustice...

Je tourne légèrement ma tête vers la mère de Rebecca puis ajoute aussitôt : – … De sorte, que malgré son apparence, soyez assuré de ses bonnes intentions...

L'esprit, moue dubitative au visage, commente : – Si vous le dites... Avec son vêtement noir...

Je précise : – Sa toge de juge...

– ... Il ne m'inspire guère confiance... De sorte...

Je l'interromps, quelque peu énervée : – Ne soyez pas si sceptique ! Mon pauvre père...

Je continue d'une voix blanche : – .... est mort en fonction... d'une stupide chute dans les escaliers, après une audience... C'est pourquoi il a encore..., pour ainsi dire, … sa toge de juge...

Joan réplique d'un air hésitant : – On verra bien si vous avez raison... Je surveillerais ma Becca... Je ne voudrais pas qu'un mal lui arrive, vous comprenez ?

Je hoche la tête et l'esprit errant disparaît de ma vue. Je tourne mon regard vers l'adolescente, qui fixe d'un air absent, la tête légèrement tournée vers la direction où se trouvait il y a quelques secondes sa mère. Elle cligne des yeux puis me demande d'une voix songeuse : – C'est si difficile de gérer plusieurs cas d'esprits en même temps ?

Mon plus beau sourire aux lèvres, je réponds d'une voix douce : – C'est pourquoi il est important d'avoir des feuilles de papier, un calepin ou un cahier de notes pour y consigner les différents cas des esprits errants que nous rencontrons... C'est un conseil que je vous dis en fonction de mon expérience... D'ailleurs, j'ai rempli un calepin au complet de mes différentes recherches sur les esprits qui ont demandé mon aide... Non pas que je m'en vante, mais pour souligner l'importance de prendre des notes, comme à l'école... C'est pourquoi je vous ai mentionné l'importance d'amener avec soi un calepin et un stylo, car il est impossible de tout retenir...

Rebecca sourit puis confirme d'un geste positif de tête mes propos.


J'entends la voix grave de Jim s'exclamer : – Le repas est servi !

Aussitôt, nous accourons tous dans la cuisine. J'installe Jack sur sa chaise-longue, le nourris puis je rejoins Jim, Christopher et Rebecca à la table. J'explique à notre invitée le repas et la prière que nous récitons avant de manger. Elle répète timidement après moi lorsque je la récite en anglais.



Après le repas, Rebecca, Jim et moi faisons la vaisselle. Christopher et Jack sont au salon. Une fois que tous dorment depuis un certain temps, je résume à Jim, dans notre chambre, à voix basse, l'essentiel de la conversation de la journée. Je trouve simplement que ces coups orchestrés dépassent tous les pires scénarios que j'ai pu imaginer jusqu'à ce jour. Je commence même à pleurer à la fin tellement je suis émue de l'histoire de Rebecca. Mon époux m'enlace et me berce doucement pour me rassurer. Une fois mes pleurs calmés, je l'embrasse sur les lèvres et je l'enlace à mon tour. Nous récitons alors à mi-voix la prière du soir puis nous nous endormons.




Le lendemain matin, Jim s'assure de contacter le Centre d'adoption de Grandview. Il parle longuement au téléphone. Je lui fais un signe : Rebecca et moi ferons les commissions. Chemin faisant, je lui réexplique certains éléments de base de la formation improvisée d'hier. Elle me pose quelques questions, auxquelles je réponds du mieux que je peux. En après-midi, après avoir terminé la vaisselle, il m'explique qu'un membre du personnel, un certain Monsieur Wheeler, s'assurera de faire le suivi auprès de Rebecca. Quelques secondes après les explications de Jim, un esprit apparaît à ma droite : mon père. Il me sourit paternellement puis s'exclame d'un ton joyeux : – Je m'amuserai bien à trouver une famille d'accueil pour Mademoiselle Cahill !

Je le remercie d'un signe de tête.

Jim me lance un regard étonné. Je commente d'un ton enjoué : – C'est mon père qui ira sans doute bientôt jouer l'éclaireur pour trouver la famille idéale pour notre protégée...

Mon époux hoche la tête puis murmure : – Dommage que nous ne puissions pas...

Je complète sa phrase : – l'adopter...

Il m'enlace. Je caresse son avant-bras droit. Il me lâche et je me libère de son étreinte. Rebecca, elle, se trouve au salon et regarde Jack et Christopher jouer.

En attendant que le membre du Centre d'adoption arrive récupérer Rebecca, je profite pour inciter ma protégée à aborder des âmes errantes dans ma boutique. Nous nous retrouvons régulièrement dans l'arrière-boutique où elle aborde un esprit attaché à un meuble ou à quelconque objet. Ainsi, sous ma supervision, elle parvient à faire passer dans la Lumière cinq esprits errants. Au moins, je remarque qu'elle est moins émotive que moi... Elle me fait penser à ma sœur et à moi-même lorsque notre mère nous a expliqué les tâches qui nous incombent en tant que passeuses d'âmes... Je m'éclaircis la gorge pour ne pas divaguer dans mes pensées, en m'excusant auprès de Rebecca. Je la félicite en soulignant les points forts et les points faibles de sa confrontation avec les esprits. Elle les accepte d'un air timide, en baissant sa tête, préférant fixer ses pieds plutôt que d'affronter mon regard.

Je l'encourage d'une voix douce : – Sois assurée que mes critiques sont des remarques bienveillantes... Il ne faut pas les prendre trop personnelles... Ensuite, laisse-toi le temps de découvrir ta méthode pour aborder les âmes errantes... L'important, c'est d'être à l'aise et de mettre son grain de sel lorsque tu veux engager la conversation avec l'une d'elles...

Rebecca relève sa tête. Elle m'enlace et murmure : – Merci, Madame Gordon ! Vous êtes pour moi comme une mère...

Je lui souris et l'enlace maternellement en pensant : « C'est vrai que Rebecca est comme une fille... Dommage que Jim et moi ne puissions pas l'adopter ! Elle est tellement adorable... »

Au moins, Rebecca prend plus d'assurance chaque fois qu'elle aborde une âme errante, ce qui me réjouit, comme si elle était ma fille. Aussi, entre-temps, j'explique les principes de conduite d'un passeur d'âmes en russe à mes fils. Il s'agit des mêmes explications qu'en anglais. Ainsi, ils seront certains de ne rien oublier... Je me dis qu'il n'est jamais tôt pour les guider avec leur don, surtout lorsque je me remémore les paroles de l'Observatrice : « Vos enfants auront plus de pouvoirs que vous, car ils verront des entités que vous ne voyez pas. »





24 novembre 2003, 10 h 00.


Monsieur Wheeler, un homme probablement vers le cinquantaine ou la soixantaine, étant donné ses cheveux gris, vêtu d'un complet beige et d'une veste de couleur brun moyen, se pointe à la porte d'entrée de notre maison. Il a un sac à dos beige avec lui. J'accours au-devant lui, de sorte qu'il n'a pas le temps de frapper à la porte que je suis déjà devant lui, vêtue d'une robe qui cache mes formes. Jim est au salon avec Rebecca. Il accourt aussi au seuil de la porte d'entrée. L'homme se présente : Monsieur Carlton Wheeler, assistant de service social au Centre d'adoption de Grandview. Il ajoute aussitôt : – Je voudrais parler avec Monsieur Jim Clancy.

Mon époux réplique : – C'est moi-même.

Jim fait une courte pause puis ajoute d'un ton cordial : – Je propose de discuter tranquillement au salon...

Carlton Wheeler accepte son invitation et nous nous rendons tous les trois au salon, où Rebecca nous attend, sagement assise sur l'un des canapés. Jack est dans son berceau, tandis que Christopher interrompt son jeu pour regarder Rebecca et le nouvel invité. Je lui fais un signe de la main et il revient à son jeu sur son tapis bleu marine. Une fois assis, Jim et moi sur un canapé, Carlton sur l'autre, du côté opposé afin de ne pas être trop près de notre protégée, notre invité du Centre d'adoption s'éclaircit la voix puis affirme d'un ton posé :

– Et bien, au nom du Centre d'adoption de Grandview, je vous remercie de nous avoir informé au sujet de Rebecca Cahill, qui est recherchée depuis quelques mois, alors qu'elle fuyait sa famille adoptive...

Jim s’exclame : – Il n'y a de quoi, Monsieur Wheeler !

– Mais revenons aux choses plus sérieuses... Avez-vous quelque chose à nous rapporter au sujet de cet enfant ?

Jim, mine pensive, promène son regard de Rebecca à moi. Je comprends tout de suite sa pensée : faut-il révéler son don ou non ? Je réponds d'un discret signe de tête positif.

Mon époux, sourire aux lèvres, ramène son regard vers Monsieur Wheeler et affirme d'un ton sûr : – Oui, nous avons quelque chose à dire. Mademoiselle Rebecca Cahill a un don particulier, celui de voir les esprits errants.

Les sourcils levés, les yeux écarquillés, notre interlocuteur balbutie : – Q.. Quoi ?

– Oui, Monsieur, vous avez bien entendu. Mais ceci ne signifie pas qu'elle est folle. Elle est seulement spéciale. Et ma femme, Melinda, qui voit de telles entités, peut vous confirmer cette information... Elle est passeuse d'âmes depuis son premier âge, car elle a hérité ce don de sa mère.

L'homme me fixe avec curiosité, moue sceptique au visage, presque en un sourire moqueur.

Je confirme les propos de Jim en hochant la tête. J'ajoute aussitôt : – Monsieur, c'est la vérité ! Et si Rebecca a un don similaire au mien, c'est forcément pour aider les esprits errants, des âmes qui ont encore des choses à régler avec les vivants... En tant que passeuses d'âmes, nous devons aider celles-ci à trouver la paix...

L'homme me regarde sous ses lunettes.

Jim s'éclaircit la voix et intervient : – Monsieur, je vous assure que ma femme ne ment pas. Elle sait de ce dont elle parle, car elle a plusieurs années d'expérience dans le domaine... De sorte que, s'il vous plaît, soyez indulgent avec Rebecca Cahill...

L'homme murmure, les yeux baissés comme s'il ne veut pas affronter mon regard : – D'accord... J'indiquerais alors « Adolescente avec besoins particuliers... » Et je m'arrangerais pour tâter le terrain auprès des familles intéressées à adopter Rebecca Cahill afin de savoir si l'une d'elles manifestera un peu de compréhension envers son don...

À ce moment précis, un esprit errant apparaît, comme venu de nulle part. Mon père. Il affiche son plus beau sourire, ce qui adoucit ses yeux glacials. Il s'exclame : – Ne t'inquiète pas ! Je l'aurai à l'œil !

Il parle ainsi puis s'évapore dans les airs.

Je pense : « Sans doute que père ira jusqu'à posséder Monsieur Wheeler pour être sûr que Rebecca soit adoptée dans une famille qui acceptera son don... Que le Seigneur soit Loué ! »

L'homme du Centre d'adoption de notre ville griffonne quelque chose sur une feuille de papier d'un dossier qu'il sort de son sac à dos, puis les range aussitôt. Il s'éclaircit la voix puis ajoute d'un ton sérieux : – Merci, Monsieur Jim Clancy de nous avoir informé au sujet de Rebecca Cahill. Êtes-vous certain de ne pas être intéressé à l'adopter ?

Mon époux répond d'un air assuré : – Ma femme et moi ne sommes pas intéressés par l'adoption, car nous avons déjà nos propres enfants. Merci à vous et passez une bonne fin de journée !

– Merci à vous, Monsieur et Madame Clancy ! Pareillement pour vous !

En se tournant légèrement vers Rebecca, Carlton Wheeler l'interpelle d'un ton chaleureux : – Rebecca Cahill, je vous suggère de revenir au Centre d'adoption en attendant une famille qui vous acceptera ?

Rebecca pour toute réponse se lève du canapé ; l'homme l'imite. Jim les raccompagne jusqu'à la porte d'entrée puis revient au salon. Il s'approche de moi et m'enlace tendrement. Il murmure : – Je trouvais Rebecca sympathique...

Je réplique, émue : – Moi aussi... Je la vois comme notre fille... En espérant qu'elle sera dans une famille digne d'elle…





29 novembre 2003, 9 h 00.



Jim est dans la cuisine, en train de réviser pour un examen qu'il passera la semaine prochaine. Je suis au salon, en train de tricoter un pull pour Christopher. Ce dernier joue avec beaucoup d'insouciance avec ses jouets sur son tapis bleu marine. Tout à coup, trois esprits apparaissent devant moi : mon père, Joan Cahill et Daniel Asher. Je lâche mon tricot de surprise en pensant : « J'espère que vous m'apportez des bonnes nouvelles... »

Mon père, lueur de joie dans les yeux, s'exclame : – Au sujet de Mademoiselle Cahill ? Oui ! Elle est adoptée par un bon couple !

Je remarque du coin de l'œil que Christopher arrête de jouer et regarde avec curiosité cet attroupement d'esprits en demi-cercle autour de moi devant le canapé sur lequel je suis assise.

Mon père continue d'un ton enjoué : – Elle est la fille adoptive de Monsieur Albert Darger et de Madame Jennifer Darger, un couple âgé vers la trentaine, qui ont deux enfants... Le plus intéressant est que Monsieur est un voyant, tandis que Madame a des visions à distance... De sorte que Rebecca est la bienvenue dans cette famille !

Joan Cahill marmonne entre ses dents : – Désolé, Madame et Monsieur, d'avoir été incrédule...

Mon père se retourne vers elle et réplique : – C'est correct, Madame Cahill... Je comprends que je ne vous inspire guère confiance... Avec cette... toge noire...

Je pense ironiquement : « Merci, papa de rester poli et de ne pas proférer de mots vulgaires en présence d'enfants... »

Joan Cahill s'éclaircit la voix puis commente d'un air joyeux, large sourire aux lèvres : – Merci de votre aide !

Mon père murmure humblement : – Il n'y a de quoi, Madame Cahill.

Un autre esprit apparaît derrière mon père : l'Observatrice française. Celle-ci, le visage détendu, affirme dans une explosion de joie : – Et moi aussi, je vous remercie, Monsieur Gordon !

Étonnés, mon père, Joan Cahill, Daniel Asher et moi tournons nos têtes vers notre interlocutrice, les sourcils levés.

L'Observatrice, visiblement amusée de notre air surpris, ajoute d'une voix presque chevrotante, sans doute sous l'effet de l'émotion : – Merci de penser au détail ! Car j'ai d'autres chats à fouetter... Je peux vous confirmer que Rebecca est bien accueillie par les Darger... Qui ont, par ailleurs, Madame Gordon, un rapport de famille avec votre ami Todd... Albert est son cousin paternel...

Je pense par automatisme : « Que le Seigneur soit loué ! »

Les esprits errants sourient, sans doute attendris par ma sincère piété. L'Observatrice s'évapore dans les airs. Joan Cahill tourne sa tête vers sa droite et s'exclame : – Qu'est-ce que cette lumière éblouissante ?

Émue aux larmes, je murmure : – C'est la Lumière ! Elle est pour vous !

La mère de Rebecca pleure silencieusement puis s'exclame d'un air enjoué, en tournant légèrement la tête vers ma direction : – Je suis tellement contente de savoir ma fille en sécurité ! Merci à vous !

Je murmure : – Je ne fais que ce que je dois faire... Rien de plus et rien de moins...

Elle tourne à nouveau sa tête vers sa droite. Sur son visage un large sourire apparaît. Elle murmure : – Voilà mon Tony qui me fait des signes de bienvenue ! Mon amour, J'arrive !

Et la mère de Rebecca disparaît, car elle est partie, sans l'ombre d'un doute. Émotive comme je suis, je pleure de joie. Sauf que je sèche rapidement mes larmes avec mon mouchoir que je sort de la poche de mes pantalons, pour ne pas que mon fils aîné commence à pleurer. Je me dis à moi-même : « Encore une histoire qui se termine bien... Et un esprit errant de moins dans notre ville... Que le Seigneur soit loué ! »

Je ramène mon attention vers Daniel Asher, qui me regarde d'un air joyeux, les yeux brillants, les sourcils levés. Il dit de sa voix fluette : – Merci, Madame, d'avoir rassuré Becca avec son don...

Il fait une courte pause puis s'exclame : – Voilà papa et maman qui m'attendent dans une lumière qui m'attire ! Maintenant, je n'ai aucune raison de rester encore pour veiller sur Becca...

Émue jusqu'aux larmes, je murmure : – Vas-y ! C'est pour toi, Daniel... Bon voyage !

Et l'esprit errant disparaît de ma vue, comme absorbé par quelque chose d'invisible. Sans doute la Lumière...

Je pleure en silence, sauf que remarquant que Christopher me regarde d'un air triste, je m'empresse de sécher mes larmes du revers de ma main droite.

Il balbutie en russe : – Qui ?

Mon plus beau sourire aux lèvres, je réplique dans la même langue : – Un esprit errant... Il est parti dans la Lumière, lieu où vont les âmes à la fin de leur vie sur Terre...

Il hoche la tête et retourne à son jeu. Je le regarde, attendrie par la scène.

Jim arrive au salon et s'assied à ma droite. Il me serre la main et murmure en russe : – Quel esprit est venu ?

Je réponds à mi-voix : – Joan Cahill et Daniel Asher... Tous les deux sont partis dans la Lumière. Je suis tellement contente que l'histoire de Rebecca se termine bien...

Mon époux fait un geste de sa main droite pour m'inciter à développer davantage mon idée.

Je continue d'un ton enjoué : – Elle est adoptée par le cousin de Todd, prénommé Albert...

Les yeux écarquillés de surprise, il balbutie : – Le cousin de notre ami ?

– Exactement... Il semblerait qu'il est aussi un voyant, tandis que sa femme a des visions à distance...

– Intéressant...

– C'est rassurant... Au moins, elle sera bien accueillie... C'est pourquoi sa mère et son camarade de classe sont partis dans la Lumière, maintenant qu'ils savent qu'elle est en sécurité.

– Je suis vraiment content pour Rebecca qu'elle soit enfin placée dans une famille digne d'elle !

Je confirme ses propos d'un mouvement de tête positif. Nous nous taisons et regardons notre fils aîné jouer sur son tapis bleu marine.



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