Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
2 octobre 2003, 7 h 55.
Christopher et Jack sont restés à la maison avec Jim, qui n'a pas de cours aujourd'hui, de sorte que je peux me rendre enfin dans ma boutique d'antiquités. Je suis devant la porte. Un détail me saute immédiatement aux yeux : elle est recouverte d'un encre de couleur rouge sang. Je tressaille malgré moi en pensant : « Que Dieu nous protège d'une telle menace ! »
Je suis vraiment étonnée d'un tel acte de vandalisme, surtout que je n'ai pas le moyen de savoir l'identité de l'individu... Je me concentre pour essayer de trouver un certain motif. En vain. Je n'y vois que des lignes pêle-mêle. Pensive, j'insère la clé de la porte de ma boutique dans la serrure et je la débarre. Je l'ouvre, Je sursaute, car le grincement de la porte, ainsi à moitié recouverte de mystérieux dessins, semble sinistre. Je me signe par automatisme et je franchis enfin le seuil de la boutique, tremblante.
Une fois à l'intérieur, j'allume les interrupteurs et je tourne l'écriteau suspendu à la porte de manière à ce que de l'extérieur se lise le message « Ouvert ». Je m'installe derrière la caisse, car je dois passer l'avant-midi, le temps de faire l'inventaire; Andrea ne viendra prendre la relève que vers 13 h 00. Perplexe en remarquant les graffitis qui recouvrent la porte de ma boutique, je pense : « Comment découvrir le responsable ?... Je n'imagine quand même pas dormir dans ma boutique afin de le prendre en flagrant délit... À moins de... »
Je parcours du regard la boutique, avec ses meubles, ses sièges et tables. Une idée me vient alors à l'esprit : « ...d'installer une caméra sur le meuble le plus près de l'entrée... »
Après quelques secondes de silence, je pense « Mais, est-ce possible de placer une caméra ainsi ?... S'il la remarque, le vandale tentera certainement de forcer la porte... Que faire ? Et d'ailleurs, quelle caméra utiliser ?... Je n'imagine quand même pas utiliser notre caméra personnelle que nous utilisons pour les vacances... Je regarderai dans l'arrière-boutique au cas où j'en trouverai une... »
Je me rends d'un pas rapide dans l'arrière-boutique et je regarde parmi les objets que j'ai rangé depuis la dernière recension du mois passé. Heureusement, je trouve une petite caméra portative. Je la teste en pensant, contente de moi-même « Elle va faire le travail pour ce que j'ai de besoin bien que la qualité de l'image ne soit pas la meilleure... »
La caméra à la main, je me dirige vers les meubles les plus près de l'entrée, en cherchant l'angle idéal pour la placer. Ayant trouvé le coin d'une étagère, j'installe la caméra, puis je reviens derrière la caisse, rassurée. Je me dis à moi-même que je dois immédiatement appeler un service de nettoyage de graffitis. Je reviens dans l'arrière-boutique, où se trouve un annuaire et un téléphone. Je repère le numéro qui m'intéresse et cinq minutes plus tard, une petite fourgonnette se stationne devant la boutique. Deux hommes en sortent. J'arrive au-devant d’eux et je leur explique la situation en leur montrant la porte couverte de graffitis. Ils sortent certaines choses de leur fourgonnette puis s'attellent à la tâche. Quinze minutes plus tard, toute la porte de ma boutique est propre. Je les invite à l'intérieur pour leur demander le prix. Après avoir payé la somme (dont j'inscris le chiffre dans les dépenses rattachées à la boutique), je les remercie de leur travail rapide et les raccompagne à la porte. Je reviens ensuite derrière la caisse, contente.
Le reste de mon avant-midi est tranquille : quelques clients y sont entrés. Certains ont acheté un ou deux objets, d'autres ont simplement regardé avec curiosité les objets mais n'ont rien acheté. Aucun esprit errant n'a attiré en tant que tel mon attention. Je pense cyniquement : « Comme si j'étais une personne normale... qui ne voit pas les esprits... Enfin, un peu de repos ! »
Vers 13 h 00, Andrea se présente devant la porte de la boutique. Je la salue lorsqu'elle entre : « Bonjour, Mademoiselle Moreno !
Elle réplique d'un ton enjoué :« Bonjour, Madame Gordon ! »
J'ajoute : « Prête à travailler ? »
L'interpellée hoche la tête pour toute réponse.
Lorsqu'elle me rejoint derrière la caisse, je murmure : « Il semble qu'il avait eu hier soir un acte de vandalisme, car la porte, lorsque je suis arrivée ce matin, a été recouverte d'un graffiti bizarre... J'ai décidé alors de placer une caméra près de la porte d'entrée, afin de porter ce témoignage à la police dans l'espoir d'identifier le coupable. »
Mon associée hoche la tête, sans doute pour me confirmer sa compréhension. Dans son regard, une lueur d’inquiétude et ses sourcils levés témoignent de son étonnement, comme si elle pensait qu’un tel acte ne peut pas se produire à Grandview.
Je la salue et je reviens chez moi d'un pas tranquille. Vers 13 h 20, je suis dans la cuisine, en train de manger en compagnie de Jim et Christopher. Après la vaisselle, j'explique brièvement la situation. Il approuve mon idée d'un mouvement positif de tête puis ajoute d'un air cynique : « En espérant que ce n'est pas encore un petit voleur payé par Carl Neely... Dans tous les cas, tu peux demander à Paul Eastman d'identifier le vandale... »
Je hoche la tête en pensant : « C'est exactement ce que je pensais ! » Je soupire. Le reste de la journée est tranquille.
Le lendemain matin, je me rends à nouveau devant la porte d'entrée de ma boutique d'antiquités. Je soupire lorsque je remarque encore le même étrange graffiti de la veille. Je pense : « Au moins, je saurai qui est le vandale. » J'entre dans ma boutique et j'éteins la caméra. Je regarde ce qu'elle a filmé hier soir : un jeune homme, qui porte des lunettes bleu foncé, simplement vêtu d'un teeshirt beige et d'un pantalon de même couleur s'approche de la porte de la boutique. Derrière lui, je distingue clairement une forme diaphane. « Sans doute un esprit » pensé-je. J'arrête la vidéo pour mieux détailler l'entité : une jeune femme aux cheveux noirs, vêtue d'une longue veste blanche déboutonnée, laissant voir en dessous un chandail rayé bleu marine et jaune. Ses cheveux noirs sont collés sur son cou, comme si elle était morte noyée. Un petit foulard rouge est noué autour de son cou. De sa bouche coule de l'eau, ce qui confirme mon hypothèse. Cependant, je ne peux pas identifier ni le vivant ni l'esprit errant. Perplexe, j'éteins la caméra et je la range dans mon sac à main beige, que je jette nonchalamment sur mon épaule gauche.
Je me rends alors à la station de police, où je suis reçue par Paul Eastman. Ce dernier, vêtu de son uniforme, me salue d'un geste de sa main droite. Je le salue en retour puis j'ajoute aussitôt d'un ton sérieux : – Monsieur, j'ai une plainte à vous soumettre...
Mon interlocuteur réplique d'un ton calme : – Suivez moi. Je vous propose d'en discuter dans mon bureau.
Je le suis jusqu'à son bureau, une simple pièce aux murs beiges dans laquelle se trouve un bureau en bois, deux chaises de chaque côté latéral et un classeur gris dans un coin. Au moins, la lumière naturelle du soleil entre par la fenêtre située à ma droite, puisque les stores sont levés, rendant la petite pièce un peu plus accueillante et un peu moins austère. Je m'assois sur la chaise qu'il me désigne d'un geste de sa main droite. Une fois assise, je sors de mon sac à main la caméra avec laquelle j'ai filmé l'acte de vandalisme en lui expliquant du mieux que je peux la situation. Le policier m'écoute d'un air attentif, en griffonnant quelques notes sur une feuille de papier. Par ailleurs, à mon étonnement, je remarque qu'aucun esprit errant ne se trouve dans la pièce. Une fois que Paul Eastman, d'un ton sérieux, me demande si j'ai tout dis ce que j'avais à dire, j'ajoute, d'un air très étonné, en promenant mon regard de gauche à droite : – Monsieur, puis-je vous poser une question qui n'a aucun rapport avec ce que je vous soumets comme enquête...
D'un ton toujours calme : – Oui.
– Il n'y a aucun esprit errant dans votre bureau, ni aucun qui vous suit... Comment avez-vous fait ?
Mon interlocuteur me sourit d'un air chaleureux et répond d'un ton neutre : – Vous avez bien remarqué... Il n'y avait qu'un seul esprit qui hantait le bureau depuis 1980. Depuis que j'occupe ce bureau, c'est-à-dire en janvier 1993, je l'ai remarqué et j'ai eu le temps de régler son cas et de le convaincre de partir dans la Lumière. C'est très simple, Madame Gordon.
Après une courte pause, au cours de laquelle il joue avec son stylo, les sourcils levés, comme s'il est perplexe, il ajoute : – Seulement, je ferai une copie de votre vidéo, afin de pouvoir identifier l'auteur d'un tel acte de vandalisme. Je vous reviens à ce sujet dès que possible.
– Aucun problème !
Paul Eastman prend la caméra puis parvient, je ne sais comment, à avoir une copie de la vidéo sur une carte mémoire qu'il sort de son tiroir. Et il dépose la caméra devant moi. Je la range rapidement dans mon sac à main.
Un sourire aux lèvres, il dit : – Sur ce, passez une bonne journée !
Je lui réplique d'un ton enjoué : – Merci, Monsieur Eastman !
Je reviens chez moi, où je résume à Jim ma conversation avec son ami policier. Nous attendons avec impatience sa réponse. Heureusement, elle ne tarde pas : une semaine plus tard, soit le 17 octobre, en après-midi, Paul Eastman, en uniforme, se pointe devant la porte de notre maison. Évidemment, il a téléphoné le matin pour m'en aviser. Jim a classe et je suis avec nos deux fils au salon. Ayant reconnue le policier, je le laisse entrer. Nous nous saluons et je l'invite dans la cuisine. Ainsi, j'aurai Christopher et Jack à l'œil.
Paul s'éclaircit la voix puis affirme d'un ton posé : – Madame Gordon, je suis parvenu à identifier l'auteur de l'acte de vandalisme. Il s'agit de Justin Yates, un étudiant en journalisme à l'Université Rockland. Il a un dossier pour vol de matériel électronique et vol d'identité. Il a ainsi volé plusieurs parties du matériel pédagogique de certains de ses professeurs, dont je vous énumérerai pas la liste pour faire court, mais tout est soigneusement consigné. D'ailleurs, plusieurs plaintes ont été portées contre lui à ce sujet, de sorte que ceci ne date pas d'hier.
Je pense, inquiète : « Alors, là, l'affaire est vraiment sérieuse... Et ce n'est pas drôle... »
Sans doute que mon front est plissé, car mon interlocuteur me rassure d'un ton chaleureux : – Mais ne vous inquiétez pas... Cette fois, j'espère bien en finir avec Monsieur Yates... Pour information, l'esprit errant qui le suit est une certaine Julie Anderson, dont j'ignore son rapport avec lui. Par contre, en fouillant dans les archives de la police, j'ai découvert qu'elle est la fille de Monsieur Peter Anderson et de Madame Ariana Smith-Anderson, qui sont accusés de fraude bancaire et de trafic de drogues et d'alcool sur le marché noir. Julie est morte noyée dans l'Océan Atlantique le 3 juillet 2002, alors que la yacht que ses parents avaient achetée a chaviré. Julie s'y trouvait alors à bord, avec Justin Yates...
Je l'interrompt, étonnée : « Mais comment il a survécu ? »
Sourire dans le coin des lèvres, mon interlocuteur, en jetant un coup d'œil rapide sur des papiers, dit d'une voix posée :
– Simplement parce que les services de secours sont venus à temps car Mademoiselle Julie Anderson les a appelé. Sauf qu'ils sont venus trop tard pour la sauver... Au moins, Monsieur Justin Yates a pu être sauvé.
Je murmure : – Et c'est tout ? Vous n'avez rien d'autre à ajouter ? »
Pensif, Paul répond après quelques secondes de silence : – Non, je n'ai plus rien à ajouter... Sur ces paroles, je vous laisse les documentations de mes recherches... Des copies des originaux, bien sûr... Ainsi que votre caméra, car j'ai laissé la copie pour les dossiers.
Je m'exclame : – Et le graffiti ?
Les yeux écarquillées de surprise, le jeune policier se tape la paume de sa main droite sur son front en murmurant :
–Désolé, j'ai oublié de vous le dire...
Je l'invite d'un geste de ma main droite à poursuivre.
Il s'éclaircit la voix puis affirme d'un ton calme: – J'ai réussi, en ralentissant la vidéo, de faire une prise du graffiti.
Il me montre parmi les papiers une feuille en couleur, visiblement une photocopie. Je vois clairement le dessin du graffiti : il ressemble au visage d'une femme agrandi, en une seule couleur rouge sang.
Perplexe, je pense : « Peut-être a-t-il simplement dessiné le visage de Julie, ou de Dieu sait quelle femme ? »
Je murmure : – Par contre, ce dessin ne signifie rien pour moi... Il est mystérieux...
Paul réplique d'un ton calme : – Pour moi aussi, je le trouve seulement presque inoffensif, à l'exception de sa couleur. De sorte que, désolé, Madame Gordon, mais je ne me suis pas amusé à lui trouver un sens... Les énigmes de ce genre ont été mon point faible... Je peux résoudre des énigmes rattachées à des crimes avec des preuves concrètes, mais c'est tout...
Sourire aux lèvres, je dis d'un ton neutre : – Ne vous en faites pas, Monsieur Eastman... Chaque métier a ses qualités, ses points forts et ses points faibles... Je me débrouillerai pour résoudre ce mystère....
– D'accord ! Et vous m'informiez des résultats ?
– Oui !
– Excellent ! Sur ce, passez une bonne journée, Madame !
– Pareillement pour vous !
Mon invité se lève de sa chaise; je me lève à mon tour et je le raccompagne jusqu'à la porte d'entrée. Une fois le policier sorti, je reviens rapidement dans la cuisine pour ranger loin des enfants les documents. Je suis vraiment perplexe du dessin : qui est la femme représentée ? « Cependant, je n'ai aucun moyen de vérifier son identité... À moins qu'elle soit stylisée et non une femme qui existe réellement ? Alors là, ça complique la recherche... » Je soupire. « Le mieux serait de demander au professeur Richard Payne, il a plus de patience que moi... Et surtout, il a plus de livres que moi pour trouver la similitude avec Dieu-sait quelle créature fantastique... »
Contente de mon idée, je téléphone à mon ami universitaire. Celui-ci accepte ma requête et me reçoit à son bureau. Seulement, j'attends que Jim revienne de son cours pour pouvoir me rendre chez le professeur afin de lui laisser la photocopie de l'image du graffiti. Une fois fait, j'attends seulement son appel en retour.
Richard Payne m'appelle deux semaines plus tard. Je me rends alors aussitôt à son bureau. Il me dit d'un air grave que le dessin du graffiti est très similaire au visage de Circé du tableau de John William Waterhouse Circé offrant la coupe à Ulysse, en précisant que Circé est une sorcière de la mythologie grecque qui voulait transformer Ulysse et ses compagnons en cochons, sauf qu'Ulysse, ayant avalé la plante molly que lui avait donné Hermès, garde sa forme humaine. De sorte que mon ami universitaire me suggère la piste de réflexion suivante : peut-être que Justin Yates, en dessinant le visage de la sorcière la plus connue de la mythologie grecque, reconnaît qu'il est un pratiquant de magie. Je prends note dans mon calepin et je reviens chez moi, très inquiète. Par contre, je ne comprends pas comment cela peut expliquer cet acte de vandalisme. De la part d'un jeune homme que je ne connais pas et qui ne me connaît pas... La voie occulte me semble être une explication trop irrationnelle pour moi (et difficile à accepter)...
J'en discute avec Jim le soir, lorsque Christopher et Jack dorment. Il est aussi perplexe que moi. Il conclut d'un ton neutre : – Je ne doute pas, Mel, que tes amis te donneront assez d'indices pour que tu saches la vérité au sujet de cet acte de vandalisme...
Je hoche la tête pour approuver ses propos. À ce moment, je remarque qu'un esprit est présent à la droite de Jim. Je tourne mon regard vers lui pour l'identifier : l'Observateur français.
Je murmure, en tournant la tête vers mon mari : « Jim, notre informateur est là ! L'Observateur ! »
Mon époux confirme sa compréhension d'un geste de tête positif.
L'Esprit Observateur dit d'un ton sérieux : – Madame, vous devez savoir que le fil conducteur de cet acte de vandalisme est en effet l'occultisme.
Étonnée, je balbutie, les yeux écarquillés : – Comment... est-ce... possible ?
Je lève mon index vers Jim, car je sais qu'il est perplexe, surtout lorsqu'il ne voit et n'entend que la moitié des interactions. Je murmure : – Je te l'expliquerai plus tard.
Mon interlocuteur poursuit sur le même ton sérieux : – Oui, vous avez bien entendu... Justin Yates et Julie Anderson sont des pratiquants de magie noire. De même pour les parents de Julie...
Je proteste d'une petite voix : – Mais je ne les connais pas... Comment savent-ils mon existence ?
– Ils le savent, par l'entremise de Carl Neely.
Les yeux agrandis de peur, les sourcils levés, le cœur battant la chamade, je proteste entre mes lèvres tremblantes :
– Co... Com...ment... est-... ce... pos...sible ?
– Et bien, parce que le Bohémien est un ami de Julie et de Justin... Ami, disons, très intime...
Là, j'ai envie de vomir, car je n'imagine pas que Carl Neely, un homme marié, du moins, je le pense, puisse tromper sa femme avec une autre, ou encore pire, avec un homme, ou avec plusieurs individus, peu importe le sexe... Je n'ose même pas imaginer une telle scène...
Jean Bude de Guébriant, d'un air ironique, commente : – Ils se connaissent depuis janvier 1999, alors que le Bohémien a rencontré les parents de Julie dans un bar, car il les recherchait pour avoir des services dans l'art occulte. Ils deviennent alors ses conseillers si l'on peut le dire. En plus de se connaître personnellement. Là, je vous épargne les détails, car il a bien connu Madame et Monsieur, en plus de se donner à Monsieur...
Je n'ose même pas imaginer que Carl Neely a participé à un ménage à trois... Je pense : « Mais franchement, il est un grand pêcheur ! À sa place, je craindrai le châtiment dans l'au-delà... »
Mon interlocuteur commente ironiquement : – À quoi s'attendre d'un mécréant de la pire espèce, sans foi ni loi ! Il a déjà vendu son âme au Diable depuis qu'il a sacrifié sa première épouse et son premier fils à naître !
Je soupire puis je pense : « Bon, alors avez-vous autre chose à dire ? »
Reprenant une mine et un ton sérieux, l'esprit répond clairement : – Oui. Je dois aussi ajouter que Carl Neely a aussi connu Julie et Justin, bien qu'ils soient des amants. De sorte qu'il y avait des réunions entre eux, qui terminaient par des orgies... Inutile de faire un dessin ou de vous montrer ces joyeuses scènes dans une vision...
Je pense, soulagée : « Merci beaucoup ! »
L'Observateur poursuit : – ... de sorte que vous comprenez très bien que Carl Neely profitait des services de ce quatuor... Il peut ainsi se venger de sa connaissance de ses trois chefs – dont deux sont ses supérieurs immédiats et le dernier est un espion.
Je pense, perplexe et dégoûtée : « Je me demande seulement comment sa femme n'a rien remarqué... »
Sans doute sur mon visage s'affiche une mine de dégoût, car l'esprit me sourit paternellement puis ajoute : – Et alors, le Bohémien faisait appel aux services des pratiques occultes des parents de Julie afin de confirmer ses impressions qu'il a lorsqu'il est possédé par les deux esprits tchèques...
Les yeux encore plus agrandis de peur et de panique, je pense : « C'est dire que Carl Neely a tout un réseau ! Ah mon Dieu ! Qu'ai-je fait de mal pour vivre dans une telle ville ! »
L'Observateur comme s'il ignore mes pensées, continue d'un ton sérieux : – Voilà que Monsieur Justin Yates, depuis la mort de sa petite copine, agit le soir sous son influence, puisqu'ils sont semblables... C'est pourquoi la caméra a filmé l'esprit errant de Juliette...
Perplexe, je fronce des sourcils. Je m'exclame : – Est-ce que Juliette est encore un autre esprit que Julie ?
– C'est le même. Juliette est son surnom affectif lors de leurs rencontres, car Carl Neely peut la prendre comme il le veut… Ceci en dit long sur leurs explorations mutuelles…
Je pense, en me retenant de vomir : « Merci de m’épargner l’image ! J’ai compris ! »
Mon interlocuteur poursuit : – Aussi, un dernier détail concernant la mort de Julie Anderson: elle est morte, alors qu'elle avait pensé faire périr Justin, mais le Seigneur en est décidé autrement, et elle est tombée dans son propre piège.
Je soupire. L'Observateur français me sourit puis s'évapore dans les airs.
Je tourne légèrement ma tête vers Jim, qui me fixe d'un air intrigué.
Je lui résume comme suit les propos de mon l'Esprit Observateur : – Jim, l'Observateur français m'a dit que Justin Yates, le vandale responsable du graffiti sur la porte de ma boutique, a ainsi agit sous l'influence de l'esprit errant de sa petite copine, une certaine Julie Anderson. Et cette dernière et ses parents sont versés dans l'occulte... Sans oublier que Carl Neely fait appel à leur aide, de sorte qu'il connaît tous les quatre, puisqu'ils ont passé toutes les combinaisons possibles entre eux... Juste à imaginer la scène, ce policier est vraiment une ordure ! ...
Mon mari approuve d'un geste positif mon commentaire.
Je poursuis, étonnée : – Ils se connaissent tellement que le surnom de Julie est « Juliette »... Pour moi, la seule chose bizarre, c'est que sa femme n'a rien remarqué...
Jim murmure entre ses dents : – C'est en effet un mystère... À moins que ceci l'arrange en un sens, mais bon...
Je lui lance : – Quelles insinuations ! Ne serais-tu pas trop cynique !
Il maugrée quelques mots, dont je n'ai pas capté le sens. Ignorant sa remarque, je poursuis d'un air très étonné : – Bon, c'est vrai, je ne dois pas m'étonner de cette amitié, car il ne faut pas oublier que Carl Neely accepte les possessions des deux esprits tchèques qui ont maudit ta famille...
Je m'interromps soudainement. Des larmes coulent de mes yeux devant la réalisation d'un tel machiavélisme. Tout ceci me dépasse. Jim s'approche de moi pour m'enlacer par les épaules. Je m'appuie contre lui pour me calmer. Après plusieurs minutes ainsi à se bercer contre lui, je parviens à sécher mes larmes. Je me libère alors de son étreinte, puis je murmure à moi-même, pensive :`« Qu'est-ce que je disais... Ah, oui ! Le cas du vandalisme, en gros, est causé par une connaissance de Carl Neely... Et cette connaissance est un étudiant qui a déjà tout un dossier dans les archives de la police, à ce que Paul Eastman m'a expliqué... De plus, il est occulte... »
Jim, les sourcils levés d'étonnement : qui ? Le petit vandale ou Carl Neely ?
D'un ton hésitant, je réponds : – Les deux, en un sens...
Jim fait une moue. Je poursuis d'un ton hésitant : – Pour moi, le seul mystère dans tout ça est comment sa femme n'a rien remarqué...
Mon époux hausse les épaules. Nous demeurons silencieux pendant plusieurs minutes, minutes au cours desquelles j'entends une mouche voler. Il brise le silence en murmurant d'un ton sérieux : – Mel, si je comprends bien ce que ton ami l'Observateur veut te dire, en gros, c'est que l'acte de vandalisme sur ta boutique...
Je le corrige : – Notre boutique...
Il poursuit : – D'accord... De notre boutique... est un acte d'avertissement de la part d'une connaissance de Carl Neely...
Ses jolis yeux bleus lancent des éclairs. Sa mine s'assombrit. Il poursuit d'un ton courroucé, en haussant un peu sa voix masculine, qui sonne à mes oreilles comme un tonnerre : – Et donc, là, ils nous menacent... Par leur putain d'activité occulte ! Et bien, que le Diable les emporte ! Car personne n'a le droit de te menacer, ma chérie !
Je m'approche de lui pour m'asseoir sur ses genoux; il me laisse faire. Je l'enlace pour faire tomber sa colère. Il me berce doucement; je m'appuie contre lui.
Quelques minutes plus tard, Jim, d'une voix chaleureuse, murmure à mon oreille droite : – Mel, je pense qu'il est temps d'aller dormir...
Je me lève aussitôt et l'embrasse sur les lèvres. Il me rend mon bisou puis nous nous rendons, main dans la main, dans notre lit. Après la prière du soir, nous nous endormons enlacés. Heureusement, la nuit est tranquille, sans aucun rêve bizarre.
Le lendemain, je me rends au marché pour faire les commissions. Je remarque Paul Eastman, que je salue d'un geste de ma main droite. Le jeune policier, en uniforme, s'approche de moi et me salue. Il s'exclame, une lueur de curiosité dans le regard : – Madame Gordon ! Quelle nouvelle voulez-vous me dire ?
Je m'éclaircis la voix puis dit à voix basse : – Au sujet du graffiti... Hier, le professeur Richard Payne m'a suggéré une piste de réflexion... Il s'agirait du visage de Circé, comme celui d'une peinture, dont je ne me rappelle plus du nom de l'artiste... Désolé, mes connaissances dans ce domaine sont très limitées...
D'un ton chaleureux, Paul réplique : – Ce n'est pas grave...
Je continue, en parlant à voix basse pour éviter les oreilles curieuses : – De sorte qu'il m'a suggéré qu'il s'agit d'une menace occulte, car il semblerait, selon ce que j'ai compris d'un informateur fiable, que Justin Yates et Julie Anderson étaient des pratiquants de magie noire... Et... que dans ce cas, j'interprète le graffiti comme une menace sérieuse...
Le jeune policier, les sourcils levés sans doute d'étonnement, murmure d'un ton grave : – L'explication est très curieuse. Je ne dirai pas plus de commentaire.
Après une courte pause, il enchaîne : – Merci de l'information !
Je réplique : – Merci à vous et passez une bonne journée !
– Pareillement pour vous !
L'agent de l'ordre s'éloigne de moi; je me dirige vers un étalage de l'un des marchands. Et je reviens chez moi avec les commissions.
24 octobre 2003, The Antique Shop of Grandview, 16 h 00.
Cette fois, j'ai passé l'après-midi dans ma boutique, pour faire changement des matins. Je suis à la caisse. Seul un client regarde les différents objets sur les rayons. Moi, je l'observe discrètement. Tout à coup, sans aucun avertissement, voilà qu'un esprit se manifeste brusquement devant le comptoir de la caisse, en face de moi. Cette apparition soudaine me fait sursauter malgré moi, sauf que je demeure impassible, habituée comme je le suis à ces surprises. Je le détaille : un jeune homme portant des lunettes bleu foncé, aux cheveux et yeux brun, vêtu d'un teeshirt beige et d'un pantalon de même couleur. Il me semble l'avoir déjà vu quelque part... Un autre esprit apparaît à ma droite : nul autre que Homer, le chien-esprit. Je pensais qu'il était parti dans la Lumière. Sa présence m'est toujours rassurante. Homer grogne vers la direction de l'autre esprit. Je ramène mon attention vers ce dernier en pensant « Êtes-vous Justin Yates ? »
Il répond d'un mouvement de tête positif. Justin fixe d'un air méfiant Homer, mais demeure coi. Je soupire en pensant : « Et quoi, alors ? Expliquez-moi votre mort et ce qui vous retient encore parmi les vivants ? »
L'esprit, d'un ton étonné : – Comment, vous dites ? Moi, défunt ? Pourtant, hier soir, ma Julie était là... Je ne comprends pas pourquoi je la vois, alors que je sais qu'elle est décédée depuis quelques années...
Je commente mentalement, exaspérée de son incrédulité : « N'est-ce pas pour vous une preuve de votre mort ? »
Les yeux écarquillés, Justin Yates regarde à gauche et à droite, puis me fixe à nouveau. À sa droite, je remarque qu'un autre esprit errant vient d'apparaître : une jeune femme aux cheveux noirs, vêtue d'une longue veste blanche déboutonnée, laissant voir en dessous un chandail rayé bleu marine et jaune. Ses cheveux noirs sont collés sur son cou, comme si elle était morte noyée. Un petit foulard rouge est noué autour de son cou. De sa bouche coule de l'eau. Je soupire en pensant: « Sans doute Mademoiselle Julie Anderson... » Homer grogne et montre ses crocs. L'esprit errant féminin le foudroie du regard, mais recule de quelques pas, comme s'il avait peur que le chien la morde. Justin aussi recule de quelques pas.
Je note du coin de l'œil que le client a quitté la boutique; je pourrai alors discuter tranquillement avec les deux esprits.
Justin Yates jette un regard étonné à Julie. Il balbutie : – Julie ?
L'interpellée confirme d'un « Oui » et beaucoup d'eau sort alors de sa bouche.
Avec humour, je pense malgré moi « Heureusement que ce n'est pas vraiment de l'eau, sinon le parquet de la boutique serait mouillé... »
Je m'éclaircis la voix puis s'exclame d'un ton assuré : – Monsieur Justin Yates, si vous ne vous rendez pas à l'évidence de votre mort, revenez dans votre chambre, et vous trouverez votre corps, ce qui est la preuve que vous l'avez quitté.
Et l'esprit errant qu'est devenu l'étudiant en journalisme disparaît de ma vue.
Je me tourne vers Julie, qui me fixe d'un air bizarre.
Je m'exclame : – Alors, vous deux, qu'attendez vous de moi ? Un pardon pour l'acte de vandalisme dont vous êtes responsable depuis une vingtaine de jours ? Que nenni !
Je pense : « Peut-être que je suis rapide à pardonner en croyant que je suis, mais lorsque j'ai compris à quelles ordures j'ai affaire, je ne suis plus si naïve... »
L'esprit errant se renfrogne puis disparaît de ma vue.
Quelques secondes après, Justin Yates réapparaît devant moi et s'exclame : – Oui, Madame Gordon ! Vous avez raison ! Mon corps est bel et bien étendu dans mon lit !
Il continue d'un air surpris, les sourcils levés : – Je ne sais pas du tout comment je suis mort... Pouvez-vous me répondre ?
Je soupire et je réplique brièvement d'un ton brusque, exaspérée de sa pseudo-naïveté : – Non !
À ce moment, un esprit familier apparaît à ma droite; Justin et moi tournons nos têtes vers lui : Jean Bude de Guébriant. Je souris lorsque je le reconnais. Homer jappe joyeusement puis s'évapore.
L'Observateur s'exclame d'une voix claire : – Si Madame Gordon ne peut pas répondre à votre question, moi je le peux.
En se tournant légèrement vers Justin, il continue d'un ton plus posé : – Vous êtes mort étouffé par l'esprit errant de votre petite copine, de Mademoiselle Julie Anderson.
Justin Yates, sourcils levés, bouche entr'ouverte, balbutie : – D'où vous vient cette certitude ?
Sourire aux lèvres, son interlocuteur répond : – Du fait que je suis un Observateur qui voit tout ce qui se passe. Rien ne m'échappe et je suis incorruptible, au contraire de vous.
Justin s'évapore. Je remercie d'un geste de ma tête l'Observateur qui réplique simplement : – Heureusement, Madame Gordon-Clancy, rien n'est secret et le Seigneur s'arrange pour que les mortels sachent la vérité au moment opportun. Sur ces paroles, passez une bonne journée !
Mon interlocuteur s'efface de plus en plus, jusqu'à disparaître complètement. Après autant d'informations, je dois tout clarifier les événements qui m'ont échappé. Il n'en demeure pas moins que je suis perplexe. Vers 17 h 00, je ferme la boutique et je reviens chez moi, où Jim m'ouvre la porte.
Le soir, une fois les enfants envoyés au lit, je résume dans la cuisine à mon époux mes rencontres de la journée avec les différents esprits. Il m'encourage en serrant mes mains entre les siennes. Il commente simplement : « Maintenant, nous comprenons mieux toute l'histoire de Justin Yates... Quelle histoire bizarre ! » Je confirme ses propos d'un mouvement de tête positif. Heureusement, le soir est tranquille.
15 novembre 2003, 13 h 30.
Je suis dans la cuisine, en train de faire la vaisselle. Tout à coup, un esprit errant apparaît devant moi : Jean Bude de Guébriant. Je pense, perplexe : « Qu'avez-vous à me dire ? »
Il sourit puis me répond sur un ton chaleureux : N'avez-vous pas remarqué que Justin Yates et Julie Anderson ne sont plus venus vous déranger ?
Je pense, perplexe : « Il me semble qu'ils ne sont pas partis dans la Lumière, car ils sont tellement des ordures... Il est vrai que je ne les ai pas revu depuis quelques semaines... Je ne m'en plains pas ! »
Mon interlocuteur réplique : - Il est vrai que ces deux esprits errants ne sont pas partis dans la Lumière; vous l'avez bien compris. Ils suivent Carl Neely. Seulement, ils ne peuvent pas faire comme bon leur semble, car les deux sorciers tchèques sont supérieurs, car plus puissants dans leur magie...
Une sueur froide parcourt mon échine. Je trouve que ceci ne présage rien qui vaille. Le cœur battant la chamade, je murmure d'une voix tremblante : – Et alors ? Qu'est-ce que cela me change ? Que de savoir qu'ils obéissent à des sorciers plus puissants qu'eux... Ceci ne me rassure pas pour autant... D'ailleurs, voulez-vous enfin me dire quel est le rapport entre Carl Neely et les deux sorciers tchèques ?
Le visage de l'Observateur devient sérieux puis dit d'un air sévère : – Madame, je ne réponds à une question du genre « quelle est la couleur du cheval blanc de Napoléon ? » À vous de faire les liens.
Je soupire en pensant : « Comment suis-je censée savoir la réponse ? »
– C'est tellement évident ! De toute façon, même si je vous dirai le rapport, vous ne me croirez pas. De sorte que je vous laisse deviner… D’ailleurs, je vous ai donné trop d’indices… Mais, pour revenir à ce que je disais, Justin Yates et Julie Anderson se trouvent aux côtés de Carl Neely, en influençant son comportement lorsque les deux sorciers leur permettent.
Et l'Observateur disparaît de ma vue.
Je soupire d'exaspération et je range l'assiette que j'ai terminé d'essuyer. Je pense : « Que le Seigneur me soit clément ! J'espère bien un jour comprendre le rapport de ces deux esprits tchèques dont Carl Neely accepte les possessions... Cette histoire me dépasse tellement ! Mais je me dis : Courage, il faut faire confiance et avoir confiance au Seigneur, auquel aucun secret n'est éternel ! »
Cette pensée me remonte le moral et je reviens au salon pour surveiller Christopher et Jack.