Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 17 : Les esprits des autres voisins

5027 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/04/2024 22:23


13 janvier 2002, 10 h 15.


Jim est dans la cuisine en train de réfléchir sur son histoire fictive. Je suis au salon tricotant un pull. Par hasard, je regarde par la fenêtre qui donne sur la rue. Je remarque que notre voisin de droite, Monsieur Mohamed Zahid, un Arabe établi depuis une vingtaine d'années à Grandview, passe devant notre maison. Je ne connais pas très bien les voisins de droite et de gauche, malgré qu'ils sont depuis plusieurs années dans notre ville. D'ailleurs, je n'ai pas le temps à perdre à parler avec eux, de sorte que nous sommes presque comme des étrangers qui habitent dans une même ville. Je ne connais que leurs noms. Je dépose mon tricot pour me rapprocher de la fenêtre. Mohamed est un quadragénaire aux yeux bruns pétillants de joie, qui avance d'un pas léger, comme si la vie était facile pour lui. Cette simplicité est touchante et témoigne de son innocence. Il passe devant ma maison. Je le détaille : vêtu d'un manteau d'hiver brun, d'une écharpe vert foncé et d'un bonnet vert moyen, les mains dans les poches de son manteau, il avance d'un pas rapide. Je note derrière lui un esprit errant : un jeune Arabe, probablement vers la vingtaine, vêtu d'une ample tunique jusqu'aux mollets, tunique de couleur verte. À ses pieds, des chaussures en cuir sans talon. L'esprit errant a le front plissé d'inquiétude.


Je suis l'esprit errant du regard en pensant : « Je dois aider cette pauvre âme perdue... »

Je me rends en vitesse dans la cuisine et je dis d'un ton neutre : – Jim, ce n’est pas de tout repos avec les esprits errants... Mohamed est suivi par un esprit qui semble très inquiet... Sa mine fait vraiment pitié...

Mon époux lève la tête du cahier dans lequel il écrit son histoire, dépose doucement le stylo sur la table, s'éclaircit la voix, me regarde d'un air encourageant et dit d'un ton enjoué : – Et bien, Mel, tu sais que tu n'as pas besoin de ma permission... Mais je veux t'accompagner, question de te soutenir !

Je m'approche de lui, serre sa main droite entre les miennes puis murmure : – Alors, on y va tout de suite !

Jim se lève aussitôt de sa chaise. En passant au salon, nous prenons nos manteaux, que nous enfilons puis nous sortons main dans la main à l'extérieur. Mon époux verrouille la porte d'entrée. Nous accourons derrière notre voisin et le saluons à l'unisson : – Bonjour, Monsieur Mohamed Zahid ! Comment allez-vous ?

Notre interlocuteur sursaute et se retourne vers nous. L'esprit errant demeure silencieux. Mohamed balbutie en anglais avec un fort accent arabe : – Monsieur Jim Clancy et Madame Melinda Gordon... ne vous inquiétez pas pour moi, je vais très bien...

D'un ton assuré, je commente, en tournant mon regard vers l'esprit errant : – Mais pas vous... Pouvez-vous vous présenter, s'il vous plaît ?

Mohamed, front plissé, s’exclame d’un ton sévère : – Pourtant vous saviez mon nom… À qui parlez-vous ?

L'esprit errant, qui affiche pendant une fraction de seconde une expression d'étonnement, d'un ton brusque, répond en un anglais impeccable : – Je suis Ahmed Zahid, le frère benjamin de Mohamed.

Je rapporte ses propos : – Je parlais avec un esprit errant… Il se présente comme étant Ahmed Zahid...

Le voisin m'interrompt d'une voix émue : – Mon jeune frère...

J'opine du chef puis je murmure d'une voix blanche : – C'est précisément ce qu'il vient de dire... Au moins, je n'ai pas besoin de vous le décrire...

Mohamed, dont le regard se promène de Jim à moi, se racle la gorge puis s'exclame : – Et alors, que voulez-vous savoir ? Je ne vais quand même pas vous raconter toutes les histoires de ma famille !

Jim, sourire affable, réplique : – Non, pas tout à fait... Seulement, vous devez comprendre que ma femme voit les esprits errants...

Je confirme les propos de mon époux et je poursuis d'un ton amical : – ... C'est un don que j'ai depuis mon enfance... Et je remarque que l'esprit errant qu'est devenu votre frère vous suit. Je voudrais bien l'aider à passer dans la Lumière, ou dans l'Au-delà, et donc de quitter le monde ici-bas... Vous comprenez ?

Mohamed hoche lentement la tête en un mouvement affirmatif.

Je continue d'un ton sérieux : – Et c'est ce que je dois faire en tant que passeuse d'âmes, et sans aucun salaire, car un don est toujours voulu par Dieu...

Mon interlocuteur sourit, comme s'il est ému de ma piété. Il soupire puis dit : – J'espère que vous dites la vérité...

Je confirme d'un geste positif. Ahmed s'exclame, la mine inquiète : – Madame, si vous pouvez faire quelque chose, faites-le ! Mon frère suppose que je suis à ses côtés, mais il ignore mes propos...

Je répète machinalement : – Votre frère dit que vous savez qu'il est à vos côtés. Seulement, vous ne pouvez pas communiquer avec lui...

Je tourne ma tête vers la direction de l'esprit et je lui murmure : – Mais dites-moi, Monsieur Ahmed Zahid, les dernières choses dont vous vous souvenez et quelle est votre raison d'errer encore parmi les vivants ?

Mohamed commente : – Vous êtes sérieuse, vous voyez les esprits ?

Je murmure un faible « oui », puis ramène mon regard vers Ahmed, qui est pensif.

Mohamed ajoute : – Je vous crois bien... D'accord, vous êtes honnêtes, j'en suis convaincu… Et si nous discutions chez moi ? Je vous invite dans mon salon...

Son regard se promène de Jim à moi, comme s'il attend que nous approuvions ses propos. Simultanément, nous acceptons d'un signe positif son invitation.

Il nous amène jusqu'à sa maison, une grande demeure en pierres avec un jardin à l'avant; le tout entouré d'une basse clôture. Il nous déverrouille la porte et nous fait signe de la main droite d'y entrer. Jim et moi obéissons immédiatement. Je remarque que l'esprit errant nous suit aussi. Nous laissons nos manteaux sur un porte-manteau, puis notre voisin nous accompagne jusqu'au salon. Pour s'y rendre, il faut traverser un couloir.

Notre voisin arabe raconte d'un ton sérieux : – Monsieur Clancy et Madame Gordon, vous devez savoir que notre famille est originaire d'Afghanistan. J'ai quitté mon pays il y a vingt ans, peu après la mort d'Ahmed...

Je pense, perplexe : « Quelle est la cause de décès ? »

Mohamed continue son récit d'un air sérieux, sans doute pour cacher sa tristesse : – ... qui est survenue le 8 janvier 1982, des conséquences d'une morsure d'un cobra. Il était un lapidaire de la ville de Fayzabad, où notre famille était établie depuis sept générations. Moi aussi, j'étais lapidaire.

Ahmed, à la droite de son frère, intervient d'une voix triste : – Je sais, Mohamed, que tu te sens coupable de ma mort, mais tu n'es aucunement fautif...

Je m'éclaircis la gorge puis j’interviens d'un ton neutre : – Ahmed sais que vous vous sentez coupable de sa mort, sauf que vous n’avez aucune raison de l’être...

Mohamed, bouche entr'ouverte qu’il referme aussitôt, yeux écarquillés, balbutie : – Comment peut-il en être si sûr ? Pourquoi cherche-t-il à me déculpabiliser, alors que si je ne l’avais pas envoyé chercher de l'eau au puits près de la maison de nos parents (qui y vivent encore), il n'aurait jamais été mordu par le serpent...

Ahmed s'exclame : – Peux-tu comprendre que tu n'es pas fautif, car tu ignorais que le serpent se trouvait là... Je suis moi-même responsable de ma propre mort, en marchant par mégarde sur la queue du serpent, que je n'avais pas remarqué... J'avais compris sa présence que lorsque j'ai ressenti sa morsure sur ma jambe droite. J'ai alors crié « Au secours ! » C'est alors que tu es venu, alors que le serpent m'a mordu une autre fois (cette fois, à la jambe gauche) puis a déguerpi. Néanmoins, le temps que les docteurs m'ont pris en charge, j'étais déjà sorti de mon corps... J'ai réalisé alors que je ne suis plus vivant... La seule chose qui m'inquiète, c'est le sentiment de culpabilité que tu ressens, sentiment qui est injustifié...

Je fronce des sourcils, puis détourne mon regard de l'esprit errant pour le tourner vers Mohamed, qui m'observe d'un air curieux et inquiet. Je remarque aussi le regard étonné que me lance Jim. Je rapporte les propos d'Ahmed comme suit : – Votre frère affirme que vous n'êtes pas fautif de sa mort, car vous n'avez pas su qu'un serpent s'y trouvait. Il est décédé des conséquences des morsures du serpent... Il a été mordu deux fois, chaque jambe. Et malgré que vous avez rapidement réagi, les docteurs ont pris du temps avant de s'occuper de son cas, de sorte qu'il était sorti de son corps... Il avait alors compris qu'il n'était plus parmi les vivants... Pouvez-vous comprendre ?

Je fixe mon voisin droit dans les yeux. Comme s'il ne veut pas affronter mon regard, il baisse les yeux. Mohamed demeure silencieux. Je remarque du coin de l'œil que l'esprit errant l'observe aussi. Je commente : – Par ailleurs, votre frère semble attendre une réponse à ma question... Je ne veux pas vous faire de la pression, mais simplement vous informer que votre frère veut que vous cessiez de vous culpabiliser au sujet de sa mort. Mort qui était hors de votre contrôle et pour laquelle vous n'avez aucun rôle...

Après plusieurs minutes de silence, mon voisin lève lentement ses yeux vers moi et me regarde dans les yeux puis s'exclame d'un ton surpris : – C'est sérieux ? Ahmed.

Et il continue en arabe. Je suis perplexe, car je ne comprends rien. Jim et moi observons notre voisin. Mon regard se promène du voisin à l'esprit errant.

L'esprit errant lui réplique dans la même langue, et m'en donne la traduction en anglais : – Madame, mon frère m'a dit si je suis vraiment certain de ce que j'affirme et si ce n'est pas un djinn qui s'était joué de moi... À mon avis, c'était plutôt un djinn qui avait agi sur le serpent... Pouvez-vous lui dire que c'est la vérité ?

Je confirme d'un geste positif de tête et je me tourne légèrement vers Mohamed et rapporte les propos : – Votre frère vous assure qu'un djinn ne s'était pas joué de lui. Selon lui, c'était plutôt un djinn qui avait agi sur le serpent... D'ailleurs, il vous précise que c'est la vérité.

Mohamed, les yeux agrandis, le front plissé, les sourcils levés, proteste : – Co... Comment !? Êtes-vous sûre d'avoir bien compris les propos de mon frère ?

Avec mon plus beau sourire, je réplique : – Oui !

Je vois que Ahmed confirme mes propos d'un mouvement de tête positif. 

Je commente : – D'ailleurs votre frère confirme ma réponse... Vous n'avez qu'à vous rendre à l'évidence... Et une fois que vous cesserez de vous culpabiliser, votre frère partira dans la Lumière.

L'esprit errant approuve d'un geste positif mes propos. Je souris et je m'exclame d’une voix presque tremblante : – Que voulez-vous de plus comme preuve ? Votre frère est tout à fait d'accord avec ce que je viens de vous dire !

Le vivant baisse les yeux et murmure : – Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ?

Ahmed, Jim et moi soupirons à l'unisson. Ahmed déclare : – J'ai voulu lui communiquer la vérité au sujet de ma mort par plusieurs rêves, seulement il s'est effrayé et se culpabilise encore plus... Je suis désolé de ma maladresse...

Émue, les larmes aux yeux, je gémis : – Pourtant, Ahmed affirme vous avoir communiqué la vérité au sujet de sa mort au moyen de rêves, seulement vous les avez mal interprétés, d'où votre sentiment de culpabilité... D'ailleurs, il s'excuse de sa maladresse...

Je pleure silencieusement. Jim me serre la main droite. Je m'empresse de sécher rapidement mes larmes qui coulent silencieusement sur mes joues.

Mohamed relève la tête et me fixe, les sourcils levés, les yeux dans le vague, comme s'il est perdu dans ses pensées. Après quelques minutes de silence, il murmure d'une voix songeuse : – Les rêves dont vous parlez étaient pour moi des cauchemars... Je préfère mieux ne pas m'en rappeler. Et Ahmed vous a dit que c'était des rêves véridiques ?

L'esprit, d'un air enjoué, s'exclame : – Oui !

Je répète machinalement : – Oui !

Mohamed, d'un air hésitant : – Si tout ce que vous m'avez dit est la vérité...

Ahmed et moi confirmons ses propos d'un mouvement positif de tête.

Mohamed : – ... j'ai eu alors tort toutes ces années de me culpabiliser... Et, dans ce cas, frérot, je suis sincèrement désolé de t'avoir causé autant de tracas. Qu'Allah, exalté soit-Il, ait ton âme !

Jim et moi marmonnons à l'unisson : – Amin !

Mohamed, dont le visage s'illumine d'une joie presque enfantine, ce qui me fait sourire, s'exclame : – Merci ! Vous m'avez ôté un poids très lourd de mes épaules ! Louange à Allah, Créateur des cieux et de la terre !

Je remarque que son frère aussi semble heureux pour lui. Il commente d'un ton enjoué, sourire aux lèvres : – Merci à vous, Madame Gordon ! Grâce à vous, je vais enfin quitter ce monde et comparaître devant le Grand Juge, le Très Miséricordieux Allah !

Ahmed se tourne vers sa droite, comme s'il vient d'apercevoir une lumière immatérielle que lui seul voit.

Il murmure : – Au revoir !

Et il disparaît dans la Lumière. Je pleure de joie en pensant : « Que le Seigneur en soit remercié ! Le cas d'Ahmed est très simple, pour faire changement de l'esprit tchèque, qui commence sérieusement à m'occasionner des maux de tête... » D'un ton enjoué, mon regard tourné vers Mohamed, en serrant la main gauche de mon époux, je m'exclame : – Votre frère vient de faire ses derniers adieux et il est parti dans la Lumière.

D'une voix émue, mon interlocuteur murmure : – Merci à vous ! Et qu'Allah protège tous les bons croyants comme vous et moi !

Jim réplique : – De même pour vous !


Ensuite, Jim et moi saluons respectueusement notre voisin puis nous nous levons rapidement des canapés sur lesquels nous étions auparavant assis et reprenons nos manteaux, que nous enfilons prestement. Mohamed nous raccompagne jusqu'à la porte d'entrée, et nous revenons chez nous. Jim déverrouille la porte, me laisse entrer la première, puis referme la porte derrière lui.

De retour dans notre maison, après avoir ôté nos manteaux, Jim jette un coup d'œil à sa montre puis dit d'une voix chaleureuse : – Ma chérie, félicitations ! Heureusement que le cas de notre voisin de droite est moins inquiétant que celui de Todd Darger !

Je souris à cette remarque. 

Jim ajoute : – N'as-tu pas oublié le repas de midi ? Il est 11 h 30 et j'ai une faim de loup... En bon mari, je demande qu'est-ce qu'on mange pour midi ?

Je réplique : – Des pierogis à la viande ! Je cours les réchauffer !

Et nous nous rendons rapidement à la cuisine, et je place quatre pierogis à réchauffer au four, puis je coupe quelques tranches de pain. Jim sort de l'armoire à cuisine deux assiettes, qu'il dépose sur la table, puis sert le breuvage. Moi, je dépose un peu de crème sûre sur nos assiettes. Une fois nos portions réchauffées, je les dépose sur les assiettes et nous nous attablons. Après le repas, je lave la vaisselle et Jim l'essuie.



Une fois la vaisselle terminée, Jim revient sur son histoire fictive, moi, je me dirige vers le salon en pensant : « Peut-être que je vais enfin pouvoir avancer mon tricot ! »

Rendue au salon, je remarque un mouvement du coin de l'œil à l'extérieur. Je regarde par la fenêtre : le voisin de gauche, un grand homme vers la trentaine aux yeux bleus qui répond au nom de Marc Silver, passe sur le trottoir devant ma maison. Il est vêtu d'un manteau d'hiver bleu marine et d'un bonnet gris. Je note la présence d'un esprit errant vers sa droite, à savoir celui d'une jeune femme, probablement vingtenaire, vêtu d'une robe blanche avec des motifs floraux jaune et orange. Je dis d'un ton neutre : – Jim, cette fois, c'est l'autre voisin qui est hanté !

Mon époux réplique : – Ça veut dire qu'il faut l'aider ! Bon ! Alors, allons-y maintenant avant qu'il tourne au coin de la rue.


Nous enfilons rapidement nos manteaux et nous sortons à l'extérieur. Mon époux verrouille à nouveau la porte d'entrée. Nous marchons vers notre voisin. Je vois de dos l'esprit errant et notre voisin.

Jim l'apostrophe : – Monsieur Marc Silver !

L'interpellé se retourne vers nous (l'esprit errant aussi se retourne, ce qui me fait sourire) et s'exclame dans un parfait anglais avec un accent britannique : – Monsieur Clancy et Madame Gordon ! Comment allez-vous ?

Jim répond d'un ton affable, sourire aux lèvres : – Très bien ! Et vous ?

– Comme ça...

L'esprit errant commente d'une voix traînante : – Mon époux dit ça pour vous rassurer... Je le connais ! Il est triste de ma mort et il ne parvient pas à se remarier un jour... Je sais bien qu'il est très déprimé depuis ma mort, qu’il ne me regarde plus, qu'il ne me parle plus, et qu'il ne répond plus à mes remarques...

Lorsque mon regard rencontre celui de l'esprit, ce dernier réplique, les yeux agrandis, d'un ton surpris : – Vous me voyez et m'entendez ? C'est la première fois de ma vie que je rencontre une telle personne...

Je murmure à l'esprit : – Oui, c'est un don que j'ai depuis mon enfance...

Marc Silver me jette un regard étonné et s'exclame : – Mais à qui vous parlez ? En tout cas, pas à moi ! Vous n'allez quand même pas me dire que...

Je lui coupe sèchement la parole : – Je vois les esprits errants et je dois les aider à accomplir leur dernière volonté. Et je remarque que vous êtes suivi par une jeune femme simplement vêtue d'une robe blanche avec des motifs floraux jaune et orange. Elle affirme être votre épouse... C'est avec elle que je parle...

Marc Silver, blême, les yeux dilatés, les sourcils levés, balbutie d'un ton hésitant : – La description... de la jeune femme... est celle de... ma défunte épouse... ma chère Nancy... Comment le saviez-vous ?

L'esprit errant commente d'un ton ironique : – Pourtant il pense : « Quelle est cette sorcellerie »...

Ignorant, les propos de l'entité invisible, je réponds calmement au vivant : – Parce qu'elle se trouve à votre droite.

Le voisin regarde rapidement vers sa droite, puis me fixe d'un air intimidant.

Jim explose d'un ton sévère, ses yeux lancent des éclairs : – Monsieur Marc Silver, cessez de jouer l'étonné ! Soit vous acceptez l'aide de ma femme, soit vous la refusez ! Elle sait très bien de quoi elle parle, un point, c'est tout !

Notre voisin baisse les yeux. Il demeure silencieux pendant plusieurs secondes puis regarde Jim et moi. Il murmure : – Vous affirmez que ma femme, ma chère Nancy, serait un esprit errant ?

Je réponds d'un ton neutre : – Exactement.

– Mais comment est-ce possible, si elle est défunte depuis un peu moins de cinq ans ?

– Simplement parce que tout corps est animé par une âme... Et que la mort est l'abandon définitif de celle-ci du corps...

– Êtes-vous sûre que l'âme existe vraiment ? Les histoires de revenants et de maisons hantées, c'est bon pour des films d'horreur et non en réalité...

Jim intervient d'un ton sévère : – S'il vous plaît, au lieu de détourner le sujet de discussion, pouvez-vous au moins écouter ce que ma femme veut vous dire ?

Marc maugrée : – D'accord, j'ai compris !

Il enchaîne sur un ton neutre : – Alors, que voulez-vous savoir ?

Nous marchons jusqu'au parc de la ville. Marc s'assied sur un banc, Jim et moi sur un banc à côté. Là, nous continuons notre conversation. Je me retourne vers Nancy Silver, qui se trouve à la droite de son époux, et murmure : – Pouvez-vous nous dire pourquoi vous restez encore ici ?

Elle me répond d'un ton triste : – Je veux que mon mari tourne la page sur mon décès et qu'il se remarie, car il est encore jeune et peut fonder une famille avec une autre femme. Je ne serais point jalouse, car je veux seulement qu'il trouve une femme qui le mérite bien. Et surtout, qu'il ne donne pas à sa future épouse l'alliance qui était la mienne, car j'ai compris qu'elle était maudite... C'est pourquoi je suis décédée il y a cinq ans, en août 1997, à Longview, dans notre maison.

Des larmes coulent silencieusement sur mes joues tellement je suis touchée par son récit. Je pense : « Que le Seigneur nous protège d'une telle situation ! En espérant que ce n'est pas encore Carl Neely qui soit derrière le coup... »

Devant les regards intrigués que me lancent Jim et Marc, j'inspire profondément pour me ressaisir, racle ma gorge puis leur rapporte à voix basse : – Nancy affirme qu'elle veut, Monsieur Marc Silver, que vous trouvez une femme qui vous méritera bien. Elle vous assure qu'elle n'en serait point jalouse, puisque vous avez encore la vie devant vous... Cependant, elle ne veut pas que vous utilisiez la même alliance que lors de votre mariage, car celle-ci a été maudite, responsable de la mort de votre épouse...

Étonné, Marc commente : – J'ignore si ce n'est qu'une histoire superstitieuse que des objets peuvent être ensorcelés, mais je peux confirmer que ma chère épouse est morte d'une crise cardiaque... Mais, a-t-elle la preuve que la bague est responsable de sa mort ?

Nancy soupire. Je soupire aussi.

Je tourne mon regard vers l'esprit errant, qui me sourit puis dit d'une voix songeuse : – Marc, tu es toujours aussi incrédule... Ma mort n'en est pas une preuve suffisante ? Moi aussi j'étais incrédule lorsque mes rêves m'ont révélé que mon alliance a été maudite par le bijoutier-joaillier de Longview, alors possédé par un sombre esprit...

Je rapporte ses propos d'une voix blanche, en fixant Marc : – Votre épouse vient de dire que vous êtes toujours aussi incrédule... Quelle preuve supplémentaire voulez-vous ? Votre épouse aussi était incrédule lorsque ses rêves l'avaient avertis du danger que représentait son alliance, sauf qu'elle l'avait compris trop tard... C'était le bijoutier-joaillier qui avait maudit son alliance, car il était possédé par un sombre esprit...

Je pense, exaspérée : « En espérant que l'esprit qui avait possédé le bijoutier n'était pas l'un des sorciers tchèques ou encore Romano... »

Marc me jette un regard étonné, comme s'il disait : « C'est sérieux ? »

Nancy, Jim et moi soupirons à l'unisson devant son scepticisme.

Je gémis : – Pourtant, c'est sérieux...

Je remarque, à ma droite, que Jim lui jette un regard noir. Je serre la main gauche de mon époux pour le calmer.

Je comprends très bien sa colère. Je pense simplement : « Dieu soit Loué que je ne suis pas mariée à un tel homme ! »

Je me racle la gorge puis répète d'un ton sévère : – Je vous assure que ce sont les propos de dire votre défunte épouse, qui est une âme errante... Et il est vrai que je la vois, comme je vous vois, sinon je ne pourrais point vous rapporter ses paroles...

Marc demeure silencieux pendant quelques minutes, le regard baissé. Il brise le silence en murmurant : – Et alors, qu'est-ce que mon épouse vous a dit ?

Nancy répond d'un ton brusque : – J'ai dit que tu peux te remarier, mais ne donne pas à ta prochaine épouse mon alliance... Ne cherche pas à économiser de l'argent ! Tu achèteras alors une autre bague ! Et, pour être sûr qu'il ne la donne pas à sa prochaine épouse, je lui recommanderais de la jeter dans les ordures, où est sa place... Et je ne peux qu'ajouter que soit maudit celui qui a maudit cette alliance ! On ne dit pas pour rien œil pour œil et dent pour dent !

Je souris malgré moi, mais je me ressaisis pour rapporter les paroles de l'esprit errant d'un ton sérieux : – Votre épouse vous permet de vous remarier, mais à la condition de ne pas donner la même alliance à votre prochaine femme... Il vous faudra simplement acheter une autre alliance et jeter celle de votre première épouse dans les poubelles. Et elle conclut en ces termes : que la malédiction se retourne contre son auteur... On ne dit pas en vain œil pour œil et dent pour dent ?

Le voisin me regarde d'un air incrédule, comme s'il venait d'entendre Dieu sait-quoi qui sort de l'ordinaire. Il demeure coi pendant plusieurs minutes, comme s'il ne savait pas que dire. Je lui adresse mon plus beau sourire innocent, comme pour dire : « J'ai fait ma part du travail... Je ne peux pas faire plus... À vous d'agir en conséquence ! » Un silence lourd plane. 

Nancy s'exclame, visiblement énervée : – Qu'est-ce qu'il y a de compliqué dans ce que je veux ?

Je répète : – Votre épouse semble très énervée... Elle se demande ce qu'il y a de compliqué dans ce qu'elle veut ?

Marc ne répond pas; il me regarde d'un air étonné, les yeux exorbités, la bouche entr'ouverte. Il balbutie : – Si je comprends bien, ma Nancy veut que je me débarrasse de son alliance et que je puisse me remarier ? Je voudrais bien vous croire, mais c'est trop irréel...

Je réplique d'un ton sérieux, en le fixant droit dans les yeux : – Pourtant, tels sont les propos de votre défunte épouse... Au moins, débarrassez-vous de son alliance afin qu'elle trouve enfin la paix. Et ce n'est pas du tout une question de conviction personnelle en la croyance en une vie dans l'Au-delà, mais simplement un constant d'une femme qui voit l'esprit errant qu'est devenue Madame Nancy Silver... Pouvez-vous au moins faire ça ?

Marc est silencieux. L'esprit et moi soupirons à l'unisson. Je suis exaspérée de son scepticisme... Mon époux me serre la main gauche en signe d'encouragement.

Jim se racle la gorge puis s'exclame d'un ton sévère, mine plissée, comme s'il est un peu fâché de la réaction du voisin : – Monsieur Silver, merci pour cette discussion. Je pense que ma femme vous a tout dit ce qu'elle avait à vous dire. Ensuite, à vous de la croire ou pas ! Sur ces belles paroles, passez une bonne journée !

Le voisin réplique : – Pareillement pour vous, Monsieur Clancy et Madame Gordon !

D'un bond, Jim et moi nous levons du banc sur lequel nous étions auparavant assis. Nous revenons tranquillement dans notre maison. Une fois entrés à l'intérieur, je m'exclame : – Je n'ai jamais vu une telle réaction !

Jim réplique : – C'est son problème s'il joue le «Monsieur très-sceptique-qui-ne croit-qu'en-ce-qu'il-voit» !

Je souris malgré moi puis murmure : – C'est vrai... Tu as raison... Moi, la seule chose qui me préoccupe dans toute cette histoire, c'est d'être certaine que Nancy Silver partira dans la Lumière...

Il murmure en câlinant ma main droite de sa main gauche : – Ne t'inquiète pas, ma chérie, chaque cas d'esprit en son temps...

Je serre sa main qui câline la mienne, en pensant : « Que le Seigneur assiste cette pauvre âme perdue ! »

Jim ajoute d'un air coquin : – Et si l'on se changeait un peu les idées...

Il m'embrasse, me soulève dans ses bras et me transporte jusqu'à notre chambre.





Le 17 janvier 2002, vers 9 h 00.


Jim est à l'Université Rockland, pour suivre son cours. Je reviens du marché avec les commissions. Une fois que tout est rangé, je me rends au salon pour continuer mon tricot. Je remarque qu'un esprit est apparu devant moi : Nancy Silver. Cette dernière a un sourire aux lèvres. Elle s'exclame : – Merci, Madame ! Je vais enfin partir dans la Lumière !

Les yeux agrandis de surprise, je balbutie : – Comment êtes-vous parvenue à convaincre votre mari de réaliser votre dernière volonté ?

Sourire énigmatique aux lèvres, elle répond : – Une dame... qui prétend être une Observatrice, m'a convaincu d'agir sur mon époux en le possédant temporairement, de sorte que j'ai profité de ce temps pour jeter l'alliance maudite dans la poubelle ! Et moi, enfin rassurée, je pars ! Je vois la Lumière ! C'est amour, c'est joie et bonheur !

Moi, émue jusqu'aux larmes, je pleure silencieusement. Je murmure : – Cette lumière est pour vous... Bon voyage et plus de chance dans votre prochaine vie !

Et l'esprit, yeux brillent d'une lueur irréelle et un grand sourire aux lèvres, disparaît de ma vue. Nancy Silver est partie dans l'Autre Monde. Je soupire de joie et je sèche rapidement mes larmes avec un mouchoir. Je reviens ensuite à mon tricot, en pensant : « Que le Seigneur soit loué ! Un esprit errant de plus dans la Lumière ! »



Vers 12 h 15, Jim revient de son cours. Nous nous attablons et je lui rapporte, chemin faisant, les propos de Nancy Silver. Il commente simplement : « Enfin un autre cas qui ne soit pas compliqué ! Et heureusement que les Observateurs sont très collaboratifs... De sorte que je me demande s'ils font plus qu'observer... Disons que je les trouve trop actifs pour des esprits qui ne font que regarder ce qui se passe... » Je souris malgré moi à sa blague.

Après la vaisselle, il m'embrasse tendrement sur les lèvres; je lui rends son bisou.



En après-midi, je reviens enfin à mon tricot sans être dérangée par un esprit errant. Jim est en face de moi, avec son cahier de notes sur ses genoux.



Et le soir, je m'endors dans les bras de Jim après avoir récité la prière. Heureusement, la nuit est tranquille.





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