Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 17 : Le nouveau voisin hanté

7815 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/03/2024 11:19



9 janvier 2002, 13 h 00.


Je suis au salon en train de tricoter une écharpe. Jim a repris ses cours à l'Université Rockland, où il débute sa session d'hiver. Je regarde à travers la fenêtre, qui donne sur la rue, en me levant du canapé sur lequel je suis assise. Je remarque le nouveau voisin, un grand homme, peut-être d'un mètre quatre-vingt, vers la vingtaine, aux yeux sombres et aux cheveux noirs, avec une barbe de quelques jours. Il est simplement vêtu d'un pantalon de jogging gris, déchargé de sa petite voiture grise. Il vient d'arriver ce matin. Je remarque qu'un esprit errant, un peu à l'écart vers sa gauche, l'observe. Un vieil homme aux cheveux sel et poivre, dont les yeux marron expriment une colère. Il est vêtu d'une chemise brune à carreaux et d'un pantalon de complet beige foncé. L'esprit errant déplace une boîte de déménagement du coffre, qui est presque tombée sur le pied gauche du voisin. Je ne peux pas m'empêcher de sursauter.

Je pense : « Qui est cet esprit qui cherche ainsi à se venger de notre nouveau voisin... Je dois aider cette pauvre âme perdue ! »


Je sors à l'extérieur. Le nouveau voisin se retourne vers moi, visiblement étonné de mon air déterminé. Je lui adresse un sourire très aimable et je me présente : – Bonjour, Monsieur ! Bienvenue à Grandview ! Je suis Madame Melinda Gordon, votre voisine d'en face. Et je suis mariée à Jim Clancy, un ambulancier qui fait des études en médecine. Moi, je suis propriétaire de la boutique d'antiquités The Antique Shop of Grandview. Et vous ?

Le jeune homme bredouille : – Bonjour à vous, Madame Gordon ! Je suis Todd Darger, un graphiste spécialisé en design de site web.

– Enchanté !

Je pense : « Heureusement, hier, j'ai préparé des pierogis à la marmelade ! Je lui ferai un bon accueil. »

Je poursuis d'un ton cordial : – Puis-je vous servir quelques pierogis à la marmelade en signe de bienvenue ? Avec de la confiture de prunes, faite maison.

D'un ton affable, il réplique : – C'est vraiment très gentil !

– Je vous en apporte deux à l'instant !

– Merci beaucoup pour un tel accueil !

Je jette un regard rapide à l'esprit errant qui semble ahuri. L'ignorant, je file jusqu'à ma cuisine, où je range deux pierogis à la marmelade dans un contenant en plastique. Je remarque que l'esprit errant est alors apparu devant moi. D'un ton sévère, il dit : – Vous pouvez me voir ?

Je fixe mon interlocuteur et je réponds calmement : – Oui. C'est un don que j'ai depuis mon enfance.

– Intéressant...

– Eh bien, à moi de vous poser une question...

– Oui, allez-y, Madame...

– Quel est votre nom et quelle est la raison de hanter Monsieur Todd Darger ?

Le front plissé, les yeux qui lancent des éclairs, l'esprit errant répond d'un ton courroucé et sec : – Je m'appelle Lyle Chase. Je poursuis cet homme car il a tué ma petite-fille, ma chère Stacy !

Étonnée, mon cœur bat la chamade et les yeux agrandis par la peur, je pense : « Est-ce que le nouveau voisin serait un criminel payé par Carl Neely ? »

D'une voix tremblante, je questionne l'esprit errant : – Pouvez-vous... me dire... quelques détails au sujet de... la mort de votre petite-fille ?

D'un ton toujours aussi courroucé, il répond : – La pauvre Stacy est morte il y a quelques années, tuée froidement dans le bois environnant de Grandview... J'en suis mort d'inquiétude ! Elle a été portée disparue le 2 octobre 1998, de sorte que je pense qu'elle est morte à cette date-là. Et lorsque les policiers ont retrouvé les vêtements et le pendentif de Stacy, j'ai maudit l'homme qui l'a tué ! Les policiers eux-mêmes doutent que Todd Darger l'a tué pour je ne sais quelle raison... Et vous pensez que je laisserais le meurtrier de ma petite-fille chérie se promener librement dans la ville ? Il faut qu'il soit derrière les barreaux !

Effrayée, les yeux écarquillés par la peur devant la colère de l'esprit errant, je dis d'une voix timide : – Monsieur, comment cela se fait alors que le meurtrier de votre petite-fille ne soit pas arrêté par la police ?

– Parce qu'il avait forcément un contact dans la police, faisant de la sorte qu'il n'a pas été arrêté et jugé coupable d'homicide !

Je pense, encore plus terrifiée, presqu'au bord des larmes : « Oh non ! Sans doute Carl Neely ! »

Lyle Chase, comme s'il a lu mes pensées, dit : – J'ignore qui figure parmi ses contacts dans la police... J'espère seulement que la justice soit faite !

Il inspire et expire profondément. Après quelques minutes de silence, l'esprit errant continue d'un ton sérieux : – Madame, je vous recommande de vous tenir loin d'un tel homme bizarre, car Dieu sait ce dont il est capable... C'est un conseil amical que je vous donne ! Et laissez-moi lui faire justice, puisque personne d’autre ne veut le faire !

Et Lyle Chase disparaît de ma vue. Je soupire et je pense : « Je dois faire une enquête sur son cas ! Mais avant, faisons un bon accueil au nouveau voisin ! »

Je prends le contenant dans lequel j'ai déposé mes deux pierogis et je reviens vers le nouveau voisin. Je lui souris en le remerciant de sa patience. Todd Darger prend le contenant et me remercie de mon chaleureux accueil. Il me promet de le ramener propre demain. Lyle Chase apparaît à sa gauche pour saisir ses poignets, de sorte qu'il lâche maladroitement le contenant, qui tombe par terre. Le nouveau voisin bredouille quelques vagues excuses et ramasse rapidement le contenant et rentre en vitesse dans sa maison. C'est une maison en bois, avec deux petits jardins à l'avant, en ce temps de l'année recouverts de neige. Des marches mènent jusqu'à l'entrée principale. À côté de la maison, un garage, comme notre maison, afin de permettre de stationner une voiture de taille moyenne. Je remarque, par ailleurs, que Lyle Chase le suit et passe à travers la porte d'entrée quelques secondes après que le vivant l’a fermé.


Je file directement dans ma boutique d'antiquités, dans laquelle se trouve Andrea, que je salue et je me rends dans l'arrière-boutique. Là, je fais une recherche sur l'esprit errant de Lyle Chase sur l'ordinateur. Frustrée de ne trouver aucune information, je reviens chez moi. Je me rends dans le garage, qui contient tous les numéros du journal local de Grandview depuis mon arrivée. Je les garde au cas où des esprits errants cherchent mon aide, car je suis bien consciente que tous les avis de décès ne sont pas archivés sur Internet. En relisant les anciens numéros, je parviens ainsi à trouver la date de son décès : 3 avril 1999. Je pense : « Peut-être qu'il est mort d'inquiétude pour sa petite-fille en plus de son âge... Il avait néanmoins 78 ans... »

Contente, je ferme la porte du garage et j'entre dans ma maison, où je reviens à mon tricot au salon. 

Quelques minutes plus tard, je vois devant moi Jean Bude de Guébriant, qui apparaît furtivement et dépose une feuille de papier jaunie sur la table basse du salon. Intriguée, je laisse reposer mon tricot de côté et je lis le message : « Cur impur ! Le Bohemien ne mie expestre la mercy de Jhesucrist. Il n'a aucun sentement moral, l'assassin qui frappe criminellement sa victime ! »

Je pense : « Encore un message sur Carl Neely ? Ah ! Zut ! J'ai oublié de prendre en note le nom de l'esprit tchèque qui le suit partout ! »

L'Observateur, comme s'il a lu mes pensées, dit : – J'ai compris ! Je vous épelle alors son nom et vous le notez...

Je prends mon calepin et un stylo. Il m'épelle le prénom et le nom de l'esprit errant tchèque : Ivo Vláčil.

Je le remercie de son aide et il disparaît de ma vue. Je pense en rangeant mon calepin et mon stylo dans un sac à main beige : « Ainsi, je pourrai creuser un peu plus le rapport de Carl Neely avec la Tchéquie ! »


Je téléphone deux minutes plus tard au professeur Richard Payne, qui accepte de me voir dans cinq minutes à son bureau. Je me rends alors à l'université locale. Il m'accueille, comme toujours, avec bienveillance. Avec l'aide de ses dictionnaires, il me traduit rapidement le message de l'Esprit Observateur : « Cœur impur ! Le Bohémien ne demande pas le pardon de Jésus Christ. Il n'a aucune prise de conscience morale, l'assassin qui frappe criminellement sa victime ! »

Le professeur lève son regard vers moi et commente d'un ton cordial : – Madame Gordon, la moitié du message est en ancien français, l'autre en français moderne. Si la dernière partie est une citation d'un livre qui existe dans le monde, j'ignore sa référence... Je demanderai à mon collègue Élie James et je vous reviens d'ici la fin de la semaine avec une réponse plus complète.

Je murmure d'un ton calme : – Merci encore une fois de votre aide, Monsieur Richard Payne ! Passez une bonne journée !

Il me réplique : – Pareillement pour vous, Madame Melinda Gordon !


Lorsque je sors de l'Université Rockland, bien emmitouflée dans mon manteau d'hiver blanc, j'entends une familière m'apostropher : – Mel ? En visite chez notre ami le professeur ?

Par la voix, je sais immédiatement que c'est Jim qui vient de terminer son cours de la journée. Je me retourne, lui sourit et lui serre la main droite lorsqu'il me rejoint. Il est vraiment mignon vêtu comme un étudiant, avec une veste bleu marine sous laquelle se voit une chemise blanche et un pantalon de complet bleu marine. Devant son regard interrogateur, je lui explique les principaux événements de la journée. Nous revenons ainsi main dans la main chez nous. Une fois à l'intérieur, Jim me fait le commentaire suivant : – Ainsi notre nouveau voisin, Monsieur Todd Darger, serait suivi par un esprit errant qui l'accuse d'être responsable de la mort de sa petite-fille...

Je confirme ses propos d'un mouvement positif de tête.

Jim poursuit sur un ton quelque peu ironique : – ... Et toi, tu veux l'aider à se débarrasser de l'esprit errant ?

Je murmure : Exactement...

D'un ton courroucé, en élevant un peu la voix, dans ses yeux, une inquiétude indescriptible, mon époux s'emporte : – Tu penses sérieusement aider un tel homme ? Moi, je m'y oppose... Tu n'as quand même pas oublié que Carl Neely est un assassin déguisé en policier ? Et si tu penses que notre voisin est son complice, laisse-le avec son esprit errant et ne te mêle pas à son histoire ! Je ne veux pas te perdre une autre fois, ma chérie !

Je câline le bras droit de mon époux pour le calmer. Je suis très effrayée par sa colère. Honteuse, je baisse les yeux et je fixe sa main droite. Sur le bord des larmes, je dis d'une voix chevrotante : – Jim, ne t'inquiète pas pour moi... J'ai l'impression que je dois aider notre pauvre voisin, car l'esprit semble revanchard... Je serais prudente, promis...

D'un ton sévère, il réplique : – Pourtant, tu m'avais dit la même chose avec Carl Neely et j'ai failli te perdre !

Je bredouille : – Je comprends... ce dont tu me reproches... mais je ne pourrais pas supporter... qu'un homme soit ainsi traqué par un esprit en colère... C'est terrible...

Nous demeurons silencieux pendant quelques minutes.

Jim se racle la gorge puis murmure d'une voix douce : – Désolé, Mel, je ne voulais pas te faire peur. Mais je te donne seulement mon avis.

Je murmure : – Je comprends... Et c'est correct...

Jim m'enlace; je m'appuie contre sa poitrine et il me berce doucement. Je comprends qu'il est sincèrement désolé de son emportement, mais je l'aime quand même.... Il est tel qu'il est, naturel, sincère, masculin et rassurant... Au bout de quelques minutes, mon mari m'embrasse sur le front, les joues et les lèvres. Je lui rends son bisou sur les lèvres pour lui montrer que je ne suis pas fâchée contre lui. Je serre ses mains entre les miennes et je le regarde droit dans les yeux : les éclairs de colère ont disparu. Je souris et je pleure même presque de joie. Je m'empresse alors de sécher mes larmes pour ne pas trop l'inquiéter.

Jim regarde sur sa montre, se racle la gorge puis murmure d'une voix douce : – Ma chérie, qu'est-ce qu'on mange pour le souper ?

Je réponds d'une voix calme : – Des kalitki.

– Eh bien ! Moi, j'ai faim !


Je lâche les mains de Jim pour me rendre d'un pas rapide jusqu'à la cuisine, où je réchauffe nos portions de kalitki au four puis nous nous attablons. Une fois la vaisselle faite, je tente de convaincre Jim que je dois résoudre le cas de Lyle Chase. Il me recommande prudence ; je l'embrasse sur les lèvres pour faire taire ses protestations. Nous entendons un bruit sourd de l'extérieur. Intrigués, nous nous dirigeons jusqu'à la fenêtre du salon pour y regarder discrètement ce qui s'y passe. Nous voyons Todd Darger en train de grimper sur une grande échelle afin de barricader toutes les fenêtres de sa maison. En effet, nous remarquons qu'il a fermé tous les battants des fenêtres avec une planche en bois. Jim commente ironiquement : – Et toi, tu voudrais aider un type si bizarre... Mon conseil : laisse-le avec ses problèmes... Qu'il les règle comme il le peut !


Je vois derrière le dos du nouveau voisin Lyle Chase qui le fixe puis qui le pousse, sauf qu'heureusement, il tient son équilibre. Je crie à Jim : – Il est en danger, car Lyle Chase s'acharne à le tuer ! Tu n'es pas ambulancier pour rien !

Mon époux marmonne quelque chose, prend sa trousse de premier soin, puis nous sortons en trombe à l'extérieur, devant la maison de notre nouveau voisin. Je hurle à l'intention de l'esprit errant, qui agite de plus en plus l'échelle : « S'il vous plaît, ne tuez pas Monsieur Todd Darger ! »

Étonné, le voisin regarde vers ma direction, puis il descend rapidement de l'échelle. Je remarque du coin de l'œil que Jim s'assure qu'il n'a pas été blessé, car il a néanmoins raté les deux derniers échelons.

L'esprit errant apparaît devant moi; nos regards s'affrontent. Il me réplique sèchement : – Pour qui vous prenez-vous pour me parler sur ce ton ?

Je réponds calmement : – Je veux seulement comprendre votre histoire afin de vous aider à quitter le monde ici-bas... Avant de penser à la vengeance, il faut comprendre ce qui s'est passé à votre petite-fille... Peut-être que Monsieur Todd Darger sait quelque chose...

Lyle Chase, d'un ton courroucé, explose : – Bien évidemment qu'il va le savoir puisqu'il est son assassin ! Et vous vous attendez à quoi !? Qu'il avoue son crime ? Vous êtes vraiment trop naïve, jeune dame ! Laissez-moi régler son cas avec lui et tout sera dans l'ordre !

Je marmonne, les larmes au coin des yeux : – Il n'y a que deux possibilités: soit vous avez raison de l'accuser (et c'est alors un homicide), soit vous avez tort (et vous vous acharnez sur un homme innocent).

L'esprit errant me jette un regard noir puis disparaît de ma vue pour reapparaître face au nouveau voisin. Ce dernier, allongé à même le sol, me regarde d'un air étonné. 

Jim commente : « Monsieur, vous avez beaucoup de chance... Vous n'avez qu'une foulure à votre cheville droite. »

Todd Darger murmure : « Merci, Monsieur... »

Mon époux réplique d'un ton sérieux : – Jim Clancy.

Todd s'éclaircit la gorge puis dit d'un ton sérieux : – Madame et Monsieur, connaissez-vous quelqu'un qui pourrait m'aider ?

Jim, d'un regard de dessus, d'un sévère : – Par rapport à quoi ?

– Je soupçonne bien qu'un esprit me suit, sauf que je ne le vois pas, mais je sais qu'un habitant de Grandview m'aidera... Tout bizarre que cela puisse paraître, j'ai compris ça dans l'une de mes visions il y a un mois...

Jim et moi, ébahis devant un aveu si personnel, demeurons muets.

Todd Darger continue son explication : – ... Je dois vous avouer que j'ai des visions du futur, ce qui me trouble beaucoup... Et si je pense être suivi par un esprit, c'est en raison des étranges phénomènes dont je suis témoin, à savoir les battants des armoires ou des tiroirs qui s'ouvrent soudainement, des ampoules qui s'allument et s'éteignent rapidement ou encore qui éclatent, entre autres...

Je lève ma main droite comme une écolière gênée et je dis d'une petite voix : – Je peux vous aider, Monsieur Todd Darger, car je vois les esprits errants depuis mon enfance... D'ailleurs, j'ai bien remarqué que l'esprit errant d'un vieil homme aux cheveux sel et poivre, aux yeux marron, vêtu d'une chemise brune à carreaux et d'un pantalon de complet beige foncé vous suit. Il se nomme Lyle Chase. Et j'ai l'impression qu'il vous suit depuis votre arrivée à Grandview... Que savez-vous à son propos ?

– Il est le grand-père de Stacy, une camarade de classe du Pensionnat de Grandview. Mais, si vous le voulez bien, je vous propose de discuter à l'intérieur... Je vous invite dans mon salon.

Je jette un regard vers mon mari, qui aide notre nouveau voisin à se lever de manière sécuritaire. Jim me jette un regard interrogateur, comme s'il hésite à le suivre ou non.

Je m'approche de Jim et lui murmure en russe : « Nous n'avons rien à perdre de l'écouter. Au moins pour entendre sa version des faits concernant Stacy Chase... D'ailleurs, s'il y a un danger, tu es là pour nous sauver, non ? » Je lui fais un clin d'œil complice, ce qui fait apparaître un sourire sur le visage de mon époux. Ce dernier murmure dans la même langue un « oui » à peine audible.

Ensuite, il s'éclaircit la voix et s'adresse à Todd Darger : « Monsieur, nous acceptons d'être vos invités... »

Et notre amphitryon se traîne jusqu'à la porte d'entrée de sa maison, qu'il ouvre. Jim et moi le suivons. Nous nous rendons au salon en passant par un couloir simplement peint en bleu pâle. Le salon est une grande pièce contenant deux canapés, entre lesquels se trouve une table basse en bois laqué. Les canapés sont de couleur beige, comme les murs de la pièce. Des grandes fenêtres, à cette heure-là cachées par des rideaux de couleur beige orangé, donnent sur la rue. Dans un coin, un meuble de télévision où une petite télévision analogique noire trône au milieu. Le parquet est, bien sûr, laqué. Notre amphitryon, d'un geste de sa main droite, nous désigne un canapé. Jim et moi nous asseyons immédiatement; Todd Darger s'assied sur l'autre canapé. Il dit d'un ton sérieux : – Monsieur Clancy et Madame Gordon, vous devez savoir que je n'ai pas tué Stacy Chase, mais plutôt, je l'ai sauvé d'une mort certaine...

Je remarque que Lyle Chase vient d'apparaître à la gauche de notre nouveau voisin. Il semble sceptique par ses propos.

Je commente : – Monsieur Lyle Chase est à votre gauche et il semble étonné par ce que vous nous dites.

Todd Darger soupire puis réplique : – Pourtant, c'est la vérité ! Je dois vous avouer que je suis amoureux d'elle... La pauvre Stacy s'est confiée à moi au sujet de la sévérité de son grand-père paternel, Lyle, qui s'opposait alors à notre union, de sorte qu'il la plaça dans le pensionnat de Grandview afin d'être rééduquée.

Lyle Chase intervient durement : – Je la trouvait trop frivole à mon goût ! Un peu de discipline était la bienvenue !

Je m'éclaircis la voix puis commente : – Lyle Chase considère que Stacy était trop frivole à son goût et que la discipline du pensionnat était la bienvenue !

Je vois que les yeux de Todd s'agrandissent d'étonnement. Il s'écrie : – Il dit ça parce qu'il est un vieux grincheux !

Lyle Chase, lueur de colère dans les yeux, front plissé de colère, hurle : – Vous voyez comment il parle de moi !? Quel manque de respect envers moi !

Je réplique calmement : – Monsieur Chase semble offusqué de la manière dont vous parlez de lui... Il trouve que c'est un manque de respect.

Todd roule des yeux pour toute réponse et fixe la table basse pendant quelques secondes. Il murmure : « Qu'est-ce que je disais ? … Que j'étais amoureux de Stacy (et je le suis encore)... » Il soupire, puis poursuit son récit d'un air neutre, en promenant son regard de Jim à moi : – Nous nous rencontrons en secret, Stacy et moi, à l'insu de son grand-père, après les heures de classe...

Jim intervient d'un air sérieux, sourcils froncés : – Et les parents de Stacy, ils étaient où ?

Todd hausse les épaules et répond : – Elle était orpheline en bas âge. De sorte qu'elle était élevée par ses grands-parents paternels...

Todd continue d'un ton sérieux : – Mais que je reviens à ce qui vous intéresse... En septembre 1998, des visions terrifiantes se présentent à mon esprit: un homme en gris caché derrière un arbre dans le bois environnant de Grandview, la tue froidement de dos...

Je m'écrie d'une voix, malgré moi, tremblante, les yeux écarquillés de peur et le cœur battant la chamade : – L'homme en gris, c'est Carl Neely, un policier de Grandview !

Todd, les yeux devenus encore plus grands d’étonnement et la bouche entr’ouverte comme pour dire quelque chose, sauf qu'aucun son n'en sort, se racle la gorge puis demande d'une voix neutre : – Comment pouvez-vous en être si certaine ?

Un petit sourire gêné, les larmes me montant aux yeux, je réponds : – C'est une longue histoire... Mais je vous assure que c'est la vérité...

Todd s'éclaircit la voix et ajoute d'un ton sérieux, alors que son regard se promène de Jim à moi et inversement : – J'en ai averti Stacy et nous avons convenu d'un plan pour la sauver. Nous avons simulé sa mort dans les bois environnants, en laissant des vêtements tachés de sang animal et le pendentif que son grand-père lui avait fait cadeau... C'était un policier qui était complice qui a mené entre guillemets l'enquête, concluant la mort de Stacy. La nuit de sa mort, elle est partie, déguisée sous une fausse identité que je connais, vivre à Longview, afin que son assassin ne la retrouve pas...

Paniquée, le cœur en chamade, je me demande : « En espérant qu'il n'est pas Carl Neely ! »

Je fixe Todd, puis d'une voix faible sous l'effet de l'émotion, je commente : - Si ce n'est pas trop indiscret, qui est votre complice ?

– Paul Eastman... Mais, s'il vous plaît, ne le trahissez pas, car il est un policier spécial et honnête...

Je pense aussitôt, soulagée : « Ouf ! Au moins, il a un bon complice... »

Todd, remarquant mon front plissé d'inquiétude puis de soulagement, me questionne : – À voir votre expression, on dirait que vous avez imaginé Dieu sait-quoi...

J'opine : – En effet, je pensais que Carl Neely était votre complice, de sorte que je craignais qu'il soit l'assassin qui soit parvenu à gagner votre confiance afin de pouvoir retrouver sa victime...

Todd murmure en me fixant droit dans les yeux : – Je comprends votre réaction...

Le sourire aux lèvres, j'ajoute : – Inutile de préciser davantage sur le don de Paul Eastman, qui est aussi notre ami...

Lyle Chase, jusqu'à là silencieux, s'exclame : – Comment pouvez-vous être sûr ? Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer ce dont vous parlez ? Car pour moi, peu importe de quel policier il est question, celui-ci est complice avec Todd Darger pour me faire croire que ma Stacy est morte...

Étonnée de l'intervention de l'esprit errant, je tourne mon regard vers lui et je réplique : – Monsieur Lyle Chase...

Remarquant les airs étonnés de Jim et de Todd, j'ajoute aussitôt : – ... veut savoir comment nous pouvons être si certains dans ce que nous affirmons. Pour lui, peu importe le nom du policier, ce dernier est un complice dans la simulation de la mort de Stacy... Et il veut des explications supplémentaires...

Todd soupire puis répond : – Simplement, Monsieur Paul Eastman et moi avons sauvé Stacy d'une mort certaine. Je vous explique: depuis mon enfance, j'ai remarqué que je voyais en rêve des événements du futur... Et je les tiens pour véridiques, car ils se réalisent la plupart du temps, de sorte que je prends très au sérieux mes rêves...

Il s'interrompt brièvement et poursuit d'une voix étranglée : – C'est ainsi qu'en septembre 1998, les mêmes visions se répétaient nuit après nuit: un homme en gris caché derrière un arbre ou derrière un arbuste, qui guette quelqu'un. Et je vois Stacy, vous savez, une belle blonde aux yeux bleus, alors âgée de dix-huit ans, passer devant la cachette de l'homme en gris, qui la vise de dos... C'était un cauchemar ! C'est pourquoi j'en ai averti Stacy après son cours de littérature, le 20 septembre... Je n'oublierais jamais l'expression de peur qui s'était alors gravée sur son visage... La pauvre ! Moi aussi, je craignais pour elle... Comme j'étais ami avec Paul Eastman, un sympathique jeune policier vers la vingtaine, je lui explique la situation...

J'interviens d'un ton cordial : – Excusez-moi, puis-je vous poser une question ?

Surpris, Todd réplique : – Bien sûr...

– Depuis quand êtes-vous ami avec Paul Eastman et comment vous êtes-vous rencontrés ?

Pensif, mon interlocuteur demeure silencieux pendant quelques minutes. Il s'éclaircit la voix et répond d'un ton sérieux :

– Paul Eastman et moi sommes amis depuis un an, puisqu'il m'a évité de justesse un accident de la route, car un automobiliste a failli me heurter en janvier 1997... Paul Eastman m'a sauvé la vie en disant que l'esprit errant de ma grand-mère maternelle, Diana, voulait alors m'avertir d'être prudent lorsque je traverse la rue Suigant...

Les sourcils froncés, je pense, perplexe : « J'ai l'impression d'avoir déjà entendu le nom de cette rue... Mais quand et dans quelles circonstances ? »

Todd aussi sérieux, dont le regard se promène de Jim à moi et inversement, continue : – Et Monsieur Paul Eastman m'a abordé quelques secondes avant que je ne traverse la rue. C'est ainsi que j'ai appris son don, ce qui fait en sorte que je n'ai pas traversé la rue… Et que je suis vivant.

Je commente : – Jim et moi savons au sujet du don de Paul Eastman, car mon époux est son ami depuis ses études d'ambulancier...

Todd, dont un petit sourire furtif apparaît sur son visage, réplique d'un ton joyeux : – Dans ce cas, nous avons un ami commun !

Jim et moi hochons discrètement la tête.

Notre nouveau voisin poursuit son explication sur un ton sérieux après s'être éclairci la gorge : – Et c'est Paul Eastman qui a fourni les faux papiers à Stacy. Elle est à Longview, sous le pseudonyme de Darlene Wilson... Mais, s'il vous plaît, ne la trahissez pas, pour que son assassin ne la retrouve pas...

Jim, d'un ton chaleureux, commente : – Ne vous inquiétez pas, Monsieur Todd Darger, nous ne soufflerons pas un mot à quiconque dans notre ville. Nous demeurons discrets, promis !

Je confirme les propos de mon mari par un mouvement affirmatif.

Notre interlocuteur, dont les yeux et le visage s'illuminent de joie, s'exclame : – Merci beaucoup ! On est alors amis ?

Jim et moi, après s'être entr’observés pendant quelques secondes, confirmons à l'unisson : – Oui !

Lyle Chase fronce des sourcils, mais demeure coi.

Todd, pensif, fait remarquer d'un air plaintif : – Alors, est-ce possible de la marier ? Je l'aime de tout mon cœur et cette séparation est très dure pour moi... Je sais que je ne me marierai qu'à Stacy...

Jim, d'un ton amusé, réplique : – Vous pouvez toujours la courtiser malgré son pseudonyme...

Il lui fait un clin d'œil complice puis ajoute aussitôt : – Ainsi, vous augmentez vos chances d'être un jour père... Ce qui apportera un peu de joie dans votre nouvelle maison.

Todd, faible sourire aux lèvres, murmure : – Vous avez raison, Jim. J'y vais dès que je me rétablis !

Jim serre ma main gauche. Je lui jette un regard complice; ses yeux bleus brillent d'une certaine lueur de joie.

Todd s'éclaircit la voix et dit d'un ton neutre : – Et c'est Paul Eastman qui a réglé tous les faux papiers et qui a fait l'enquête en consignant dans son dossier son soi-disant décès.

Lyle Chase, rassuré, dit d'un ton sévère : – Pourquoi ne m'avez-vous pas alors averti ?

Je rapporte les propos de l'esprit errant sur un air un peu théâtral : – Bon ! Voilà Monsieur Lyle Chase qui se demande alors pourquoi vous ne l'avez pas averti ?

Todd répond d'un ton sérieux : – Simplement parce que je ne pouvais pas risquer la découverte de son pseudonyme. Moins de gens connaissent la vérité, moins il y a de danger que notre jeu s’ébruite… Et si une rumeur part sur son pseudonyme,  son meurtrier peut toujours retrouver Stacy et la tuer... Je voulais être sûr qu'elle soit en sécurité, d'où mon hésitation à la rejoindre...

Lyle Chase réplique d'un ton ironique : – Eh bien, prouvez-moi que Stacy est encore vivante !

Et l'esprit errant disparaît de ma vue. Je soupire et je ramène mon attention vers Todd. Je fais remarquer d'un ton tendu : – Et Lyle veut que vous lui prouvez que Stacy est encore vivante...

Todd se lève du canapé et s'exclame, mi-courroucé mi-joyeux : – S'il veut la preuve, venez avec moi ! Je vous amènerai jusqu'à elle, afin que vous en soyez convaincu de ma sincérité !

Jim jette un coup d'œil rapide à sa montre et dit d'un ton sévère : – On se calme... Vu l'heure tardive, nous irons demain... Ça vous convient ?

Je commente : – Après mes commissions, si cela vous convient ?

Todd : – Oui ! Pas de problèmes !

Jim lui sourit puis conclut : – Merci à vous, Monsieur Todd Darger ! Sur ce, passez une bonne journée !

– Pareillement pour vous !

Jim et Todd se serrent cordialement la main droite et Jim et moi revenons chez nous. Une fois la porte refermée, mon époux me serre les épaules et murmure : « Nous prendrons toutes les précautions avec Todd et je t'accompagnerai... Je ne suis pas tout à fait rassuré quant à ses intentions... »

Je l'embrasse sur les lèvres pour le faire taire puis je lui réplique : « Ne t'inquiète pas ! Je sais ce que je fais ! » Il m'enlace pour toute réponse. Nous nous endormons enlacés. La nuit est tranquille, sans aucun cauchemar.



Le lendemain, vers 8 h 00, Jim et moi décidons, après notre petit-déjeuner, de régler définitivement le cas de Lyle Chase. Heureusement, mon époux n'a pas de cours, de sorte qu'il tenait à m'accompagner, car il est néanmoins méfiant envers notre nouveau voisin. Je dois frapper une autre fois à la porte pour que Todd me l'ouvre lentement.

Avec mon plus beau sourire, je dis : – Monsieur Todd Darger, comment avez-vous apprécié les pierogis à la marmelade ?

D'un ton neutre, mon interlocuteur répond : – Elles sont excellentes. Merci pour un si sympathique accueil ! Et merci de m'avoir écouté hier !

D'une petite voix, je réplique : – Il n'y a de quoi...

Je remarque derrière lui Lyle Chase qui le fixe avec insistance. Il s'écrie : « Il ne lui reste plus qu'à me prouver que Stacy est vivante ! »

Je souris à l'esprit puis je tourne mon regard vers Todd, m'éclaircis la gorge puis je murmure d'un ton neutre : – Lyle Chase est impatient... Il insiste pour que vous lui prouvez que Stacy est vivante...

En s'adressant à la fois à Todd, à Jim et à Lyle, je dis d'une voix cordiale : – Si cela vous convient, je fais mes commissions, puis mon époux et moi vous suivrons volontiers jusqu'à votre bien-aimée, et ainsi, je l'espère, convaincre Lyle Chase de partir dans la Lumière, lieu où vont toutes les âmes après s'être séparées définitivement de leur corps...

Tous les trois confirment mes propos d'un mouvement positif de tête, ce qui me fait sourire.

Contente, je reviens chez moi pour y laisser le contenant en plastique sur le comptoir de la cuisine. Au passage, je prends mon sac à dos vert, deux sacs et bien sûr, ma liste d'épicerie pour faire les commissions. Je me rends d'un pas rapide au marché, car je ne cesse de penser que je règlerais bientôt le cas de Lyle Chase.


Lorsque je fais mes commissions au marché de Grandview, je remarque le professeur Richard Payne à la caisse voisine. Je l'apostrophe : – Monsieur Payne !

L'interpellé se retourne vers moi. Il réplique d'un ton mi-joyeux mi-étonné : – Madame Gordon ! Content de vous voir ! Bonne nouvelle ! J'ai trouvé hier, avec l'aide de mon collègue Élie James, la signification de la dernière phrase du texte que vous m'avez montré ! Il m'a dit que la phrase « l'assassin qui frappe criminellement sa victime » est une citation de l'écrit du Révérend père G. de Pascal intitulé Philosophie morale et sociale...

Richard Payne sort de la poche intérieure de son manteau une feuille de papier qu'il lit : –... Publié en 1894... Plus précisément, la page quatre-vingt-seize de premier tome intitulé Philosophie morale, publié à Paris, chez le libraire-éditeur P. Lethielleux.

– Merci beaucoup, Monsieur Payne ! Et remerciez votre collègue en mon nom ! Désolé de mon empressement, mais j'ai un cas à régler...

Je pense : « J'ai le cas de Lyle Chase à régler... Je n'ai pas de repos avec les esprits errants ! » 

Un sourire se dessine sur les lèvres de mon interlocuteur, qui réplique simplement : – Bonne chance pour le régler au plus vite ! Et passez une bonne journée !

– Pareillement pour vous !

Je paie à la caissière, range rapidement dans mes sacs mes achats puis reviens rapidement chez moi avec les commissions. Jim m'accueille à la porte et m'aide à tout ranger. Ensuite, nous traversons la rue. Jim frappe doucement à la porte de la maison de Todd, qui nous l'ouvre immédiatement. Il est simplement vêtu d'un complet bleu marine et d'une chemise blanche. Todd jette sur ses épaules son manteau d'hiver et dit : – Je vous propose de vous amener jusqu'à Darlene Wilson. Je conduirais ma voiture et vous seriez mes témoins. Ceci vous convient ?

Jim serre ma main droite; je serre sa main gauche qui serre la mienne puis nous nous observons pour hocher simultanément la tête. Sourire aux lèvres et lueur de joie dans les yeux, Todd s'exclame : – Eh bien, embarquez dans la voiture ! Madame d'abord !

D'un geste de sa main droite, il nous invite à entrer dans le petit véhicule gris près du garage. J'y entre, suivie par Jim, sur les sièges arrière. Tout est propre, je dirais même impeccable. Et notre conducteur nous rejoint quelques secondes plus tard, après s'être assuré probablement d'avoir verrouillé la porte d'entrée. Todd attache sa ceinture ; nous faisons de même et Jim serre ma main gauche. Je remarque que Lyle Chase vient d'apparaître sur le siège du co-conducteur.

Je commente d'un ton presque joyeux : « Nous ne sommes pas seuls: Monsieur Lyle Chase est comme co-conducteur... »

Je regarde par la fenêtre de la voiture. Nous passons devant des maisons, en faisant des arrêts aux feux rouges. Todd semble être un bon conducteur. Le ciel est assez nuageux, mais il ne dissuade pas notre nouveau voisin de rejoindre sa bien-aimée. Je pense avec nostalgie à ma première rencontre avec Jim à Longview... Après quelques minutes de paysage monotone – des maisons alignées les unes à côté des autres, de différentes couleurs, ce qui charme mon regard ; sans oublier les nombreux esprits errant aperçus chemin faisant –, enfin le panneau indiquant « Longview » ! À l'entrée de la ville, des souvenirs d'enfance me reviennent à la mémoire. Je me rappelle que sur une rue (dont j'ai oublié le nom), ma sœur et moi étions parvenues à convaincre un esprit errant de partir dans la Lumière... Un premier succès en duo... Je reviens de mes rêveries par le bisou de Jim sur mes joues. Je sursaute; il me sourit et murmure en russe : « Ma chérie, nous sommes arrivés à destination ! » Je l'embrasse en retour. Nous sortons du véhicule, stationné devant un immeuble bien entretenu, devant lequel aucun arbre et arbuste ne s'y trouve. Todd nous sourit et s'exclame d'un ton joyeux : « Maintenant, mes amis, le moment de vérité est arrivé ! » Il se dirige d'un pas sûr jusqu'à la porte de l'immeuble, suivi par Lyle Chase, qui s'emporte ironiquement : « S'il ment, laissez-moi me venger de lui ! »

Je lui réplique mentalement : « Un peu de patience, Monsieur ! Nous le saurons dans quelques minutes ! »

L'esprit errant, Jim et moi suivons Todd, qui se rend jusqu'à un appartement au premier étage. Todd frappe doucement à la porte. Une minute plus tard, une jeune femme vers la vingtaine nous ouvre la porte. Elle est une brunette peut-être d'un mètre quatre-vingt qui inspire confiance, simplement vêtue d'un pull jaune pâle sous lequel se voit un chandail vert et d'un pantalon de jogging vert forêt avec des talons hauts noirs. Je remarque que Lyle Chase fronce des sourcils. Il dit d'une voix courroucée : – Il se joue de moi ! Stacy ne porte jamais de talons hauts !

Je lui réplique mentalement, énervée de son impatience : « Sérieusement, pouvez-vous montrer plus de compréhension ? »

L'esprit errant se renfrogne et demeure coi.

La jeune femme demande d'une voix douce, avec un accent légèrement britannique : – Madame et Messieurs, qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Todd, sourire aux lèvres, répond d'un ton sérieux : – Je suis Todd Darger, de Grandview...

Il nous montre d'un geste de sa main droite : – Et voici Monsieur Jim Clancy et Madame Melinda Gordon, mes deux nouveaux amis...

Il ramène ses mains près de lui et poursuit en ces termes : – Je recherche Mademoiselle Darlene Wilson.

La brunette réplique : – C'est moi-même... Entrez !

Elle nous ouvre la porte. Nous entrons tous, y compris Lyle Chase. Une fois la porte refermée, Darlene Wilson nous invite dans son salon, une humble pièce n'ayant qu'un seul canapé, une table basse, un vieux meuble de télévision en bois et une petite télévision analogique noire. Elle amène de sa cuisine deux chaises en plastique vertes, afin que Jim et moi puissions nous y asseoir.

Todd, d'un geste théâtral, sort de la poche droite de son pantalon de complet une petite boîte à bijoux et la tend à la jeune femme en disant : « Voici un cadeau pour vous, noble dame ! »

Darlene rougit légèrement, baisse ses yeux, fixant la table basse, mais saisit de sa main droite la petite boîte et l'ouvre. De joie, elle lui saute au cou et pleure de joie.

Lyle Chase commente ironiquement : – Il veut me faire croire que la demoiselle est ma petite Stacy... Ce n'est pas du tout elle qui agit aussi émotivement...

Je transmets les paroles de l'esprit errant : – Et voilà Monsieur Lyle Chase qui se demande si la demoiselle est vraiment sa petite-fille Stacy... Ceci ne lui ressemble pas d'être si émotive...

Darlene lâche Todd et me jette un regard interrogateur et dit : – Madame, pourquoi vous me parlez d'un homme que je ne connais point ?

Todd intervient : – Madame Gordon est une femme assez particulière...

Jim se racle la gorge de mécontentement; je m'empresse de prendre la parole : – Mademoiselle, vous devez savoir que nous venons chez vous afin de prouver à votre grand-père, Lyle Chase, ici présent à la gauche de Todd Darger, que vous êtes sa petite-fille Stacy...

La brunette blêmit et une lueur d'inquiétude se lit furtivement dans ses yeux, mais elle se ressaisit aussitôt. Elle se racle la gorge et s'exclame : – Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer qu'est-ce que cette histoire d'esprit ?

Todd soupire et dit d'un ton assuré : – Darlene-Stacy, s'il te plaît, ne sois pas si incrédule ! Je suis hanté par l'esprit errant qu'est devenu ton grand-père Lyle...

Je lève la main droite comme une écolière gênée pour ajouter : – Je vois les esprits errants... C'est un don que j'ai depuis mon enfance...

Darlène : – Hmm... Curieux... Et quoi, alors ?

Je réponds : – Lyle Chase hante Todd... Et il veut une preuve que vous êtes bel et bien sa petite-fille Stacy dont vous avez fait croire la mort afin de vous sauver de votre meurtrier...

Todd se jette à genoux devant la brunette et la supplie en ces termes d'une voix émue : – Tu peux faire confiance à Jim et à Melinda, ils ne nous trahiront point...

Darlène, d'un ton hésitant : – D'accord.

Elle se lève du canapé sur lequel elle est assise, ôte ses talons hauts et... ses lentilles brunes. De sorte que nous voyons qu'en réalité ses yeux sont bleus. Elle se rend aux toilettes et en sort quelques minutes plus tard, sans ses cheveux bruns, mais au contraire, des blonds, laissés librement en cascade sur son dos. Elle s'avance vers Todd et s'exclame d'un ton joyeux, sans aucun accent britannique : – Mon Todd ! Mon amour ! Je n'ai jamais espéré te revoir !

Todd réplique d'un air enjoué : – Moi non plus, Stacy !

Elle sort de sa poche une petite boîte à bijoux qu'elle tend à Todd. Tous les deux se tournent vers Jim et moi en disant à l'unisson : « À partir d'aujourd'hui, nous sommes fiancés ! Nous nous marierons dans quatre mois ! Et vous êtes nos invités d'honneur ! »

Moi, attendrie par la scène, presqu'au bord des larmes tellement je partage la joie de leurs retrouvailles, serre la main gauche de mon époux, qui serre ma main droite. Je tourne mon regard vers Lyle Chase, qui semble visiblement étonné, comme le témoignent sa bouche entr'ouverte et ses yeux écarquillés. L'esprit errant s'exclame d'un ton joyeux : « Mais c'est vraiment ma petite Stacy ! Je me rends à l'évidence ! Les mêmes yeux bleus et la même chevelure blonde de la famille ! Merci, Madame Gordon ! Grâce à vous, je vais quitter le monde d'ici-bas en paix ! »

Je lui souris amicalement et je murmure : – Je ne fais que ce que je dois faire !

Lyle Chase regarde vers sa droite et un grand sourire illumine son visage. Il est serein. Il tourne sa tête vers moi et dit d'un ton sérieux : – Merci encore une fois, de votre aide ! Dites à Todd que je ne suis plus fâché contre lui... Maintenant que je n'ai plus de doute sur sa sincérité, je le bénis et je m'excuse du mal que j'ai pu lui avoir fait. Voulez-vous lui transmettre mes excuses ?

– Oui, bien sûr !

– Ma femme m'attend ! J'arrive, ma Linda !

Et l'esprit errant disparaît de ma vue. Il est parti dans la Lumière. Je pleure de joie sur l'épaule de Jim, qui me caresse doucement pour me calmer. Je pense : « Que Dieu en soit loué ! Un esprit errant de moins à Grandview ! »


Après quelques minutes de silence, je dis d'un ton cordial à Todd et à Stacy-Darlene : – Lyle est parti dans la Lumière, content que vous n'aviez pas menti. Et il vous transmet ses excuses pour tout le mal qu'il a pu vous faire.

Les deux jeunes gens, enlacés, hochent de la tête et disent à l'unisson : – Merci !

– Il n'y a de quoi... Je ne fais que ma tâche de passeuse d'âmes... Rien de plus !

Todd, d'un ton sérieux : – Mais merci pour tout ! Grâce à vous, j'ai enfin trouver l'espoir de me marier à Stacy !

Jim, sourire aux lèvres et lueur de joie dans les yeux, s'exclame d'un ton enjoué : – Merci à vous, Monsieur Todd Darger ! Je pense que ma femme et moi allons revenir chez nous... Nous ne voulons pas vous déranger...

Il fait un clin d'œil complice aux tourtereaux puis ajoute : – Seulement, une dernière question: quand est prévu votre mariage ?

Todd répond d'un ton assuré : – Le dix mai prochain. Et merci encore une fois de votre aide ! Passez une bonne journée !

Jim et moi répliquons à l'unisson : – De même pour vous !


Puis mon époux et moi sortons de l'appartement de Stacy Chase/Darlene Wilson. Une fois à l'extérieur de l'immeuble, Jim murmure : « Ma chérie, je pense que nous retournerons chez nous à pied... Heureusement que nous ne sommes pas très loin de Grandview... De sorte que ceci est une promenade avant midi... »

Je confirme ses propos d'un geste positif de tête. Nous nous promenons ainsi dans les rues de Longview, ce qui me rappelle notre première rencontre et la cour que Jim m'a faite... Que de jolis souvenirs...


Devant la porte de notre maison, Jim l'ouvre galamment et me dit: « Les dames d'abord. » J'entre puis lui aussi, pour ensuite refermer la porte derrière lui. Nous laissons nos manteaux d'hiver sur un porte-manteau à l'entrée du salon, puis nous nous rendons dans cette pièce, près de la table basse et d'un canapé. Mon époux serre mes mains entre les siennes et murmure d'une voix vibrante : « D'accord, Mel, tu as raison... Il faut aider notre pauvre voisin... Je suis désolé de... »

Je comprends immédiatement qu'il voulait dire qu'il s'excuse de son incrédulité et qu'il voulait avouer que j'avais raison. Je le fais taire en l'embrassant sur les lèvres. Après mon baiser, je murmure d'une voix douce en l'enlaçant : « Chacun son métier ! » Jim confirme mes propos d'un mouvement affirmatif de tête. Dans ses yeux bleus, une lueur presqu'enfantine de joie, il me soulève, murmure « J'ai une activité supplémentaire à te proposer avant le midi... » et me transporte ainsi jusqu'à notre chambre. à l'étage. Il me chatouille pendant quelques minutes puis je me libère de son étreinte, en lui rappelant que nous avons faim et qu'il faut réchauffer les pelmani.

Nous dévalons alors les marches pour se précipiter dans la cuisine. Tiraillée par une faim de loup, je m'empresse de faire le service de table puis nous mangeons une fois nos portions de pelmani réchauffées.



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