Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 12 : Impardonnable(s) criminel(s)

5797 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/03/2024 13:28



18 décembre 2001, 14 h 00.


Depuis un certain temps, j'ai un permis de conduire probatoire. J'ai très bien réussi l'examen théorique, avec une note de quatre-vingt-cinq pour cent. Il ne me reste que l'examen pratique, qui aura lieu dans deux jours. Je suis au salon en train de tricoter une autre écharpe pour calmer ma nervosité. Jim a un cours à l'Université Rockland, où il passe l'un de ses derniers examens de la session. Il est heureusement un étudiant très brillant; il rattrape le retard dû à son hospitalisation.

Tout à coup, je vois un esprit errant à ma gauche. Devant son aspect effrayant, je lâche presque mon tricot. C'est un homme vers la trentaine ou la quarantaine, à moitié nu, dont le haut du corps est complètement recouvert de tatouages indistincts. Ses yeux brillent d'une lueur mauvaise, d'une colère à peine cachée. Comme ses cheveux sont bien rasés, il m'est difficile de déterminer exactement son âge. Mais ceci ne change rien quant au malaise de sa présence menaçante qui m’arrache un sursaut. L'esprit errant me fixe; je supporte son regard. Nous sommes demeurés silencieux pendant plusieurs minutes; je ne saurais dire combien de temps précisément, car je n'ai pas regardé l'heure qu'il est. Je ramasse mon courage à deux mains et je me racle la gorge. Sauf que l'esprit disparaît de ma vue. Je soupire et reviens à mon tricot.



Vers 18 h 00, Jim revient de son cours. Je l'accueille par un bisou; il m'embrasse en retour. Je remarque que le même esprit errant est un peu à sa gauche. Je détaille son tatouage : diverses figures abstraites sur le torse et la poitrine, et une tête de bouc est bien visible sur son ventre. Même une partie de son cou est recouvert de motifs floraux ou abstraits, qu'il m'est difficile à identifier. Il est simplement vêtu d'un pantalon de jogging brun clair.

Je murmure à Jim : « Il semble qu'un esprit te suit... »

Mon époux, en regardant rapidement à gauche et à droite, s'exclame : – Peux-tu me le décrire ?

– Oui bien sûr... Il est un homme vers la trentaine ou la quarantaine (ce qui m'est difficile à déterminer, en raison de sa tête bien rasée), dont le haut du corps est recouvert de tatouages et vêtu d'un pantalon de jogging brun clair. Et il est barbouillé de sang...

L'air pensif, après quelques minutes de silence, Jim s'exclame : – C'est l'homme que Bobby et moi avons ramené à l'ambulance lorsque nous avons eu l'accident sur la route, il y a une semaine... Au moins, je viens d'apprendre qu'il n'est plus parmi les vivants, ce qui était à s'y attendre...

L'esprit errant intervient et dit d'un ton courroucé : – Madame, vous devez savoir que j'étais déjà mort lorsque les ambulanciers sont venus... C'est seulement l'homme en gris qui voulait être certain que je suis bel et bien mort...

Un sourire gêné, je commente : – Jim, le monsieur dit qu'il était déjà mort lorsque ton collègue et toi l'avez trouvé... C'est seulement Carl Neely qui voulait être certain que l'homme en question est bel et bien mort...

En tournant légèrement ma tête vers l'esprit, je lui demande : – Monsieur, pouvez-vous me dire votre nom et la raison de rester encore parmi les vivants ?

L'esprit errant répond d'une voix rauque : – Je m'appelle Julian Borgia, et je veux me venger de mon meurtrier.

Je répète d'une voix malgré moi tremblante : – Il s'appelle Julian Borgia et il veut se venger de son meurtrier, à savoir Carl Neely... Je le sais, puisque l'Observateur m'a dit hier la vérité au sujet de l'accident...

Julian Borgia, les sourcils levés d'étonnement : – Vous me dites que vous connaissez l'identité du salaud qui m'a ôté la vie ?

Je hoche discrètement la tête. Je pense : « Malheureusement oui... Pour avoir frôlé de près la mort... »

Je murmure à Jim : – Julian Borgia s'étonne que je sache l'identité de son meurtrier...

En tournant mon regard vers l'esprit errant, je le questionne en ces termes : – Pouvez-vous me préciser certains événements de votre vie ?

Julian Borgia soupire puis répond d'un ton neutre, presque glacial : – Vous devez savoir que cet accident est survenu à ma sortie de prison. Je n'étais qu'un tueur à gages accusé d'homicides avec récidives. De sorte que je venais de purger ma peine de sept ans, pour avoir tué un innocent lors d'un braquage d'une petite banque à Grandview. Cet ordre, je l'ai reçu de mon supérieur, un homme masqué avec des lunettes fumées dont j'ignore l'identité. Durant le temps passé en prison, j'ai compris, après avoir suivi des cours de philosophie en milieu carcéral, que j'ai mal agi toute ma vie, en tuant des innocents... Je voulais refaire ma vie, mais l'homme en gris m'en a empêché... Surtout, je voudrais demander le pardon aux survivants de ma dernière victime et voir mon fils Joseph et ma femme, ma chère Rachel, qui ne savent même pas que je suis défunt...


Émue par son récit, je pleure silencieusement. Devant l'expression d'étonnement de mon époux qui m'enlace fermement dans ses bras pour me calmer, je dis d'une voix tremblante malgré moi : – Il est alors sorti de prison, après avoir purgé une peine de plusieurs années pour avoir tué un innocent lors d'un braquage d'une banque... Il a, par ailleurs, été de son vivant un criminel... Lorsqu'il a suivi des cours de philosophie en prison, Julian Borgia a compris tout le mal qu'il a fait. Et il voulait, une fois sorti de la prison, refaire sa vie, sauf que Carl Neely ne lui a pas permis une telle chose... Il voudrait obtenir le pardon des survivants de sa dernière victime et revoir sa femme et son fils... Comme son histoire est triste ! Mais pourquoi les hommes ne peuvent-ils pas simplement respecter les Dix Commandements et vivre en paix ?

Jim murmure : – On dirait que l'être humain est plus compliqué que ce que tu ne le penses, ma chérie...

Mon époux me serre dans ses bras; je m'appuie contre lui et il me berce.

Julian Borgia sourit furtivement. Sa mine redevient sérieuse et il s'écrie : – Si je me considère comme un homme sans scrupules, et bien l'homme en gris en a encore moins !

Après cette remarque, l'esprit errant disparaît de ma vue. Je pense : « Monsieur Julian Borgia ne m'est pas sympathique, Carl Neely encore moins... Je sais déjà que le policier n'a pas de scrupules, mais encore moins que ce criminel pas très sympathique, je m'inquiète pour son âme... Mais bon ! Ne pensons pas trop à de si tristes individus !

Je murmure à Jim, qui continue à me bercer : – L'esprit a disparu... Son apparition me donne la chair de poule, tout comme l'âme de Carl Neely... Par ailleurs, Julian Borgia dit que s'il est conscient de son manque de scrupules, il affirme que Carl Neely en a encore moins... Je trouve une telle conclusion inquiétante… très inquiète même…

Jim, d'un ton sérieux, réplique : – Au moins, nous nous montrerons plus prudents envers Carl Neely, maintenant que nous savons de ce dont il est capable...

Il se racle la gorge. Nous demeurons silencieux pendant plusieurs minutes. Je suis simplement dépassée par l’absence de moralité en Carl Neely et Julian Borgia… Jim parvient à me faire sortir de mes pensées en me câlinant doucement la main gauche. Il murmure : - Ma chérie, n’as-tu pas oublié notre souper ?

D’une voix songeuse, je réplique : - Non, je n’ai pas oublié notre souper…

Je me libère de son étreinte et je me dirige vers la cuisine, pour réchauffer notre portion de soupe aux légumes.




Le lendemain, 9 h 00.

Je reviens du marché avec mes commissions. Une fois que tout est en ordre, aidée par Jim qui n'a pas de cours aujourd'hui, un esprit apparaît devant moi : Jean Bude de Guébriant. Constatant sa mine sérieuse, je comprends qu'il a encore un message important à me communiquer. Il dit simplement d'un ton neutre : – Vous devez savoir une chose, Madame Melinda Gordon-Clancy, au sujet de Julian Borgia... Il est sincère lorsqu'il recherche le pardon des parents de sa dernière victime, car les cours de philosophie en milieu carcéral l'ont sérieusement incité à la réflexion. De sorte qu'il regrette tous les crimes dont il a été l'auteur...

D'une voix gênée, je commente : – Excusez-moi de vous couper la parole, mais puis-je vous poser une question ?

– Oui, bien sûr...

– Pouvez-vous me dire le nom de sa dernière victime ?

– Oui, je le pourrais, mais je ne voudrais pas que votre ami Paul Eastman soit sans travail !

– Je comprends...

– Cependant, je tiens à préciser que l'homme masqué qui a contacté Julian Borgia n'est nul autre que le Bohémien en gris, car il a bien utilisé ses services, afin de ne pas être directement accusé de braquage et d'autres basses œuvres criminelles. C'est pour ne pas être reconnu qu'il est venu masqué. Comme le méchant esprit qui le suit partout a saisi le changement en l'âme de Julian Borgia, il possède Carl Neely de manière à le tuer dans l'accident de la semaine dernière. De plus, les supérieurs du Bohémien se sont inquiétés du silence de Julian Borgia, qu'ils interprètent comme une trahison, de sorte qu'ils se sont obligés à le faire périr. Par là, ils ont voulu lui montrer qu'il est impossible de leur échapper et qu'un criminel reste un criminel. Par ailleurs, le Bohémien a peur d'être découvert... Voilà ! J'ai tout dit !

Je pense spontanément : « Comment Carl Neely peut-il être ainsi sans scrupules ? Là, il dépasse l'imaginable ! »

Jean Bude de Guébriant me sourit faiblement, dépose sur la table de la cuisine une feuille de papier puis disparaît de ma vue. Intriguée, je prends la feuille et la lis. Voici son message : « L'homme du Regnum Bohemiæ cuide de hacher par un guerdon ! Quelle feintise ! »

Je rapporte à Jim les propos de l'Esprit Observateur et je lui montre le message. Il est aussi étonné que moi de l'immoralité de Carl Neely... Nous parvenons à la conclusion suivante : Carl Neely est prêt à tout pour parvenir à ses fins. Mais lesquelles ?

Je lui suggère de régler son cas au plus vite : je demanderai à Richard Payne le sens du message de l'Esprit Observateur français du Moyen Âge puis j'irai demander à Paul Eastman des informations sur Julian Borgia, afin de retrouver le nom de sa victime. 

Jim approuve mon idée d'un mouvement positif de tête.


Je téléphone aussitôt au professeur Richard Payne, qui accepte de me recevoir immédiatement. Je me rends à son bureau à la suite de cet appel. Une fois au bureau du professeur, je lui explique brièvement la situation et il me livre la traduction : « L'homme du Royaume de Bohême pense blesser quelqu'un pour un salaire! Quelle ruse ! » Je remercie mon ami le professeur de sa collaboration et je sors de son bureau encore plus perplexe que lorsque j'y suis entrée. Au retour, je me demande bien qui est la prochaine victime de ce sordide meurtrier... Que Dieu protège Grandview de son sombre dessein !


Chemin faisant, je passe à la station de police, où j'aperçois Homer, qui jappe de joie à ma vue. Je décide de demander à l'opérateur si Paul Eastman est à son bureau. Comme la réponse est affirmative, je file, suivie par Homer, jusqu'au bureau du policier. Une fois devant la porte, je frappe doucement et je décline mon identité.

J'entends mon interlocuteur dire d'une voix forte : – Entrez, Madame Gordon !

Et il m'ouvre la porte. Paul Eastman regarde d'un air étonné Homer, qui se tient à ma droite. Le chien-esprit s'approche de lui, comme s'il voulait qu'il le caresse. Nous entrons dans le bureau, le policier reprend son sérieux et me désigne une chaise en face de lui. Homer se hisse sur ses pattes arrière pour poser sa tête sur les genoux de Paul Eastman, qui passe sa main droite sur sa tête, comme s'il la caressait. Je souris devant la scène, mais je reprends rapidement mon sérieux lorsque le regard bienveillant de mon interlocuteur me fixe. Il me demande d'une voix neutre : – Madame Gordon, quelle est la raison de votre visite ?

Je réponds directement : – Le cas de Julian Borgia, qui est décédé il y a une semaine... Je voudrais savoir qui sont les survivants de sa dernière victime, car il a été un criminel accusé de récidives. Et il est venu à moi, car il veut obtenir le pardon des survivants de sa dernière victime. Je vous rapporte ce qu'il m'a dit : Julian Borgia est mort alors qu'il est à peine sorti de prison, tué par Carl Neely... Il a purgé une peine de plusieurs années pour avoir involontairement tué un jeune homme lors d'un braquage d'une banque... C'est en prison qu'il a compris tout le mal qu’il a fait... À croire que la philosophie a changé sa vie...

– Je comprends... Je prends en note son nom...

Paul Eastman cesse de caresser Homer pour griffonner quelque chose sur une feuille de papier vierge. Il lève la tête vers moi et dit d'un ton calme : – Je reviens dans quelques minutes avec l'information désirée. Un peu de patience !

Je réplique simplement : – Merci à vous, Monsieur Eastman !

Homer se couche à mes pieds. Le policier sort du bureau et revient quelques minutes plus tard, avec quelques feuilles imprimées. Il retourne à sa place et dépose les feuilles devant lui. Il dit d'un ton neutre : – Heureusement, les archives de la police contiennent tous les cas d'enquêtes de notre ville depuis 1950... De sorte que j'ai rapidement trouvé le cas de Julian Borgia... Et bien, il a tué le 5 décembre 1994 le fils unique de Madame Angela Farrells et de Monsieur Sean Farrells, prénommé Albert, quarante-quatre ans. Il a été jugé pour homicide volontaire puis jeté en prison quatre jours plus tard. Pour information, les parents Farrells vivent au 17, rue Front, à Grandview. Évidemment, Albert Farrells est marié depuis plusieurs années à Jane Chilton-Farrells, de cinq ans sa benjamine, avec laquelle il a un fils, prénommé Robert, né le 3 mai 1983. Leur adresse est la suivante: 934, rue Gont, à Grandview aussi.

Je prends rapidement quelques notes dans mon calepin que je range aussitôt dans mon sac à main que j'apporte partout avec moi puis le remercie de sa rapidité. Paul Eastman me questionne au sujet de Homer; je lui explique qu'il reste encore parmi les vivants pour, à ce que j'ai compris, me protéger de certains esprits, dont Romano et son associé, deux sombres esprits errants. Le policier, malgré son sérieux, dit à la blague que si Homer vient plus souvent à son bureau, il fera de lui un chien policier. Je souris à sa blague puis je jette un coup d'œil rapide à ma montre. Remarquant l'heure qu'il est, je m'excuse auprès de Paul Eastman, mais je dois revenir chez moi m'occuper du midi. Il me salue et je sors de son bureau. Au moins, je connais l'adresse des Farrells, de sorte que je pourrais les rencontrer et leur transmettre le message de Julian Borgia. Contente, je reviens à la maison, où Jim m'attends avec impatience. Je lui résume les principaux éléments de mes deux rencontres avec Richard Payne et Paul Eastman. Il m'écoute attentivement puis me propose de rencontrer les Farrells cet après-midi pour leur expliquer la dernière volonté de Julian Borgia, puis nous irons transmettre nos condoléances à sa veuve. Contents de notre plan, nous décidons de changer notre menu : au lieu de pierogis prévues, nous réchauffons rapidement au four nos kalitki... Les pierogis à la viande seront pour le souper, c'est tout ! Sinon, pour demain ! Après autant de rencontres, je doute que nous aurons le temps de cuisiner. Heureusement, pour le souper, il y a de la soupe aux légumes.


Après la vaisselle, Jim et moi nous nous préparons à sortir. Une fois la porte d'entrée fermée, je remarque que Julian Borgia vient d'apparaître à ma gauche. Je sursaute à sa vue. Il dit d'un ton sec : – S'il vous plaît, transmettez mes excuses à Madame et à Monsieur Farrells ! Je veux leur pardon, car la culpabilité me ronge tellement....

– Je comprends... Nous y allons de ce pas !

Je murmure à Jim : « Julian est impatient d'obtenir le pardon des Farrells tellement il est rongé par sa mauvaise conscience... »

Mon époux hoche simplement la tête pour confirmer sa compréhension. Nous nous rendons main dans la main jusqu'à la maison des Farrells. Celle-ci est une grande maison de pierre, avec un jardin à l'avant. Je frappe doucement à la porte. Je remarque à ma gauche Julian Borgia, qui semble inquiet, comme s'il est incertain d'obtenir le pardon tant recherché.

Une femme âgée, vêtue d'un pull et d'une jupe bleu marine nous ouvre la porte. Elle dit d'un ton sec : – Qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Je réponds sans hésiter : – Je suis Melinda Gordon et mon époux, Jim Clancy...

Étonnée, elle réplique : – L'antiquaire et l'ambulancier ?

– Oui !

– Bonjour, Madame et Monsieur ! Moi, c'est Angela Farrells !

– Enchanté ! Et bien, nous venons, car nous voulons discuter au sujet de votre fils Robert.

– Pourtant, vous savez qu'il est mort depuis sept ans, tué par un criminel...

D'une voix douce, je réplique : – Bien sûr que nous le savons...

– Alors quoi ?

D'un souffle, je dis calmement : – Pour vous transmettre un message d'un défunt.

Madame Angela Farrells affiche une moue dubitative; ses yeux noisettes derrière ses lunettes rondes expriment une tristesse sans nom.

Jim intervient aussitôt : – Madame Farrells, tous mes respects, mais vous devez savoir que ma femme voit les esprits errants. Et elle est sérieuse, très sérieuse...

Étonnée, notre interlocutrice réplique : – Pourquoi raviver une douleur ? Voilà...

Je dis d'un ton sérieux : – Madame Farrells, j'ai reçu la visite de l'esprit errant du meurtrier de votre fils...

Sourcils froncés, la vieille dame se retourne à moitié vers l'intérieur pour crier : « Sean, on a de la visite ! »

Une voix masculine enrouée par l'âge répond : « Qu'ils viennent alors au salon ! »

Elle nous fait signe de sa main droite d'entrer. Jim referme la porte derrière lui. Nous ôtons rapidement nos manteaux d'hiver, que nous suspendons au porte-manteau près de l'entrée. À ce moment-là, Monsieur Farrells, un vieil homme vêtu d'un simple pull blanc, d'une chemise bleue et d'un pantalon samt beige, arrive devant nous et nous accompagne jusqu'au salon. Ses yeux brun foncé brillent d'une lueur de curiosité lorsque mon regard rencontre le sien. Le salon est une grande pièce bien éclairée par des grandes fenêtres et des lustres à motifs floraux renversés. Involontairement, je pense : « De tels lustres se vendent à un prix élevé... » En son centre, deux canapés beige foncé trônent séparés par une grande table basse en bois laqué. Les murs sont simplement recouverts d'une tapisserie avec des motifs géométriques. Monsieur Sean Farrells nous montre d'un geste rapide un canapé. Le vieux couple s'assoit sur l'un des canapés; Jim et moi sur l'autre. Entre nous, Monsieur Sean Farrells dépose quatre verres d'eau sur la table basse. Une fois assise, je remarque que Julian Borgia est devant les Farrells, un peu en retrait vers la droite. Il les fixe, comme s'il attend quelque chose d'eux. Son insistance crée en moi une sensation de malaise: j'ai l'impression que tout repose sur mes épaules. Je me calme en serrant les mains de Jim. Ce dernier me caresse le dos de mes mains avec ses pouces pour me signifier son soutien. J'inspire et j'expire profondément puis je dis d'un ton sûr : – Madame et Monsieur Farrells, mon époux et moi présentons nos sincères condoléances pour la mort de votre fils... Nous savons que nous aurions pu les présenter plus tôt, mais les circonstances étaient telles que nous l'avons appris il y a quelques jours... Je vous explique : l'esprit errant du meurtrier de votre fils est sincèrement désolé de la peine qu'il vous a causé. C'est, d'ailleurs, par accident que votre fils est mort...

Sean Farrells me regarde de dessus et dit sur un ton quelque peu ironique : – Vous appelez un homicide un accident...

Julian Borgia affiche un air incrédule. Il jette un regard noir à Monsieur Farrells.

Je commente : – Pourtant, Julian Borgia assure que c'est la vérité. Il n'arrive pas à croire que vous soyez si cynique envers lui.

L'esprit errant confirme mes propos d'un mouvement de tête positif. Je poursuis sa défense : – Par ailleurs, je vous précise qu'un Esprit Observateur m'a confirmé l'information... En prison, il a suivi des cours de philosophie qui l'ont fait saisir sa situation... C'est pourquoi Julian recherche votre pardon...

Angela Farrells, d'un regard de dessus : – Qu'il soit sincère ou non, nous ne pouvons pas lui pardonner ! Hors de question !

L'esprit errant, une lueur de colère dans ses yeux, s'écrie : – Qu'est-ce qu'il y a de compliqué !? Arh !

Et il disparaît de ma vue après avoir joué avec la lumière des lustres du salon, qui clignotent soudainement et rapidement. Je soupire et je dis d'une voix forte : – Il est vraiment en colère de votre réponse. Il considère que ce n'est pas compliqué ce qu'il demande... Moi, je voudrais bien parvenir à le convaincre de quitter définitivement le monde ici-bas et qu'il parte afin dans la Lumière.

Air sceptique et moue dubitative, Sean Farrells commente avec une pointe d'ironie : – Qu'est-ce que vous nous racontez encore ?

Jim le foudroie du regard et s’écrie d'un ton sec : – Ma femme vous dit la vérité !

Je câline le dos de la main gauche de Jim pour le calmer. Je m'éclaircis la gorge puis je dis d'un voix chaleureuse : – En tant que passeuse d'âmes de mère en fille, et bien, je sais que les âmes, après la fin d'une vie dans le monde ici-bas, vont dans la Lumière, ou l'Au-delà, peu importe le nom... L'idée est la même : les âmes, après avoir quitté définitivement leur corps, doivent partir dans un autre monde. C'est dans l'ordre des choses voulues par Dieu.

Angela Farrells commente d'une voix traînante : – Merci, Madame Melinda Gordon, pour ce petit cours de théologie... Mais expliquez-moi alors pourquoi vous ne parlez pas avec notre Albert.

D'un ton sûr, je réponds : – Probablement parce qu'il est directement parti dans la Lumière et qu'il n'a aucune raison d'errer parmi les vivants.

D'un ton neutre, Sean Farrells dit : – Merci, Madame, pour vos explications. Sur ce, passez une bonne journée !

Jim et moi répliquons à l'unisson : – De même pour vous !

Puis nous nous levons du canapé sur lequel nous étions assis et nous sortons de la maison des Farrells.

Ensuite, nous expliquons la situation à la femme d'Albert Farrells, Jane Chilton-Farrells, qui nous fait un meilleur accueil qu’Angela et Sean Farrells. Bien sûr, elle non plus ne veut pas pardonner à Julian Borgia d'avoir tué son mari. Je comprends très bien que ceci ne ramènera point son Albert parmi les vivants. Jim et moi la remercions du chaleureux accueil qu'elle nous a fait. Notre dernière étape est d'expliquer la situation à l'épouse de Julian, Rachel.


Une fois à l'extérieur de la maison d'Albert et de Jane Farrells, Julian apparaît devant moi et dit d'un ton neutre : « Voici l'adresse de l'appartement où vivent ma femme et mon fils : 127, rue Rangui, appartement numéro 19. C'est la troisième rue perpendiculaire à partir de celle-ci... »

Je murmure : – Merci de l'information !

Je tourne ma tête vers Jim et je lui dis à mi-voix : – Julian m'a communiqué l'adresse où vivent sa femme et son fils : 127, rue Rangui, appartement numéro 19. C'est la troisième rue perpendiculaire à celle-ci.

Mon époux hoche simplement la tête et nous nous rendons devant l'immeuble en question. Je sais que Julian nous suit, un peu en retrait. Je ressens son regard insistant et impatient. Devant l'immeuble, nous apercevons une femme vers la trentaine aux cheveux noirs et aux yeux bruns qui traîne par la main un gamin de neuf ans. Tous les deux sont vêtus d'un manteau et de bottes d'hiver de couleurs ternes. Julian s'exclame d'un ton joyeux : « Ma chère Rachel et mon cher Joseph ! »

Je souris à sa remarque. Je m'éclaircis la voix puis apostrophe la femme : – Madame Rachel Borgia…

L'interpellée me jette un regard étonné.

Sourire innocent et naïf au visage, je poursuis : – Je suis Melinda Gordon et voici mon mari, Jim Clancy. Nous vous apportons des nouvelles de votre époux, Julian Borgia.

Rachel, dont les yeux s'agrandissent encore plus par l'étonnement, balbutie : – Quelles nouvelles ? La dernière que j'ai eu, c'était celle de son emprisonnement, il y a sept ans... Et bien, entrez !

Et nous nous engouffrons dans l'immeuble. Rachel nous amène jusqu'à son appartement. Ce dernier est modeste, petit et pauvre en meubles. Nous nous rendons au salon, qui ne comprend qu'un canapé, une chaise, une petite table basse, un petit meuble à télévision et une petite télévision analogique. L'épouse de Julian envoie son fils dans sa chambre puis revient au salon. Jim et moi, avec nos manteaux sur nos genoux, sommes assis sur le canapé, en face de Madame Rachel Borgia, assise sur la chaise. Julian est debout, à la droite de son épouse. Il la fixe.

Elle s'éclaircit la voix et dit : – Madame et Monsieur, quelles nouvelles avez-vous à me dire ?

Sans hésiter et d'un ton sûr, je réponds : – Une bonne et une mauvaise : Julian est sorti il y a une semaine de la prison, sauf qu'il est mort dans un accident de la route.

Rachel Borgia, d'un ton indifférent, presque glacial : – Avec son sale métier, c'était à s'y attendre !

Je réplique presque d'un ton suppliant : – S'il vous plaît, ne soyez pas si rude envers votre défunt époux...

Julian commente : – Je sais bien que Rachel a voulu me convaincre d'abandonner le métier peu reluisant que j'exerçais, sauf que l'homme masqué m’a sérieusement menacé...

Les yeux agrandis par la peur, je pense : « Oh, mon Dieu ! Quelle impiété de la part de Carl Neely ! »

Je me ressaisis puis je dis d'une voix presque tremblante malgré moi : – Julian sait que vous avez voulu le convaincre à plusieurs reprises d'abandonner son métier de criminel, sauf qu'il ne le pouvait pas en raison des menaces de l'homme masqué... Et je sais que cet homme masqué est nul autre que Carl Neely, le même qui est aussi le meurtrier de votre époux...

Une lueur d'étonnement se lit pendant une fraction de seconde sur le visage de Rachel Borgia. Elle balbutie : - Madame, comment saviez-vous que j'ai voulu convaincre mon époux d'abandonner son métier bizarre ?

Je réponds sans hésiter : – C'est votre mari qui me l'a dit. Comme je vous l'ai dit, j'ai un don depuis mon enfance, celui de communiquer avec les esprits errants. Et je dois les aider à quitter en paix le monde ici-bas afin qu'ils partent dans la Lumière, lieu où ils vont après la fin de leur vie.

Notre interlocutrice murmure plus pour elle-même que pour moi : « C'est vrai, seul Julian sait ce détail... »

Elle s'éclaircit la gorge et dit d'une voix neutre : – Je veux quand même une preuve que vous ne mentez pas...

Je soupire et je regarde Jim, qui me serre la main droite en signe de soutien.

Rachel Borgia me fixe et dit : – Désolée de ma réaction brusque, mais j'ai déjà rencontré un soi-disant médium qui m’a affirmé me donner des nouvelles de mon mari, alors qu'il n’a été qu'un escroc, d'où ma méfiance sur ce terrain...

Avec mon sourire le plus aimable, je réplique : – Je comprends votre réaction...

– Et bien, Julian, si vraiment tu es là, peux-tu me dire pourquoi tu t'es fait tatoué une colombe aux ailes déployées près de ton oreille droite ?

Julian répond d'une voix douce : – En l'honneur de notre fils, notre Joseph, et de notre amour... Ce tatouage, c'est pour une réconciliation avec toi, car je veux vivre avec toi, ma Rachel, mon amour, ma douce colombe... Je t'aime... Tu me manques terriblement !

Je souris, touchée en mon âme, et je répète les propos : – Julian dit que c'est en l'honneur de votre fils Joseph et de votre amour. Ce tatouage était pour une réconciliation avec vous, car il voulait vivre avec vous. Rachel, vous êtes son amour, sa douce colombe. Il vous aime. Et il dit que vous lui manquez terriblement...

Émue, les larmes aux yeux, Rachel Borgia réplique d'une voix tremblante : – Seul Julian peut dire une telle chose... Au moins... Je comprends qu'il m'a aimé sincèrement... Et que le surnom de douce colombe n'a pas été seulement une flatterie... Dommage qu'il ne m'a pas plus souvent écouté...

Julian s'approche de sa femme, lui caresse la joue droite puis dit : – Désolé, ma Rachel, je ne voulais pas te blesser...

Je dis, aussi émue que Rachel, d'une voix tremblante : – Julian est désolé de vous avoir blessée...

Quelques minutes de silence passent, le temps que Rachel et moi séchons nos larmes. Une fois ressaisies, Rachel me remercie timidement de m'avoir communiqué les dernières nouvelles concernant son époux et s'excuse de son scepticisme. Je me tourne vers Julian et je dis : – Monsieur, maintenant que votre épouse connaît votre état, voulez-vous partir dans la Lumière ?

D'un ton glacial, l'esprit errant réplique : – Si je me souviens de ce que vous m'aviez dit, c'est Carl Neely qui est mon meurtrier !

J'opine discrètement du chef. 

Julian Borgia enchaîne aussitôt : – Et bien ! Je me vengerai de lui !

L'esprit errant disparaît de ma vue. Je tourne ma tête vers sa femme et je commente : – Votre époux veut se venger de son meurtrier, c'est-à-dire du policier Carl Neely. Ceci n'annonce rien qui vaille, à mon avis, mais bon ! En tout cas, passez une bonne journée !

Rachel Borgia dit : – De même pour vous !

D'un bond, Jim et moi nous levons du canapé, saisissons nos manteaux puis sortons de l'appartement de notre amphitryon. Une fois à l'extérieur de l'immeuble, nous déambulons tranquillement en silence jusqu'à notre maison.


Chemin faisant, je remarque Paul Eastman assis sur un banc du parc, avec Homer couché à ses pieds. Je souris puis Jim et moi le saluons. Le jeune policier se retourne et nous salue en retour.

Je demande d'un air innocent : – On dirait que vous vous êtes trouvé un nouvel ami ?

Paul Eastman sourit à ma blague et dit d'un ton joyeux : – Oui, en quelque sorte... Je suis parvenu à convaincre Homer d'être un chien policier... De sorte que j'ai commencé son dressage depuis quelques heures... En tout cas, il se montre bon élève ! Il est le seul chien qui apprend aussi vite ! Ah... J'ai oublié de préciser que j'étais dresseur de chiens policiers avant d'être policier patrouilleur à Grandview... De sorte que je sais reconnaître une bonne race !

Je souris devant sa joie quasi enfantine. Il poursuit : – Et je vois en Homer son potentiel, bien qu'il ne soit pas un berger allemand, un dogue ou toute autre espèce idéale pour être un chien policier... Il a au moins l'avantage d'être invisible aux yeux de mes collègues, de sorte qu'il peut bien m'être utile... Il n'est jamais tard pour une réorientation de carrière, même post-mortem !

Le policier caresse la tête d'Homer, qui s'est entre-temps levé sur ses pattes arrière et appuie sa tête sur le banc à la droite de son nouvel ami.

Je souris devant la scène et je murmure à Jim : « On dirait que Paul Eastman s'est trouvé un ami en Homer... »

Mon époux, étonné, les sourcils levés, réplique : – Le chien-esprit ?

Je hoche discrètement la tête. Nous saluons notre ami policier et nous revenons chez nous. Je partage à Jim mes craintes que Carl Neely soit hanté par Julian Borgia. Il m'embrasse pour me calmer. Rassurée, je l'enlace. Le soir est, Dieu merci, tranquille.




Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, je me prépare pour mon dernier examen pratique de conduite. Je le passerai en après-midi. Jim est mon soutien psychologique, avec son cahier sur ses genoux, il réfléchit à son histoire fictive, maintenant qu'il a terminé tous ces examens de la session. Je remarque, tout à coup, que mon père apparaît devant moi, près de la table basse. Étonnée, tournant ma tête vers sa direction, je remarque du coin de l'œil que Jim aussi tourne son regard vers la même direction, mais ne voyant rien, il baisse la tête sur son cahier. Mon père semble visiblement content : un sourire se dessine sur ses lèvres, tandis que ses yeux brillent d'une joie maligne.

Je m'exclame : – Père !?

– Oui ! Surprise !

– C'est-à-dire ?

– Disons que le salaud de policier de Carl Neely a des problèmes de couple depuis hier après-midi... Julian Borgia influence son comportement, de sorte que sa femme est vraiment étonnée... Il se montre plus agressif et plus mordant... J'espère, tout comme sa première épouse et le premier époux de sa seconde épouse – désolé d'avoir oublié leurs noms – qu'ils divorceront au bout d'un certain temps...

Je murmure à mi-voix : – S'il te plaît, père, ne sois pas si méchant...

– Melinda, ce n'est pas de la méchanceté, c'est la loi du talion !

L'esprit errant qu'est devenu mon père disparaît de ma vue.

Je me retourne vers Jim et lui résume brièvement la situation. Il hausse simplement les épaules.


En après-midi, je passe mon examen pratique de conduite. Avant de commencer, je n'oublie pas d'adresser une courte prière à la Vierge. Après mon examen, je reviens chez moi et j'attends le résultat – en espérant l'avoir aussi bien réussi que mon examen théorique.




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