Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
3 novembre 2001, 10 h 00.
Je suis au salon en train de tricoter une écharpe. Tout à coup, je remarque que l'Esprit Observateur Jean Bude de Guébriant vient d'apparaître devant moi. Il dit : « Soyez vigilante ! »
Il dépose une feuille sur la table basse entre nous puis disparaît de ma vue.
Étonnée, je lis le message : « Le Bohémien cuide delliter à férir aultrui. Quelles pensees iniques ! Quiconque commet un tel crime détruit son âme ! »
Je téléphone aussitôt au professeur Richard Payne. Heureusement, il accepte immédiatement de me rencontrer. Quinze minutes plus tard, me voilà à son bureau. Il me traduit le message : « Le Bohémien pense se plaire à frapper autrui. Quelles pensées perverses et criminelles ! Quiconque commet un tel crime détruit son âme ! »
Le professeur ajoute pour commentaire : – Pour la dernière phrase, il me semble qu'il s'agit d'une citation d'un livre en français moderne... Il faudrait seulement que je vérifie exactement la référence... Je vous reviens demain avec le sens de cette phrase... Je trouve bizarre ce mélange de l'ancien français et du français moderne...
Je murmure : – Merci, Monsieur le professeur Payne, de votre aide ! Passez une bonne journée !
– De même pour vous, Madame Gordon !
Je reviens chez moi, perplexe; je me change les idées, qui passent du coq à l'âne, en tricotant. Pourtant, je ne cesse pas de penser : « Qui est la prochaine victime de Carl Neely ? Ah mon Dieu ! Pourvu que ce ne soit pas Jim ou ma mère, ou je ne sais qui... » Je soupire.
Le lendemain, je me rends au marché pour faire les commissions. Je rencontre le professeur d'Anthropologie des sciences occultes. Il me fait des grands signes. Je m'approche de lui. Richard Payne, le sourire aux lèvres, dit d'un ton joyeux : – Madame Gordon, j'ai trouvé le sens de la dernière phrase de votre message... Je l'ai trouvé grâce à l'aide d'un collègue du département de Philosophie et de Psychologie, Monsieur Éli James... Il m'a dit que c'est un commentaire du très célèbre psychiatre Carl Gustav Jung dans son autobiographie intitulée « Ma vie » : Souvenirs, rêves et pensées, recueillis et publiés par Aniéla Jaffé. Il s'agit plus précisément du cas d'une patiente qui avait tué l'époux de son amie pour le marier... Sauf que depuis le mariage, la fille née de cette union s'éloigna d'elle à l'âge adulte; son cheval préféré se cabra et son chien-loup fut atteint de paralysie... Il me dit que Monsieur Éli James lui trouve la référence en question, à savoir Carl Gustav Jung, « Ma vie » : Souvenirs, rêves et pensées, recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, traduit de l'allemand par le Dr Roland Cahen et Yves Le Lay avec la collaboration de Salomé Burckhardt, nouvelle édition revue et augmentée d'un index, Paris, Gallimard, 1973, p. 149.
Avec un petit sourire gêné, je dis d'un ton neutre : – Excusez-moi, Monsieur le professeur, mais que voulez-vous conclure à partir de cette remarque ?
Après quelques secondes de silence, mine pensive, il répond : – Et bien... que l'homme concerné détruira son âme en réalisant une pensée criminelle à l'égard de quelqu'un, précisément parce qu'il aura osé lever sa main sur quelqu'un de très bien protégé, ce qui revient à faire quelque chose de défendu... Que Dieu nous protège de lui ! Mais... Ne vous inquiétez pas trop, Madame Gordon ! Sur ces belles paroles, passez une bonne journée !
– De même pour vous !
Nous nous quittons ainsi. Je reviens chez moi avec mes commissions. Je me demande bien qui sera la prochaine victime du criminel en uniforme qu'est Carl Neely... Surtout, comment le faire savoir à Paul Eastman sans éveiller ses soupçons ?
20 novembre 2001, The Antique Shop of Grandview, 13 h 00.
Une chaise est hantée par un esprit errant, celui d'une vieille femme âgée. Je me décide à engager une conversation avec elle. J'apprends ainsi qu'elle hante la chaise car elle était son lit de mort en 1950. Je tente alors de lui faire comprendre qu'elle doit quitter le monde des vivants et partir dans la Lumière. Ce n'est qu'au bout d'une demi-heure d'argumentation que je parviens à la convaincre. Lorsque l'esprit errant part enfin dans la Lumière, le sourire aux lèvres, je pense : « Celle-là a été un cas facile ! »
2 décembre 2001, 9 h 00.
Je reviens avec mes commissions. Chemin faisant, je remarque un policier en patrouille qui se dirige vers moi. Il est un grand jeune homme, très imposant dans son uniforme. Néanmoins, ses yeux bruns brillent d’une lueur bienveillante. Je le salue discrètement. Il me rend mes salutations. Je remarque à ma droite un esprit, à savoir l'Observatrice Laurie Gibeau, qui nous observe silencieusement.
Le policier me demande d'un ton neutre : – Madame...
Le sourire aux lèvres, je réponds : – Mais Monsieur...
Un sourire furtif se dessine sur son visage austère et mon interlocuteur dit : – Paul Eastman...
Il sort de la poche droite de son uniforme sa carte d'identité et la tourne vers moi. J'y jette un coup d'œil rapide : en effet, il se nomme Paul Eastman et il ressemble à l'homme sur la photographie. Je pense : « Voilà le mystérieux policier qui voit les âmes errantes ! Youpi ! Un ami de plus ! Que Dieu en soit loué ! »
Fébrile, je me racle la gorge pour cacher ma joie, puis je dis d'un ton enjoué : – Monsieur Paul Eastman, je ne suis qu'une simple habitante de Grandview qui fait ses commissions... Je n'ai fait aucun mal...
Le sourire aux lèvres, Paul regarde à gauche et à droite, puis me dit : – Je le sais...
Il continue à voix basse : – Je sais votre identité...
Devant mon regard étonné, le policier continue sa phrase : – Vous êtes Melinda Gordon, l'épouse de mon ami ambulancier Jim Clancy. Il m'a beaucoup parlé de vous, de sorte que je sais que je peux vous aider pour régler des cas de certains esprits. Cependant, les différentes questions au allure d'un interrogatoire m'ont laissé perplexe il y a six mois...
Un sourire gêné aux lèvres, je réponds : – Pour être honnête, cet interrogatoire improvisé a été réalisé dans le but de s'assurer de vos intentions, car nous savons que quelques policiers sont des meurtriers en uniforme...
Paul Eastman, les yeux écarquillés d'étonnement, la bouche légèrement entr'ouverte comme pour dire quelque chose, sauf qu'aucun son n'en sort, se ressaisit puis s'exclame : – Êtes-vous sérieuse ?
– Oui... J'ai failli moi-même être victime d'un tel policier le 15 mars dernier...
– Mais savez-vous son identité ?
Je hoche discrètement la tête. Je regarde à gauche et à droite pour m'assurer qu'il n'y a pas d'individus qui écoutent notre conversation. Remarquant des passants, je fais un signe à Paul Eastman.
Laurie Gibeau répond à ma place : – Il s'agit de Carl Neely...
Paul Eastman jette un regard étonné à l'Observatrice et à moi. Il se racle la gorge puis dit d'un ton neutre : – Je n'ai jamais douté de lui... Surtout qu'il était un bon camarade de classe et qu'il est toujours sérieux au travail...
Laurie Gibeau commente : – Et bien, maintenant, vous connaissez le danger que votre collègue représente pour Grandview ! Sur ces belles paroles, passez une bonne journée !
Et l'Esprit Observateur disparaît de notre vue. Paul Eastman me salue et s'éloigne de moi; il continue sa patrouille. Moi, je reviens à la maison avec mes commissions.
9 décembre 2001, 15 h 30.
Jim travaille, car il n'a pas de cours le dimanche. Le téléphone sonne. Sur l'afficheur, le numéro de l'hôpital Mercy. Inquiète et étonnée, je soulève le combiné. J'entends la secrétaire à l'autre bout du téléphone dire : – C'est l'hôpital Mercy. Ce message s'adresse à Madame Melinda Gordon, l'épouse de Jim Clancy.
D'une voix inquiète, je dis : – C'est moi-même...
– Pour vous dire que votre mari est hospitalisé à la suite d'un accident sur la route. Si vous pouviez venir immédiatement à son chevet, il serait souhaitable, car il vous réclame.
– J'arrive tout de suite. Merci de votre appel !
Je raccroche le téléphone et je cours jusqu'à l'hôpital. Je demande à la secrétaire le numéro de la chambre où se trouve Jim : la chambre numéro 133. Je m'y rends aussitôt, angoissée pour mon mari.
Chemin faisant, je récite le Canon pour le malade, tone 3, ode 1 :
« O merciful Lord, hearken to the supplications of Thy servants who pray to Thee.
In the day of affliction which hath befallen us, we fall down before Thee, O Savior Christ, and besech Thy mercy: Ease the suffering of Thy servant Say unto us as unto the centurion: Go thy way, thy child is well.
O merciful Lord, hearken to the supplications of Thy servants who pray to Thee.
We call out our prayers and entreaties to Thee with singing: O Son of God, have mercy on us. Raise from his bed him who is lying there as Thou didst raise the paralytic with a word, saying: Take up Thy bed; thy sins be forgiven thee.
Glory to the Father, and to the Son, and to the Holy Spirit.
Bowing before the likeness of Thine image, O Christ, we kiss it with faith and beg health for him who is sick, thus imitating the woman with an issue of blood, who touched the hem of Thy garment and received the healing of her infirmity.
Now and ever and undo the ages of ages. Amin.
Most pure Lady, mother of God, sure helper of all, despise not us who fall before thee. Since thou art good, entreat thy Son, our God, to give health to him who is sick, that with us he may glorify thee. »
Devant la porte de la chambre, un ambulancier en uniforme m'attend. « Sans doute un collègue de Jim », pensé-je. Il est un grand homme aux cheveux et aux yeux bruns, à peu près du même âge que Jim. Il s'avance vers moi, visiblement inquiet, et murmure : – Je suis désolé, Madame Gordon, de l'état dans lequel se trouve Jim... J'étais le conducteur lorsque notre ambulance ramenant un blessé sur l'autoroute entre Longview et Grandview a eu un accident.
Je remarque un esprit errant un peu en retraite vers sa droite. Celle d'une jeune femme vêtue d'une robe blanche d'hôpital, aux cheveux brun clair et aux yeux noisette. Je feins de ne pas l'avoir remarqué, mais le mouvement de mes yeux ne lui ont pas échappé. Elle dit d'un ton autoritaire : « Madame, mon mari à sauver le vôtre... Vous devez alors m'aider ! »
Ignorant les propos de l'esprit errant, je dis d'une voix inquiète à l'ambulancier : – Monsieur...
Mon interlocuteur ajoute aussitôt : – Robert Tooch. Et vous ?
– Melinda Gordon, l'épouse de Jim Clancy...
Après une courte pause, je reprends ma phrase : – Monsieur Tooch, j'espère que l'accident n'était pas très grave ?
– Rien de grave... Seulement des blessures mineures à la tête, aux jambes et aux bras... Il est déjà conscient... Jim est vraiment un homme solide !
– Merci du commentaire ! Puis-je entrer ?
– Oui, bien sûr !
Et j'entre dans la chambre. Jim est allongé dans le lit, un bandeau entoure son crâne, un autour autre de chaque jambe à la hauteur des genoux et un autour sur son avant-bras gauche. Il me sourit et murmure : – Ma chérie, ne t'inquiète pas pour moi ! Tu vois très bien que je suis, Dieu en soit loué, vivant ! Je sais que, dans tous les cas, tu peux me voir, mais il est préférable, mon amour, d'être vivant...
Je m'approche du lit et je m'allonge à ses côtés. Je murmure : – Je suis contente que tu t'en sors bien de l'accident... Peux-tu m'expliquer ce qui s'est passé ?
– Bobby... Euh... Désolé... Robert Tooch et moi avons eu à sauver un homme blessé dans un accident sur l'autoroute… Je suis resté à l'arrière avec le blessé, tandis que Bobby a conduit le véhicule. C'est sur la route vers l'hôpital que Robert a perdu le contrôle. Puis je me réveille à l'hôpital, dans cette chambre. Le docteur m'a dit que je suis vraiment chanceux de ne pas avoir eu un choc cérébral. Probablement que c'est la bague de Samuel qui m'a sauvé la vie...
Je hoche discrètement la tête. Je remarque à ma droite, devant moi, mais un peu en retrait, l'esprit errant de la jeune femme. Elle dit d'un ton insistant : « Aidez-moi ! Mon Brad a aidé votre époux ! »
Je soupire et je commente : – Jim, nous avons l'âme errante d'une jeune femme qui insiste pour que je l'aide...
M’adressant à l’esprit errant, je dis : – J'ai plus important pour l'instant ! Je suis prête à discuter avec vous dans quelques heures, lorsque je sortirai de la chambre d'hôpital...
L'esprit errant, affichant une mine renfrognée, s'exclame : – Pff ! C'est ainsi que vous nous aidez !?
Et il disparaît de ma vue. Je commente : – Elle feint d'être vexée puis elle a disparu... Au moins, je pourrai profiter de ta présence... Rétablis-toi vite, mon amour !
Jim sourit puis dit à mi-voix : – Ça va aller, Mel ! Occupe-toi de l'esprit en attendant que je te revienne en pleine forme...
Puis il m'embrasse sur les lèvres; je lui rends son bisou en pensant : « Si les esprits ne peuvent plus avoir de contact avec le monde humain, moi, je suis encore vivante... »
Je me lève puis je sors de la chambre. Dans le corridor, l'esprit de la jeune femme en robe me fixe et dit : – Pouvez-vous m'aider ?
Je regarde à gauche et à droite, ne remarquant personne, je murmure : – Oui... Quel est votre nom?
– Hope Paulson.
Je griffonne son nom sur une feuille de mon calepin.
L'esprit errant ajoute : – Je veux seulement que mon époux cesse de se culpabiliser au sujet de ma mort... Depuis ma mort, il n'est plus le même... Je voudrais seulement qu'il retrouve sa joie de vivre et qu'il comprenne que la vie continue... Pouvez-vous lui faire comprendre ça ?
Je hoche discrètement la tête, puis Hope Paulson disparaît de ma vue. Je reviens chez moi.
Jim ne sortira de l'hôpital qu'une semaine plus tard. À chaque jour, je venais lui rendre visite et je priais pour son rétablissement, en soutien psychologique. Et, bien sûr, je règle le cas de Hope Paulson. En discutant avec elle, j'appris qu'elle est morte dans l'hôpital à la suite d'une grossesse extra-utérine. Elle est décédée le 4 juillet dernier, car l'opération lui a été fatale. Sauf que son époux ignorait que Hope était enceinte. Elle-même l'ignorait et ne l'apprit que post-mortem. À entendre son récit, je ne pouvais pas m'empêcher de pleurer... « Dommage qu'un jeune couple soit séparé par la mort... Que Dieu m'épargne un tel destin ! », pensé-je. Je me décide à aborder Monsieur Brad Paulson dans le parc de notre ville. Heureusement pour moi, il accepte de m’écouter et de discuter. Je lui transmets le message de Hope, ce qui le laisse visiblement étonné. Il me dit que les docteurs l'avaient informé qu'après la mort de sa femme qu'elle était enceinte. Monsieur Brad Paulson dit qu'il se rappelle seulement que sa femme s'était plainte de douleurs violentes à l'estomac. Il me remercie de mon aide. Cependant, Hope veut aussi savoir si le docteur qui s'occupait de l'opération, un certain Docteur Matthew Devine, est encore en fonction. Je demande alors à la secrétaire de l'hôpital s'il est possible de savoir si le Docteur Matthew Devine est encore actif. La secrétaire me regarde de dessus et répond d'un ton tranchant : « Désolé, Madame, mais vous devez avoir une raison grave pour ainsi demander un docteur ! Sinon, contentez-vous d'un examen médical par votre médecin de famille ! » Je la remercie néanmoins de sa réponse.
Je remarque un esprit errant derrière la secrétaire, à ma droite : une femme âgée probablement vers la soixantaine vêtue comme une infirmière, avec la robe bleu clair si caractéristique et un fichu blanc sur la tête. L'esprit de l'infirmière m’annonce d’une voix chaleureuse : « Je sais où se trouve le bureau du Docteur Matthew Devine : B1490... »
Elle apparaît devant moi et elle se promène dans le corridor de l'hôpital; sans hésiter, je la suis. Me voilà quelques minutes plus tard devant une porte en bois. Je frappe doucement à la porte.
J'entends une voix rauque de l'autre côté : – Entrez !
À peine ai-je ouvert la porte que je vois aussitôt un esprit errant devant moi. Une femme âgée, comme le témoignent les nombreuses rides sur son visage, vêtue d'une robe gris clair. De ses yeux bruns brillent une lueur bienveillante. Elle dit : – Madame, je suis Margaret Devine, l'épouse du Docteur Matthew Devine...
Ignorant les propos de l'esprit errant, je dis : – Monsieur le Docteur Matthew Devine, puis-je vous poser une question ?
Le docteur, assis sur sa chaise de bureau, me regarde de dessus et dit : – Qui êtes-vous et quelle est la raison de votre venue à mon bureau ?
Margaret Devine commente : – Pouvez-vous lui faire comprendre qu'il sera mieux pour Matthew de partir à la retraite ?
Étonnée, je dis : – Pourquoi ?
Le docteur, étonné, hurle d'un ton quelque peu offusqué : – Madame, je vous ai posé une question ! Répondez ou j'appelle immédiatement la sécurité !
Margaret Devin commente : – S'il parvient à se souvenir du numéro pour appeler la sécurité... Pour répondre à votre question, mon mari est dément depuis quelques années, et son état empire lentement, de sorte qu'il oublie des choses habituelles... De mon vivant, je l'aidais avec des cartons sur lesquels j'écrivais des phrases de choses à ne pas oublier... Maintenant, je l'influence mentalement ou encore par la possession, ce que je trouve encore le plus efficace... Sauf que je suis fatiguée de rester parce qu'il devient de plus en plus sénile, en raison de sa démence progressive... L'évolution de sa maladie m'inquiète en particulier pour les pauvres patients morts d'erreur médicale...
Je dis : – Excusez-moi, Monsieur le Docteur Devine de paraître malpolie... Mais j'écoutais votre femme...
Étonné, Matthew Devine hurle : – Quoi !? Margaret est décédée depuis deux ans ! Et vous n'allez quand même pas me faire croire qu'elle est dans mon bureau ! Madame la charlatan, sortez immédiatement de mon bureau avant que j'appelle la sécurité !
Il étire son bras pour s'emparer du téléphone qui se trouve sur le coin droit de son bureau. Vite comme l'éclair, la femme du docteur se déplace à sa droite pour le calmer. Il suspend aussitôt son geste, ramène son bras droit sur son bureau et me fixe, attendant que je dise quelque chose.
Étonnée d'un tel accueil, je me racle la gorge pour me ressaisir puis je dis d'un ton neutre : – Je m'appelle Melinda Gordon. J'ai un don depuis mon enfance, celui de voir les âmes errantes et je dois les aider à accomplir leur dernière volonté et à les convaincre de partir dans la Lumière, ou l'Au-delà...
Matthew Devine, moue sceptique, réplique : – Mouais... Et quoi alors ?
Margaret Devine soupire. Je soupire aussi puis ajoute : – Ceci signifie que je viens en raison de l'une de vos patientes qui est morte cet été, afin d'avoir la certitude quant à la cause de son décès... Et je vois votre épouse, présentement à votre droite... Et elle veut que vous partez à la retraite, car vos fréquents oublis commencent sérieusement à l'ennuyer... D'ailleurs, ils causent plus de mal que de bien à vos patients, puisqu'ils meurent alors d'une erreur médicale... Pouvez-vous simplement vous retirer de votre position ?
– Pourquoi ?
– Et bien, il semblerait que Madame Hope Paulson, décédée l'été dernier, ait été votre patiente... Elle voudrait simplement s'assurer que vous ne travaillez plus à l'hôpital, pour la sécurité des prochains patients... Vous comprenez cela ?
Le docteur baisse son regard. Il murmure : – Êtes-vous sérieuse, Madame Gordon ?
– Je vous corrige: ce n'est pas moi qui est sérieuse, mais Madame Hope Paulson...
Je remarque à ce moment que l'esprit errant mentionné vient d'apparaître à ma droite.
Je commente simplement : – ... qui est présentement à ma droite... Moi, je ne fais que transmettre ses paroles...
Hope Paulson hoche la tête pour confirmer mes propos. Je commente : – ... Et Madame Hope Paulson confirme mes propos d'un mouvement positif de tête...
Le docteur Matthew Devine, dont les yeux s'agrandissant d'effroi, balbutie : – Ça va, j'ai compris ! D'ailleurs, pour être honnête, je reconnais que mes soudains oublis me tracassent moi-même...
Il fait une courte pause et murmure, plus à lui-même qu'à moi : – N'est-ce pas que l'on ne dit pas pour rien que la reconnaissance est le premier pas vers la guérison ?
Le docteur se racle la gorge puis dit : – Madame Gordon, si vous voulez en savoir davantage sur le cas de Hope Paulson, je vous invite à consulter les archives de l'hôpital... Tandis que moi, je rédige à l'instant ma lettre de démission... Sur ce, passez une bonne journée !
Je remarque que Hope Paulson et Margaret Devine hochent simultanément de la tête, ravies, ce qui me fait sourire malgré moi.
Je réplique d'un ton joyeux : – Dans tous les cas, votre épouse et Madame Hope Paulson sont d'accord avec vos propos... Moi, de mon côté, je ne peux que vous souhaiter de passer une bonne journée !
Hope Paulson disparaît de ma vue.
Je sors du bureau du docteur Devine et je me rends à nouveau chez la secrétaire pour lui demander où se trouve la salle des archives. Elle me répond sèchement : Salle A005. Je la remercie et je m'y rends, suivie par Hope Paulson. Chemin faisant, je remarque à nouveau l'esprit errant de la vieille infirmière qui me sourit puis dit : « Madame, vous devez savoir qu'il y a plusieurs des nôtres ici... » Je regarde autour de moi : en effet, de nombreux esprits errants me fixent. Certains sont jeunes, d'autres vieux, vêtus plus ou moins d'une tenue d'hôpital ou de vêtements de réhabilitation, d'autres encore d'une camisole de force. Ils disparaissent quelques secondes plus tard. Gênée, je me rends d'un pas rapide jusqu'à la salle des archives médicales. Heureusement que Hope Paulson me guide jusqu'à son dossier. Je le lis puis je chuchote à l'esprit errant : « Voilà ! Rendez-vous à l'évidence... Vous êtes morte d'une erreur clinique en raison de votre grossesse extra-utérine... Tout ça parce que le Docteur Matthew Devine a oublié une ouate dans votre organisme... »
Hope Paulson d'un air incrédule : – Sérieux ? Pourtant, qui dit qu'il ne l'a pas fait exprès ?
Je réponds brièvement : – Sa sénilité due à sa démence... C'est sa femme qui a constaté le triste progrès de sa maladie...
– Quoi !? Un médecin malade qui prétend aider les autres ? Comment peut-il aider les autres s'il ne peut pas s'aider lui-même ?
D'un ton gêné, je réplique : – S'il vous plaît, Madame Hope Paulson, ne soyez pas si cynique envers le Docteur Devine...
D'un air faussement renfrogné, elle grommelle : – D'accord, je m'excuse...
Puis Hope Paulson disparaît de ma vue. Moi, je reviens chez moi.
Quelques jours plus tard, alors que je viens dans la chambre de Jim, je suis accueillie à la porte par Hope Paulson. Cette dernière semble joyeuse; ses yeux et son visage expriment une joie sincère. Elle m’annonce sur un ton enjoué : « Le Docteur Matthew Devine est enfin parti à la retraite ! »
Je réplique : – Et vous, vous partirez enfin dans la Lumière ?
– Oui, seulement que j'enlace une dernière fois Brad !
Et l'esprit errant disparaît de ma vue. Devant l'air curieux de Jim, qui semblait dire : « Qu'est-ce que je viens de rater ? », je lui résume les propos de l'esprit errant. J'embrasse mon mari furtivement sur les lèvres puis je suis Hope Paulson qui me guide jusqu'à son époux, qui est assis sur le banc d'un parc. Nous nous saluons puis je lui explique que Hope partira bientôt dans la Lumière, lieu où vont toutes les âmes après la fin d'une incarnation. Il me remercie à son tour pour l'avoir rassuré et ôté le poids de la responsabilité de la mort de sa femme. Je remarque Hope Paulson à la droite de Brad. Elle l’enlace par la taille. lui dépose un bisou sur sa joue droite puis disparaît, le sourire aux lèvres, dans la Lumière qu'elle seule voit. Moi, émue jusqu'aux larmes, pleure à la pensée que la mort puisse séparer un si jeune couple. Je sèche rapidement mes larmes du revers de mes mains en pensant: « L'important, c'est qu'il y ait un esprit errant de moins... » Ensuite, je remercie Brad Paulson pour le temps qu'il m'a consacré à m’écouter lui rapportant les propos de sa défunte épouse. Heureuse, comme c'est toujours le cas quand je parviens, avec l'aide de Dieu, à convaincre un esprit errant de partir dans la Lumière, je reviens d'un pas léger chez moi.
Quelques heures plus tard, alors que je suis occupée à préparer des kalitki, je vois Jean Bude de Guébriant à ma droite, un peu en retrait. Je me retourne. Il me sourit puis annonce sur un ton quasi théâtral : « Simplement pour vous révéler l'histoire du Docteur Matthew Devine... »
Je soupire en pensant : « En espérant qu'il ne s'agit pas encore d'une mauvaise surprise... »
– Malheureusement, oui... La sénilité du docteur est causée par des médicaments que lui administre sournoisement une infirmière qui est en contact avec Carl Neely, qui n'apprécie pas son intégrité... De sorte que, possédé par le sombre esprit qui le suit partout, il a eu cette idée, car l'infirmière, une certaine Sutherland, est en rapport avec lui. Il l'a alléché avec une forte prime. Et elle, à son tour, à payer le cuisinier pour lui administrer des poisons responsables de sa démence...
Étonnée, je dis : – Est-ce que la femme du docteur le sait ?
– Oui, sauf que je lui ai ordonné de ne pas tout vous dire d'un coup... Ça fait beaucoup d'informations, qu'il faut digérer lentement, vous comprenez ?
D'une voix blanche, je réponds : – Oui...
L'Esprit Observateur disparaît de ma vue, me laissant encore plus perplexe devant l'immoralité de Carl Neely...
Je reviens à mes kalitki, qui sont cuites.
Le 15 décembre 2001, alors que je me dirige vers la chambre d'hôpital où se trouve Jim, je remarque deux ambulanciers occupés à ramener un policier blessé. Je me rapproche et, à ma grande surprise, je reconnais Paul Eastman. Heureusement, son âme n'est pas sortie de son corps. Je pense : « Sans doute un coup de Carl Neely ! Que Dieu nous protège de ce policier criminel ! » Je soupire.
Le 16 décembre, lorsque le docteur qui s'occupe de mon mari me dit qu'il peut sortir de l'hôpital, je pense, heureuse : « Oh, mon indestructible Jim reviendra à la maison ! »
Tard en après-midi, main dans la main, nous revenons dans notre maison. Chemin faisant, je résume à mon époux le cas de Hope Paulson, en y ajoutant tous les détails dont je me souviens. Jim me sourit en signe de soutien et dit, pour simple commentaire, qu'il est tout aussi étonné que moi de l'immoralité de Carl Neely. Nous remarquons au loin, près d'un parc, une voiture d'ambulance. En effet, deux ambulanciers s'affairent autour d'un homme qui gît, inconscient... L'homme est visiblement un policier en uniforme. Son âme me salue froidement : aucun doute, c'est Carl Neely. Les esprits errants de ses victimes l'entourent, sourire aux lèvres. Je pense : « Les pauvres âmes perdues l'ont sans doute pousser au suicide... » Je fais un signe à mon époux et nous décidons de passer par une rue parallèle, afin de ne pas déranger ses collègues. Nous revenons ainsi chez nous. Jim commente froidement : « Il n’a eu que ce qu'il méritait ! » Je remarque l'âme de mon beau-père à la droite de mon époux, qui hoche rapidement de la tête puis qui disparaît de ma vue. Je commente simplement : « C'est ton père qui t'a inspiré de telles pensées... » Il m'embrasse pour toute réponse; je lui rends son bisou.
17 décembre 2001, 13 h 00.
Comme Jim a congé, nous nous promenons dans le parc de Grandview. Chemin faisant, je vois l'Esprit Observateur du Moyen Âge devant moi. Il dit : – Bonjour, Madame Gordon !
Je fais un signe à Jim, qui comprend aussitôt qu'un esprit s'est manifesté devant moi. L'Observateur se déplace à la droite de Jim, afin de donner l'impression de regarder mon époux lorsque je l'écoute.
Jean Bude de Guébriant me sourit brièvement puis reprend d'un air sérieux: – Simplement pour vous informer sur la vérité au sujet de l'accident de Jim Clancy, votre époux... Le vrai responsable n'est nul autre que Carl Neely...
Je soupire.
L'Esprit Observateur continue son explication : – Il avait l'ordre de tuer l'homme que Jim a ramené dans l'ambulance. Le Bohémien a conduit une moto à usage personnel pour percuter l'homme, puis a pensé se sauver avant l'arrivée de ses collègues... Ensuite, une fois en civil, il appelle ses collègues pour dire qu'il est le témoin d'un accident sur la route. Il se sauve en se cachant derrière un buisson. Le Bohémien voulait être sûr que l'homme soit mort : il vise alors le pneu droit de l'ambulance, lorsque le véhicule s'est approché du buisson. Et voilà comment Robert Tooch a perdu le contrôle...
Je murmure : – Merci de l'information !
Et l'esprit du Moyen Âge disparaît de ma vue. Je rapporte ses propos à Jim. Nous sommes tous deux étonnés du sérieux manque de conscience morale de Carl Neely... D'ailleurs, nous sommes toujours intrigués par ce surnom de « Bohémien », c'est-à-dire de « Tchèque »... Nous revenons dans notre maison, sans plus s'inquiéter à son sujet : nous pensons bien que le temps nous dévoilera le rapport de Carl Neely avec la Tchéquie.