Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 11 : Mauvaise et bonnes nouvelles

2926 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/02/2024 01:53



12 mai 2001, 13h00.

Puisque Jim a congé, nous nous promenons alors dans le parc de notre ville. Au cours de la promenade, mon époux me confie s'être rendu à mon avis : il essaiera d'intégrer la Faculté de Médecine de l'Université Rockland à la session d'automne, qui débute le 4 septembre prochain. Il a rédigé entre-temps une notice autobiographique sur ses compétences et une lettre de recommandation, qu'il envoie à la poste chemin faisant. Puis nous revenons chez nous.




15 mai 2001, 10h00.

Je suis occupée dans la cuisine, en train de préparer des pierogis au chou blanc et à la viande. Soudainement, l'Esprit Observateur Jean Bude de Guébriant apparaît à ma droite et me dit :

 – Ayez à l'œil le Bohémien !

Il laisse un message sur la table de la cuisine puis disparaît de ma vue.

Lorsque je place les pierogis au four, je nettoie la surface de travail puis je prends la feuille qui traîne sur la table de la cuisine. Je lis le message :

« Battre, tuer, meurtrir ne occire

Te est deffendu entierement

Si rencune veulx porter ou mesdire

Pugny seras amerement. »1


Perplexe, je pense : « Monsieur le professeur encore du travail pour vous ! ... Je l'appellerai cet après-midi, en espérant qu'il soit à son bureau... »


Lorsque les pierogis sont cuits, je les laisse refroidir un peu avant d'en manger deux. Ensuite, je fais la vaisselle, puis j'appelle le professeur d'Anthropologie des sciences occultes pour savoir s'il est possible de le rencontrer dans quinze minutes. Il me répond qu'il ne peut que lorsqu'il aura terminé son cours, c'est-à-dire vers 15h30. J'accepte néanmoins de le rencontrer à cette heure-ci ; comme si j'avais le choix... Vers 15h15, je sors de ma maison pour me rendre jusqu'à l'Université Rockland, où le professeur Richard Payne me reçoit à son bureau avec une certaine curiosité dans son regard. Son expression faciale me fait sourire malgré moi. Et, comme à chaque visite, il me traduit le message de l'Esprit Observateur, en y ajoutant pour seul commentaire qu'il s'agit encore une fois d'une citation d'un écrit de Jean Gerson intitulé Les dix commandements. Voici la traduction :

« Battre, tuer, blesser sans tuer

T'est totalement défendu

S'il y a rancune ou médisance,

Ceci sera puni sévèrement. »


Je remercie le professeur de sa précieuse collaboration et je reviens chez moi, perplexe. « Qui est la prochaine victime de Carl Neely ? » pensé-je, inquiète. Lorsque Jim revient du travail le soir, je lui résume les principaux événements de la journée. Nous concluons que Carl Neely est bien décidé à tuer un autre habitant de Grandview... Mais qui ? Et pourquoi ? Il ne me reste, dans mon affolement et dans ma crainte, qu'à prier la Vierge et le Christ de protéger notre petite ville...




16 mai 2001, 15h00.

Jim est au travail. Je suis au salon, où je révise pour une énième fois mes notes de mon cours de conduite. Le téléphone sonne. Je cours jusqu'au téléphone et je jette un coup d'œil rapide à l'afficheur : le numéro de mes parents. Simultanément, je remarque du coin de l'œil vers ma droite, une apparition : mon père, vêtu de sa robe de juge noire lui allant jusqu'aux mollets et d'une chemise blanche. Sauf que cette fois, j'ai l'impression qu'il est une âme errante... Je pense : « Oh, mon Dieu ! J'espère que je me trompe ! Papa, tu es encore vivant ? » L'âme me regarde d'un air triste puis disparaît de ma vue.

Inquiète, je soulève le combiné : – Bonjour, mère !

Ma mère, en sanglotant : – Melinda... ton... père....

Je ne comprends pas la suite, mais je pense : « Père est mort, sans doute tué par Carl Neely ! C'était donc à lui que se rapportait l'avertissement d'hier ! Ah, Mon Dieu! »

Je pleure silencieusement, horrifiée par la soudaine réalisation qui m'est venue à l'esprit. Je renifle puis dis d'une voix tremblante : – Tu veux dire... que père est mort... Je viens de voir son âme il y a quelques secondes...

Ma mère dit d'une voix cassante : – Exactement... Son âme... m'a révélé...

Je complète sa phrase : – ... que Carl Neely est responsable de sa mort...

– Hum hum... Exactement... Il...

Et ma mère éclate en sanglots. Je pleure aussi.

Je remarque mon père devant moi. Il me dit d'un ton courroucé, tandis que ses yeux glacés lancent des éclairs, les rendant encore plus terribles : – Tu veux savoir les circonstances de ma mort ? Le salaud m'a poussé du haut des escaliers alors que j'ai terminé mon audience il y a deux heures... Sans doute parce que je suis à deux doigts de trouver la preuve ultime qu'il était le meurtrier de mon collègue Aiden Clancy !

Entre deux pleurs, je dis au téléphone : – Mère, père vient de me dire les circonstances de sa mort... Carl Neely l'a poussé des escaliers alors qu'il a terminé son audience il y a deux heures... Et il pense que c'est sans doute en raison de son enquête sur la mort de son collègue Aiden Clancy, le père de mon mari...

Ma mère, en sanglotant, réplique : – Il me l'a dit lui-même... De sorte que tu sais tout. Je n'ai rien à ajouter ! Tu viendras aux funérailles avec ton mari ?

Je réponds : – Oui...

– Elles auront lieu dans une semaine, à l'église de la Sainte-Vierge... Sinon, ne laisse pas une si triste nouvelle gâcher ta journée !

Je murmure, n'ayant plus la force de parler normalement tellement ma gorge est serrée sous l'effet de l'émotion : – De même pour toi !

Ma mère et moi raccrochons nos téléphones respectifs.

L'âme errante qu'est devenue maintenant mon père apparaît devant moi et dit : « Ma petite Melinda, je tiendrai compagnie à mon collègue Aiden pour se venger du salaud de Carl Neely... C'est la seule chose qui me reste à faire avant de quitter le monde des vivants... »

À ce moment, mon beau-père apparaît à la droite de mon père. Les deux esprits errants se donnent une solide accolade amicale.

Mon père commente : « Melinda, ne soit pas choquée par mon apparence... Je fais quand même meilleure mine que mon collègue, n'est-ce pas ? »

Je hoche la tête pour approuver ses propos. « Il ne perd pas son humour même d'outre-tombe! » pensé-je, un faible sourire aux lèvres et les larmes aux yeux.

Mon père sourit devant ma réaction, ce qui semble adoucir son regard glacé. Après quelques secondes de silence, il dit à mon beau-père : – Aiden, il nous restera qu'à faire justice au salaud de policier...

Mon beau-père, dont la mine se durcit, dit d'un ton froid : – La loi du talion !

Mon père, d'un ton glacial, surenchère : – Exactement !

Les deux esprits errants disparaissent de ma vue. Je reviens au salon en pleurant à chaudes larmes... Je pense : « Pourquoi le malheur doit frapper ma famille ? Qu'a Carl Neely contre moi ? Que Dieu nous protège de lui ! Que Dieu fasse en sorte que je ne rencontre plus cet assassin inhumain ! »

Lorsque mon époux revient du travail, je lui annonce la triste nouvelle. Il m'enlace pour me rassurer.

Évidemment, le corps du défunt ne sera enterré que trois jours plus tard, pour respecter le rite orthodoxe, auquel ma mère y tient pour se rassurer.




23 mai 2001, église de la Sainte-Vierge, 10h00.

Les funérailles en l'honneur de mon père sont organisées. Ma mère, vêtue de bleu, pour respecter la volonté de mon père - qui ne veut pas que nous nous habillons en noir, car il en avait assez de sa robe de juge de son vivant - est assise sur le premier banc. Jim et moi, également vêtus de bleu, sommes sur le banc voisin. Ma mère et moi remarquons l'esprit errant qu'il est devenu, ce qui arrache une larme de tristesse à ma pauvre mère. Je soupire et je serre la main de mon époux pour ne pas commencer à pleurer. Nous suivons discrètement les mouvements du pope en train d'encenser le cercueil puis de l'asperger d'eau bénite. Ensuite, il récite des bénédictions. Je suis seulement déconcentrée par la présence de l'âme errante qu'est devenu malheureusement mon père... Je pense « Ah, Mon Dieu ! Sous quelle mauvaise étoile suis-je née pour voir autant de mes proches mourir ? » Je soupire pour ne pas commencer à pleurer. Après l'enterrement au cimetière de Grandview, ma mère, mon époux et moi respectons scrupuleusement la période de deuil, par respect pour le défunt. Et chemin faisant, respecter la période de deuil pour mon beau-père, étant donné que nous n'avons pas pu le faire, car c'était notre mariage puis notre lune de miel. De sorte que nous avons deux périodes de deuil, l'une pour mon père, suivie de celle pour mon beau-père.




20 août 2001, 9h00.

Comme Jim a congé, nous sommes au salon face à face, lui en train de réfléchir à son histoire fictive L'Égypte vue par un ambulancier, moi en train de tricoter un pull. Le téléphone sonne. Je jette un coup d'œil à l'afficheur: le numéro de l'Université Rockland.

Devant moi, Jean Bude de Guébriant apparaît et dit : « C'est pour votre mari. »

Je répète comme un automate : « Jim, c'est pour toi ! »

Mon époux accourt aussitôt vers le combiné et le soulève : – Bonjour ! Monsieur Jim Clancy à l'appareil... Oui. oui... Pas de problème ! Monsieur le Docteur Forrest Morgan, passez une bonne journée ! Au revoir !

Il raccroche le téléphone. Son visage rayonne d'une joie presque enfantine, ce qui me fait sourire malgré moi. Il s'exclame d'un ton joyeux : « C'est au sujet de ma candidature à la Faculté de médecine... Que le Ciel soit remercié ! Ma candidature a été retenue ! Et le Docteur Forrest Morgan m'invite à une entrevue pour confirmer mon intégration au programme... Elle aura lieu demain à 13h00.

Je pense : « Grand-père Jarosław serait content de toi ! »

Je dis : « Tu es simplement génial Jim ! »

Il réplique : – Non ! C'est toi qui m'a convaincu de la chose !

Le sourire aux lèvres, je dis : – Je te rappelle que ce n'est pas moi, mais mon grand-père Jarosław qui veut que tu deviennes un docteur...

Jim s'approche de moi et m'embrasse sur les lèvres pour me faire taire. Il m'enlace tendrement et nous revenons au salon. Je me libère de son étreinte et je reviens à mon tricot. Jim me regarde amoureusement de ses jolis yeux bleus, ce qui me déconcentre. Je laisse alors mon tricot. Il s'approche de moi et me saisit par la taille puis me transporte jusqu'à notre chambre...



Le lendemain, 12h15.

Jim se prépare pour son entrevue. Je trouve bizarre de le voir vêtu d'un complet bleu marine et d'une chemise blanche... Il ferme la porte d'entrée. Je le regarde jusqu'à le perdre de vue. Je ne suis pas la seule à regarder Jim : à ma droite, mon grand-père Jarosław, qui semble content de la tournure des événements, fait de même. Il disparaît avant que je puisse dire quoi que ce soit. Je reviens à mes révisions de mes notes de cours de conduite au salon. 

Une heure plus tard, il est devant la porte d'entrée. Je l'ai vu arrivé, car je tricotais près de la fenêtre, de sorte que je ne rate point son retour. Je lui ouvre la porte. Ses yeux brillaient d'une joie quasi enfantine, surtout lorsqu'il remarque mon regard interrogateur. Il sourit et m'embrasse pour que je le laisse entrer. Je referme la porte derrière lui puis je demande : - Alors, Jim, comment s'est passée l'entrevue ?

Le sourire aux lèvres, il me répond d'un ton joyeux : - Très bien... Je ne m'inquiète pas, ma chérie...

- Quand aurais-tu la réponse ?

- D'ici la fin de la semaine... Aujourd'hui, nous sommes le mardi 21 août... Et bien, d'ici vendredi, j'aurai la réponse à mon admission, que j'espère, si Dieu le veut, être positive.

Je murmure : - Je l'espère aussi...

Et Jim me serre la main droite. Je serre sa main gauche. Il m'embrasse sur les lèvres; je lui rends son bisou. Le coquin me murmure des mots doux et il m'entraîne doucement jusqu'à notre chambre...

Deux jours plus tard, Jim a reçu une réponse positive à son admission. Je suis tellement contente pour lui ! Ce n'est certainement pas pour dire que je suis la femme d'un étudiant en médecine... Je l'aime parce qu'il est Jim Clancy, le meilleur ambulancier de Grandview et le seul homme que j'aime en son âme et qui m'aime telle que je suis, avec mes qualités et mes défauts...





1er septembre 2001, 15h00.

Jim revient du travail. Il me rapporte que depuis la mort de mon père, il remarque une coïncidence bizarre, à savoir des fréquentes hospitalisations de Carl Neely, en raison de chutes dans des escaliers ou encore des tentatives de suicide avec son arme de fonction. Il m'avoue que s'il se serait occupé de le ramener à l'Hôpital Mercy, il serait tenté de le laisser mourir, surtout depuis l'attentat sur moi... Je lui fais le commentaire que sa fonction d'ambulancier est de sauver les blessés, et non d'accélérer leur mort. Un méchant sourire aux lèvres, Jim me réplique qu'il fera une exception pour lui.

Je remarque à la droite de mon époux mon père et mon beau-père, tous les deux avec un sourire malin au visage.

Je pense : « Je comprends votre colère envers Carl Neely, mais pourquoi cet acharnement ? »

Mon père, d'un ton froid répond simplement : - Я русский, Я иду до конца [Je suis Russe, Je vais jusqu'au bout]2 !

Et les deux âmes errantes disparaissent de ma vue. Devant le regard insistant de Jim, auquel mon regard étonné n'a pas échappé, je dis : - Nos deux pères sont responsables des fréquentes hospitalisations de Carl Neely...

Jim réplique d'un ton froid qui me surprend : - Tant mieux ! Au moins, Grandview connaît un peu de répit !

Étonnée, je murmure : - Jim, ne dis pas ça...

Il baisse son regard puis murmure : - Désolé, Mel… C’était plus fort…

Un petit sourire aux lèvres, je dis : - Dans tous les cas, mon père et le tien étaient apparus il y a quelques secondes et mon père a dit qu'il s'acharne sur Carl Neely parce qu'il est Russe et qu'il va jusqu'au bout... Une telle phrase en dit long sur leurs intentions...

Mon mari hoche la tête pour me faire comprendre sa compréhension de mes propos.

D'un ton doux, je dis : - Mon amour, si nous passons à quelque chose de plus joyeux ?

Un sourire coquin aux lèvres, mon époux s'approche de moi et me serre mes deux mains entre les siennes puis murmure d'une voix chaleureuse : - Bien sûr, ma chérie... Tu as le don de me faire changer d'humeur... C'est en cela que tu sais faire une différence pour les vivants... Pas seulement pour les âmes errantes...

Un petit sourire gêné, je réplique : - Tu as raison...

Il m'entraîne jusqu'à notre chambre.





4 septembre 2001, 7h45.

Jim commence sa première journée à l'Université ! Il m'a montré son horaire de la semaine, qui est assez chargé, avec sept cours pour cette première session. Il me dit qu'il n'aura qu'à persévérer et à bien se préparer aux examens. Jim amène tout ce dont il a besoin, m'embrasse une dernière fois sur les lèvres, puis franchit le seuil de la porte d'entrée. Je le regarde depuis la fenêtre jusqu'à le perdre de vue. A ma droite, mon grand-père Jarosław me sourit. 

Je lui dis : « Alors, es-tu content pour mon époux ? Dans sept ans, il deviendra docteur... »

L'esprit errant répond d'un signe de tête positif puis disparaît de ma vue. Je reviens alors à mon tricot au salon.

À midi, je mange ma portion de poulet à l'orge, que je réchauffe tout simplement. Après la vaisselle, je me rends à ma boutique d'antiquités, question de voir de nouvelles acquisitions. Vers 17h00, je ferme la boutique et je reviens chez moi. Jim revient quinze minutes plus tard. Il revient de ses cours. Lorsqu'il franchit le seuil de la porte d'entrée, je lui demande comment a été sa première journée à l'université. Il m'a dit que c'était bien. Dans tous les cas, il est très motivé. Je l'embrasse sur les lèvres en signe de soutien. Moi de mon côté, j'ai fait passer dans la Lumière un esprit qui hantait un meuble de ma boutique d'antiquités. Je suis tellement contente quand les cas des âmes errantes sont simples ! Ceci me permet de moins penser au danger de la malédiction de la famille de mon mari et au danger du policier criminel Carl Neely…




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1 Jean Gerson, Les dix commandements, dans Œuvres complètes, volume VII, L'œuvre française (292-339), introduction, texte et notes par Mgr Glorieux, Paris, Desclée & Cie, 1966, p. 424.


2 Deux vers de la chanson Я Русский [Ya Russkiy, Je suis Russe] de Shaman.



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