Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
30 avril 2001, 13h.
Je suis au salon, en train de tricoter un pull à Jim. Toute cette histoire d'esprits commence à m'ennuyer... Surtout, elle me laisse perplexe. Qui est ce mystérieux sorcier tchèque ? Je suis intriguée du rapport entre Carl Neely et la Tchéquie ? À moins qu'il soit possédé par un esprit originaire de ce pays ? À vrai dire, je ne sais que conclure. Comme mes pensées passent du coq à l'âne, je me repose l'esprit en tricotant. Mon époux, lui, est au travail. Tout à coup, je remarque l'Esprit Observateur Jean Bude de Guébriant devant moi. Je le regarde, en pensant : « Quel message voulez-vous me communiquer ? »
Pour toute réponse, il dépose une petite feuille de papier sur la table basse, puis dit : « Au moins, vous avez compris qui est le Bohémien... »
J'interviens : – Mais pourquoi ce surnom ?
– C'est tellement évident ! Tous les moineaux sur les toits de Grandview le savent ! Par ailleurs, Alfred Neely vous a donné l'indice principal... Ensuite, tirez les bonnes conclusions !
Et l'Esprit Observateur disparaît de ma vue avant que je puisse ajouter quoi que ce soit.
Perplexe, je pense : « Peut-être que sa mère est Tchèque, qu'il avait vécu un certain temps en Tchéquie, qu'il avait eu une aventure avec une Tchèque avant son mariage, ou bien qu'il est possédé par un esprit tchèque... Il y a trop de possibilités à envisager... Sauf si Alfred Neely n’est pas le père du policier Carl Neely, mais d'un homonyme, confus comme il est... Car je ne peux quand même pas imaginer qu'une femme ait l'audace de faire porter à un bâtard le nom de famille de son mari, alors qu'elle sait qu'il n'est pas le père... D'ailleurs, même l'idée d'une adultère m'est impossible, car l'un des Commandements dit de ne pas désirer la femme de son prochain... »
Je soupire et je lis le message que l'Esprit Observateur m'a laissé :
« Le péché capital de l'ire si « [s]e tu as porté armes pour assaillir aultruy. »1 »
Je soupire et je téléphone au professeur Richard Payne. Il accepte de me recevoir à son bureau aujourd'hui. Contente, je m'y rends immédiatement. Voici la traduction du message « Le péché capital de la colère lorsque tu as porté des armes pour attaquer autrui. » Le professeur ajoute pour commentaire qu'il s'agit d'un extrait de l'Examen de conscience selon les péchés capitaux de Jean Gerson. Je remercie mon ami universitaire de son aide et je reviens chez moi. Je reviens à mon tricot.
Après quelques minutes, je remarque une apparition : l'âme de mon père. Elle me dit sur un ton lugubre : « Gare au policier ! » puis elle s'évanouit. Je suis morte de frayeur, car je pense que Carl Neely essaye un autre attentat contre moi... Je pleure silencieusement, à un tel point que les larmes brouillent ma vue. Je me calme en récitant à voix haute une prière au Seigneur Jésus-Christ. Je sèche mes larmes avec mon mouchoir. Et je reviens à mon tricot.
Le lendemain, Jim a congé. Je lui rapporte les principaux événements de la veille. Nous parvenons à la conclusion suivante : visiblement, Carl Neely prévoit peut-être un autre homicide. Mon époux me conseille d’être prudente. Il ajoute qu'il est intrigué, d'ailleurs, par les véritables intentions de son ami policier Paul Eastman... Il compte demander à mon père comment faire un interrogatoire. Jim téléphone à mes parents. Après l'appel, il dit : « Ton père accepte de me rencontrer maintenant ! On y va ! » Il me serre la main droite et m'entraîne jusqu'au garage, où se trouve sa voiture. Jim nous conduit jusqu'à la maison de mes parents. Mon père, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon bleu marine, avec des lunettes de lecture sur son nez, nous accueille à la porte. Une fois rendus au salon, les yeux pétillants de joie, ce qui les rend moins glacés, il s'exclame d'un ton joyeux : – Alors, quelle bonne nouvelle m'apportez-vous ?
Jim et moi avons immédiatement compris l'allusion. Il pensait sans doute que je suis enfin enceinte... Nous nous échangeons un regard complice. Mon mari dit : – Tomas, merci de manifester autant de joie, mais non, nous ne venons pas pour vous apporter la bonne nouvelle tant attendue...
Le visage de mon père redevient sérieux. Jim, le sourire aux lèvres, complète sa phrase : – ... mais plutôt pour discuter des manières de mener un interrogatoire, car je voudrais m'assurer des intentions de mon autre ami policier Paul Eastman... Surtout lorsque Mel et moi avons compris les intentions meurtrières de Carl Neely... Or, je sais que Paul Eastman était son camarade de classe, de sorte qu'il est aussi suspect que lui d'être un assassin en uniforme...
Mon père réplique d'un ton froid : – Je comprends très bien où tu veux en venir... Et bien, alors je t'explique comment ça fonctionne...
Jim et moi sommes assis sur un canapé en face de mon père. Ce dernier explique à mon époux certains principes des interrogatoires. Comme je trouve les explications ennuyantes, je divague dans mes pensées en tentant de me rappeler de ce que j'avais révisé il y a quelques jours de mes notes de cours de conduite... De sorte que je ne sais rien de ce que mon père a expliqué à Jim... Une fois les explications terminées, Jim et moi remercions mon père de son aide et nous revenons chez nous. Mon époux me taquine gentiment : « Ainsi, Mel, tu n'écoutes pas ce que ton père m'a dit, préférant divaguer dans tes pensées... A quoi pensais-tu de si intéressant ? »
Je réplique d'un ton sérieux : – Mes notes de cours de conduite... J'ai ainsi vérifié si j'ai vraiment retenu mes révisions...
– Je comprends... Mais au moins, je connais certaines techniques d'interrogatoire, ce qui me permettrai d'avoir le cœur net quant aux véritables intentions de Paul Eastman... Et je te rapporterai, bien sûr, ma chérie, mes impressions...
Et il m'embrasse sur la joue gauche lorsque nous avons un feu rouge.
Une fois revenus chez nous, je reviens à mes notes de cours de conduite pour me faire rentrer dans la tête les éléments manquants... Jim est au salon et réfléchit sur son histoire fictive. Le reste de la journée est tranquille, sauf le soir. Il est agité pour moi. Dans mon rêve, je vois un homme en noir (que je ne peux point identifier) s'approcher de Jim et lui arracher la bague de Samuel de son doigt puis de s'enfuir au loin. Il revient pour le tuer froidement avec une arme à feu. Je me réveille en sursaut. J'enlace le bras droit de Jim pour me rassurer. Il se réveille en maugréant. Je lui raconte mon rêve ; il m'embrasse sur les joues, le front et les lèvres pour me rassurer. Une fois calmée, je me rendors dans ses bras. Le cauchemar se poursuit. Cette fois, je me trouve près d'une forêt. Devant moi, un cercueil. J'entends derrière moi une voix caverneuse dire : « Tu peux dire adieu à ton mari ! Ah!Ah!Ah!Ah! » Inquiète, le cœur qui bat la chamade, j'ouvre doucement le cercueil et je vois en effet Jim avec une balle à la hauteur de sa poitrine... Je referme le cercueil et j'éclate en sanglots. Je dis d'une voix étranglée : « Qui... êtes-vous ? Pourquoi... mon... mari ? » Je me réveille en sursaut et je pleure à chaudes larmes, encore secouée par le cauchemar. Je serre la main droite de mon époux pour m'assurer de sa présence. Jim me console encore une autre fois, réveillé par mon contact et mes pleurs.
Le lendemain, je fais les commissions au marché de notre ville. Homer me tient compagnie. Sa présence m'est toujours rassurante. Lorsque je regarde les produits sur les étalages, j'entends le chien-esprit grogner. Étonnée, je regarde autour de moi : un peu en retrait, vers ma gauche, le sombre esprit au chapeau. Je pense : « Je devrais demander au professeur Payne s'il sait quelque chose à son sujet... Dans tous les cas, il ne semble pas être gentil... » Je me signe discrètement et je continue à regarder les étalages. Je reviens chez moi avec les commissions. Je téléphone aussitôt au professeur Payne. Je tombe sur sa boîte vocale. J'y laisse alors le message suivant : « Bonjour, Monsieur le professeur Richard Payne, c'est Madame Melinda Gordon... Simplement pour savoir si nous pouvons discuter sur le cas d'un esprit. Merci de me rappeler pour me confirmer l'heure de notre rencontre. Passez une bonne journée ! »
Contente, je m'affaire dans la cuisine. Richard Payne me rappelle en après-midi. Lorsque je vois sur l'afficheur le numéro de l'Université Rockland, je soulève immédiatement le combiné. Nous convenons d'une rencontre dans quinze minutes. Je le remercie d'accepter une rencontre à l'improviste. Il m'accueille avec bienveillance, le sourire aux lèvres. Je lui décris le mystérieux esprit sombre au chapeau. Le professeur, en fouillant dans plusieurs livres qui se trouvent sur l'une des étagères de sa bibliothèque, parvient à m'identifier l'esprit : un certain Antonio Romano. De son vivant, il était le chef d'une secte italienne. Le professeur me montre une photographie de la dernière réunion de cet homme et de ses disciples ; à ses côtés, je remarque un jeune homme vêtu d'un complet bleu cravate. C'est son associé, un certain Federico Amedeo. Ils sont morts empoisonnés au cyanure. Selon ce que me rapporte Richard Payne, cette secte vouait un culte à Satan, de sorte qu'il conclut que leur dernière réunion, en décembre 1996 était un sacrifice rituel. Je suis effrayée à la vue de cette photographie. Je remarque que lorsque nous débutons notre conversation sur ces sombres esprits, ils apparaissent dans le coin gauche du bureau. Je me signe.
Le professeur dit d'un ton inquiet : – Un esprit vient d'apparaître ?
D'une voix tremblante, je réponds : – Oui... Les deux que nous avons mentionnés...
– Ça ne m'étonne pas, puisque, d'après les croyances primitives, la mention des noms des défunts assure leur survie... De sorte qu'il faut se défendre contre les suppôts du Diable...
Richard Payne sort du tiroir de son bureau une grosse croix en bois, un chapelet et une Bible. Je remarque aussi que Homer apparaît à ma droite et grogne furieusement en direction de Romano et de son associé qui rit méchamment. Lorsque le professeur d'Anthropologie commence à réciter un extrait du Livre sacré – L'Évangile selon Marc – et que Homer les fixe en grognant furieusement, les sombres esprits disparaissent de ma vue.
Je commente : – Merci, Monsieur le professeur Payne, de vos explications... Je vous confirme qu'ils ont disparu... De plus, j'ai un chien-esprit qui me protège de tels esprits malveillants...
Le professeur marmonne : – Intéressant...
– Bien que j'y crois un peu à ce principe de l'invocation des défunts par la parole, j'ignorais que cette croyance était pré-chrétienne...
Le sourire aux lèvres, après avoir rangé la croix, le chapelet et la Bible, il dit : – C'est pourquoi je suis là, Madame Gordon... Et soyez prudente !
– Oui, je le serais ! Ne vous inquiétez pas pour moi... Je suis une grande fille qui sais se défendre toute seule... Sinon, j'ai mon mari.
– Très bien ! Passez alors une bonne journée et que Dieu vous protège, Jim et vous !
Étonnée d'une telle sincère piété de la part d'un universitaire, je réplique : – De même pour vous !
Je sors du bureau de Richard Payne et je reviens chez moi, contente de savoir enfin l'identité de l'esprit maléfique. Je rapporte à Jim les conclusions de notre conversation lorsqu'il revient du travail le soir. Il m'écoute comme d'habitude et m'embrasse sur les lèvres pour m'encourager à la prudence. Il me rapporte qu'il avait commencé à discuter de tout et de rien avec Paul Eastman pour essayer de savoir ses intentions. De la conversation d'aujourd'hui, il ne peut pas conclure quoi que ce soit. Il me dira quelques jours plus tard sa conclusion. Je lui réplique : « Tu es vraiment génial ! » Et je l'embrasse sur les lèvres ; il me rend mon bisou. Le soir est agité pour moi : le même cauchemar se répète, à l'exception que cette fois, Jim meurt d'une chute des escaliers. Je descends rapidement des marches. Je me penche au-dessus de son corps, pour constater qu'il est mort... Je pleure, ce qui me réveille. Je réveille mon époux en l'enlaçant fermement de mes deux bras. Je lui raconte entre deux sanglots mon cauchemar.
Le 3 mai 2001, 13h.
Comme la journée est ensoleillée, Jim et moi nous promenons dans le parc de Grandview main dans la main. Nous remarquons du coin de l'œil Carl Neely en patrouille, toujours suivi des trente esprits errants, dont ma sœur et mon beau-père. Nous nous ignorons mutuellement. Seule la jeune Arabe vers la vingtaine, toujours vêtue d'un manteau d'hiver et d'un voile bleu, tous les deux barbouillés de sang, apparaît devant moi. Elle dit en anglais avec son accent : – Madame Gordon, je n'ai pas oublié votre scepticisme lors de notre première rencontre...
Je lui demande d'un ton neutre : – Rappelez-moi, déjà, votre nom ?
– Katia Neely...
– Quel est votre nom de jeune fille ?
– Katia Farah.
– Et bien, Madame, pourquoi errez-vous encore parmi les vivants, bien que vous saviez que votre époux avait provoqué l'accident responsable de votre mort ?
– Encore facile pour moi ! C'est pour l'enfant que j'aurai pu donner naissance que je ne peux pas lui pardonner, mon salaud de mari !
– Pouvez-vous m’expliquer la situation ?
– Au moment de l'accident, le 27 décembre 1996, j'étais enceinte de deux mois... Et il le savait... Nous étions mariés depuis le 20 septembre 1994...
Je murmure : – Ah mon Dieu ! Comme c'est cruel !
Après une courte pause, je dis : – Madame, pouvez-vous alors me dire pourquoi l'âme errante de votre enfant ne hante pas votre mari ?
– Le pauvre, il a à peine été conçu qu'il meure... Il est parti dans la Lumière, car rien ne lui pèse sur l'âme...
Des larmes coulent des joues de Katia Farah-Neely. Moi aussi, émue par son récit, je commence à pleurer. Jim serre ma main droite. Je serre la sienne.
L'esprit errant fait une courte pause puis, d'un ton courroucé, s'exclame : – Et vous pensez que je lui pardonne ça ? Je crains pour la pauvre seconde épouse... Qu'Allah la protège de subir un sort aussi terrible que le mien ! Et depuis, je sais que Carl est embauché comme tueur à gages... Comme l'amour rend aveugle !
Puis l'esprit errant disparaît de ma vue. Devant l'expression d'étonnement de Jim, je souris et je lui dis en russe : – C'est la première épouse de Carl Neely, Katia Farah, qui était enceinte de deux mois lorsqu'elle était morte... Sauf que l'âme de cet enfant est directement partie dans la Lumière... Le pauvre, il n'a pas eu le temps de vivre...
Les larmes se pointent dans le coin de mes yeux. Jim me serre la main droite pour me calmer.
Je dis d'une voix brisée : – Comment peut-il être si méchant envers sa propre épouse ? Quel monstre ! Le mariage, c'est pour le meilleur et le pire, n’est-ce pas ?
Jim approuve mes propos d'un mouvement de tête positif. Nous continuons notre promenade. Je n'arrive pas à imaginer que Carl Neely, en tant que policier professionnel, puisse être un froid assassin. Il est donc hypocrite... Je dois me rendre à l'évidence... Mais comment peut-il être méchant et froid envers ses proches ? Dans ce cas, il est bien possible qu'il ait aussi tué Alfred Neely, son père... Je préfère mieux ne pas y penser...
Sur notre route du retour, un esprit errant apparaît devant moi. Celui d'un homme vers la vingtaine, vêtu d'un pull bleu moyen sous lequel se voit le col d'une chemise blanche et d'un pantalon samt bleu marine. Seule une tache de sang sur son crâne témoigne de sa fin violente. Je pense : « J'ai l'impression de vous avoir déjà vu... »
L'esprit répond : – Oui, je suis Gerald Mahoney, l'époux de Marlène Lavigne.
Je réplique : – Son premier époux ?
Il maugrée : – Oui !
– Ça va, j'ai compris que vous n'êtes pas content que votre épouse s'est remariée à votre meurtrier...
D'un ton courroucé, Gerald Mahoney réplique : – Exactement ! Là, vous comprenez pourquoi je veux que ma Marlène remarque à quel salaud de sorcier elle s'est mariée ?
D'une voix posée, je lui réplique : – Je comprends très bien votre réaction, mais puis-je seulement vous poser une question ?
D'un ton neutre, l'esprit dit : – Oui...
– Saviez-vous pourquoi avez-vous attiré l'attention de Carl Neely sur vous ?
L'esprit errant fait mine de réfléchir pendant quelques secondes puis dit : – C’est ma femme, Marlène, qui a attiré son attention, la trouvant à son goût... Je dois vous dire une chose, Madame: je ne suis qu'un simple et honnête commerçant.. Peut-être que c'est aussi mon honnêteté qui le dérangeait, le sorcier aux yeux gris ! Salaud et voleur de femme !
– Ça va, j'ai compris votre histoire...
– Vous comprenez que je dois veiller sur ma Caitlin, ma fille chérie...
– Je comprends très bien, Monsieur...
Et l'esprit errant disparaît de ma vue. Je résume les propos à Jim, qui m'écoute attentivement, puis qui m'embrasse sur les lèvres en signe d'encouragement. Je lui rends son bisou. Nous ne parvenons pas à comprendre comment un homme peut être si immoral et se permettre l'adultère et le meurtre. Mystère... Je prie la Vierge d'éclairer la seconde épouse de Carl Neely; la pauvre, je la plains à quel homme elle s'est mariée...
Le 4 mai 2001.
Je suis au marché de Grandview, en train de faire les commissions. Tout à coup, l'esprit errant d'une jeune femme vers la vingtaine se manifeste devant moi. Elle est simplement vêtue d'un manteau d'hiver vert forêt et d'un pantalon samt beige moyen, ce qui met bien en valeur ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Le seul détail troublant est une tache de sang sur sa poitrine. Je fais de grands efforts pour ne pas faire une moue de dégoût. Je lui demande mentalement de décliner son identité et sa raison de rester parmi les vivants. La jeune femme se présente : Ana Romanova une Russe morte par un prétendant qui est un sorcier.
Intriguée, je lui demande : – Si ma question n'est pas indiscrète, pouvez-vous me dire l'identité de ce prétendant ?
D'un ton courroucé, elle réplique : – Carl Neely !
Étonnée, je réplique : – Le policier aux yeux gris ?
– Oui !
– Pouvez-vous préciser...
– Il voulait me séduire... Et comme je l'ai refusé, il m'a froidement tué d'une balle dans le dos, alors que j'étais au marché...
Je marmonne, les yeux agrandis par la peur : – Mon Dieu ! Quelle cruauté !
– En plus, j'ai voulu influencer le juge qui s'est occupé de mon cas, un certain Aiden Clancy...
– Il est mon beau-père...
– Et bien, je l'ai influencé de manière à le guider vers les preuves du meurtre... Le salaud a même le culot d'affirmer dans son rapport que j'étais morte en tombant sur de la glace recouverte par de la neige... Et lorsque Monsieur Aiden Clancy était à deux doigts de trouver la preuve ultime du meurtre planifié, il est froidement tué de la même manière dans une rue un peu plus calme de la ville... Le salaud n'a pas de scrupule ! Il n'est pas un être humain normal, mais un monstre psychopathe !
D'un ton calme, Ana Romanova ajoute : – Que Dieu vous protège de lui !
Et elle disparaît de ma vue. Je continue mes commissions et reviens chez moi. Je rapporte à Jim les éléments essentiels de ma rencontre avec l'âme errante qu'est devenue Ana Romanova. Nous ne sommes que plus perplexes devant la froideur et la folie meurtrière de Carl Neely. Je me demande bien comment il peut tuer une femme dont il était amoureux?... Mais sait-il au juste ce qu'est l'amour ? Je commence même à pleurer sous l'effet de l'émotion. Jim me berce doucement pour me calmer. Une fois apaisée, je file dans ma boutique d'antiquités pour retrouver la date du décès d'Ana Romanova : le 14 février 1999.
Le 5 mai 2001, The Antique Shop of Grandview, 9h00.
Je suis derrière la caisse de ma boutique. Mon associée, Andrea Moreno, a congé. En attendant qu'un client entre, je regarde les objets sur les étagères, de sorte que je flâne dans la boutique. Tout à coup, un esprit errant apparaît sur un sofa, comme s'il peut s'asseoir. C'est l'âme d'une jeune femme, visiblement une Arabe, aux yeux noisette et aux cheveux brun clair, vêtue d'une veste d'hiver vert forêt, d'un petit foulard de la même couleur et d'un pantalon samt vert foncé. Elle dit d'une voix douce, empreinte avec une certaine tristesse : – Madame, qu'Allah vous protège de l'homme en gris...
Je réplique : – Arh ! Ne me dites pas que vous êtes une autre victime de Carl Neely ?
– Malheureusement, oui...
– Quel est votre nom et quelle est la raison de rester encore parmi les vivants ?
– Je m'appelle Kamila Makni. Je veux me venger de Carl Neely, qui était un prétendant sans scrupule...
– Pouvez-vous préciser...
– J'étais voyante... Et j'ai compris que je ne dois jamais rencontrer l'homme en gris, sinon, je ne vivrai pas longtemps... J'ignore comment il m'a repéré... Forcément guidé par des mauvais djinns... Il voulait me séduire, mais je l'ai refusé. Il m'a alors froidement tué en m'affaiblissant, de sorte que je meurs le 12 novembre 1997 dans de cruelles souffrances deux semaines après notre dernière rencontre...
Un Esprit Observateur apparaît à la droite de Kamila Makni : Jean Bude de Guébriant. Il dit : – Mesdames, je me permets de commenter ce récit... Carl Neely, lorsqu'il a compris votre refus, a accepté une possession par un très sombre esprit qui le suit partout afin de vous remettre un verre rempli de sorts et de poisons... Car il n'avait quand même pas eu le courage de le faire consciemment...
Je pense : « Comment peut-il être si immoral ? »
Ébahie, je m'exclame : – À chaque fois que je pense qu'il ne peut pas faire pire, il me montre que c'est possible... Et comment il n'a pas été expulsé de la police ?
Jean Bude de Guébriant répond d'un ton sérieux : – Parce qu'il est un tueur à gages qui travaille pour le compte de ses supérieurs, le Sergent Patrick Gruenwald et le Lieutenant Jack Sutherland...
Je pense : « La police de Grandview est corrompue ! »
Jean Bude de Guébriant continue : – D'ailleurs, Mademoiselle Kamila Makni, vous devez savoir qu'il vous a repéré, car le même sombre esprit l'a guidé vers vous... Sur ce, je vous laisse, le travail m'appelle !
Et l'Esprit Observateur disparaît de notre vue.
Kamila Makni ajoute : – Maintenant vous saviez que Carl Neely n'est qu'un meurtrier assoiffé de sang... Un être démoniaque... Qu'Allah vous soit miséricordieux !
Et l'esprit errant disparaît de ma vue. Je soupire et je reviens derrière la caisse car un client vient d'entrer dans la boutique.
Le lendemain, 10 h 15.
Je suis dans mon salon en train de réviser mes notes du cours de conduite. Tout à coup, un esprit errant apparaît devant moi. Je lève les yeux de mes notes. Je le détaille : un jeune homme imberbe aux yeux et aux cheveux bruns, simplement vêtu d'une tenue de jogging gris. Des traces de sang sur son visage, ses vêtements et ses mains sont les seuls détails troublants. Je lui demande son nom : Guillaume Lejeune. De notre conversation, j'apprends qu'il est mort dans un accident de la route le 4 octobre 1997, alors que c'est encore une fois Carl Neely qui a conduit en sens contraire. Selon l'esprit errant, l'homme en gris a fait exprès de percuter son véhicule, pour ensuite, quelques heures plus tard, en uniforme de policier, constater le décès. « De plus », ajoute Guillaume Lejeune, « le salopard ment effrontément en affirmant dans son putain de rapport que la cause de l'accident était l'alcool au volant, alors que je n'ai pas bu une seule goutte de vin avant de conduire ! Je veux que la vérité soit rétablie et qu'il meure comme il le mérite, le salaud de policier meurtrier ! » Puis il disparaît de ma vue. Moi, je suis vraiment perplexe des coups bas dont se permet Carl Neely pour éliminer des habitants de Grandview. Surtout, je ne comprends pas le mobile de ses meurtres. Comme j'ai trop de conscience morale, je me demande bien comment il peut dormir tranquille... Moi, je suis déjà torturée par les récits de ces âmes... Là, les paroles de ma sœur me reviennent à l'esprit : « Il est à contre-jour pour cacher ses cernes, car il ne dort pas, et s'il ne dort pas, c'est parce que nous ne le laissons pas dormir ! » Maintenant, je comprends le sens de ses paroles : malgré que Carl Neely veut être insensible aux crimes dont il est l'auteur, sa conscience morale et les esprits errants de ses victimes le tourmentent... Je soupire, je récite à mi-voix une prière puis je reviens à mes notes de cours. Lorsque Jim revient le soir du travail, je lui rapporte l'essentiel de ma conversation avec l'esprit errant rencontré au cours de la journée. Lui, il me rapporte avoir eu une conversation avec Paul Eastman, de laquelle il garde espoir qu'il ne soit pas le complice de Carl Neely. Mais il doit être prudent dans les sujets abordés, pour ne pas attirer son attention au cas où il se révélerait un meilleur comédien. Là, nous pouvons dire que les apparences sont trompeuses... Cette conclusion n'est guère rassurante.
Le 7 mai, 13h30.
Je termine d'essuyer la vaisselle. Jim est parti au travail. Lorsque je termine de ranger la dernière assiette propre, je remarque un esprit errant en face de moi. Celui d'un homme dans la trentaine vêtu en tenue de jogging beige, dont la veste est salie de sang à la hauteur de sa poitrine. Je fais une grimace en pensant : « Il me semble que je vous ai déjà vu quelque part, avec Gabriel Lawrence... »
L'esprit errant me répond : – Exactement... Je suis Marcel Apostol, une pauvre victime de l'homme en gris.
J'interviens : – L'homme en gris est un policier de Grandview, Carl Neely...
– Comment pouvez-vous en être certaine ?
D'une voix triste, je réponds : – J'étais à deux doigts de mourir...
L'esprit, rouge de colère, ses yeux lançant des éclairs, dit d'un ton courroucé : – Alors là, s'en prendre à une dame, c’est trop ! Vous comprenez pourquoi je veux me venger de lui ! Il tue des innocents !
Je réplique : – Avant de penser à une vengeance, précisez-moi votre cas...
– Que voulez-vous savoir ?
– Quelles sont les dernières choses dont vous vous souvenez ?
L'esprit errant, l'air pensif, répond : – Une balle qui se plante dans mon dos, entre mes omoplates... Je suis sorti de mon corps puis j'ai vu l'homme en gris, visiblement possédé, regarder froidement la scène.
Avec une moue de dégoût, je dis : – Merci, Monsieur Apostol, des détails.... Êtes-vous sûr de ne pas avoir d'autres souvenirs ?
– Oui, ma mort a été vu par ma femme, qui est restée veuve... Ma pauvre Ginette ! Sauf qu'elle croit naïvement que je suis mort d'une balle perdue, selon le rapport de l'homme en gris...
Je pense, très triste : « À mon Dieu ! Quelle cruauté inhumaine ! »
L'esprit errant surenchère : – Vous avez raison, l'homme en gris n'est pas un être humain, mais un monstre !
Il disparaît ensuite de ma vue. Je décide de communiquer les confidences de l'esprit errant à Gabriel Lawrence. Je me promène dans la ville, dans l'espoir de l'apercevoir. Je vois Homer apparaître devant moi. Surprise par son arrivée soudaine, je le suis. Et il m'amène devant un restaurant, à savoir Best Meals. Il grogne devant la porte puis disparaît de ma vue. Je rentre dans le restaurant. Le barman me fait des grands gestes : Gabriel Lawrence, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon bleu marine. Je me rends jusqu'au comptoir du bar. Nous nous saluons puis je lui rapporte la conversation que j'ai eu avec Marcel Apostol. Gabriel me remercie de l'information et je reviens chez moi. Évidemment, lorsque mon époux revient du travail, je lui résume aussi ma rencontre avec l'esprit errant. Nous sommes vraiment étonnés de l'immoralité de Carl Neely... En espérant en terminer avec les mauvaises surprises...
Le 8 mai, 10h.
Je suis dans la boutique, en train de discuter avec un client au sujet du prix d'un petit objet décoratif. Je remarque qu'un esprit se promène dans la boutique. Je l'ignore en me concentrant sur les propos du client. Une fois le prix convenu, le client quitte en maugréant, et moi, je rapporte mon attention sur l'esprit errant. C'est une femme vers la trentaine, aux cheveux roux (ramassés en un chignon) et aux yeux bruns, vêtue d'un pull bleu pâle et d'un pantalon d'un complet bleu marine. Du sang sur son crâne témoigne de sa mort violente. Je lui demande d'un ton sûr : – Quel est votre nom ?
L'esprit errant répond d'une voix neutre : – Gabrielle Robillard.
– Quelle est votre raison de rester encore parmi les vivants ?
– Pour me venger de mon meurtrier !
– Est-ce l'homme en gris ?
Étonnée, Gabrielle Robillard s'exclame : – Oui !
– Pouvez-vous me préciser votre cas ?
– Il m'a probablement tué parce que je ne faisais que raconter mes rêves...
Étonnée, je réplique : – Depuis quand les rêves sont dangereux ?
– Pour l'homme en gris, il semble que oui, surtout quand il comprend qu'il est responsable de mes cauchemars... Il doit sans doute être occulte pour savoir ces choses-là ! Car je ne parle qu'à mes proches de mes rêves... Je ne suis qu'une simple femme au foyer, épouse et mère ! Et rien de plus !
Et l'esprit errant disparaît de ma vue, me laissant perplexe devant le manque absolu de moralité de Carl Neely. Il a vraiment dépassé toutes les limites imaginables... Jim aussi, lorsque je lui résume le cas de Gabrielle Robillard, est aussi étonné de l'inhumanité du policier.
Le lendemain, 13h30.
Jim et moi nous promenons dans les rues de Grandview, car il a congé. Au loin, sur une rue parallèle, Carl Neely et Paul Eastman en patrouille. Moi, c'est un esprit qui attire mon attention. Celui d'un homme vers la cinquantaine, aux cheveux bruns clairs, dont quelques-uns sont gris et aux yeux noirs, est vêtu d'un complet marron et d'une chemise blanche, qui sont salis de sang. De même pour son visage. L'esprit, ayant remarqué mon regard sur lui, arrive devant moi et se présente : Denis Granville, un simple habitant de Grandview mort dans un accident de voiture. « Sauf que je ne sais pas comment j'ai perdu le contrôle de mon véhicule, jusqu'au jour où un homme en vert... »
J'interviens : – Un Esprit Observateur ?
– À ce qu'il prétend être... Il m'a dit que j'ai perdu le contrôle du véhicule car un homme en gris caché derrière un buisson près de la route a visé les pneus de ma voiture, car j'étais la victime d'un habile homicide...
Jean Bude de Guébriant apparaît à la droite de Denis Granville et il dit : – C'est moi qui l'a informé de la vérité de sa mort, sinon, la route 7 serait hantée. De sorte qu'il hante Carl Neely, car c'est lui le responsable de sa mort...
Denis Granville et moi à l'unisson : – Merci, Monsieur !
L'Esprit Observateur disparaît de notre vue. L'esprit errant ajoute : – Vous comprenez que je ne peux pas pardonner un tel acte terrible...
– Je comprends...
Et l'esprit errant disparaît à son tour de ma vue. Je rapporte l'essentiel de la conversation avec les esprits à Jim.
10 mai 2001, 18h.
Je suis dans la cuisine, occupée à préparer une soupe aux légumes. Jim ouvre la porte d'entrée. Il revient du travail. Il dit: – Mel, ton père est vraiment génial !
Étonnée, je demande : – En quel sens ?
– À force de discuter selon les méthodes proposées par ton père, je suis enfin parvenu à conclure quelque chose au sujet de Paul Eastman...
– Et alors ?
– Il est un policier honnête et ignorant des mystérieux homicides qui frappent notre ville... D'ailleurs, il m'a confié qu'il voit les esprits errants, de sorte qu'il est très étonné de la présence d'autant d'âmes autour de Carl Neely...
Lorsque Jim termine de parler, je vois Jean Bude de Guébriant à sa droite, sourire aux lèvres. L'Esprit Observateur hoche la tête puis disparaît de ma vue.
Je commente : – Selon notre ami l'Observateur, ce que tu m'as dit est la vérité... Ce qui est rassurant... Au moins, nous pouvons compter sur l'aide de Paul Eastman pour les enquêtes policières.
D'un ton joyeux, Jim réplique : – Exactement !
Et mon époux m'enlace tendrement. Je me dégage de son étreinte. Nous prenons le souper puis faisons la vaisselle. Le soir est tranquille.
–
1 Jean Gerson, Examen de conscience selon les péchés capitaux, dans Œuvres complètes, volume VII, L'œuvre française (292-339), introduction, texte et notes par Mgr Glorieux, Paris, Desclée & Cie, 1966, p. 395.