Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer

Chapitre 4 : Les esprits orphelins

6385 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/01/2024 23:28



2 février 2001, Antique Shop of Grandview, 14h.

Je suis derrière le comptoir. Andrea Moreno a congé. Le téléphone dans l'arrière-boutique sonne. Je soulève le combiné : – Bonjour ! Qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Une voix croassante répond : – Bonjour, Madame ! Je suis Dirk Abrams, le propriétaire de l'ancien Hôtel de ville de Grandview. Je cherche Madame Melinda Gordon, propriétaire de l'Antique Shop of Grandview...

Je réplique : – C'est moi-même.

– Madame Gordon, je voudrais savoir si vous êtes intéressée par des vieux objets qui se trouvent dans l'ancien Hôtel. Il sera détruit dans une semaine.

– J'irai faire un tour... Dites-moi seulement l'adresse ?

– 10, rue Emlford.

– Si je trouve plusieurs objets, dont des meubles, pouvez-vous les amener jusqu'à ma boutique, Monsieur ? Je n'ai pas encore mon permis de conduite, et mon associée n'en a pas...

– Pas de problème, Madame !

– Merci, Monsieur Dirk Abrams !

– Merci à vous, Madame Melinda Gordon !


Vers 17h, je ferme la boutique et je reviens chez moi. Je récite ma prière avant le souper. Je mange ma portion de soupe aux légumes. Jim est encore au travail. Lorsque je fais la vaisselle, je remarque un esprit : Jean Bude de Guébriant.

Je pense : « Que voulez-vous me dire ? »

L'Esprit Observateur sourit puis dit : « J'espère que vous découvrirez bientôt qui est le Bohème avant qu'il ne soit trop tard... » Puis il disparaît, me laissant perplexe.



Le lendemain, j'informe Jim de ma prochaine visite de l'ancien Hôtel de ville. « Le plus simple, c'est d'y aller avec Andrea. À deux, le tri des objets à amener dans la boutique se fera mieux... Ça sent des nouvelles acquisitions... et des nouveaux cas d'esprits ! »

Jim commente : – Tu ne manqueras pas de travail !

Le sourire aux lèvres, je réplique d'un ton joyeux : – Exactement !

Je me hisse sur la pointe de mes pieds pour embrasser mon époux. Il me rend mon bisou.


Je téléphone aussitôt à mon associée pour lui dire de se retrouver dans une quinzaine de minutes devant l'ancien Hôtel de ville. Je m'y rends à pied, car je suis encore mon cours de conduite. D'ailleurs, ce n'est pas loin de ma maison. Andrea et moi sommes devant l'ancien Hôtel. Le bâtiment est délabré. Avec ses murs en pierres noircies et ses vitres brisées, le lieu semble propice aux films d'horreur. Je suis sortie de mes rêveries par un vieil homme vers la soixantaine qui sort d'un grand véhicule. L'homme, un peu obèse, se dandine jusqu'à nous. Il est vêtu d'un manteau classique bleu marine. Il nous salue : « Bonjour, Mesdames ! Je suis Dirk Abrams, le propriétaire de cette bâtisse... »

Le sourire aux lèvres, je dis : – Bonjour, Monsieur ! Moi, c'est Melinda Gordon, propriétaire de l'Antique Shop of Grandview. Et voici mon associée, Mademoiselle Andrea Moreno.

L'homme réplique : – Enchanté ! Et bien, je vous laisse ramasser les objets qui vous semblent intéressants. Moi, je vous attends à la réception.

Andrea et moi répliquons à l'unisson : – À tout à l'heure !

Le propriétaire de l'hôtel nous ouvre la porte d'entrée puis la referme derrière Andrea. Il s'assied sur une chaise à la réception. Je murmure à mon associée : « Débutons par le sous-sol puis terminons par le deuxième étage... »

Elle hoche de la tête. Je repère immédiatement un escalier au bout du corridor. Nous descendons au sous-sol. Des meubles poussiéreux sont appuyés contre les murs. Je remarque l'esprit errant d'un garçon de dix ans, vêtu d'une chemise bordeaux et d'un grand pantalon bleu marine ou noir. Il semble être mort dans un feu, étant donné les traces de brûlures sur son visage. Il me regarde avec ses grands yeux noirs étonnés. Il dit d'une voix fluette : « Madame, vous pouvez nous voir ? »

Je réponds d'une voix douce : – Oui, je peux vous voir...

– Alors pourquoi les autres ne nous voient pas ?

Je remarque du coin de l'œil qu'Andrea commence à regarder les objets depuis que j'ai débuté ma conversation avec l'esprit du garçon.

Je réponds : – Les autres ne peuvent pas vous voir... Parce qu'ils n'ont pas un don, comme moi, de voir les esprits errants.

– Nous le savons que nous sommes des esprits !

– Alors, pourquoi ne pas partir dans la Lumière ?

– Nous voulons, Rat, Marty et moi, dire un dernier message à Ernie.

– Qui est Ernie ?

– Un ami !

Puis l'esprit disparaît. Je rejoins Andrea, qui regarde les objets poussiéreux qui traînent sur une commode. Nous récupérons quelques objets puis remontons au rez-de-chaussée.

Remarquant un grand miroir argenté ovale, je commente : – Voici un objet pour décorer ma boutique !

Lorsque je touche le miroir, je vois du coin de l'œil, vers ma droite, l'esprit errant d'un garçon âgé d'environ dix ans aux cheveux châtains avec un chapeau en peau de raton laveur sur la tête. Lui aussi, il semble être mort dans un incendie.

Je décide de l'aborder : – Quel est ton nom ?

Il répond de sa voix fluette : – Rat.

Je pense : « Ça doit être son surnom, et non son prénom... »

Je remarque que l'esprit errant du garçon vêtu d'une chemise bordeaux et d'un grand pantalon bleu marine ou noir vient d'apparaître à sa droite. Intriguée, je lui demande : – Comment t'appelles-tu ?

Il répond brièvement : – Vic.

Je pense : « Son prénom est probablement Victor... »

L'esprit roule des yeux puis disparaît de ma vue. Un autre apparaît à sa place : un garçon à la peau sombre, à peu près du même âge, vêtu d'un chandail gris par-dessus lequel est mise une chemise rouge et un pantalon bleu. Je lui demande : – Qui êtes-vous ?

– Marty. Je suis l'ami de Vic et de Rat.

Je dis à mon associée : – Continuez à inspecter les lieux. Je vous rejoins dans quelques minutes à l'étage... J'ai du travail avec des esprits...

Andrea hoche de la tête. Elle continue la visite des lieux.

Je me retourne vers les esprits errants des garçons et je dis : – Marty, Rat et Vic, pouvez-vous me dire vos derniers souvenirs ?

Rat répond : – Des flammes. Et Homer...

Je commente : – Qui est Homer ?

J'entends les jappements joyeux d'un chien esprit derrière moi... Étonnée, je me retourne : un grand chien blanc avec une tache brune autour de l'œil droit se manifeste. Il s'avance vers les garçons. Les trois esprits errants l'enlacent fraternellement. Je pense : « Intéressant de savoir que les animaux peuvent aussi être des esprits errants... Donc, les animaux ont une âme... Comme ça, je peux dire que j'ai vu toutes sortes d'esprits... »

Je souris. J'invite, d'un geste de la main, à poursuivre leurs explications.

Rat dit : – Madame, pouvez-vous alors nous aider à retrouver Ernie ?

Je réponds : – Bien sûr que oui... Mais, auparavant, je dois en savoir un peu plus sur vous...

Marty : – Que voulez-vous savoir ?

Je soupire puis ajoute : – Comment êtes-vous ici, quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez, des choses de cet ordre...

Les quatre esprits errants disparaissent de ma vue. Je me rends au premier étage, où Andrea me pointe du doigt une petite boîte en métal. En la prenant, je suis plongée, sans aucun avertissement, dans une vision. Je vois des grosses flammes autour de moi. Je cours dans des escaliers, en tenant la boîte en métal, que je laisse échapper par mégarde. L'air me manque : je tousse. Fin de la vision. Secouée par celle-ci, je tousse très fort, puis je m'excuse auprès de mon associée. Je lui explique la vision que je viens de voir. Nous parcourons alors tout l'immeuble, en récupérant les objets les moins usés par le temps, dont un meuble en bois. Nous nous rendons à la réception, en poussant un chariot que mon associée a repérée au premier étage ; moi, je guide à l'avant, Andrea le pousse par derrière. Dirk Abrams nous salue lorsqu'il nous entend arriver avec beaucoup de bruit. Puis nous sortons de l'hôtel. Le temps que l'homme place dans sa voiture les objets qu'Andrea et moi avons trouvé, je remarque que les esprits errants que sont Marty, Rat, Vic et Homer me saluent depuis une fenêtre du rez-de-chaussée. Je souris à cette scène puis je me rends à pied jusqu'à ma boutique d'antiquités. Seule mon associée accepte d'embarquer à bord du véhicule comme co-conductrice.


Une fois rendus devant ma boutique, Dirk Abrams aide Andrea à décharger le véhicule. Nous le remercions puis nous déplaçons les objets dans l'arrière-boutique, à l'exception du meuble en bois, que nous laissons à côté de la caisse. Ensuite, je fais une recherche sur l'ordinateur de bureau dans l'arrière-boutique sur l'historique de l'Hôtel de ville de Grandview, dans l'espoir de trouver des indices au sujet d'un incendie dans lequel auraient péri Homer, Marty, Rat et Vic. Je ne trouve rien à ce sujet. Par contre, je découvre que l'hôtel était anciennement un orphelinat, le Saint Micheal's Home. En fouillant un peu plus au sujet de cet orphelinat, je découvre qu'il a été fondé en 1914 et qu'il a été victime d'un incendie en 1957, plus précisément le 7 juillet. Dans cet incendie, quatre garçons sont portés disparus, car leurs corps n'ont pas été retrouvés. « Ça doit être ceux d'Ernie, Rat, Vic et Marty », pensé-je. « Par contre, je ne peux pas à partir de ce fait conclure qu'Ernie est aussi défunt... Peut-être que oui, peut-être que non... » Perplexe, mais fatiguée de ma journée, j'efface l'historique et j'éteins l'ordinateur. Je dis d'une voix forte à mon associée : « La journée est terminée ! On ferme la boutique ! »

J'entends les bruits de pas; sans doute le dernier client qui vient de sortir. Puis une fois Andrea sortie, je place l'écriteau « Fermé » sur la porte, que je verrouille aussitôt.

Je reviens chez moi, où Jim m'attend au salon. Il semble un peu renfrogné, mais un sourire illumine son visage lorsqu'il me voit.

Une fois la porte refermée derrière moi, je m'assieds sur ses genoux; il me câline doucement et

dit : – Mel, comment a été ta journée ? J'espère que les esprits ne sont pas trop coquins ou ennuyants ?

Je hausse les épaules et réponds : – Ça va... Les esprits de trois garçons et d'un chien...

Jim me coupe la parole : – J'ignorais que les esprits chiens existaient...

Je continue : – Et bien, on dirait que oui... Mais que je reviens à ce que je disais... Les trois garçons, Marty, Rat et Vic, veulent que je retrouve un certain Ernie. Il semblerait qu'ils sont morts dans un incendie le 7 juillet 1957. Alors, l'Hôtel de ville était un orphelinat pour garçons, le Saint Micheal's Home... Par contre, j'ignore si ledit Ernie est vivant ou s'il a simplement passé dans la Lumière... Je continue ma recherche demain, surtout après une vision dans laquelle je me retrouve au cœur de l'incendie et je lâche une boîte en métal... Tu comprends que je suis fatiguée...

– Je comprends... Alors, repose-toi à mes côtés...

Le coquin me câline doucement et me soulève pour me transporter jusqu'à notre chambre, à l'étage. Une fois qu'il me dépose doucement sur le lit, je lui demande : – Et toi, ta journée, elle était comment ?

Jim se renfrogne et répond : – Des individus indésirables... Je veux dire, des anciens camarades du collégial... Trois vieux garçons qui n'ont pas d'autre chat à fouetter que de savoir où j'habite... Ils se prénomment Lew, Terry et Ralph... Des vrais crétins ! Ils sont venus en après-midi dans une voiture... Et ils voulaient que je me joigne à eux pour aller boire dans un bar... Je me demande comment j'ai pu être ami avec eux... À vrai dire, ce ne sont que des amis d'école et c'est tout... En tout cas, des amis d'adolescence...

D'un ton coquin, je dis : – Oh là là ! Ai-je le droit à des aveux de mon époux ? Moi qui pensais que tu étais plus sérieux ! Je suis en train de découvre une facette inconnue de mon cher mari...

Avec un faible sourire aux lèvres, Jim réplique : – À quoi tu t'attendais ? Surtout des amis de jeunes hommes avec des hormones en furie... Je le reconnais, mon comportement était alors loin d'être exemplaire, mais je ne me comportais quand même pas comme ces crétins que sont Lew, Terry et Ralph... Avec le temps, je suis devenu plus sérieux... Quand je les ai vu devant la porte de notre maison, je n'avais qu'une seule envie, pour être honnête : les jeter en bas des escaliers...

Je murmure : – Mon amour, ne sois pas si méchant...

Jim dit d'un ton moqueur : – Je pense que tu auras la même réaction que moi si tu savais que l'un d'eux s'est barbouillé le visage avec le maquillage de sa copine à l'époque...

Je murmure : – Je comprends...

– Par contre, je peux te dire que mon sérieux les a bien surpris et j'en suis fier ! Tu comprends alors pourquoi mon humeur s'est assombrie à leur vue... Heureusement, tu arrives comme un rayon de soleil pour me ramener ma bonne humeur !

Je réplique : – Tant mieux !

Je l'embrasse sur les lèvres; il me rend mon bisou. Contents, nous endormons le soir, après la prière, enlacés. Heureusement, la nuit est tranquille.



Le lendemain, je me rends à l'Hôtel de ville, fermement décidée à résoudre le cas de ces esprits errants. Je salue Vic, Marty, Rat et Homer, qui sont devant l'entrée du bâtiment. Puis je demande d'un air naïf : – Que voulez-vous savoir au sujet d'Ernie ?

Rat répond : – Nous voulons savoir s'il est encore vivant...

Vic ajoute : – Ou s'il est déjà dans l'Au-delà...

Marty ajoute : – Si Ernie est encore vivant, donnez-lui, s'il vous plaît, le livre qui se trouve dans le meuble en bois...

Rat dit : – En parlant de livre, voulez-vous nous lire l'histoire de Peter Pan ?

Je réplique d'un ton joyeux : – Ça me fera plaisir !

Je pense pour moi-même : « C'est un bon exercice avant de les lire à mes propres enfants... »

Je regarde parmi les objets qui restent dans l'hôtel. Je repère un livre illustré de Peter Pan. Je m'assieds sur un lit dans l'une des chambres de l'hôtel. Une fois les quatre esprits errants (les garçons et le chien) en demi-cercle autour de moi, je débute la lecture du livre. Comme Vic me demande une autre fois d'en faire la lecture, je le fais, puis je ramasse le livre en pensant qu'il serait bien de le vendre dans ma boutique à bas prix plutôt que de le laisser détruire avec l'hôtel.

Je reviens dans ma boutique, où je salue Andrea à la caisse puis je me rends dans l'arrière-boutique. Installée devant l'ordinateur, j'essaie différents mots-clés dans le moteur de recherche pour obtenir quelques informations au sujet de l'ami de Rat, Marty et Vic. Je découvre qu'il n'y a qu'un seul survivant... « Sans doute le mystérieux Ernie », pensé-je. Je remarque en face de moi un esprit : Jean Bude de Guébriant, l'Esprit Observateur, qui dit brièvement : « Ernie Sutter ! » Puis il disparaît aussitôt. Je le remercie mentalement de son aide. Je découvre, en cherchant ce nom, que cet homme vit à Grandview, aujourd'hui âgé de 77 ans, car né le 3 mai 1924. Il a été placé dans l'orphelinat Saint Micheal's Home par son oncle, un certain Matthew Sutter, à l'âge de deux ans, car ses parents étaient morts dans un incendie qui s'était déclaré dans leur appartement. Contente de savoir que l'homme est encore parmi les vivants, je me rends en vitesse dans l'hôtel, en s'excusant au passage auprès de mon associée, car j'ai une histoire d'esprits à régler. Une fois rendue devant la bâtisse, j'en informe Marty, Rat et Vic. Tous les trois sont surpris et remercient le Ciel d'avoir épargné leur ami de la mort.

J'ajoute : – Ceci signifie donc que je pourrais lui remettre le livre qui se trouve dans le meuble en bois... Puis vous partez dans la Lumière, c'est convenu ?

Rat, Marty et Vic à l'unisson : – Exactement, Madame !

Et Homer approuve les propos d'un jappement joyeux.

– Dites-moi, lequel d'entre vous a échappé une boîte en métal en descendant des escaliers ?

Rat, d'une petite voix : – C'est moi, Madame...

– Pourquoi ?

– Je vous le dirai plus tard, pas maintenant...

– Merci quand même ! Et passez une bonne journée !

Rat, Marty et Vic à l'unisson : – De même pour vous !


D'un pas joyeux, je reviens dans ma boutique d'antiquités, où un vieil homme septuagénaire aux cheveux gris regarde les rayons de la boutique, comme s'il cherchait quelque chose.

Je pense : « Est-ce le fameux Ernie Sutter que je cherche ? » Je rejoins mon associée derrière le comptoir. Je remarque que Vic, Marty et Rat l'encerclent, contents de revoir leur ami. Le septuagénaire s'approche du meuble en bois qu'Andrea et moi avons ramené la veille de l'hôtel. Il touche avec beaucoup de nostalgie le meuble. Puis il arrive à la caisse et dit d'une voix croassante : « Mesdames, quel est le prix de ce meuble en bois ? »

Je réponds : – Monsieur Ernie Sutter, ce meuble vous appartient... Je me refuse, par conscience morale, de vous le vendre... Libre à vous de le prendre !

L'homme, dont l'étonnement se lit sur son visage, balbutie : – Madame, comment... le saviez-vous?

– J'ai rencontré vos anciens amis, Vic, Rat et Marty...

– Comment...

– Je vous explique... J'ai un don, celui de voir les esprits errants. Et dans l'ancien Hôtel de la ville de Grandview, j'ai vu Vic, Rat et Marty. Ils veulent que vous récupérez ce qui se trouve dans ce meuble...

L'homme, incrédule, ouvre le premier tiroir supérieur du meuble. Il en sort plusieurs papiers pliés et un livre.

Il sourit et dit : – Vous dites la vérité, Madame...

– Madame Melinda Gordon.

– Ces papiers, ce sont des blagues entre Marty, Vic, Rat et moi... Quant au livre, nul autre que l'histoire du Chat botté, mon conte préféré...

– Alors, prenez le meuble, puis passez une bonne journée, Monsieur Sutter !

– Merci, Madame Gordon !


Et Ernie Sutter sort de la boutique en poussant le meuble devant lui. Il le place sur les sièges arrières de son véhicule puis il quitte la boutique. Je vois Vic, Rat, Marty et Homer devant moi. Je souris à leur vue. Je demande : « Mission accomplie ! Vous partirez bientôt dans la Lumière ? » Au lieu de me répondre, ils disparaissent de ma vue.

Vers 17h, je ferme la boutique et je reviens chez moi, où je résume les principaux éléments à Jim. Il dit pour seul commentaire : « Il ne te reste qu'à les convaincre de partir dans la Lumière... »

Je réplique : « Exactement... Ce qui signifierait quatre esprits errants en moins dans notre ville ! »






9 février 2001, 10h.

Je suis au salon, en train d'étudier le code de la route pour me préparer à mon examen théorique de conduite. Tout à coup, un esprit errant se manifeste devant moi. Un homme vers la trentaine, vêtu d'un chandail bleu et d'un pantalon jeans. Seul un trou à la hauteur de sa poitrine témoigne d'une mort violente. Je fais une moue, mais je me ressaisis aussitôt.

Je demande : – Quel est votre nom ?

L'esprit répond d'un ton sec : – Michael Kiessling.

– Pourquoi...

L'esprit me coupe la parole : – C'est l'homme qui m'a visé hier !

– Qui ?

– J'ignore son nom, mais c'est l'homme en gris !

Puis l'esprit errant qu'est devenu Michael Kiessling disparaît de ma vue.

Moi, perplexe, je pense : « Ce mystérieux criminel qui sévit à Grandview est-il le Tchèque contre lequel l'Esprit Observateur Français veut m'avertir ? »

Jim, lorsque je partage avec lui mes réflexions, m'enlace tendrement pour me rassurer. Il murmure : « Ça fait du sens... Seulement, qui est cet homme ? Le seul moyen, c'est de regarder dans l'annuaire téléphonique pour repérer les noms aux consonances tchèques... Sauf que ça va être long... Surtout que nous pouvons pas nous permettre de juger tous les Tchèques comme des potentiels homicides... »

J'ajoute : – En effet, ça serait vraiment méchant que de les juger ainsi... D'ailleurs, je n'ai pas remarqué qu'il en a beaucoup...

Jim : – Tu as raison...

J'ajoute : – Il ne faut pas oublier que le Bohème peut aussi référer à un homme qui a vécu en Tchéquie ou en Tchécoslovaquie, ce qui complique la tâche... Je n'imagine quand même pas commencer à interroger les habitants de Grandview pour savoir lesquels ont passé un certain temps dans ce pays...

– Tu as raison, Mel... Par ailleurs, ils se méfierons de nous... Une telle entreprise ne nous mènera nulle part...

– Il nous reste seulement à espérer que nous le repérerons avant qu'il soit trop tard ! Que Dieu, le Christ et le Saint Esprit nous éclairent !

Perplexe, je me laisse bercer par Jim.


Quelques heures plus tard, je vois Rat se manifester devant moi. Je suis alors dans ma boutique d'antiquités, derrière le comptoir. Andrea a terminé son quart de travail aujourd'hui.

Je pense : « Que veux-tu me dire ? »

De sa voix fluette, l'esprit errant me répond : « La boîte en métal que vous aviez saisi, je l'ai échappé dans ma panique face à l'incendie. C'est le seul souvenir que j'ai de mon frère, qui a été adopté par une famille. Sauf qu'elle n'a voulu que mon frère... »

Je dis d'une voix douce : – Comment s'appelle ton frère ?

– Will.

Je pense : « Son prénom est sans doute William... »

– Pouvez-vous alors le retrouver et lui remettre la boîte ?

– Oui...

Et Rat disparaît de ma vue. Remarquant qu'aucun client n'est dans la boutique, je m'installe sur l'ordinateur dans l'arrière-boutique. À peine je m'assieds sur la chaise de bureau que Jean Bude de Guébriant apparaît devant moi. Je sursaute. Il dit : « Désolé de vous avoir fait peur... Je veux simplement vous dire que le frère de Rat, William, est encore vivant. Il est aujourd'hui âgé de 78 ans. Il vit à Longview, où il a grandi. Il a été adopté par la famille Stol. » Puis l'Esprit Observateur en vert disparaît de ma vue. Intriguée, je cherche des résultats pour « William Stol ». À ma joie, je trouve rapidement son adresse. Je ferme la boutique en laissant l'écriteau « Je reviens dans dix minutes » à la porte.


Je marche d'un pas rapide jusqu'à l'adresse où vit William Stol. Je frappe à la porte d'une petite maison de bois au toit bleu. Un vieil homme vêtu d'un complet beige et d'une chemise bleu clair m'ouvre la porte. Il dit d'une voix croassante : – Bonjour, Madame, qui êtes-vous et qui cherchez-vous ?

Avec mon plus beau sourire aux lèvres, je réponds d'une voix claire : – Je suis Melinda Gordon et je recherche Monsieur William Stol.

– C'est moi-même...

– Et bien, je voudrais seulement vous remettre un objet que votre frère, Rat, veut vous remettre...

– Comment est-ce possible ? L'orphelinat Saint Micheal's Home n'existe plus depuis plusieurs années. D'ailleurs, je ne sais pas quelle famille avait adopté mon frère... Êtes-vous une travailleuse sociale ?

– Pas tout à fait... Je ne suis que la propriétaire d'une petite boutique d'antiquités, The Antique Shop of Grandview... Mais, puis-je entrer ?

J'aperçois du coin de l'œil Rat. Il est à la gauche de son frère. Il dit : « Fais-la entrer ! Elle le fait pour moi ! »

William Stol me regarde sous ses lunettes pendant quelques secondes, puis ouvre la porte pour me laisser entrer. Il m'invite dans son salon. Une fois assis sur des canapés face-à-face, je me racle la gorge puis dis : – Monsieur William Stol, vous devez savoir que je viens vous apporter la boîte que vous avez donné à votre frère Rat, car il est mort dans l'incendie du 7 juillet 1957...

– Alors, comment aviez-vous retrouvé la boîte ?

– J'étais invité, il y a une semaine, à rendre de l'ordre dans l'ancien Hôtel de la ville de Grandview. Et j'ai un don, celui de voir et de communiquer avec les esprits errants. Je dois alors les aider à résoudre leur dernier point d'attache au monde ici-bas, afin qu'ils partent dans la Lumière, qui est l'Au-delà, l'Autre Monde, peu importe le nom...

– Et alors ?

– Et bien, j'ai vu les esprits errants que sont votre frère Rat et ses amis Vic et Marty. Et votre frère veut que je vous remets la boîte...

Je sors de mon sac à main la petite boîte de métal. Mon interlocuteur, visiblement étonné, la saisit, la retourne de tous les côtés, comme s'il ne croit pas de ses yeux. Il l'a même ouvert. Il marmonne : « C'est bel est bien la boîte que j'ai remis à mon frère... Aucun doute... »

Je remarque qu'à la droite de William se trouve Rat, le sourire aux lèvres. L'esprit errant dit : « Dites à Will de ne pas être triste pour moi... Au moins, il est vivant et il a une descendance... »

Je hoche discrètement de la tête et je dis : – Monsieur William Stol, votre frère est a votre droite. Il dit de ne pas être triste pour lui. Au moins, vous êtes vivant et vous avez une descendance...

William hoche discrètement de la tête et dépose la petite boîte sur la table basse du salon. Il tourne son regard vers moi et dit : – Merci, Madame Gordon... Désolé d'avoir été incrédule...

Le sourire aux lèvres, je réplique : – Ne soyez pas désolé, c'est une réaction normale... Et bien, sur ces paroles, passez une bonne journée !

– De même pour vous !

Il se lève prestement pour me raccompagner jusqu'à la porte qu'il referme une fois que je suis sortie. Rat apparaît à ma droite et me remercie puis il disparaît de ma vue.



Le lendemain, alors que je regarde par la fenêtre du salon qui donne sur le balcon devant la maison, je vois Marty, Rat, Vic et Homer devant la porte. Intriguée de leur présence, je sors à l'extérieur, sans oublier de prendre mon manteau d'hiver. Je les apostrophe en ces termes : « Alors, prêts à partir dans la Lumière ? » Les esprits errants des trois garçons répondent à l'unisson : « Oui ! Nous la voyons ! »

Leurs trois visages radieux me réjouissent. Et ils partent définitivement dans la Lumière.

Je me retourne vers Homer, qui jappe de joie. Je lui souris puis murmure : « Ne veux-tu pas, toi aussi, rejoindre tes amis ? » Il grogne pour toute réponse et se couche à mes pieds. Je pense : « Comment convaincre un chien esprit de partir dans la Lumière ? Je devrais songer à demander conseil à un éducateur canin... » Quelques minutes plus tard, Homer se lève et grogne furieusement en direction de la clôture du balcon, puis disparaît de ma vue. Je regarde vers cette direction et je vois une abeille (pas un esprit, mais une vraie abeille) qui tourne en sens anti-horaire. Je remarque avec horreur que le pauvre insecte est blessé. Du sang coule d'une blessure imperceptible à mes yeux. Visiblement, il saigne. Je vois clairement cinq gouttes tomber sur le garde-corps du balcon. Je pense : « Petite abeille, que fais-tu ici, alors que les fleurs et les arbres sont encore dans leur sommeil hivernal ? » Je remarque en effet que l'abeille est tombée raide, apparemment morte de froid. Je sors un mouchoir de la poche droite de mon pull sous mon manteau pour prendre l'abeille et je rentre dans ma maison. Remarquant que l'insecte n'est plus vivant, je le jette dans la poubelle.

Ensuite, je me rends au salon pour continuer mes révisions de mes notes. Une fois assise sur mon canapé habituel, je vois un message sur la table du salon, sans doute de l'Esprit Observateur Français. Le voici :

« Le quint commandement est : Tu ne feras point homicide; et est a entendre de ta propre autorité et par voye de fait de droit et de justice. En ce commandement est deffendue toute mauuaise haine et desir de vangeance et de mort d'aultrui, et ausy mauuaix conceilli et consentement de nuyre a aultruy par le battre ou tuer. Et plus se c'est contre les prestres et les clers que se c'est contre aultres car la est la sentence d'excommuniement. » *


Perplexe de ce message, je téléphone immédiatement à Richard Payne pour savoir s'il est possible d'en discuter. Heureusement, le professeur s'est montré compréhensif et accepte de me rencontrer demain en après-midi.


Après le repas du midi et la vaisselle, je me rends dans ma boutique, pour chercher le nom d'un éducateur canin. Je trouve un certain Cesar Millan. Je m'y rends à l'adresse du centre d'élevage canin. Homer me suit. J'apostrophe un homme d'âge mûr qui se tient près de l'entrée : – Monsieur, je recherche Cesar Millan...

Il me répond d'un ton neutre : – C'est moi-même...

– Puis-je vous poser une question ?

– Oui, bien sûr !

– Comment puis-je convaincre mon chien de se rendre à un endroit, alors qu'il refuse de le faire lorsque je lui dis de s'y rendre ? Par exemple, dans une pièce dans laquelle il n'y a personne...

Je vois du coin de l'œil que Homer se promène dans la salle pendant que je parle avec l'éducateur canin. Je lui fais des signes de la main pour revenir à mes pieds. Il revient et se couche à mes pieds.

Cesar Millan répond : – Vous n'avez qu'à dire l'ordre d'un ton calme. L'important, c'est d'être clair et posé. Et votre chien vous écoutera...

Le sourire aux lèvres, je le remercie de son conseil. Je dis à voix basse à Homer : « On revient à la maison. C'est moi la chef ici, compris ? » J'ignore les regards bizarres que me jettent les autres gens autour de moi. Je me dirige jusqu'à ma maison.

Une fois revenue chez moi, je m'éclaircis la voix puis je dis au chien esprit : « Tu pars dans la Lumière, où sont tous tes amis ! » Homer jappe puis se couche à mes pieds. L'Esprit Observateur Jean Bude de Guébriant apparaît entre moi et Homer et dit d'un ton sévère : – Madame Gordon, laissez le pauvre Homer tranquille ! Il doit vous protéger contre des mauvais esprits... Il partira quand il partira !

Le chien esprit approuve les propos de l'Esprit Observateur en agitant doucement sa queue. Puis tous les deux disparaissent de ma vue. Perplexe, je m'attaque à mon projet de tricot, car je ne suis pas assez concentrée pour continuer ma révision de mes notes de cours de conduite.




Le lendemain en après-midi, comme convenu, je me rends au bureau du professeur Richard Payne. Je lui explique que le message provient encore de l'Esprit Observateur. Il me traduit le message, avec l'aide, bien sûr, de deux dictionnaires :

« Le cinquième commandement est : Tu ne feras pas d'homicide. Ceci s'entend par ta propre autorité et par les voies de fait en droit et en justice. Il est aussi défendu d'haïr et de désirer venger la mort d'autrui, mais aussi des mauvais conseils et le consentement à nuire à autrui pour le battre ou le tuer. C'est encore plus grave si c'est contre les prêtres et les clercs, plus que pour les autres, car il y a excommunication. »

Il ajoute pour simple commentaire : « C'est un extrait du Miroir de l'âme de Jean Gerson. Madame Gordon, c'est une menace qui vous est probablement directement adressée... Il s'agit probablement d'un avertissement de quelqu'un qui pense commettre un homicide sur vous ou votre mari... »

Je pense, la mine inquiète : « Que Dieu, la Vierge et le Christ nous protègent d'une telle situation ! »

J'ajoute aussitôt : – Merci Monsieur le professeur ! Mais, puis-je vous poser une dernière question ?

Richard Payne, étonné : – Oui...

Je pense avec une pointe d'ironie : « Allez, Monsieur le professeur, prouvez-moi vos connaissances ! »

Je dis d'un ton sérieux : – Que signifie l'abeille ? Car peu avant ce message, alors que j'ai vu les esprits errants de trois garçons partir dans la Lumière, voilà qu'une abeille tourne en sens anti-horaire. Elle semblait blessée, puisque j'ai clairement vu cinq gouttes de sang avant qu'elle meurt...

Le visage du professeur affiche un air inquiet pendant une fraction de seconde, mais je l'ai vu. Il s'éclaircit la gorge puis dit : – Madame Gordon, vous devez savoir que l'abeille symbolise la royauté pour les anciens Égyptiens, car elle est issue des larmes de Rê, le dieu solaire... En parlant d'Égypte, le livre de votre mari, il avance bien ?

– Oui, bien sûr, seulement, Jim ne se presse pas... Avec son travail d'ambulancier, il ne trouve pas le temps de l'écrire...

Je pense : « Hmm... C'est une bonne idée ! Je devrais sérieusement proposer à Jim d'écrire un livre avec des symboles égyptiens... Question de moins mentir au professeur... »

Richard Payne, un sourire amical aux lèvres : – Je comprends... S'il a besoin d'aide pour la publication, qu'il vienne me voir... Je connais un ami qui est dans le monde de l'édition, qui acceptera bien de nous offrir des rabais... On s'aide entre amis...

Il fait une courte pause, puis il reprend après avoir bu un peu d'eau qui se trouve dans un verre qu'il a laissé dans le coin supérieur droit de son bureau. Le professeur dit : – Désolé, mais que je reviens à ce que vous m'aviez dit... Une abeille qui saigne en laissant tomber cinq gouttes...

Je confirme ses propos d'un hochement de tête.

– Si elle saigne, c'est en raison d'une blessure... D'ailleurs, les Anciens croyaient que l'abeille n'a pas de sang, de sorte qu'elle peut perdre tout son sang et elle continuera à travailler. Ceci expliquerait pourquoi cet insecte symbolise l'éternité... Mais en tant que symbole de la royauté, l'abeille a été reprise par la royauté française. En outre, elle symbolise aussi l'âme et la survie dans l'au-delà. Pythagore précise qu'elle représente plus précisément l'âme pure... Et le sens anti-horaire est vraiment troublant, car il signifie que quelque chose de mal, de non-normal, d'anormal, se prépare... Quand aux cinq gouttes de sang, je redoute un crime de la main d'un homme, car le chiffre cinq est celui de l'homme...

Je prends des notes en pensant, perplexe : « Que dois-je conclure de tout ça ? »

Je remercie le professeur Payne de son aide, puis je reviens à la maison. Je rapporte la conversation que j'ai eu avec lui à mon mari, qui est alors au salon, allongé sur un canapé. Nous sommes tous les deux perplexes quant à savoir qui est ce mystérieux Tchèque ou homme d'origine tchèque (c'est Jim qui me suggère cette piste de réflexion) qui a des pensées homicides sur une innocente victime.


Je commence à me demander qu'est-ce que tout cela signifie. Je pense : « Qui est l'homme ou la femme qui pense tuer quelqu'un ? Qui est l'assassin et qui est la victime ? » Je commence à pleurer silencieusement. Jim me berce doucement pour me rassurer. Lorsque ma poitrine se secoue de pleurs, je marmonne Le Canon suppliant à la Très Sainte Mère de Dieu, ton 8, ode 1:

Most holy Lady, Mother of God, save us.

By many temptation am I distressed; in search of salvation unto thee have I taken flight. O Mother of the Word, and Virgin, save me from dangers and difficulties.

Most holy Lady, Mother of God, save us.

Attacks of passions disquiet me, and they fill my soul with much sadness. Bestill it, O Maiden, with the calmness of thy Son and Thy God, O all-immaculate one.

Glory to the Father, and to the Son, and to the Holy Spirit.

To God and the Savour thou gavest birth; I beg thee, O Virgin, to deliver me from evils. For now unto thee I flee for refuge, bringing to thee both my soul and my reasoning.

Now and ever, and unto the ages of ages. Amen.

Vouchsafe divine visitation and thy care unto me who am in affliction and anguish, O thou who alone art God's Mother, for thou art good, and the Mother of God.



Une fois ma prière terminée, je sèche mes larmes du revers de ma main droite et j'embrasse mon époux sur les lèvres pour me libérer de son étreinte. Je me lève et nous nous occupons du repas du soir, à savoir une soupe aux légumes.





* Jean Gerson, Le miroir de l'âme dans Œuvres complètes, volume VII, L'œuvre française (292-339), introduction, texte et notes par Mgr Glorieux, Paris, Desclée & Cie, 1966, p. 199.


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