Ennemi ou ami, imaginaire ou réel? Ou Jakyll et Hyde à la Ghost Whisperer
10 décembre 2000.
Je décide de soumettre à Carl Neely l'enquête sur mon grand-père maternel, Jarosław Niewenglowski. Je me rends à la station de police, où l'opérateur m'indique le numéro de son bureau. Je m'y rends devant la porte, sur laquelle je frappe doucement. Aussitôt une voix masculine sérieuse se fait entendre : « Qui est-ce ? »
Je réponds : – Une simple habitante de Grandview qui veut vous soumettre une enquête, Monsieur le détective Carl Neely.
– Entrez !
J'ouvre la porte du bureau. À contre-jour, un jeune policier, avec son uniforme bleu marine et une cravate grise claire, est assis sur la chaise de son bureau. Je remarque que beaucoup d'esprits, des hommes et des femmes, sont présents dans la salle, parmi lesquels se trouvent ma sœur, mon beau-père et Albert Köhnken (ce qui m'étonne). Vingt-sept, si je ne me suis pas trompée dans le décompte. Lorsque je regarde mon interlocuteur, les paroles de mon beau-père me reviennent à l'esprit : « Ses yeux gris le trahissent ! » En effet, les yeux gris du policier attirent par leur excentricité. Lorsque mon regard se pose sur son visage, c'est comme si ses yeux froids attirent et repoussent ceux de ses interlocuteurs. « Bizarre », pensé-je, « mais, peut-être qu'il a les yeux de sa mère ou de son père... Et quoi alors ? C'est une couleur de yeux rare, mais je m'interdis de le juger sur cette base et de le tenir pour malveillant... »
Ma sœur commente ironiquement : « Le salaud est à contre-jour pour cacher les cernes autour de ses yeux, car il ne peut pas dormir... Parce qu'on ne le laisse pas dormir ! »
Je pense : « Sérieux, sœurette, ne joue pas la confuse ! Je comprends que c'est diffile pour toi de reconnaître que tu es... un esprit... »
Ma sœur se renfrogne.
En observant plus attentivement le visage du policier, il est vrai que je finis par remarquer des cernes sous ses yeux.
Carl Neely me désigne de sa main droite la chaise en face de lui.
Je m'adresse mentalement aux esprits : « Que faites-vous ici ? Mais ayez la gentillesse de ne pas parler en même temps ! Si vous voulez parler avec moi, c'est après cette rencontre, compris ? Merci de votre compréhension ! » Tous disparaissent immédiatement, à l'exception de mon beau-père.
Carl Neely me regarde, me scrute attentivement. Il dit, d'un ton sévère : – Madame, qui êtes-vous et pourquoi êtes-vous venue à mon bureau ?
Je réponds d'une voix neutre : – Je suis Madame Melinda Gordon. Je veux vous soumettre une enquête sur mon grand-père maternel, Jarosław Niewenglowski.
Il griffonne sur une feuille de papier. Il me regarde de ses yeux froids puis dit : – Votre adresse, et votre numéro de téléphone, s'il vous plaît ?
Je réponds : – 49, rue Henford, Grandview. Et le numéro de téléphone est le 478 345-1959.
– Merci, Madame Gordon. Je vous reviens dès que possible.
– Merci à vous, Monsieur Carl Neely !
Aiden Clancy commente ironiquement : « Monsieur le meurtrier-trou de cul ! »
Ignorant les propos de l'esprit errant, je me lève de la chaise sur laquelle j'étais assise et je sors du bureau de Carl Neely, en pensant : « Le pauvre policier ! À travailler dans un bureau hanté... Je devrais aider ces pauvres âmes... » Je remarque du coin de l'œil que les vingt-six autres âmes errantes réapparaissent dans le bureau.
Je reviens chez moi et lorsque Jim revient du travail, je lui rapporte le bureau hanté de son ami policier. Il m'embrasse tendrement pout me rassurer; je lui rends son bisou.
15 décembre 2000.
Je suis en train de préparer des pierogi à la viande. Tout à coup, je vois mon père apparaître devant moi. Il dit : « Fais attention au policier ! » Puis l'apparition s'évanouie aussitôt. Perplexe, je ne sais pas que conclure de ces avertissements...
Jim, en revenant du travail, me rapporte la nouvelle que son amie d'enfance, Tricia Soomekh, est veuve de son époux, Hubert Taylor, décédé d'une crise cardiaque à l'hôpital Mercy aujourd'hui. Je commence alors à pleurer; mon époux me rassure en me berçant doucement.
17 décembre 2000, Antique Shop of Grandview, 13h.
Je vois une femme entrer dans la boutique. Une brunette d'environ 175 cm vers la vingtaine, vêtue d'un manteau vert pâle. Elle arrive avec un chariot de vieux objets qu'elle pousse devant elle.
J'accours au-devant la femme et lui dit : « Madame, vous voulez vendre ces objets ? » Elle répond d'un signe de tête positif. Je l'aide à diriger le chariot jusqu'au comptoir. Remarquant qu'elle est suivie par un esprit errant, celui d'un homme vers la vingtaine, vêtu d'un pull bleu moyen sous lequel se voit le col d'une chemise blanche et d'un pantalon samt bleu marine. Seul détail troublant : une tache de sang sur son crâne. Je fais de grands efforts pour ne pas faire une grimace, question que la femme ne me regarde pas bizarrement. Je pense simplement : « Que Dieu nous protège d'être dans une telle situation ! »
L'esprit, étonné que je puisse le voir, dit : « Pouvez-vous m'aider ? »
Je réponds mentalement : « Oui, mais prenez la parole un peu plus tard... »
– D'accord... Je laisse ma femme vous apporter les objets qui m'ont appartenu, puis je vous explique ma raison d'errer encore ici.
Je réponds mentalement : « Exactement... Merci de votre patience ! »
Je m'adresse à la brunette : – Madame, je regarderai maintenant les objets, afin d'évaluer leur état et déterminer leur prix.
Je regarde les objets : une lampe, des cahiers, une chaise pliable, entre autres. Ils semblent en très bon état.
Je demande à la femme : – Quel est votre nom et votre adresse ?
Elle me répond en anglais avec un très fort accent français : – Je suis Marlène Lavigne-Neely et je vis au 95, rue Suigant, à Grandview.
L'esprit errant commente ironiquement : « Où voulez-vous qu'un meurtrier vive ? Sur la rue Suigant, qui est presqu'un anagramme de saignant et de sanglant ! Ça lui sied à merveille ! »
Ignorant les propos de l'esprit, je demande à la femme : – Je ne sais pas le français... Pouvez-vous m'épeler votre prénom ?
– Oui, bien sûr ! M, A, R, L, È (avec un accent grave), N, E.
– Et votre nom de famille ?
– L, A, V, I, G, N, E.
– C'est noté ! Dis-je en griffonnant rapidement les informations sur une feuille blanche.
– Merci à vous, Madame Gordon ! Passez une bonne journée !
– Pareillement pour vous !
Marlène Lavigne-Neely quitte la boutique d'antiquités. L'esprit errant est devant moi. Il dit : – Je suis Gerald Mahoney, l'époux de Marlène Lavigne. Je veux me venger de mon meurtrier, qui a osé séduire ma femme... Je ne peux pas croire qu'elle soit amoureuse de lui... Il l'a sans doute ensorcelé avec ses putains de yeux gris... Le sorcier ! ... Marlène et moi avons divorcé en septembre 1998, alors que j'ai découvert qu'elle m'a trompé avec Carl Neely. Apparemment, ils se sont connus depuis un certain temps, étant donné leur familiarité... Comme si ce ne lui était pas suffisant, non seulement il vole ma femme, mais il m'a tué en décembre 1999. Je soupçonne le salaud de policier d'avoir ainsi agit pour être sûr qu'il ait à lui seul Marlène... L'égoïste possessif ! J'espère qu'elle comprendra rapidement à quel salaud elle s'est mariée !
Je pense : « Peut-être qu'il dit ça par jalousie... »
L'esprit réplique, d'un ton courroucé : « Madame, je ne suis pas jaloux ! Je veux seulement protéger ma femme et ma fille, ma Caitlin, d'un psychopathe sans scrupules ! »
Puis il disparaît de ma vue. Je soupire et je dispose certaines nouvelles acquisitions sur une étagère vide. Les autres sont apportées dans l'arrière-boutique, avec l'aide d'Andrea, qui est immobile et silencieuse derrière la caisse à ma droite. Je lui résume brièvement la conversation avec l'esprit errant. Elle commente simplement : – Les esprits sont toujours aussi compliqués ?
Je réponds : – Aussi compliqués que les vivants... Et si nous revenons aux nouvelles acquisitions ?
Andrea répond d'un geste affirmatif de la tête puis nous rangeons soigneusement les objets de Gerald Mahoney. Je remarque une feuille de papier entre les pattes d'une chaise pliante. Je le lis : « Les Dix Commandements sont « Tu ne adoureras point les ydoles ne pluseurs dieux. Tu ne jureras point le nom de Dieu en vain. Tu garderas les dimences et les festes commandees. Tu honnoureras ton pere et ta mere. Tu ne seras murtrier. Tu ne seras point luxurieux. Tu ne seras point larron. Tu ne pourteras point faulx tesmoignage. Tu ne desireras point la femme d'aultruy. Tu ne convoiteras point les biens d'aultruy. » * »
Intriguée, je montre le papier à mon associée qui hausse des épaules, pour dire : « Je ne comprends rien de ce qui est écrit. » Je pense : « On dirait du français... » Je range le papier dans mon porte-monnaie. Le lendemain, je demande à Daniel Clancy le sens de ce message; il me fait savoir que ce n'est pas du français moderne, mais de l'ancien français. Je n'en suis que plus perplexe.
7 janvier 2001, 15h.
C'est Noël pour nous, les Orthodoxes. J'ai décidé de laisser la boutique à Andrea Moreno. Je suis dans notre maison, en train de boire du thé avec Jim. Je compte bien profiter du temps avec lui... Tout à coup, un esprit errant se manifeste près de la cuisinière : un grand homme vers la soixantaine vêtu d'un pull brun sous lequel se voit une chemise blanche et un pantalon samt brun moyen.
– Quel est votre nom ?
– Alfred Neely.
Je pense : « Le père ou un oncle du policier Carl Neely... »
L'esprit réplique : – Je ne suis ni son père ni son oncle ! Et il n'est pas mon fils !
Étonnée : – Désolé... Vous n'avez aucun rapport ?
– Exactement, à part d'être le malheureux mari d'une salope! Son fils benjamin est un bâtard ! Car ma femme non plus n'a pas les yeux gris... Il les a sans doute de son père, dont j'ignore son identité. Seule ma femme, le bâtard, le Bon Dieu et le Diable le savent !
Puis, sans aucun avertissement, me voilà plongée dans une vision.
Je suis assise à un bureau. Quelqu'un frappe avec insistance à la porte en disant : « Alfred, ouvre la porte. J'ai quelque chose d'important à te dire ». Je demande : « Carl ? » Intriguée, je lui ouvre la porte. Le prénommé Carl, un grand jeune homme aux larges épaules, vêtu d'un veston-cravate gris clair et d'une chemise blanche. Étant donné son regard, je comprends qu'il est possédé.
Je lui dit : « Que veux-tu me dire ? »
Carl referme la porte derrière lui et s'avance vers moi. Me fixant de ses yeux hypnotisants, qui paraissent alors irréels, il saisit fermement mes poignets et les tient derrière mon dos. Tout en me poussant vers le bureau, il se penche sur mon oreille droite et murmure d'un ton sévère : « Écris ton testament ! »
Étonnée du ton, je lui réplique : « N'oublie pas que je peux te déshériter si tu persistes dans un tel comportement... »
Il réplique, presqu'en riant : « On verra bien qui rira le dernier ! » Et il sort des menottes de sous sa veste pour les passer à mes mains et me jette de ma chaise sans ménagement. Le métal des menottes m'effraye, mais je m'efforce de garder mon sang-froid. En regardant rapidement mon interlocuteur, je comprends qu'il a saisi la fraction de secondes de peur. Ceci le fait sourire, d'un sourire carnassier. Ses yeux brillent comme un prédateur devant sa proie.
Carl s'approche de moi et dit d'une voix hypnotique : « Alors, Alfred, tu écris que j'hérite la totalité de ton compte bancaire... »
Je réplique : – Je te rappelle que Charlie est l'aîné !
Il me saisit par le collet, me rapprochant de son visage. Je fixe ses yeux gris, qui, malgré mon sang-froid, commence à me donner la chair de poule. Il est sans doute possédé par Dieu-sait quelle entité. Je ressens sa respiration contre mon visage. Il me dit d'un ton froid : « Tu sais que tu ne peux pas me déshériter ! Ça sera mal vu... Du reste, n'oublie pas que j'ai des moyens... » Il dénoue sa cravate de son cou pour l'attacher autour du mien et il rapproche un pistolet (qu'il sort de sous son veston) de mes tempes. Je le frappe de mes pieds dans ses jambes, mais il m'applique un coup solide dans mon entrejambe. Pliée en deux, je tombe en bas de la chaise. Carl Neely saute par-dessus mon corps, en s'appuyant de tout son poids sur mes jambes, les immobilisant. Prenant peur, je le supplie de m'épargner. Un sourire sadique se dessine sur ses lèvres. Il m'ôte les menottes des mains. Je me rassieds sur la chaise. Je prends une feuille et je rédige mon testament d'une main tremblante : « Moi, Alfred Neely, partage mon compte bancaire comme suit: la moitié à mon fils Charlie » Voyant que j'hésite, il me dit d'un ton crispé, comme s'il a retenu sa respiration : « Et l'autre moitié à moi ! » Il rapproche le pistolet de mes tempes. Suant à grosses gouttes, je continue à écrire : « et l'autre moitié à mon fils Carl Neely. Ma femme, Cecile Withman-Neely, vivra dans notre maison jusqu'à sa mort. Cependant » Carl Neely me saisit par le collet de sa main gauche, le pistolet, qu'il tient de sa main droite, est toujours appuyé sur mes tempes. Il murmure : « À la mort de ma mère, qu'elle fasse comme elle le veut... Ne t'ingère pas dans la vente de la maison maintenant qu'elle ne sera plus la tienne... Puis n'oublie pas de signer ! » Je continue à écrire : « Cependant, je laisse à ma femme de faire comme bon lui semble en ce qui concerne la maison. » Et à la fin de la feuille, je signe puis je dépose le stylo. Carl me saisit par le collet, m'amenant de force un peu à l'écart du bureau. Fin de la vision.
Étonnée, le souffle court, je serre les mains de Jim entre les miennes, pour me rassurer de ma vision. Je tremble sous l'effet de l'émotion provoquée par celle-ci. Je la trouve très terrifiante, mais je ne peux pas y croire.
Je dis à l'esprit : – Vous êtes mort tué par Carl Neely, qui voulait hériter de votre compte bancaire ?
L'esprit errant d'Alfred Neely commente : « Exactement ! Le bâtard faux-cul m'a étranglé avec sa putain de cravate ! ... Juste pour ça, il devra s'étouffer dans sa cravate ! » Et il disparaît de ma vue.
Je résume la conversation de l'esprit errant à mon époux en pleurant. Il me berce tranquillement pour me calmer. Je pense : « Peut-être que Carl Neely n'a pas tous ses esprits pour tuer ainsi cruellement son père, mais ceci ne signifie pas pour autant qu'il est mauvais dans son métier... À moins que ce soit un double ? Ça expliquerait pourquoi Alfred Neely dit qu'il n'est pas son fils... Je ne peux pas imaginer qu'un fils agisse ainsi envers son père, alors que l'un des Dix Commandements qui disent d'honorer son père et sa mère ? À moins qu'Alfred Neely ne soit pas le père du policier Carl Neely, mais d'un parfait homonyme... Après tout, les prénoms Alfred et Carl sont populaires, non ? » Je partage ma réflexion avec Jim, qui me conseille prudence et de vérifier les informations avant de conclure quoi que ce soit. Il m'embrasse sur le front, les joues et les lèvres pour me calmer. Je pense : « Désolé, Jim, pas de journée romantique aujourd'hui ! Arh ! Cet esprit rabat-joie ! »
Je serre la main de mon époux. Nous terminons de boire nos tasses de thé, puis nous nous rendons dans la boutique d'antiquités pour faire une recherche sur Alfred Neely. Le seul problème : trop de résultats pour pouvoir déterminer de quel Alfred Neely il est question. Par contre, le dernier homonyme est un docteur de l'hôpital Mercy, décédé il y a quelques heures. Par contre, je ne suis pas certaine s'il s'agit du père de Carl Neely. Et Jim ne le sait pas non plus. Mais nous trouvons assez indiscret que de demander à notre ami policier s'il a perdu son père.
9 janvier 2001, 7h00.
Jim me réveille en me câlinant. Il me murmure : – Mel, j'ai eu un rêve vraiment bizarre.
Je réplique d'une voix ensommeillée : – Bienvenue dans mon monde ! Peux-tu me le dire ?
– Oui ! Je me retrouve dans une salle d'opération, où une jeune femme vers la vingtaine aux yeux et aux cheveux bruns est allongée sur la table au centre. Je vois que c'est une opération au visage de la jeune femme. Tout à coup, elle se lève de la table d'opération, comme si elle se dédouble. Elle s'avance vers moi, vêtue d'une simple blanche robe moulante, par-dessus laquelle elle jette un ample manteau de la même couleur. Le décor de la salle d'opération s'évanouie et elle est dans notre salon et commence à me faire les yeux doux. Je remarque alors qu'elle tient dans ses bras un chat, tu sais, Mel, le chat sphinx, celui qui n'a pas de poils ?
– Oui... Et alors ?
– Et bien, cette femme lâche le chat qu'elle tenait. L'animal se promène dans le salon. La femme s'approche de moi et me demande si je ne me souviens pas d'elle. Perplexe, je dis que non. Elle me montre, comme au travers la fenêtre, une scène du passé, dans laquelle nous sommes beaucoup plus jeunes, des enfants de quinze-seize ans. Un jeune méchant gamin se moque d'elle, car la fillette porte des lunettes. Et moi, en tant que gamin, j'ai pitié de cet harcèlement et je l'encourage en disant qu'elle est une fille intelligente. Et la jeune femme me dit: « Jim, ne te souviens-tu pas de moi ? » Et c'est la fin du rêve. Je suis perplexe quant à son identité. Une seule certitude: la femme est un ancienne camarade du secondaire. Mais je pense que pour avoir une meilleure idée de son identité, je me demande si le rêve est littéral ou symbolique. Pour ce dernier aspect, je demanderai au professeur Richard Payne, question de renforcer notre amitié.
– Tu es vraiment génial !
Nous nous levons puis récitons les prières matinales avant de prendre le petit-déjeuner.
Au cours de la journée, Jim et moi allons dans la boutique d'antiquités, afin qu'il puisse retrouver le numéro du poste du professeur Payne. Cinq minutes plus tard, mon époux téléphone à son nouvel ami. Une fois les combinés raccrochés, Jim dit : « Je le rencontrerai demain, lorsque je serai libre. » En après-midi, il part au travail, comme d'habitude, et ne reviendra que très tard le soir.
Le lendemain, mon époux me raconte son rêve : il se trouve dans le salon en train de jouer aux cartes avec trois collègues ambulanciers, dont Robert Tooch et Timothy Flaherty. Tout à coup, la femme vêtue de blanc de la veille apparaît à la droite de Jim. Elle claque des doigts et des bestioles vertes apparaissent sur la table. Elle renverse les cartes, joue un peu avec la lumière des ampoules puis disparaît comme un esprit en disant dans un murmure: « Ne te souviens-tu pas d'Eva ? »
Jim m'embrasse sur les lèvres avant de partir en après-midi à l'Université Rockland, où il rencontrera le professeur Richard Payne à son bureau.
Entre-temps, j'aperçois l'esprit errant d'une jeune femme vers la vingtaine aux cheveux et aux yeux bruns, vêtue d'un ample manteau blanc sous lequel se voit une robe blanche moulante. Je pense, avec une pointe de jalousie : « Vous êtes l'esprit qui a visité en rêve MON mari... »
Elle hoche lentement de la tête puis dit: – Madame, ne soyez pas jalouse... Je ne suis qu'une camarade de classe de Jim Clancy. Ce n'est que de son encouragement dont je me suis rappelée une fois sortie de mon corps. Mais il semble qu'il ne se souvient pas de moi. Je lui donne alors des indices...
– Votre nom ?
– Eva Kaminsky, alias Eva Turner.
Puis elle se promène en se déhanchant dans le salon pour disparaître de ma vue. « Étant donné son déhanchement, elle est soit un mannequin, soit une chanteuse, soit une présentatrice de télévision, ou que sais-je encore... » pensé-je, perplexe. Je me rends alors dans ma boutique d'antiquités pour avoir plus d'informations au sujet de cette femme. Je salue mon associée puis file m'installer derrière l'ordinateur dans l'arrière-boutique. En tapant son nom dans le moteur de recherche, je découvre qu'Eva Turner était le nom d'artiste d'Eva Kaminsky, qui est mannequin pour la revue Beauty, qui promeut des vêtements de haute couture inspirés largement des thèmes égyptiens et orientaux. En parcourant les images, je m'arrête sur une image: Eva Turner dans une robe blanche et un grand manteau blanc par-dessus, qui tient un chat sphinx dans ses bras. Sous cette photographie, il est écrit : « À la mémoire d'Eva Turner (1967-1995). » Je pense aussitôt : « C'était probablement sa dernière séance de photographie... »
En face de moi, l'esprit errant du mannequin apparaît. Sourire aux lèvres, il dit : « Si je me souviens bien, je suis morte trois jours après cette photographie, des conséquences d'une opération esthétique au visage... » Puis l'esprit disparaît de ma vue. Je continue ma recherche et je trouve qu'Eva Kaminsky est la fille de Marybeth Salmon-Kaminsky et de Benedykt Kaminsky et la sœur aînée d'Emma Kaminsky. Elle est née le 3 avril 1967 à Grandview, sa sœur le 9 mars 1968.
Trois heures plus tard, Jim revient à la maison. Il s'exclame, heureux comme un gamin : – Mel, j'ai compris le sens de mon rêve ! Ce professeur est génialement cultivé !
Je lève les sourcils d'étonnement : – Et alors ?
– Le chat est la représentation de la Déesse égyptienne Bastet, qui protège les hommes du mal et qui est rattachée à la musique, à la danse et à la joie. Cependant, Bastet présente aussi un aspect guerrier sous le nom de la Déesse lionne Sekhmet. Le scarabée est le symbole de la renaissance, associé au Dieu-soleil égyptien Rê, qui se renouvelle continuellement car à chaque soir, il mène une lutte contre les démons et Apophis, un serpent géant. Autrement dit, cette ancienne camarade de classe a un rapport avec l'Égypte... Mais je dois me vanter (que Dieu me pardonne) comment j'ai réussi à lui faire passer la chose...
Intriguée, je réplique : – Comment ?
– En lui faisant croire que j'écris un roman dans lequel je voudrais insérer des symboles.
– Moi, de mon côté, je t'annonce que je sais son nom, car je l'ai vu aujourd'hui même... Elle s'appelle Eva Kaminsky, alias Eva Turner. Elle est la fille de Marybeth Salmon-Kaminsky et de Benedykt Kaminsky et la sœur aînée d'Emma Kaminsky.
– Son nom me rappelle vaguement la fillette avec des lunettes que j'ai vu en rêve...
– En faisant une courte recherche à son sujet, j'ai découvert qu'Eva Kaminsky était mannequin pour la revue Beauty, qui fait la publicité de haute couture inspirée de l'Égypte et du Moyen Orient, ce qui explique les symboles égyptiens dans tes rêves...
– Exactement... Mel, tu es vraiment géniale ! Ne t'inquiète pas, je n'ai jamais regardé les revues pour savoir qu'elle devenue mannequin !
– Toi aussi, tu es génial !
Il m'enlace et fait une ronde rapide, content comme un grand garçon. Moi aussi, je suis contente d'avoir résolu le cas de l'esprit errant.
Je remarque à la droite de Jim Eva Kaminsky/Turner, le sourire aux lèvres. Elle commente : « Merci, Jim Clancy, pour cet encouragement ! En ce qui concerne ma sœur, Emma, ne vous inquiétez pas pour elle... Car elle s'est déjà décidée depuis quelques années, alors que je l'ai temporairement possédé, à ne pas se lancer dans l'univers de la mode, pour ne pas être malheureuse comme moi... Inutile de dire que ce choix a déplu à notre mère, mais je l'ai encouragé dans cette voie en rêve. De sorte que je suis très tranquille... Je me sens légère, maintenant que Jim Clancy ne m'a pas oublié... Mais, est-ce normal que je vois une lumière ?
Je réplique, d'un ton joyeux : – Oui ! C'est la prochaine étape... Allez-y sans peur... La Lumière, c'est le lieur où vont les âmes après la fin d'une incarnation. Bon voyage !
Et l'esprit errant disparaît dans la Lumière. Contente, j'embrasse Jim, qui m'embrasse en retour.
Je murmure : – Eva Turner vient de partir dans la Lumière ! Je suis tellement contente que tu ne savais pas qu'elle est devenue mannequin... Je ne t'aurai pas permis de regarder les photos de femmes à moitié nues... J'en suis jalouse juste à y penser...
Il me réplique : – Je le sais, Mel ! Nous avons signé le contrat de mariage, ce qui est pour le meilleur et pour le pire...
Je hoche de la tête, émue jusqu'aux larmes. Jim m'embrasse sur les lèvres et dit : – Tu sais, de toutes façons, Mel. que tu es la seule femme qui fait battre mon cœur. Je suis tien, tu es mienne ! Et aucune femme ne peut te détrôner, comme aucun homme ne peut me détrôner, moi, l'unique et le charmant Jim, charmant pour Melinda SEULEMENT...
Je l'embrasse, contente.
30 janvier 2001.
L'esprit vêtu de vert se manifeste devant moi. Il dit : « Madame Gordon-Clancy, désolé de ne point m'être présenté. Je suis Jean Bude de Guébriant, un Esprit Observateur. J'ai vécu dans le Royaume de la France entre 1396 et 1455. Je vous avertis que vous devez vous méfier de l'homme du Regnum Bohemiæ, l'Ennemi de toute creature humainne ! Je lui laisserai des messages, dans l'espoir de le faire changer... Que Dieu l'éclaire ! Sinon, qu'il brûle en Enfer pour l'Éternité ! »
Et l'Esprit Observateur disparaît de ma vue avant que je puisse dire quoique ce soit. Je pense, perplexe : « Qui est cet homme ? » J'en discute avec Jim, qui est aussi perplexe que moi... Par ailleurs, nos notions d'histoire remontent à loin, de sorte que je propose à mon époux de demander à son ami le professeur Richard Payne.
En revenant à mon tricot, je remarque que l'Esprit Observateur a laissé sur la table au salon une feuille blanche, sur laquelle il a écrit un message, probablement entre-temps. Le voici :
« En toutes chozes, que nous faisons de bien, soit mengier, soit labourer, soit dormir, soit dire oroisons, soit prendre esbatement atrenpe et sombre, nous devons avoir une pansee a Dieu pour ordonner tout a son service; et lors toutes nos operacions seront meritoires et saintes et vaudront prieres. Par ainsy nous accomplirons ce que dit l'apostre que tousdis fault prier Dieu sans faillir.
Chascun soir la personne se doit ramener a soy maismes par ung peu de temps et penser ce qu'elle a fait la journee, et demander mercy a Dieu du mal et le regracier humblement du bien, en depriant que de mieulx en mieulx elle puisse perseverer; puis die son Confieor et autre oroison selond sa devocion; par ainsy la personne dormira seurement entre les bras de son bon amy Dieu et son angle qui nous garde. Et qui ne le fait, il est en perilz bien souvent de dampnacion par mort subite ou autre cas qui peuent advenir; et s'elle est en pechie sans avoir tele repentance comme dit est, elle gist entre les bras de son ennemy mortel le dyable. » **
Perplexe devant un tel message, je pense : « On dirait du français... Je devrais demander à Daniel la traduction. »
Vingt minutes plus tard, je me rends chez mon beau-frère et je lui montre le texte. Il me dit que ce n'est pas du français moderne, mais de l'ancien français. Encore plus perplexe, je me rends à l'Hôpital Mercy, où je trouve Jim dans le salon du personnel. Il m'enlace et demande : – Qu'est-ce qui se passe, ma chérie ?
Je lui murmure à l'oreille droite : – Le message de l'ami en vert est en ancien français, selon les propos de ton frère.
Jim me sourit d'un air complice; il m'indique par là qu'il comprend mes précautions en traitant l'Esprit Observateur Français médiéval d'ami en vert. Il me dit : – Tu peux demander au professeur Richard Payne... Tu n'as qu'à lui expliquer la situation. Je pense bien qu'il sera content de traduire les messages.
– D'accord, Jim. Tu es vraiment génial ! Tu ne cesseras jamais de m'étonner !
Un ambulancier vers la trentaine nous salue. Il dit à mon mari sur un ton coquin : « Jim, j'espère que c'est ta femme... »
Mon époux réplique : – Bien sûr que oui ! Tim, au lieu de m'espionner, occupe-toi de tes affaires !
Le collègue continue sa flânerie dans le salon du personnel.
Une fois qu'il est loin de nous, Jim me murmure : – Ma Melinda, c'est mon collègue Timothy Flaherty, un vieux garçon qui ne désespère pas de se marier un jour...
Nous embrassons sur les lèvres puis je sors de l'hôpital. Je reviens en vitesse dans ma boutique d'antiquités. J'explique brièvement la situation à Andrea, puis je me rends dans l'arrière-boutique, où se trouve un téléphone. J'appelle le professeur Payne en précisant que je suis Melinda Gordon-Clancy, l'épouse de l'ambulancier Jim Clancy. Il accepte de me rencontrer en après-midi.
Je m'y rends après avoir terminé la vaisselle. Avant d'entrer dans l'Université Rockland, je me signe discrètement en pensant « Que Dieu m'éclaire et me permet de distinguer mes amis et mes ennemis ! »
Rendue au bureau du professeur, ce dernier me salue d'un air joyeux. Je lui rends ses salutations.
Il me dit : – Madame Melinda Gordon, quelle est la raison de votre visite à mon bureau ?
D'un ton sûr, je réponds : – Pour traduire les messages suivants...
Je sors d'un petit sac à main la feuille que j'ai trouvé parmi les objets de Gerald Mahoney et la feuille sur laquelle Jean Bude de Guébriant a écrit son message.
Richard Payne met ses lunettes sur son nez, lit le message, puis commente : – C'est en effet de l'ancien français de 1300... Laissez-moi quinze minutes et je vous reviens avec la traduction !
Il se lève de sa chaise de bureau et se dirige vers sa bibliothèque. Il regarde attentivement les livres, en saisit deux puis revient vers le bureau. Il regarde les feuilles et fouille dans ces deux livres. Le professeur écrit sur une autre feuille les traductions. Une fois ce travail terminé, il remet les livres à leur place dans les rayons de la bibliothèque. Il revient sur sa chaise et me tend les deux feuilles en disant : – Voilà, Madame Gordon, les messages. La première feuille est un résumé des Dix Commandements, à savoir Tu n'adoreras pas les idoles de plusieurs dieux. Tu ne jureras pas le nom de Dieu en vain. Tu célèbreras dimanche et les autres fêtes. Tu honoreras ton père et ta mère. Tu ne seras pas meurtrier. Etc., Etc. D'ailleurs, pour la remarque, ce texte est une reproduction de L'A.B.C. des simples gens de Jean Gerson, un théologien et universitaire français du quatorzième-quinzième siècle. Vous comprenez ?
Je hoche de la tête. Il poursuit son explication : – Quant à votre autre message, il s'agit probablement d'un avertissement. Voici sa traduction: «En toutes choses, que nous faisons de bien, qu'il s'agisse de manger, de labourer, de dormir, de prier, de s'amuser joyeusement, nous devons d'avoir une pensée pour Dieu, pour tout mettre en Son service; c'est alors que toutes nos opérations seront méritoires et saintes et que nos prières ne seront pas vaines. Ainsi, nous accomplirons ce que l'apôtre dit de toujours prier Dieu sans faillir. À chaque soir, la personne doit ramener à elle-même, dans sa pensée, ses actions de la journée et demander le pardon à Dieu et Le remercier humblement du bien, en suppliant de mieux en mieux pour qu'elle puisse persévérer dans le bien. Puis, elle dit sa confession et sa prière selon sa dévotion; ainsi, la personne dormira sûrement entre les bras de son ami Dieu et de son ange qui nous garde. Celui qui ne fait pas ainsi est en péril, celui de la damnation par une mort subite, ou d'autres cas semblables qui peuvent advenir; elle est dans le péché sans avoir une telle repentance comme il est dit, elle gît entre les bras de son ennemi mortel le Diable.» Pour information, il s'agit d'une citation des Neufs considérations de Jean Gerson.
– Merci, beaucoup, Monsieur le professeur Payne. Mais si vous permettez, un dernier détail.
– Allez-y...
– Que veut dire « l'homme du Regnum Bohemiæ » ? Je suis nulle en latin...
– Aucun trouble, Madame Gordon ! Je suis là pour vous démystifier le latin ! Regnum Bohemiæ, c'est le nom du Royaume de Bohême. Attendez deux secondes que je vérifie dans un livre d'histoire...
Il se lève à nouveau de sa chaise et regarde un autre livre, le feuillette rapidement, puis revient à sa place. Il ôte ses lunettes de lecture qu'il range dans une boîte à lunettes qui traîne sur son bureau. Le professeur dit : – Le Royaume de Bohême est un royaume d'Europe centrale ayant existé de la fin du XIIe siècle à 1918. Aujourd'hui, c'est le territoire de la Tchéquie... Mais, Madame Gordon, puis-je vous poser une question ?
– Oui ?
– Qui a écrit ces messages, car personne aujourd'hui ne sait l'ancien français, à l'exception de mon collègue au Département de linguistique, Monsieur Alain Germain. Et je ne pense pas que vous êtes amie avec lui...
– Exactement, je ne le connais pas.
– Et comme je ne crois pas qu'un autodidacte puisse laisser ainsi des messages si bien formulés...
– Pour être honnête... C'est un Esprit Observateur du Moyen Âge, un certain Jean Bude de Guébriant (désolé de la prononciation) qui a laissé ses messages...
Richard Payne lève les sourcils d'étonnement : – Comment ?
Gênée, je continue d'un ton sûr : – Vous devez savoir une chose, Monsieur le professeur... Je vois les esprits errants, les âmes perdues qui hantent le monde des vivants. Et je dois les aider à accomplir leurs dernières volontés et à passer dans la Lumière, dans l'Autre Monde...
– Intéressant, Madame Gordon !
Je regarde mon interlocuteur: il est sérieux. Même pas un soupçon de moquerie dans ses yeux, seulement une curiosité presque enfantine. Je tousse puis dis : – Merci pour votre aide, Monsieur le professeur Richard Payne !
– Merci à vous, Madame Melinda Gordon-Clancy !
– Passez une bonne journée !
– De même pour vous !
Je ramasse les feuilles de papiers pour les ranger dans mon sac à main. Nous nous levons de nos chaises et le professeur m'ouvre la porte de son bureau puis la referme derrière moi.
Je reviens chez moi encore plus perplexe. Lorsque Jim revient du travail, je partage avec lui les résultats de cet entretien. Nous parvenons à la conclusion suivante : l'esprit Observateur veut m'avertir au sujet d'un homme immoral originaire de la Tchéquie. Or, nous ne connaissons personne qui est née ou qui a vécu dans ce pays... Je conclus nos réflexions en embrassant mon époux sur les lèvres. Il m'embrasse en retour.
Je dis : « Espérons que Dieu nous éclaicira au sujet de l'identité de cet homme ou de cette femme ! »
Pour calmer les larmes qui commencent à me monter aux yeux, je récite l'oikos quatre de l'Hymne acathiste au doux seigneur Jésus Christ :
When the blind man heard thee, O Lord, passing by on the way, he cried, ̔̔Jesus, Son of David, have mercy on me.ˮ And Thou didst summon him and open his eyes. In thy mercy enlighten also the spiritual eyes of my heart, as I cry to Thee and say :
Jesus, Creator of those on high.
Jesus, Redeemer of those below.
Jesus, Destroyer of the powers of hell.
Jesus, Adorner of all creation.
Jesus, Comforter of my soul.
Jesus, Enlightener of my mind.
Jesus, Gladness of my heart.
Jesus, Health of my body.
Jesus, my Saviour, save me.
Jesus, my Light, enlighten me.
Jesus, deliver me from every torment.
Jesus, save me despite mine unworthiness.
Jesus, Son of God, have mercy on me.
–
* Jean Gerson, A.B.C. des simples gens, dans Œuvres complètes, volume VII, L'œuvre française (292-339), introduction, texte et notes par Mgr Glorieux, Paris, Desclée & Cie, 1966, p. 155.
** Jean Gerson, Neuf considérations, dans ibid., p. 1.