Réinterprétation et autres histoires
Chapitre 15 : Deuxième partie, Énigmes des deux mondes
9338 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a environ 2 mois
15. Énigmes des deux mondes
La porte s’ouvre, grinçant sur ses gonds, la chuchoteuse d’esprits entre dans l’immense maison de pierre accueillante avec ses deux petits jardins où un chêne jette son immense ombre sur le bâtiment. À peine franchit-elle le seuil que son mari l’intercepte, l’éloignant de son collègue Robert Thomann. Jim l’entraîne dans la petite cuisine, dos appuyé contre le cadre de la porte. Il l’interroge à voix basse, lui sommant sévèrement :
— Mél, que fais-tu ici ? Quitte immédiatement les lieux !
Il tient solidement le bras droit de son épouse, la fixant, attendant une réponse. Celle-ci soupire et murmure :
— C’est Richard Payne qui m’a appelé, le ton de sa voix m’a laissé très inquiète…
Elle tourne la tête à la droite de son mari, notant Catherine Payne qui l'observe silencieusement depuis le coin droit de la pièce, debout près de la chaise en bois avec un coussin.
— … Alors je suis venue… Et son épouse est fâchée ! J’ignore pourquoi !
Le grand homme aux yeux bleus soupire et revient avec une civière dans le salon. Ce dernier est une immense salle au centre duquel trône deux élégants fauteuils et une table basse en cerisier ornée d’une nappe blanche crochetée. Une large fenêtre aux rideaux beiges foncés retenus par une corde laisse une ambiance chaleureuse. À la droite, en face de la fenêtre, une immense bibliothèque remplie de livres est renversée, laissant un immense trou dans le décor par sa position inhabituelle. Non loin du meuble, Richard Payne, grimaçant sous la douleur lancinante de sa jambe droite écrasée, ne peut camoufler son regard rassuré et ses traits tendus en discernant la chuchoteuse d’esprits dans la salle, qui a suivi son mari.
— Mélinda Gordon-Clancy, j’ignore quel poltergeist s'acharne sur moi…
— Ainsi, commente ironiquement Kate, apparue à la droite de son mari, bras croisés en-dessous de la poitrine. Je suis un poltergeist ! Tu es gentil, Rick de me traiter ainsi !
— Monsieur Richard Payne, intervient Mélinda, yeux rivés sur la défunte. Votre épouse…
— Kate ? s’étonne le professeur, tâchant d’ajuster son veston noir pour se donner bonne contenance.
— Oui, lui confirme la femme extraordinaire. Votre épouse n’est guère ravie que vous la traitiez de potler…
— Poltergeist, la corrige gentiment le professeur, soulevé avec beaucoup d’attention par Jim pour que le poids des livres et de la bibliothèque ne blesse encore plus le quarantenaire.
— Madame Catherine Payne, pourquoi êtes-vous fâchée contre votre mari ? Qu’est-ce qui vous retient parmi les vivants ?
Le regard de l’interpellée lancent des éclairs et ses traits se durcissent. Son sourire devenant un rictus et serrant les mains en poing, elle vocifère :
— Ceci ne vous concerne pas !
L’ampoule de la jolie suspension dorée s’allume et s’éteint pendant plusieurs minutes avant de revenir dans sa position initiale.
Jim, aidé de Robert, amène rapidement le professeur sur une civière, puis dans l’ambulance. L’épouse de l’ambulancier reste encore dans le salon, interrogeant la défunte :
— Madame Payne, qu’est-ce que votre mari a fait pour que vous soyez ainsi fâchée ?
Décroisant les bras, elle se renfrogne et répond d’un ton bourru.
— Il y a son ancienne petite-amie du temps des études, Nina dont-je-ne-me-rappelle-plus-son-nom, qui est revenue à Reims depuis plusieurs jours et qui l’a contacté…
Elle serre ses mains en poing, explosant :
— … Pour lui demander de financer les études de son fils !… Enfant naturel qu’elle a de mon mari !
Bouche un peu entrouverte en o d’étonnement, sourcils relevés, Mélinda balbutie :
— Mais êtes-vous certaine que ce fils soit celui de votre mari ?
— Il pourrait l’être… s’emporte-t-elle.
— Que ce fils naturel soit ou non celui de votre mari, qu’est-ce que cela change pour vous ? Vous êtes défunte, morte enceinte…
Des larmes perlent le coin des yeux de la chuchoteuse d’esprits. Larmes qui laissent un sillon sur ses joues délicates.
— … Bien triste fin ! …
Elle sort un fin mouchoir en dentelle de sa poche pour essuyer ses larmes.
— … Mais vous ne pouvez plus, malheureusement, être auprès de votre mari comme de votre vivant !
— Je le sais, murmure-t-elle, tête baissée.
— Alors n’avez-vous que cette jalousie qui vous retient parmi les vivants ?
— Non, répond dans un souffle à peine audible, honteuse, l’épouse du professeur. J’ai un lourd poids sur mon âme… J’ai honte de mon passé… Lorsque je vois mon mari ainsi attristé et affligé de ma perte… Je me sens coupable d’avoir été une mauvaise épouse… Mon cœur se fend lorsque, parfois, il pleure sur notre photographie de mariage ou lorsqu’il boit pour noyer son chagrin les fins de semaine… Je remarque que je l’ai négligé… Alors qu’il se souciait trop de moi… Je voudrais tant réparer ma faute… Je ne sais comment faire ! …
Elle se tait pendant quelques secondes, balayant du regard la pièce si familière avant de continuer.
— … Rick se souciait beaucoup trop et beaucoup plus que je ne le mérite… Si seulement il savait…
— Que devrait-il savoir ? l’interrompt abruptement son interlocutrice, question qui tranche l’air, tel un couteau une tranche de pain. Qu’ignore votre mari, alors que c’est si important ?
Sursautant à la question, ses yeux s’affolent dans ses orbites, ses traits délicats et son corps se figent, comme si la Gorgone Méduse l’observait.
— Je ne peux pas vous le dire…
Et elle s’estompe, disparaissant de la vue de la médium. Cette dernière, soupirant, exaspérée, revient dans sa boutique.
L’antiquaire extraordinaire fouille dans tous les journaux locaux de Grandeville et du Reims pour trouver le plus d’informations possibles sur Catherine Payne. Ainsi elle trouve qu’elle est née en 1969 à Épernay et est morte froidement assassinée alors qu’elle conduisait la voiture de son mari, en avril dernier, alors âgée de trente-deux ans.
La jeune future mère pleure discrètement, émue jusqu’au tréfonds de son âme de lire une si triste nouvelle. La défunte, à ses côtés, l’observe silencieusement et commente avec un cynisme à peine voilé :
— Mort qui n’est guère présentable ! Je ne méritais pas mieux, semble-t-il !
Elle baisse les yeux et continue d’un ton plus sérieux, avec une pointe de jalousie.
— Mais, je me soucie de Rick, avec cette ancienne petite-amie de mon mari qui se pointe dans le décor. Cela ne peut pas aider à l’état psychique fragile de Rick, déjà profondément mis à l’épreuve par ma mort et par la nouvelle de mon nouvel état qui ne dura pas longtemps. Je suis certaine que cette femme aux mœurs légères pense tirer profit du deuil dans lequel est plongé mon mari pour renouer avec lui et lui présenter son fils ! Cet enfant naturel est un affront à notre mariage !
De fureur, l’esprit errant allume et éteint l’ampoule de la lampe, avant de la faire éclater lorsqu’il disparaît. La chuchoteuse d’esprits soupire, éteint l’ordinateur et ramasse les débris de l’ampoule avant de la changer. Elle revient au comptoir, pensive de la situation.
Au même moment, à l’appartement d’Élie James,
Le professeur de psychologie est très content que son amie d’enfance, Cassandre, accepte ses avances. Il est de très bonne humeur. Se tenant main dans la main, il enlace tendrement sa bien-aimée, sous le regard inquisiteur de Charlie Luc Wogel qui demeure toujours silencieux, analysant la situation.
— Cassandre, ma chère et douce colombe, daignes-tu devenir mon épouse légitime ? …
Il sort d’une poche interne de son veston une petite boîte dorée, s’agenouillant devant la jeune femme, l’ouvrant pour dévoiler une bague de fiançailles scintillante.
— … Désires-tu que nous convolions en justes noces ?
Émilie James, la mère du professeur de psychologie défunte depuis plusieurs années, apparaît à la gauche de son fils et ne souffle mot, promenant un regard angoissé entre les jeunes amants.
— Oui, j’accepte, exulte Cassandre. Je souhaite être ton épouse légitime, Élie.
L’interpellé passe la bague au doigt de sa bien-aimée et l’embrasse, euphorique. Il la prend entre ses bras et la soulève, l’enlaçant. Émilie, mine assombrie, s’évapore.
Simultanément, au bureau du recteur de l’Université Ardenne-Champagne.
Josué Berthelot, confortablement assis, boit son énième verre de whisky, réfléchissant au meilleur plan pour récupérer le Livre tant convoité.
— J’ai trouvé !
Un bruit indistinct, tel un vent, s’entend autour de lui. L’une des Ombres lui hurle froidement :
— Notre patience a une limite ! Mettez au plus vite la main sur le Livre !
— Oui, je n’ai pas oublié ! essaie-t-il de les amadouer. J’y mettrais la main sur ce Livre ! Vous le verrez, vous le lirez ! Soyez sans crainte, mes chers amis !
Un courant d’air froid coupe le souffle au vieil homme qui tousse très fort, étouffé momentanément par les Ombres.
Dès que les sombres entités quittent le bureau, le recteur appelle la collègue de Richard Payne, Aurélie Gaujon, pour participer à une séance spirite.
Quelques jours plus tard, à l'Hôpital Robert Debré à Reims.
Mélinda se rend dans la chambre du professeur d’Histoire ancienne, perplexe des paroles de Catherine. Arrivée dans la petite chambre austère au mur blanc où seulement des lits et des moniteurs ornent la salle, la jeune femme s’arrête devant Richard Payne, jambe dans un plâtre. Celui-ci lui sourit poliment et lui demande :
— Madame Mélinda Gordon-Clancy, pourquoi venez-vous me voir dans cet hôpital ? Est-ce encore ma défunte épouse, ma chère et douce Catherine qui m’en veut ? Que dois-je faire pour qu’elle cesse de me hanter ? Je suis déjà suffisamment attristé et chagriné par sa perte… En plus d’autres récents problèmes, soupire-t-il, portant sa main gauche au front.
— Les récents problèmes, commente avec cynisme Catherine. Quels mots, mon cher !
La femme extraordinaire ignore le commentaire de la défunte et informe d’un ton sérieux le professeur :
— Votre épouse est très fâchée de la présence de votre ancienne petite-amie. Comment s’appelle-t-elle ?
— Nina, Nina Herrmann, répond-t-il d’un ton inexpressif…
Il joue nerveusement avec son alliance.
— … Elle me cause bien des tourments !
Catherine, impassible, promène son regard de son mari à la femme extraordinaire.
— Rick, commente-t-elle, pointe de jalousie dans la voix, il faudrait que tu vérifies si tu es réellement le père de ce garnement ! Avec une femme aux mœurs si légères, je ne prêterais pas foi à sa parole !
Mélinda opine du chef et souffle à son interlocuteur :
— Votre épouse exige…
La défunte approuve, sourire qui irradie de son austère et élégant visage.
— … que vous effectuez un test de paternité. Elle est en proie à une jalousie et veut savoir si cet enfant naturel est le vôtre ou non.
Richard Payne soupire, retirant son alliance pour la fixer d’un regard absent, gêné.
— Mais Kate, Nina a été mon amante du temps des études… Je ne vivais plus avec elle depuis plusieurs mois déjà, alors que je t’ai rencontrée ! … Le fils de Nina pourrait être mien : il a douze ans aujourd’hui, né en novembre, soit neuf mois avant que je ne romps avec Nina…
— Mais penses-tu qu’elle pourrait être une femme aux mœurs légères ? ! vocifère l’esprit.
— Votre défunte épouse, lui rapporte posément la médium, à certaines réserves concernant votre paternité… Ou plutôt, devrais-je dire, elle voudrait en avoir le cœur net… Elle craint que l’enfant, ce fils, ne soit pas le vôtre et qu’elle cherche à vous soutirer de l’argent, dans votre moment de faiblesse…
Le professeur, moue qui se dessine sur le visage, affirme :
— Pour être honnête, j’ai des doutes…
Il détourne les yeux de Mélinda, honteux. Il soupire.
— …Mais par l’âge, ce garçon, Édouard Herrmann, pourrait être mon fils… Ce n’est pas impossible… puisque j’étais encore avec elle… Mais je devrais lui parler plus en détail à propos de son fils… Je ne voudrais pas être un mauvais père ! Moi qui…
Il s’interrompt, retenant un cri douloureux sortir de sa gorge, se ressaisissant pour se donner bonne contenance et pour ne montrer aucune faiblesse.
— … Désirais tant d’avoir un enfant de ma chère et douce épouse, ma chère Kate ! Je souhaitais ardemment avoir un garçon ou une fille qui m’appellerait « papa » !
Catherine lâche une larme et, d’une voix tremblante, révèle :
— Tu voulais depuis toujours des enfants ! À mon instar… Mais alors pourquoi tu m’as négligé ? Pourquoi étais-tu si cynique chaque fois que le thème revenait entre nous ? Je ne te prenais pas au sérieux…
— Votre épouse est très étonnée de votre désir d’avoir des enfants, lui rapporte la médium. Elle ne comprend pas votre cynisme et votre évitement lorsque la thématique revenait entre vous deux.
Le professeur baisse les yeux et commente amèrement :
— Je ne voyais pas le temps passé ! Pour moi, notre mariage était comme si c’était hier, et non il y a dix ou douze ans ! Et chacun d’entre nous se préoccupait du travail… Jusqu’à s’oublier… J’ai constaté que depuis janvier 1992 elle insistait plus que nous discutions de notre avenir commun et des enfants…
L’esprit errant rougit, baissant les yeux, honteuse. Elle joue nerveusement avec le bord de sa jupe, se dandinant de malaise. Ressentant le regard interrogateur de la future mère extraordinaire sur elle, Catherine disparaît sans dire un mot. Richard Payne tourne sa blonde tête vers celle-ci et l’interroge avec une pointe de curiosité dans la voix :
— Qui avez-vous vu ou entendu pour être si intriguée ?
Détournant le regard de la position où a été la défunte quelques secondes plus tôt, elle l’informe d’un ton sérieux :
— C’est le comportement de votre épouse, Catherine Payne, qui m’étonne…
— Pourquoi, qu’a-t-il de si particulier ?
— À la mention du mois et de l’année, janvier 1992, elle a commencé à s’agiter, nerveuse. Je voulais m’informer, mais elle est partie avant que je ne dise un mot !
— Un esprit errant têtu ! …
Catherine réapparaît à la droite de son mari, lui dardant un regard foudroyant.
— … Comme de son vivant ! Telle vivante, telle défunte !
— Rick, c’est toi qui me le dit ! Alors que tu es mille fois plus entêté que moi !
Catherine, vexée, croise ses bras en-dessous de sa poitrine, lançant un regard de feu à son mari.
— Je parie qu’elle me cherche noise et que mon sens de l’humour est toujours incompris !
— Je ne cherche pas noise ! C’est toi qui est nonchalant ! vocifère-t-elle, engendrant un désordre au moniteur du lit voisin.
— Madame Payne, lui conseille Mélinda à mi-voix, soupirant, calmez-vous ! Vous mettez en danger la vie de l’homme dans le lit voisin à celui de votre mari. Un peu de considération, s’il vous plaît !
L’interpellée l’observe, étonnée.
— Sans oublier que je ne veux pas vous entendre vous disputez devant moi. Paix, paix !
Le couple se tait, baissant la tête et ravalant leur salive. Richard, d’une voix à peine audible, continue :
— Outre ce malentendu… Qui était aussi présent lorsque Kate était vivante… Je ne comprends guère ce qu’il y a de si particulier en janvier 1992…
La défunte blême, aussi pâle qu’un drap blanc et aussi tremblante qu’une feuille agitée par un violent borée, s’évapore de la salle.
— … Je ne saurais le dire… Mystère, mais nous le saurons ! …
Un silence s’installe entre les deux connaissances. Silence réconfortant que le professeur brise de sa voix grave.
— … Sinon, je vais faire les tests de paternité ! Je ne voudrais point élever cet enfant comme le mien alors qu’il ne l’est pas ! … Aussi, soupire-t-il, je vais devoir laisser pour un peu plus tard mon voyage sabbatique ! je prévoyais cet été de partir en Orient, mais je vais devoir le rapporter en septembre, question de me laisser le temps à ma jambe de guérir adéquatement et pour que je sois informé du test de paternité. … Aussi, je pense discuter avec Nina Herrmann, voulez-vous venir avec votre mari pour un dîner samedi la semaine prochaine ? Je paie, bien sûr !
Gênée, l’épouse de Jim lui répond :
— Je ne peux pas accepter votre offre… Je vous laisse un peu d’intimité, un peu de vie privée…
Secouant la tête, il argumente calmement :
— Justement, il n’y a aucun secret entre nous. Elle est mon ancienne amante et je ne pense pas revenir avec elle. La discussion est purement formelle. Je ne veux qu’obtenir des réponses à mes questions ! Et si mon épouse, ma Kate chérie, est présente, seule vous pouvez m' aviser ou me faire un signe de sa présence. Comprenez-vous que vous ne pouvez décliner mon offre ?
Elle soupire et maugrée.
— Très bien, professeur Payne, je convaincrais mon mari de venir avec moi la semaine prochaine.
Sourire radieux, il serre puissamment la main de son interlocutrice.
— Merci, Madame Gordon-Clancy, je vous suis reconnaissant de votre soutien ! À la prochaine alors !
Elle sort de la chambre, le regard vague, perplexe de tous les événements récents. Mélinda revient chez elle, encore plus confuse qu’auparavant.
Au même moment, dans l’appartement d’Élie James.
Le professeur de psychologie fait les cent pas d’impatience dans le salon. Il attend sa fiancée depuis plusieurs minutes déjà. Cassandre arrive, souriante, sous le regard mécontent de la défunte mère d’Élie qui est près de son fils.
— Enfin, Cassandre, ma chère, tu viens d’arriver ! Veux-tu venir avec moi pour que j'annonce l’heureuse nouvelle de notre prochain mariage à mon père ?
— Oui, pourquoi ! exulte la jeune femme, enlaçant tendrement son fiancé. D’ailleurs, je suis bien curieuse de rencontrer mon futur beau-père !
— Je ne suis pas si certaine que vous serez contente, Cassandre Schwartz, commente amèrement Émilie.
En entendant la voix de sa mère, le professeur extraordinaire sursaute, mais camoufle du mieux qu’il le peut, guère désireux d’informer maintenant Cassandre de son don.
— Je vais alors appeler mon père, puis on y va ! Ma mère, Émilie, est défunte lorsque j’avais quinze ans.
— Bien triste, commente-t-elle.
Le professeur soupire et se rue sur le téléphone, informant son père de l’heureuse nouvelle, sous le regard désapprobateur de sa mère qui maugrée avant de s’en aller, constatant que son fils l’ignore.
Trois jours plus tard, à l'Hôpital Robert Debré à Reims.
Richard Payne, rétabli de sa blessure, revient chez lui. Taraudé par les paroles de Mélinda, il ne sait pas trop comment contacter Nina Herrmann, bien qu’il ait son numéro de téléphone.
Son ancienne amante, entre-temps devenue professeur de sociologie, est arrivée à Reims depuis peu dans le cadre d’une conférence socio-historique de la France. Il l’a rencontré alors qu’il quittait une salle de classe voisine à la salle de conférence. Il l’a reconnu et la salue poliment, mais il n’est pas intéressant de communiquer plus avec elle, profondément affecté encore par la mort de son épouse. Nina a insisté pour lui donner son numéro de téléphone, en plus de l’informer qu’elle a un fils de douze ans.
Tambourinant nerveusement avec la carte de visite de Nina, Richard ne sait trop que faire. Il soupire et s’interroge d’une voix forte, bien que brisée :
— Dois-je ou non l’appeler ?
— Appelle-la lui répond amèrement son épouse à ses côtés. Il vaut mieux en avoir le coeur net avec ce type de femme, termine-t-elle sur un ton de dégoût, moue au visage.
Richard, aucunement informé de la présence de Catherine et ne pouvant entendre ses paroles, continue son monologue. Il chuchote :
— Je devrais l’appeler…
Avant de composer le numéro, il soupire et revient dans la cuisine se servir un verre d’apéritif pour se remonter le moral, observant longuement leur photographie de mariage.
— Bonjour, Nina Herrmann, Richard Payne à l’appareil, je voudrais vous inviter dans quatre jours au restaurant avec un autre couple qui sont des amis…
— Pourquoi, tu ne veux pas avoir un petit moment privé entre nous deux ? lui demande-t-elle d’un ton séduisant.
— Non, justement, réplique-t-il sèchement. Je veux uniquement vous communiquer certaines nouvelles, et partager mes doutes et autres détails concernant votre fils Édouard… Le financement et tout…
— J’accepte… Et j’amène Edouard avec moi.
— C’est bon ! À samedi !
Chacun raccroche son combiné et le professeur joue nerveusement avec son alliance, influencé par son épouse. Il est angoissé à l’idée d’être père sans qu’il le sache ou, pire, que Nina lui mente pour lui soutirer son argent. Il ne dort pas de la nuit, hanté à l’idée d’être père sans qu’il le sache.
Quatre jours plus tard, à Reims, dans un restaurant chic de la ville.
Richard Payne, suivi de Mélinda et Jim, attend depuis plusieurs minutes déjà Nina et Édouard Herrmann. La première est une petite femme aux formes généreuses dans sa mi-trentaine, aux cheveux brun clair et aux yeux marron. Sa robe blanche moulante au décolleté trop ouvert gêne quelque peu le professeur. Le second est un garçon de douze ans aux cheveux blonds, aux yeux bruns brillants d'intelligence, vêtu d'un complet bleu marine. Lorsque le duo arrive et s'installe, Richard, affable, s’assit à son tour en face d’elle et chacun des couples lit le menu. Mélinda murmure à son mari :
— Jim, la défunte épouse est près du siège de l’ancienne maîtresse du professeur… Son attitude très fâchée n‘annonce rien qui vaille !
— D’accord avec toi, Mél, mais en même temps, je la comprends…
Richard sourit courtoisement à Nina et lui demande à mi-voix.
— Nina Herrmann, votre fils, Édouard, a douze ans, non ?
— Oui !
— Est-ce que je serais son père ?
La question a l’effet d’une bombe sur la professeur de sociologie qui se tait, baissant son regard pour ne pas affronter celui, sérieux, de son interlocuteur. Un silence gênant s’installe entre eux deux.
— Quelle situation ! commente ironiquement Catherine. Soit elle doit reconnaître qu’il est son enfant naturel, soit qu’il n’en est pas le père et qu’elle est une femme aux moeurs légères, trop légères !
Mélinda promène son regard de Nina à Richard et du professeur à la défunte, gênée d’assister à la scène.
— Répondez-moi ! continue-t-il sèchement ! C’est soit oui, soit non ! Rien de compliqué ! Il n’y a pas d’entre-deux !
— Je sais bien… mais… continue-t-elle d’une voix tremblante, tu es marié, n’est-ce pas ?
La mine du professeur s’assombrit. Son regard se voile. Il se tait pour se donner bonne contenance. Après un silence oppressant de plusieurs minutes qui semblent une éternité, il réplique.
— Nina Herrmann, le serveur vient d’arriver, passons au commande, nous continuerons notre discussion plus tard.
Le repas se déroule dans un silence lourd. Richard demeure taciturne, buvant un peu plus de vin que d’habitude, au grand désarroi manifeste de Catherine qui ne cesse de soupirer et de supplier son mari de ne pas écouter Nina. Le professeur d’Histoire joue nerveusement avec son alliance avant de reprendre la parole.
— Disons que je suis veuf… Mon épouse est … morte… récemment…
Sa voix se brise, retenant ses larmes pour ne pas paraître faible devant les autres.
— Je propose un test de paternité… Par l’âge, ce gamin pourrait être mien…
Catherine se déplace à côté de son mari, passant ses bras autour de ses épaules.
— … Mais ce n’est pas à cause des cheveux blonds similaires et de son intelligence que cela signifie que je suis son géniteur ! D’ailleurs, s’il est mien, pourquoi me l’avoir caché ?
Nina Herrmann baisse ses paupières, rougissante.
— Sauf, commente ironiquement Catherine, si elle ne sait plus avec qui elle l’a conçu, femme aux moeurs légères !
— Richard… le supplie-t-elle, Je préfère que nous terminions cette discussion en privé… Si tu le veux bien !
Le professeur soupire, agitant sa main droite dans les airs. Il paye le repas des deux couples, s’excuse auprès de Mélinda et de Jim et s’éclipse, suivi de Nina et de son fils, sous le regard enragé de Catherine.
— Madame Payne, commente la médium, je comprends votre colère et emportement… Mais il faut reconnaître, indépendamment de la paternité de votre mari, que l’information ne change rien pour vous… C’est uniquement important pour lui, non ?
Méditant, fixant la porte du restaurant par lequel Richard est sorti, Catherine lui sourit faiblement, laissant tomber momentanément sa colère.
— Vous avez raison, Madame Gordon-Clancy ! Mais je ne pourrai endurer que cette femme aux moeurs légères fréquente à nouveau mon mari, exercant un chantage avec son fils !
Elle serre ses mains en poings, son visage devient rouge. Elle hurle sa dernière phrase avant d’ajouter.
— Je ne peux tolérer cette femme près de mon mari ! Comprenez-vous ?
Elle fait éclater les verres de la table voisine avant de s’élever dans les airs, sous le regard étonné de l’antiquaire.
Cette dernière, se penchant vers son mari, lui chuchote :
— Jim, on ferait mieux de partir maintenant ! Je pense contacter Paul Eastman, Gabriel Lawrence et Élie James pour plus de détails concernant l’épouse de Richard Payne, mais ce ne sera pas aujourd’hui, ni demain.
Le couple revient chez lui, dormant d’un sommeil réparateur.
Au même moment, à la maison aux esprits de Gabriel Lawrence,
Le demi-frère de Mélinda s’occupe de l’entretien de la maisonnée lorsque le défunt médecin collaborateur se manifeste près de lui.
— Monsieur Lawrence, j’ai trouvé une proie intéressante pour vous et un cobaye pour moi !
Lueur de curiosité, le chuchoteur d’esprits l’interrogea :
— Comment et qui ?
— Pour vous, c’est une défunte qui pourra peupler votre maison… Pour moi, c’est un vivant !
— Qui ?
— Pour vous, Catherine Payne de Reims… Elle a un lourd secret et une grande culpabilité. Sans oublier une jalousie… Tous des facteurs que vous pouvez utiliser à bon escient pour la convaincre de rester dans votre maison, pour faire grossir vos rangs !
Mine réfléchie, un petit sourire se dessine sur son visage, toujours heureux d’accueillir des esprits errants dans sa maison.
— Très bien, docteur Wogel ! Je m’en vais à Reims dès que l’occasion se présente pour un recrutement !
Le défunt médecin, aspiré par le monde souterrain, disparaît. Le chuchoteur d’esprits rapporte son attention sur ses invités invisibles et sa tâche ménagère.
Deux jours plus tard, à Reims, au Parc Léo Lagrange,
Richard, assis sur un banc, ne cesse de ruminer la dernière conversation au restaurant. Il observe à intervalles réguliers sa montre, attendant que Nina et son fils arrivent. Sur le banc voisin, à quelques mètres se trouve sa défunte épouse qui l’épie, mains sur les hanches, guère ravie de cette rencontre. L’ancienne petite-amie arrive, laissant son fils jouer aux échecs avec un garçon de son âge un peu plus loin d’elle.
— Nina Herrmann, je viens d’obtenir les résultats du test de paternité… Et je ne suis pas son père ! Alors pourquoi vouloir venir à moi ? Pourquoi ne pas solliciter le père du gamin ! s’emporte le professeur, blessé en son âme que Nina puisse lui mentir pour lui soutirer de l’argent.
Il la fixe, hargne dans ses yeux de feu, attendant une réponse. L’interpellée, ne désirant pas confronter l’expression de son interlocuteur, baisse ses sombres paupières sur ses genoux. Elle bredouille, jouant nerveusement avec le bord de sa robe estivale blanche à motifs floraux :
— Rick…
Les yeux bleus du professeur se glacent, il rétorque d’un ton dur :
— Madame Nina Herrmann, vous n’avez aucune raison d’être si familière avec moi ! Nous avons été très près l’un de l’autre au dernier millénaire ! Maintenant, tout a changé ! Je suis veuf sans enfant; vous, vous êtes une mère monoparentale. Je veux bien parler avec vous de manière civilisée, mais ne sortez aucun surnom trop intime et familier ! C’est absolument indécent !
— D’accord, Richard Payne, soupire-t-elle. Comprend qu’il n’est pas aisé d’être mère monoparentale… Et je voudrais inscrire Édouard, mon fils, au Lycée Sacré-Cœur, un lycée privé… Pour lui offrir les meilleures chances plus tard… Si intelligent, il serait bien triste qu’il ne puisse mieux se développer… Mais je n’ai pas suffisamment de sous… L’argent me manque cruellement… Alors, je me tourne vers vous… Vous êtes seul, non ?
Une lueur de tristesse traverse son regard, sa main droite tremble légèrement.
— Nina Herrmann, ne réveillez pas ma douleur… J’ai récemment perdu Kate, Catherine devrais-je dire, mon épouse bien-aimée de laquelle j’aurais eu un enfant, sa voix s’éteint… mais trop tard.
Il demeure prostré, fixant le vide. Catherine se déplace près de son mari, passant ses bras autour de ses épaules en signe de soutien. Elle lui murmure :
— Rick, n’écoute pas cette vipère, femme aux mœurs légères. Je suis très touchée par ton amour, mais ne prête foi aux paroles de cette femme. Met-la maintenant dans l’embarras ! Interroge-la sur le père de l’enfant naturel…
Le professeur relève sa tête et demande d’une voix puissante :
— Mais Nina Herrmann, je serais assez curieux de savoir comment vous avez rencontré le père d’Édouard…
Au sommet des joues blanches de l’interpellée apparaissent une pointe couleur rubis, battant frénétiquement des cils.
— … Je ne vous interroge pas pour vous mettre mal à l’aise, mais uniquement pour comprendre la situation ! Votre fils a douze ans, or, il y a douze ans et quelques mois que nous nous sommes séparés… Donc, il pourrait être mon fils, mais comme il ne l’est pas, ce qui veut dire que vous fréquentez peu de temps après notre séparation, un homme qui vous abandonne rapidement…
Il lève ses yeux céruléens vers les bruns de son interlocutrice, lui arrachant un frisson le long de l’échine, tellement la rencontre visuelle est pénétrante.
— Richard Payne… Peu de temps après notre séparation, j’étais déprimée…
Richard a le front plissé de concentration, incertain de l’interprétation adéquatement des paroles, cherchant des sous-entendus.
— Et le voisin de l’appartement en face du sien l’a consolé, commente froidement Konstantin Pavlovitch Tcherevitchenko, apparu à la droite de Catherine. Cet homme a un fils de votre âge. Il a consolé l’ancienne amante de votre mari, l’invitant dans un café, puis au restaurant…
— Et, le coupe avec une pointe de cynisme le professeur, vous avez rapidement trouvé un amant !
— Ou plutôt, précise l’Observateur, ils sont rapidement devenus amants !
Nina rougit et murmure un son presque inaudible :
— Non, pas tout à fait…
— Quelle hypocrisie ! continue Konstantin Pavlovitch. Au contraire, nous pouvons dire qu’ils se sont connus peu de temps après la sortie au restaurant… Dès qu’il a appris qu’elle était enceinte, il doutait bien qu’il soit son enfant… Alors qu’elle avait un doute… Nina Herrmann a essayé de le supplier de vivre avec elle ou, au moins, de payer l’alimentation pour le fruit de leur union. Il lui a dit qu’il l'appellera pour l’informer de sa décision finale, mais il ne le fait jamais. Deux jours plus tard, appelant son père, elle a appris qu’il était parti se terrer en Angleterre !
— J’ai élevé du mieux que j’aie pu mon fils. Entre-temps, j’ai terminé mes études, mon master et mon doctorat… Et comme je suis de passage à Reims, je voulais te rencontrer…
Une moue de dégoût s’imprime sur le visage de Richard, dardant sur elle un regard glacial, le veuf répond :
— Vous êtes réellement plus effrontée que je ne le pensais ! Quelle audace !
Catherine sourit ravie de la réponse sincère de son mari. Remerciant d’un geste de la tête l’Observateur, celui-ci se dissipe dans l’air. L’épouse de Richard murmure, bras croisés en-dessous de sa poitrine :
— J’avais raison qu’elle est une femme aux mœurs faciles, trop faciles mêmes ! En plus d’être une menteuse !
— Nina Herrmann, je mets fin à notre discussion ! Je suis bien marri de connaître vos soucis financiers qui vous empêchent de pouvoir payer à votre fils ce lycée prestigieux, mais je ne peux vous soutenir ! La perte de ma femme est trop récente pour moi, endeuillé depuis un peu, et, de surcroit, je ne suis pas le géniteur de votre fils ! J’aurais apprécié que nous nous quittions de manière plus civilisée, mais vous vous jouez de moi !
Il s’emporte, serrant les mains en poings, blanchissant ses jointures.
— Madame Nina Herrmann, avec tout le respect que je vous dois, sachez que je ne désire point être en contact avec vous ! Acceptez la situation, nous avons été anciens amants, mais n’essayez pas d’assembler le pain une fois rompu… N'essayez pas de réchauffer une soupe une fois refroidie !
Sa colère tombe, lorsqu’il promène son regard dans les environs, discernant des enfants jouant sous le regard bienveillant de leurs parents. Il rêvasse que lui aussi pourrait être père avec sa Catherine pendant quelques minutes. Un silence gênant et oppressant s’installe entre eux où les battements d’aile d’une mouche est le bruit le plus assourdissant. Le professeur sort de sa rêverie et continue sur un ton plus posé :
— Nina Herrmann, tout est terminé entre nous ! Vous demeurez une collègue, mais abandonnez toute tentative de renouer avec moi ! Je vous souhaite beaucoup de succès et de chance dans votre vie. Au revoir en espérant que votre conférence se soit bien déroulée.
Il se lève du siège, sous le regard brillant de son épouse, satisfaite de la tournure des événements.
Le quarantenaire lui sourit poliment et lui tourne le dos, rentrant chez lui d’un pas léger.
Catherine, sourire narquois, murmure à la vivante, encore assise :
— Femme aux mœurs légères, vous ne pouvez pas ainsi tromper mon mari !
— Et qui est-ce qui commente ? Madame Catherine Payne, tranche une voix sévère derrière son dos.
Un frisson parcourt la défunte qui se retourne pour rencontrer le visage froid et les yeux impassibles de l’Ange noir de la Folie. Un sourire carnassier se dessine sur son austère visage.
— N’avez-vous pas oublié l’événement de décembre 1991 ?
L’épouse de Richard devient aussi blanche qu’un linge. Ses mains tremblent et ses yeux balaient frénétiquement son environnement.
— Vous savez l’événement… que je redoute tant… souffle-t-elle.
Le défunt médecin éclate de rire, un rire glacial, et la fixe avant de répondre froidement :
— Oui, je sais tout ! Il n’y a aucun secret pour moi ! Vos moindres actions me sont connues ! Vous commentez sur l’ancienne amante de votre mari, alors que vous êtes torturée par une terrible et honteuse action de votre passé, n’est-ce pas ?
Catherine, yeux agrandis de frayeur, s’évapore, guère désireuse de confronter un tel esprit tout-connaissant. Dès qu’elle est partie, le défunt médecin se frotte les mains, ravi de faciliter la tâche à Gabriel Lawrence en déstabilisant l’épouse du professeur d’Histoire puis disparaît, guettant Élie James.
Richard Payne revient chez lui, laissant Nina Herrmann seule avec son fils. En entrant chez lui, Catherine l’attend depuis peu et lui murmure :
— Rick, au moins je t’ai évité de te faire arnaquer par cette femme aux moeurs légères !
Ne l’entendant, ni ne la voyant, il s’affale sur le canapé brun foncé, étonné de la tournure des événements. Il soupire et s’exclame :
— Au moins, le fils de Nina Herrmann n’est pas le mien ! Quel soulagement !
Il fixe l’immense bibliothèque d’un regard absent, songeur.
— Mais un bien piètre soulagement… Si seulement… J’aurai eu un garçon ou une fille avec Kate qui m’appelle papa…
Sa gorge se resserre et s’assèche. Il se tait, prenant une gorgée d’eau.
— Si seulement… j’avais des enfants avec ma chère et douce Kate ! Maintenant, il est trop tard.
Il retient des larmes.
— Rick, ne m’idéalise pas trop maintenant que je suis défunte ! … Je doute sérieusement que tu voudrais me pardonner… D’ailleurs, je ne peux encore quitter ce monde… Une roche me pèse sur mon âme… Je n’ai pas la conscience tranquille… Mais comment te le dire… J’ai trop honte ! Je suis une bien mauvaise épouse…
L’esprit errant s’envole dans les airs, laissant son mari seul avec son veuvage.
Au même moment, à la boutique d’antiquité de la médium,
Mélinda derrière la caisse depuis quelques heures, pensive des appels téléphoniques à Paul Eastman, Gabriel Lawrence et Élie James à leur lieu de travail, est perplexe de l’absence de réponse concluante concernant Catherine Payne. Elle sursaute lorsque l’épouse de Richard apparaît devant elle.
— Madame Clancy, bonne nouvelle ! Le fils naturel de cette femme aux moeurs légères n’a pas été conçu avec mon mari ! Elle n’est pas parvenue à le convaincre de payer les études onéreuses à cet enfant dans un lycée prestigieux !
Sourire de joie, la future mère lui demande :
— Donc, vous partez dans la Lumière ! La voyez-vous ?
La professeur tourne sa tête à sa droite et murmure, lueur de tristesse, baissant ses yeux sur ses pieds :
— Je la discerne, mais je me sens indigne et incapable d’y entrer !
— Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous empêche de quitter le monde des vivants ? Je peux vous aider, je peux transmettre vos dernières paroles à votre mari, si vous le souhaitez ! Sachez que je ne vous juge pas, je ne fais que mon travail : aider les défunts à trouver une paix pour quitter le monde des vivants, pour qu’ils ne errent plus.
Les yeux de la défunte s’affolent, elle devient blême, son souffle coupé, ses mains moites.
— Disons que Rick serait étonné de mon secret… Je ne peux pas vous le dire !
Elle se déplace jusqu’à la porte de la boutique s’arrêtant au milieu de la rue en face de la boutique. L’épouse de Jim, exaspérée, ne comprend guère l’attitude de la défunte. Elle fouille dans ses papiers et trouve l’adresse du professeur. Cherchant rapidement sur Internet pour trouver le numéro de téléphone qui l’intéresse et elle l’appelle. Après quelques minutes, le combiné est soulevé :
— Bonjour, Madame Gordon, pour quelle raison m’appelez-vous ?
— À propos de votre épouse.
— Pourquoi ? l'interroge-t-il, curieux. Que veut-elle me communiquer ?
— Elle a un terrible secret qui vous étonnera… J’ignore ce que c’est, même mes connaissances Paul Eastman, Gabriel Lawrence et Élie James, n’ont rien trouvé. Mais ce secret lui pèse.
— Venez chez moi, lui suggère le professeur… Peut-être qu’elle daignera se manifester et vous expliquer ce qui la retient parmi les vivants.
— Demain à 9 h 00 ?
— À 9 h 00, confirme d’une voix posée son interlocuteur.
Chacun raccroche son combiné et Mélinda est encore plus perplexe.
Elle décide de se rendre à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, frappant à la porte du bureau d’Élie James. Ce dernier l’invite à l’intérieur et lui demande :
— Madame Gordon, pour quelle raison venez-vous à moi ? J’ai un cours dans une heure, donc prenez votre temps.
— Je veux que vous trouviez réponse à mon interrogation, à savoir quel est l’événement qui retient Catherine Payne sur Terre, qui la laisse si coupable ? L’esprit errant ne me dit rien… Et ni Gabriel Lawrence, ni Paul Eastman ne m’ont rien trouvé ! Alors je me tourne vers vous, gardien du Livre qui peut apporter toutes les réponses.
Le professeur soupire et consulte du regard, à contrecoeur, ses rayons de livres, cherchant le bon. Lorsqu’il le repère, l’esprit errant devient très agité, il voltige à droite et à gauche de la pièce avant de s’immobiliser devant la bibliothèque. Un petit sourire malin se dessine au coin des lèvres de Catherine. Front plissé de concentration, elle agite ses bras dans les airs, causant la chute des livres de leur place et les ampoules du plafonnier et de la lampe s’allument et s’éteignent à une vitesse fulgurante avant d’éclater en morceaux. Le Gardien du Livre recule de quelques pas, évitant une avalanche de livres sur lui. Seule sa jambe gauche est écrasée, mais il se dégage rapidement. Par contre, les éclats de verre des ampoules le blessent aux bras et au visage.
— Cela vous apprendrait à vouloir fouiller dans les affaires des autres, commente avec cynisme la défunte.
— Sachez que je peux vous entendre, commente le professeur, serrant les dents pour ne pas grimacer sous la douleur.
— Votre jeu n’est pas comique, s’emporte Mélinda, mains autour de son ventre pour protéger son fils à venir des éclats. C’est même très dangereux ! Voulez-vous que nous vous aidions ou non ?
Mine pensive, le fantôme fixe Mélinda avec un petit sourire nostalgique avant de lui répondre.
— Disons que je ne souhaiterais qu’autrui sache ce qui me pèse. Je ne veux pas qu’autrui me juge ! Je ne veux pas qu’après votre curiosité satisfaite, vous jugez autrement Rick ou moi et que je me sente encore plus fautive qu’auparavant !
La future mère soupire d’exaspération.
— Très bien, alors je ne demanderais pas à Élie James de lire le Livre… Au revoir, monsieur le professeur… Et toutes mes excuses d’être responsable d’autant de désordre.
Elle s’approche du professeur pour l’aider à dégager des livres avant de revenir chez elle. Élie fouille frénétiquement parmi tous ses livres, cherchant le Livre des Changements. Lorsqu’il y met la main, il s’étonne de ce qu’il y lit, mais guère intéressé de subir à nouveau la colère de la défunte qu’il ne peut voir, il se tait et se promit intérieurement de ne rien divulguer à Mélinda. Charlie Luc Wogel, dans un coin du bureau, analyse froidement la situation depuis que Mélinda a quitté la pièce.
Le lendemain matin, à 9 h 00, devant la maison de Richard Payne,
L’antiquaire extraordinaire frappe à la porte, patientant que le professeur l’accueille. Il l’invite, lueur d’inquiétude dans ses yeux bleus. Une fois chacun confortablement assis l’un en face de l’autre, le professeur lui demande :
— Que se passe-t-il avec mon épouse pour qu’elle demeure encore parmi les vivants ? Le fils de Nina Herrmann n’est pas le mien… D’ailleurs, je constate, ces derniers jours d’étranges phénomènes… Notre photographie de mariage qui est sur ce mur-ci…
Il fait un geste de la main droite vers le mur vierge du salon, près de la bibliothèque.
— Le cadre s’est brisé et la photographie est un peu abîmée… depuis deux jours… Je la conserve précieusement dans un tiroir… Et je la regarde tous les jours… Je déplore tellement de ne pas avoir d’enfants ! Mais je ne comprends guère pourquoi mon épouse continue à s’acharner sur moi !
— Je sais qu’elle a un lourd secret sur son âme… J’ignore lequel…
Sortant de sa rêverie, Richard s’exclame, après plusieurs minutes de silence :
— Ne serait-ce pas rattaché à l’événement précédent janvier 1992, soit au trimestre d’automne 1991… Mais qu’est-ce que ce serait ?
Catherine est devenue blême, tremblante comme une feuille. Elle murmure :
— Non, Rick, ne le dis pas à voix haute… Je te le dirais…
— Madame Payne, votre mari ne peut pas vous entendre… Que voulez-vous lui dire ?
— Ce n’est pas de vos affaires !
— Avez-vous donné un indice en rêve à votre mari ?
Richard observe avec attention Mélinda, avant de se frapper le front, et hurle :
— Une fois, entre l’état de veille et de sommeil, j’ai eu une étrange vision.
Catherine se raidit, fixant son mari.
— Une sensation étrange d’amertume et de regrets !
— Je suis parvenue à lui communiquer mon poids, commente dans un souffle la défunte. Mais je n’ai pas osé le lui avouer…
Soudain, une voix autoritaire derrière le dos de la défunte appartenant à une forme humaine fantomatique présente depuis le début de la conversation près de la fenêtre. La chuchoteuse d’esprits le détaille. Un grand homme d’âge mûr, à la barbe bien fournie, à la chevelure abondante, vêtu comme au XVIIe siècle. Il lance un regard sévère à la défunte, agitant ses mains, dont chaque doigts sont ornés de bagues. Son ample manteau se meut à chaque geste.
— Madame Payne, votre jeu suffit ! Il faut dévoiler la vérité ! Vous ne pouvez la cacher indéfiniment ! Je suis un humble Observateur, yeux incorruptibles de Notre Seigneur de toutes les actions humaines. Généralement, je n’interviens pas dans le cours de la vie, mais votre entêtement est vain. Je vais faire une exception !
L’interpellée demeure coite.
— Par considération pour vous, Madame Payne, je n’expliquerais pas à Madame Clancy votre cas, mais je lui montrerais une vision, non pas de votre perspective, de la mienne plutôt… Et je cesserais la vision avant le moment si gênant. Au besoin, vous vous expliquerez.
L’épouse défunte déglutit difficilement sa salive et opine du chef, semblable à un enfant puni par son père. L’Observateur touche la main droite de la médium et lui ordonne :
— Soyez prête ! Je vais vous montrer l’événement, tel qu’il s’est présenté !
Sans avertissement, Mélinda a une vision.
Dans une immense salle festive, avec des grandes fenêtres qui laissent voir la neige qui tombe, salle qui bien chauffée, où nourriture et boisson coulent à flot, Mélinda remarque, parmi la multitude des hommes et des femmes élégamment vêtus, Richard Payne et son épouse dix ans plus jeunes. Le couple est un peu éméché, mais Richard discute avec passion de l’Histoire ancienne et des croyances et superstitions avec un collègue. Ce dernier, un grand et élégant homme plus jeune que Richard, aux cheveux aussi noir que l’ébène et aux yeux bleus-gris perçants dévore du regard Catherine. Cette dernière entame une conversation avec lui. Richard, lui, continue à discuter avec d’autres collègues, passionné et échauffé par le sujet, ne remarquant pas que son épouse s’isole avec le collègue un peu plus loin de lui.
Le collègue et Catherine discutent de tout et de rien jusqu’à finir par un petit jeu de séduction. Une tension est palpable entre eux, un feu passionnel réciproque brûle dans leur regard. Après quelques minutes à échanger des propos à demi-voilés et allusifs, l’homme, regard lubrique, ne laissant planer aucun doute sur ses intentions, prend Catherine par la main pour l’entraîner de plus en plus loin de son mari. Le couple s’éclipse dans la toilette des femmes, très empressé de se connaître.
Revenant de sa vision, une fois qu’elle la rapporte à Richard, la médium commente :
— Madame Catherine Payne, vous avez été infidèle à votre mari ! Un soir de décembre, sans doute, étant donné la neige dehors…
— Le soir d’une fête organisée par l’Université pour célébrer la énième année de la fondation… précise Richard, étonné. Et c’est ce jour-ci qu’elle m’a trompée avec mon collègue, Jean Rémy. Je ne peux pas me tromper sur son identité… Le collègue décrit est cet homme ! Et je saisis mieux pourquoi, depuis, il ne veut plus parler avec moi… Probablement a-t-il peur de ma colère ?
Mélinda tourne son regard vers Catherine, rouge comme une écrevisse.
— Rick, lui murmure-t-elle en larmes, veux-tu me pardonner ?
La femme extraordinaire rapporte la question.
Richard répond sans hésiter : — Kate, je ne peux point ! Je suis profondément affecté par ta perte et maintenant en mon cœur encore plus en apprenant ton infidélité ! Femme infidèle que j’aime beaucoup ! Je ne peux te pardonner ce coup trop bas !
Elle soupire.
— Très bien, Rick, alors au revoir ! Prépare-toi bien pour ton voyage à l’Orient et sache que je t’autorise un remariage, si tu en as envie et si tu trouves femme ! Meilleure chance la prochaine fois !
Elle s’évapore avant que Mélinda n’ajoute un mot. La médium rapporte les paroles de la défunte, mais demeure perplexe sur l’endroit où elle est partie.
— Merci, Madame Gordon-Clancy, d’aider ainsi mon épouse et à la prochaine ! Au moins, Kate pourra partir dans la Lumière. Et je pourrais préparer tranquillement mon voyage en Orient pour cet automne !
— Justement, je n’ai pas l’impression qu’elle a quitté le monde des vivants…
— Alors à la prochaine, Madame Gordon-Clancy ! En espérant que je n’aurai pas besoin de vous appeler parce que mon épouse me dérange !
La médium revient chez elle, guère rassurée de l’absence de volonté de Catherine a quitté le monde des vivants.
Au même moment du départ de Catherine de sa maison, dans une ruelle de la rue de Reims,
Gabriel, convaincant un défunt facteur de venir dans sa maison aux esprits, sourit lorsque l’épouse du professeur se matérialise. Le chuchoteur d’esprits lui susurre :
— Catherine Payne, ma chère, ne voulez-vous pas venir dans un lieu sympathique où personne ne vous jugera pour vos actions et vos regrets ?
L’interpellée blêmit, avant de murmurer :
— Ne me dites pas que vous le saviez ?
Sourire énigmatique, il lui chuchote :
— Et Jean Rémy ? …
Elle se tait, rougissante de honte.
— … Pensez-vous que dans cette Lumière, les infidèles seront bien accueillis ? Que nenni ! Vous serez jugée et critiquée ! Dans la maison que je vous suggère, vous trouverez de la joyeuse compagnie, très variée qui ne jettera pas une pierre sur vous ! Venez-vous ?
— Oui, je vous suis ! s’exclame-t-elle, haussant les épaules. Je n’ai rien de mieux à faire ! Et je crains tellement ce qui pourrait m’arriver de l’autre côté de l’existence !
Gabriel, suivi des deux esprits errants, revient dans sa maison aux esprits, ravi d’augmenter la population des défunts pour les lever, lorsque l’heure sonnera, contre Mélinda et son fils à naître. Il suffit d’un peu de patience.
Au même moment, à la maison familiale du père d’Élie James,
Le professeur de psychologie, offrant son bras à sa fiancée, attend que son père les accueille à l’intérieur. Cette maison, réminiscences de tant de souvenirs passés avec son amie, et maintenant future épouse, Cassandre, le fait sourire. Émilie, sa défunte mère, aux côtés de son mari, grommèle :
— Fiston, pourquoi dois-tu la marier ? De toutes les femmes qui existent sur cette Terre, tu ne peux mieux que t’enticher de cette amie d’enfance !
L’entendeur d’esprits soupire à ces paroles, mais les ignore. René, son père, perd ses couleurs lorsque son fils lui présente son bru. Il bredouille, main sur le coeur au bord de la défaillance :
— Élie, mon fils, … tu ne pouvais … trouver une autre femme…
— Non, pourquoi une telle réaction, père ?
Il évite le regard de son fils.
— Disons que la situation est délicate… Je préfère t’en parler en privé.
— Non, mais tais-toi, René ! s’insurge Émilie. Tu feras mieux de laisser certaines vieilles histoires enterrées et ne plus jamais les dépoussiérer…
Le professeur de psychologie ressent un mal de tête poindre et est intrigué de tout le mystère qui s'épaissit autour de ses parents et de leur passé, mais demeure coi. Par prudence, réfléchissant à ce qu’il répondra à son père, il promène son regard de son père à la direction de la voix de sa défunte mère, perplexe. Main sur le cœur, le regard de René devient vitreux. Élie, se levant précipitamment, essaie en vain de le réanimer. Il est mort d'un arrêt cardiaque. Paniqué, il appelle les urgences.
— Fiston, commente son père à sa droite, il ne sert à rien d'appeler les urgences, je suis libre maintenant… Et, termine-t-il sur une note mi-étonnée, mi-amère, ta mère est encore là !
L’entendeur d’esprits soupire, ne sachant guère comment tout expliquer à sa fiancée, dépassé par les paroles de ses parents. Il demeure prostré jusqu’à l’arrivée des ambulanciers.
À suivre