Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 13 : Deuxième partie, Affaires criminelles

5840 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 4 mois

Affaires criminelles




Mélinda, étonnée de l'air maussade de son mari, préfère se taire, lisant aisément dans son regard sa mauvaise humeur. Jim fixe d'un regard absent son verre d'eau vide, soupire et se lève, laissant son épouse seule dans la cuisine. Il s'isole dans le salon où l'esprit errant du criminel l'attend. Elle le rejoint, s'asseyant en face de lui, ne remarquant pas le défunt criminel qui quitte immédiatement la pièce dès que la médium soit entrée.

— Hier, ton travail a été difficile ? lui murmure-t-elle, inquiète, lueur de tristesse dans le regard.

— Non, lui commente-il amèrement. Je ne suis que fatigué des maintes semaines à travailler le soir… 

Il tient sa tête entre ses mains.

— … J’espère que ce soit passager !

— J'espère aussi ! s’exclame-t-elle. Sinon, tu peux demander de changer ton temps de travail, lui suggère-t-elle d’une petite voix.

— Ce n’est pas si facile, Mél ! soupire-t-il, jouant nerveusement avec son alliance, la promenant le long de son annulaire, et évite d’affronter le regard de son femme.

Il détourne les yeux de son épouse, fixant le vide. Un silence lourd et angoissant s’installe entre le couple pendant quelques minutes qui semblent une éternité pour la jeune femme.

— J’ai l’impression de porter des lunettes… chuchote son mari, portant sa main droite au front. De ne plus être moi… Étrange sensation !

Confuse, son interlocutrice se lève du siège et l’informe posément en ces mots : 

— Jim, je te laisse. Je pense qu’il est préférable que tu te reposes un peu, hier et avant-hier ont été des longues et difficiles journées pour toi…

Il approuve d’un geste de la tête, soupirant et se massant les tempes d'exaspération.

— … J’irai m’occuper de la boutique, puis je reviendrai m’occuper du repas, ça te convient ?

Elle s’approche de son mari et lui dépose un chaste bisou sur sa joue droite. Celui-ci hausse simplement des épaules, absolument indifférent. Il s’allonge sur le canapé, fatigué.


L’antiquaire extraordinaire s’éclipse de la maison pour se rendre à sa boutique où sa défunte associée l’attend. Celle-ci, sursautant en la notant dans un coin de la salle, l’interroge poliment : 

— Mademoiselle Marino, que faites-vous encore ici ? Pourquoi ne partez-vous pas dans la Lumière ? Qu’est-ce qui pèse sur votre âme pour que vous ne quittiez pas encore le monde des vivants ?

Elle ne souffle qu’un nom : 

— Romano…

Elle disparaît avant que son interlocutrice n’ait le temps de reprendre la parole. Soupirant, elle commence à ordonner des vieux grimoires de la Renaissance et des dictionnaires du XVe siècle.


Quelques minutes plus tard, elle se sent observée. Gênée, la médium se retourne et tombe nez-à-nez avec Andréa. Cette dernière, mine inquiète, lui demande :

— Madame Mélinda Gordon-Clancy, sans vouloir être indiscrète, pourquoi faites-vous une si triste mine ? Que se passe-t-il ? Des esprits errants compliqués ?

Une lueur de curiosité brille dans les yeux de la défunte associée, appuyée nonchalamment contre un meuble.

— Non, répond l’antiquaire extraordinaire, mon mari est dans une étrange disposition d’esprit… Je me demande s’il ne s’est pas lassé de moi, alors que je suis enceinte…

— Que lui est-il arrivé ? s’étonne Andréa… Pourtant votre amour est tellement évident, beau et sincère que je n’aurais qu’un mot pour le qualifier : le destin. 

Elle se rapproche de l’antiquaire, mine sérieuse.

— Vous, continue le fantôme d’un air rêveur pendant quelques instants, êtes des âmes-sœurs qui se sont trouvées ! Impossible qu’il se soit lassé de vous, madame Clancy ! Votre amour est inscrit dans les étoiles, dans le ciel, et même par-delà… Rien au monde ne pourrait changer l’amour de votre mari pour vous, j’en suis certaine !

Émue du discours de la défunte, elle lâche une petite larme malgré elle et répond d’une voix tremblante : 

— Mais alors je ne comprends pas son attitude des plus étranges… J’espère que ce soit passager…

— Vous verrez, je ne saurais vous le dire ! Je l’ignore !

Et l’esprit s’évapore, laissant la jeune future mère terminer la mise en ordre des récentes acquisitions.



Au même moment, au bureau du recteur,

Josué Berthelot, vidant son énième verre d’alcool, murmure dans sa barbe : 

— Il faudrait bien que je vois la face endeuillée de Richard Payne ! Sa femme est morte… Je ne peux rater cela… quand même…

Un bruit sourd, tel un grondement d’un fleuve, s’entend, les Ombres se manifestent.

— Oui, oui, mes chers amis, essaie-t-il de les apaiser d’une petite voix, je ne vous ai pas oublié… Il ne manque plus qu’à récupérer le Livre chez Élie James… Ou le forcer à une collaboration… 

Il se lève de son siège et, d’un pas lent, se rend jusqu’au bureau d’Aurélie Goujon. Avant de frapper à la porte, il se dirige vers le bureau de Richard Payne qui a laissé la porte entr’ouverte. Le recteur se pointe discrètement dans l'embrasure, observant le professeur. Ce dernier est debout, fixant sa photographie de mariage, prostré, ne remarquant même pas la présence du recteur, tellement il est perdu dans ses souvenirs et son chagrin. Le vieil homme, petit sourire au visage, ravi de constater que le professeur est fort affecté par la mort de son épouse, s’éclipse du cadre de la porte et rentre au bureau de la collègue de Richard Payne pour une séance spirite.



Simultanément à la maison aux esprits du demi-frère de Mélinda,

Gabriel sourit en discernant les esprits qui font la fête dans le salon. Il les observe, assis confortablement sur un fauteuil brun foncé, ne se sentant jamais seul ou exclu de la société en leur compagnie. Il sursaute lorsqu’il entend une voix familière derrière son dos l’apostropher : 

— L’échappé de l’asile, le nargue le défunt psychologue collaborateur, j’ai une excellente opportunité pour piéger votre ennemi et demi-sœur…

Reconnaissant la voix, il blêmit et lui demande : 

— Charlie Luc Wogel, quelle est votre idée ?

— L’occasion n'est pas à rater et s’approche à grands pas ! s’exclame énigmatiquement le médecin avant de s’évaporer, laissant l’homme extraordinaire perplexe et confus.

Le défunt collaborateur analyse attentivement Carl Neely, espérant déceler un moment où il pourra l’influencer.



Simultanément au bureau d’Élie James,

Le professeur de Psychologie rêvasse à propos de son amie d’enfance, Cassandre Schwartz. Il lui écrit une lettre d’amour, bien décidé à la conquérir. Soudain, intrigué et curieux de connaître son futur, il consulte le Livre des Changements et s’étonne de ce qu’il trouve. Refermant le Livre, il fixe le mur beige de son bureau, perplexe, ne comprenant guère le sens des phrases lues, ni qui informer ou alerter. Pour l’instant, il préfère garder l’information pour lui-même. 

Il sort de son bureau pour aller en salle de classe, traversant les nombreux couloirs gris labyrinthiques de l’Université. Élie ne remarque pas le recteur, tapi dans un coin sombre du couloir, riant dans sa barbe.



Au même moment, au bureau de Paul Eastman,

Le policier extraordinaire enquête sur la mort de Julian Borgia. Il attend le résultat de l’autopsie du cadavre. Il est étrange, songe-t-il, qu'un automobile des premiers soins soit victime d’un attentat d’origine manifestement criminelle… Mais par qui ? Je ne peux le dire maintenant…

L’Observateur Russe, mine sérieuse, se manifeste à la droite du policier extraordinaire et l’informe : 

— Acte criminel pour faire une pierre deux mouches… Et ce, d’un criminel qui vous est connu !

Lueur d’incertitude dans le regard, prenant note des paroles de son interlocuteur invisible, il l’interroge professionnellement : 

— Qui est-ce ? Pouvez-vous me dire son nom ?

— Réfléchissez deux secondes, jeune homme ! Très logique à trouver ! …

Il croise ses bras en-dessous de sa poitrine, fixant le vivant.

— … Et n’oubliez pas que je ne suis qu’un Observateur… Je n’ai aucunement obligation de vous répondre ! Vous devez vous considérer très chanceux que je daigne vous donner autant d’indices !

Moue dubitative aux lèvres et mine pensive au visage, Paul joue nerveusement avec son stylo, angoissé à l’idée de ne pas trouver le coupable ou d’accuser injustement un innocent.

— Très bien ! soupire-t-il. Je réfléchirais de mon côté… Je comprends bien que vous ne pouvez outrepasser trop souvent votre rôle…

L’Observateur opine brièvement du chef et s’évapore.

— Qui voudrait bien menacer les ambulanciers Jim Clancy et Robert Thomann ? … Qui ? Je ne connaîs personne qui veut du mal à Robert Thomann… Ni à Jim Clancy…

Il fouille dans ses papiers, les parcourant brièvement du regard. 

Plusieurs minutes plus tard, une lueur d’étonnement brille dans ses sombres yeux.

— Sauf si c’est les Langowski… Boleslas Langowski a tué Aiden Clancy et le fils de l’un a tué le fils de l’autre…le père et le frère de Jim Clancy sont morts des mains de Boleslas et de Robert Langowski… Par contre, théoriquement, les deux Langowski sont derrière les barreaux et ne devraient pas en sortir si rapidement ! À ne pas exclure un complot et une vaste organisation… Mais c’est trop cinglé ! … Je ne peux le concevoir ! … Par où commencer alors ?

Il soupire et prend note de sa piste de réflexion dans un calepin, perplexe et désespéré, mais déterminé à mener au mieux son travail.



Plusieurs heures plus tard, à la boutique d’antiquité,

La petite brunette, fermant à clé la boutique, décide de passer non loin du lieu de travail de son mari, question de le scruter pour discerner un éventuel esprit errant à ses côtés. Elle arrive rapidement sur place. Au milieu du stationnement, Jim, avec son collègue Robert, discutent à l’arrière du véhicule. La femme extroardinaire remarque un esprit peu avenant aux côtés de son mari qui disparaît dès qu’elle pose un regard insistant et effrayé sur lui, l’empêchant de le détailler ou de le reconnaître adéquatement. Au moins, songe-t-elle, je comprends mieux que l’étrange disposition d’esprit de mon mari ne lui est pas propre mais provoquée par un défunt…

Elle salue brièvement les deux ambulanciers et revient chez elle.



Le lendemain matin, à la maison de Jim et Mélinda,

La jeune antiquaire, une fois qu’elle prend son petit-déjeuner avec son mari dans un silence complet, note une forme fantomatique près de lui. Elle le détaille. Un homme costaud recouvert de tatouages sur la partie supérieure du corps, visible en-dessous des manches courtes de son t-shirt bleu marine. Sa tête ronde et chauve, aux yeux vert étincelant de colère et de froideur, lui donne l’air d’un criminel. Le trou de la balle à la tête et le sang séché qui s’est figé le long du visage lui donne un aspect sinistre. L'antiquaire extraordinaire prend peur en le discernant, une frayeur se lit dans ses grands yeux, son visage perd de ses couleurs, angoissée à sa vue peu présentable. En plus qu’elle reconnaît en lui, sans l'ombre d'un doute, déduisant qu’il est le proxénète de sa défunte associée, un homme au sang froid qui lui prend de l’argent et la force à vendre son corps au premier venu. Mélinda se souvient de l’avoir vu dans ses visions, mais elle ignore toujours son nom.

— Mél, l’interroge d’une voix bourrue son mari, qui viens-tu de voir pour ainsi réagir ? Un monstre ou un défunt peu abordable ?

— Un homme, maintenant esprit errant, que j’ai vu dans l’une de mes visions, lui précise-t-elle d’une voix blanche, … Et il est exact qu’il n’est pas présentable, ni très abordable…

Un frisson parcourt l’échine de la jeune future mère. Jim lui adresse un faible sourire. 


Soudain, sous le regard éberlué de celle-ci, le défunt possède son mari.

— Je vous hais tous ! 

Il frappe un solide coup de poing sur la table, effrayant Mélinda qui promène ses yeux encore plus grands.

— … Je hais ma femme, je hais mon supérieur ! J’ai une rancœur envers eux ! Il n'y a pas de mot pour exprimer ma haine !

Et le fantôme cesse sa possession, laissant Jim de très mauvaise humeur.


Après plusieurs minutes de silence dans une atmosphère lourde et insoutenable, Mélinda prend la parole, rompant le silence d’une voix chevrotante malgré elle : 

— Disons que ta mauvaise humeur et tes étranges sensations et pensées ne sont pas les tiennes, Jim…

L’interpellé, étonné, tourne son regard vers elle, confus.

— …. Mais celle d’un défunt qui te suit… Le proxénète de ma défunte associée… J’ignore son nom… Mais je m’informerai !

L’ambulancier opine du chef et se masse les tempes, épuisé, avant de commenter brièvement : 

— La description de cet esprit errant correspond à l’homme que j’ai transporté le jour de l’accident… Je ne me rappelle plus de son nom… Mais j’essaierais de me renseigner…

Mélinda part à sa boutique d’antiquités, bien perplexe de la présence de ce criminel près de son mari et de la raison de son errement sur Terre. 


Andréa l’attend derrière la caisse.

L’antiquaire extraordinaire interroge la défunte : 

— Andréa Marino, connaissez-vous le nom de votre ancien petit-ami et proxénète ? Je vous le demande parce qu’il suit mon mari et est responsable de sa mauvaise humeur.

L’interpellée, tremblante de tous ses membres, balaie rapidement du regard son environnement, lueur d’angoisse, avant de ramasser son courage à deux mains pour répondre.

— Disons que… son nom … est … Julian Borgia… bredouille-t-elle, honteuse.

— Merci de l’information, il me sera plus simple de chercher sur lui… Je sais déjà qu’il est un criminel… mais il faut obtenir plus de détails…

Andréa s’évapore, laissant Mélinda seule. Celle-ci effectue une sommaire recherche sur son ordinateur et consulte les journaux locaux pour plus de détails. Elle trouve ainsi que Julian Borgia, un Italien de Sicile, est venu en France, à Reims pour déménager quelques années plus tard à Grandeville. Il a été emprisonné à maintes reprises pour trafic illégal de drogue, d’alcool et de tabac. Un peu avant sa mort, il a terminé de purger sa peine pour homicide. Les circonstances entourant sa mort sont étranges et obscures, de nature criminelle conclut l’enquête provisoire encore en cours.

La jeune femme est bien perplexe et inquiète, versant quelques larmes malgré elle. Elle range les journaux et éteint l’ordinateur, terminant d’ordonner les dernières acquisitions que sont des meubles dans un style rococo. Elle revient chez elle, yeux encore plus grands de frayeur pour la sécurité de son mari.



Au même moment, au bureau du recteur,

Josué attend avec impatience l'appel de son ami Roger. Très angoissé des murmures fâchés des Ombres qui lui coupent le souffle par moments, il étouffe à intervalles réguliers. Il sue à grosses gouttes, trouvant l’air effroyablement suffoquant et lourd, trop oppressant et insoutenable.

— Roger, répond ! hurle-t-il au téléphone trépignant du pied en-dessous de la table, attendant qu’il soulève le combiné.

Quelques minutes s’écoulent sans aucun mouvement de l’autre côté de la ligne. Soudain.

— Oui, Josué, le salut ! Qu’y-a-t-il de si alarmant pour m’appeler ainsi ?

— Et ton ami, Robert, a-t-il accompli enfin sa tâche ! ?

— Pourquoi devrais-je le savoir, Josh ? lui demande-t-il, haussant les épaules.

— Je le sais qu’il n’a pas encore exécuté sa tâche qu’attend-il ? Une augmentation salariale ? réplique agressivement le recteur.

— Non, aucune demande de ce côté-ci, il n'attend que l’occasion idéale… 

Roger essaie de tempérer la colère de son ami envers son subalterne.

— … Comprend que c’est pas facile sans qu’il soit accusé directement, trop de témoins… Sa femme ou ses collègues…

Le sang bout dans les veines du recteur, visage rouge de colère devant l’incapacité frappante du tueur à gages d’accomplir sa mission.

— Qu’il se dépêche… 

Il réfléchit, souriant à son idée.

— …. Je lui donne jusqu’en novembre… S’il ne parvient pas, je m’occuperais personnellement d’éliminer cet homme si gênant, Jim Clancy… et tu devras me débarrasser de Robert. Compris ?

— Oui, Josh, s’étonne Roger. À la prochaine.

Chacun raccroche le combiné et l'octogénaire aux cheveux gris, replié sur lui-même, sort de son vaste bureau, informé par ses Ombres que le Livre tant convoité est au bureau du professeur Élie James. Il s’y rend et fouille à fond et comble la bibliothèque, mais en vain, ne le reconnaissant pas sous son apparence insignifiante. Frustré, il range tous les ouvrages à leur place et revient chez lui, penaud.



Le lendemain matin, Carl Neely se voit confier l'enquête sur la mort de Catherine Payne, considéré insoluble par ses collègues. L’inspecteur décide d’appeler Paul pour le seconder. Celui-ci accepte et les deux hommes se rendent jusqu’au lieu de l’accident, devant la clinique de fertilité. Konstantin Pavlovitch est à la droite des policiers extraordinaires et les informe : 

— La réalité est très étonnante ! Mais faites attention pour ne pas réveiller vos ennemis ! 

— Ce n’est point rassurant, commente Carl.

— Effectivement, confirme son collègue. Je crains le pire… Il est évident que la mort de Catherine Payne est violente, de nature criminelle, cible d’un attentat prémédité… Mais par qui ?

— Et pour quelle raison ? renchérit le plus jeune policier.

— Un fait est établi, selon l’autopsie officielle, Catherine Payne est morte non pas du coup contre l’arbre, mais de la balle a la tête. Il est certain que le pneu percé fera perdre le contrôle à n’importe quel automobiliste… Même au meilleur… Encore plus dangereux lors d’un détour… mais je ne comprends aucun lien direct entre cette femme, enceinte de plus, le jour de sa mort, et la mafia ou une bande criminelle quelconque, sauf si c’est en lien avec son mari, le professeur à l’Université Ardenne-Champagne à Reims, Richard Payne ?

— Laissons ses déductions… mais la piste mérite d’être explorée ! J’ignore comment, mais essayons !

Les deux collègues décident de fouiller le passé du professeur, mais en vain, rien de révélateur.



Au même moment, à la maison de Jim et Mélinda.

La petite brunette remarque Julian Borgia non loin de son mari. Elle l’interroge sévèrement : 

— Dites-moi la raison de votre errement ? Voulez-vous demander pardon à quelqu’un ?

Yeux verts baissés, il murmure : 

— Oui… Je veux que ma femme sache que je l’aime beaucoup, ma colombe bien-aimée… Je veux que ma victime, Catherine Payne, et son époux me pardonnent… Je me sens coupable, je ne voulais pas tuer le pauvre bébé en elle… J’ai détruit une famille… Cette idée me hante depuis ma mort… 

Étonnée, Mélinda bredouille, plaçant instinctivement ses mains de manière à protéger son bébé de trois mois en elle.

— Comment… le saviez-vous ? … Qu’elle était enceinte … ?

— C’était une idée qui m’obsédait ! Et à ma mort… Ma victime … était à mes côtés… ne cessant de me répéter que j’ai détruit son mari et sa famille… Elle était enceinte et voulait annoncer l’heureuse nouvelle à son mari…

— Qui est son mari ? l’interroge-t-elle d’une voix blanche, même si elle est plus ou moins certaine de l’identité de l’homme.

— Richard Payne…

Les yeux de la médium s’agrandissent comme des disques, pleurant doucement malgré elle.

Jim, enlaçant tendrement son épouse, lueur d’inquiétude dans ses yeux bleus, lui murmure : 

— Mél, qui est cet esprit qui te laisse dans un tel état ? Qui est la femme enceinte mentionnée ?

— Julian Borgia, un criminel, a tué Catherine Payne, enceinte. Cette dernière est l’épouse du professeur Richard Payne, ce spécialiste d’Histoire ancienne de ​​l'Université de Reims Champagne-Ardenne, intéressé par tous les phénomènes surnaturels et paranormaux, voire occultes, qui m’a aidé maintes fois… 

Elle éclate en sanglots. Jim la berce contre sa poitrine pour calmer ses larmes

— … Et j’ai bien remarqué sa défunte épouse à ses côtés, ne comprenant absolument rien à sa présence… Et Julian Borgia veut le pardon de Richard Payne pour avoir tué son épouse enceinte.

— Ce n’est réellement pas simple à demander, commente sérieusement l’ambulancier. Je doute que le professeur accepte, mais tu n’as rien à perdre d’essayer ! 

— Je vais devoir l’informer de mon don également, en espérant qu’il ne me prenne pas pour une folle à lier !

— Je serais à tes côtés, Mél, aucun souci !

— Commençons par le professeur, au moins, je sais où est son bureau à l’Université. Puis nous terminerons par retrouver l’épouse de Julian Borgia…


Aussitôt dit, aussitôt fait, le couple arrive à Reims, à l’Université, au bureau de Richard Payne.

Le professeur les accueille affablement à l’intérieur, promenant son regard sur les murs blancs dépouillés de toute décoration.

— Quelle est la raison de votre visite ? les questionne-t-il, lueur de tristesse dans ses yeux clairs.

Mélinda, fouillant du regard la petite pièce, note à la droite de Richard sa femme et, près de Jim, Julian. Soupirant pour se donner bonne contenance, la chuchoteuse d’esprits affirme sérieusement : 

— C’est pour vous éclaircir autour des circonstances de la mort de votre épouse et certains autres détails.

Les traits sévères du professeur s'affaissent, sa voix est tremblante.

— Comment pouvez-vous… avoir des détails à propos … de mon épouse … et de sa mort… 

— Concernant votre épouse, Catherine, elle était enceinte le jour de sa mort… 

La défunte affiche un triste sourire et lance un regard noir au criminel.

— … Elle voulait vous annoncer la bonne nouvelle, mais elle a été tuée par un criminel, Julian Borgia. Ce dernier cherche votre pardon… 

Le criminel lance un regard suppliant au professeur. Ce dernier a les traits durcis de colère, ses yeux se glacent. Il hurle, hors de lui-même :

— Désolé ! Je ne peux lui pardonner ! C’est impardonnable ! Qu’il vive avec le meurtre de ma chère et douce épouse sur sa conscience ! 

— Il se sent coupable d’avoir nui à votre famille et à votre bonheur en tuant ainsi votre enfant, renchérit d’une voix larmoyante Mélinda… Il demande sincèrement votre pardon…

— Attendez, madame, s’étonne le professeur, comment pouvez-vous me tenir un tel propos alors que tous … sont morts ? Les connaissiez-vous personnellement, des amis ?

— Non, aucunement, Dieu me protège d’avoir de tels amis liés à la mafia et au crime organisé !

— Alors d'où viennent ces affirmations ? insiste Richard, la fixant attentivement, curieux.

— Disons, murmure-t-elle, baissant les yeux et serrant plus fort la main droite de son mari en soutien, que j’ai un don depuis mon enfance. Je communique avec les esprits, les défunts.

Le quarantenaire blond détourne son regard, hésitant. 


Quelques minutes plus tard, le veuf chuchote amèrement :

— Je vous crois, Madame Clancy. Je crois bien que vous avez un don… Rien n’est impossible dans le monde du paranormal … Et les contacts avec les morts n’est pas si inhabituels que cela puisse avoir l’air… Alors mon deuil est double…

Il retient ses larmes, ému, avant de reprendre la parole.

— … Et ce monstre tue ma femme, enceinte en plus, pour quoi ? Parce qu’il en a reçu l’ordre ? Qu’ai-je fait pour que ma femme mérite une telle mort ? J’ai lu sur la réincarnation, mais je doute que je sois si mauvais pour que je mérite un tel traitement !

Il inspire et expire bruyamment l’air pour calmer ses nerfs échauffés.

— Et je ne peux, pour être honnête, pardonner à ce Julian Borgia, ce criminel, d’avoir tué froidement ma douce Catherine ! Qu’il aille brûler en Enfer, mais qu’il ne me dérange plus ! Je serais hypocrite si je disais que je lui pardonne ! Non, non et non ! Son acte est tout simplement impardonnable !

Le proxénète d’Andréa s’en va, lueur de tristesse et de compréhension dans le regard.

— Julian Borgia semble avoir compris votre parole, bien qu’il en soit triste, commente Mélinda.

Se tournant vers Catherine, elle lui demande : 

— Et vous, Madame Payne, pourquoi ne partez-vous pas dans la Lumière ?

Une lueur de regret traverse ses yeux sombres avant de quitter le bureau de son mari.

— Avez-vous terminé de converser avec les défunts ? la sonde prudemment le professeur. 

— Oui, les esprits ne sont plus à vos côtés, constate-t-elle. 

— Donc, lors de votre première visite dans mon bureau, c’était pour régler un cas d’un défunt, non ? … 

Elle opine du chef.

— Très bien ! … À la prochaine alors !

Le couple revient chez lui, très assombri par leur visite au professeur, comprenant bien son choix, et inquiet de la réaction de Julian.



Au même moment, Andréa se rend à la demeure aux esprits de Gabriel. Dès son arrivée, celui-ci, avachi sur le fauteuil, balayant du regard la salle, brille de joie en la découvrant.

— Thalie, tu es venue finalement ! s’exclame-t-il.

Montrant d’un geste de la main les fantômes qui font la fête dans le salon, il sourit.

— Et en plus tu as de la joyeuse compagnie ! Tu ne vas pas t’ennuyer, ma chère ! 

En tournant le regard vers la fenêtre, l’associée devient livide comme un drap et fixe l’entité surnaturelle de l’autre côté, nul autre que Romano. Ce dernier apparaît à la droite d’Andréa et lui susurre : 

— Andréa Marino, n'oubliez pas votre pacte ! Vous m’appartenez ! Vous ne pouvez m’échapper !

— Monsieur, intervient Gabriel, serrant les poings, j’ignore qui vous êtes, mais vous ne pouvez déranger un esprit errant qui est mon hôte ! Et encore moins le menacer dans ma demeure ! Elle est venue de son plein gré ici ! 

Étonné de l’audace, le sombre esprit s’offusque : 

— Qui êtes-vous pour me dicter ma conduite ?

— Je suis Gabriel Lawrence, hurle-t-il, gonflant sa poitrine de fierté, un homme aux capacités hors de l’ordinaire qui accueille gentiment des âmes perdues chez moi pour me tenir compagnie…

Romano lui lance un regard interrogateur.

— … Ce qui veut dire que je vais devoir vous expulser !

Se tournant vers cinq esprits errants tapis dans l’ombre, il leur ordonne :

— Expulsez-moi ce fauteur de trouble !

Cinq hommes costauds vêtu de l'uniforme de policier attrapent Romano par les bras et les jambes et l'amènent à l’extérieur de la maison. Le dirigeant de secte essaye de revenir à l’intérieur, mais chaque fois, il est expulsé. Courroucé, le sombre esprit disparaît, lançant un regard noir au chuchoteur d’esprit.

— Merci Gabriel ! crie, brillante de joie, Andréa. Je me sens plus légère maintenant !

Et elle se joint à la fête.



Deux jours plus tard, Mélinda et son mari rendent visite à Rachelle Borgia, l’épouse de Julian. Jim conduit la voiture, écoutant les instructions de son épouse qui ne fait que lui rapporter les paroles du criminel assis sur le siège arrière.

Sortant de la voiture, Mélinda, serrant la main de Jim, suit du regard l’âme du criminel. Le couple traverse une rue malfamée du quartier avant de se rapprocher d’un bloc d'appartement gris. Confuse Mélinda interroge Julian : 

— Et où doit être votre épouse ? À l’un de ces étages ? Lequel ?

Souriant faiblement, il souffle : 

— C’est Rachelle, là-bas, qui arrive vers vous !

Tournant la tête à droite, elle constate une élégante femme aux cheveux blond cendré, à la tête ovale et aux grands yeux noisette enfantins s’avancer vers elle, peinant à transporter des paniers remplis des biens achetés au magasin.

— Madame Rachelle Borgia, l’interpelle Mélinda.

La mentionnée s’arrête net dans sa marche, fixant le couple avant de répondre : 

— Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ?

— Je voudrais vous informer concernant votre mari, Julian Borgia. Si vous daignez bien nous accepter dans votre appartement, la supplie-t-elle.

— Très bien, soupire-t-elle, aucunement réjouie d’avoir des inconnus chez elle. Venez !

Jim, galant, transporte les paniers, laissant les deux femmes le devancer.


Une fois dans le petit appartement en lamentable état, au mur défraîchi, à la peinture qui s’écaille par endroits, Rachelle invite le couple à s'asseoir en face d’elle dans la cuisine, sur des vieilles chaises en bois.

— Qui êtes-vous ? Qu’avez-vous à me dire au sujet de mon mari ?

Julian est à côté de sa femme, ému. Souriant malgré elle, Mélinda affirme d’une voix forte : 

— Votre mari veut que vous sachiez qu’il vous aime ! 

Julian possède Jim, le forçant à articuler les mots suivants : 

— Et non seulement cela, mais aussi que je regrette d’être un si mauvais mari, Rachelle, ma colombe !

L’âme de Jim, spectatrice de l’étrange possession, fait la moue, croisant le regard éberlué des deux femmes.

— Et votre mari a possédé le mien pour se servir de lui comme d’un médium et communiquer avec vous, s’offusque l'antiquaire extraordinaire.

— Comment le saviez-vous ? l'interroge Rachelle, méfiante. 

— Un don… Et je suis sérieuse !

— Julian n’a guère était présent à la maison, commente l’épouse du criminel.

— Je le sais, ma colombe, s’exprime-t-il par la bouche de Jim. J’ai été un bien mauvais mari ! … Et je le regrette… Mais sache que je t'aime beaucoup… J’ai tatoué une colombe sur le cou … Pour penser à toi lors de mes sales petites besognes… qui ne sont guère reluisantes… Je le regrette, mais je ne pouvais m’en sortir ! … Est-ce que tu me pardonnes ?

Souriant faible, Rachelle verse quelques larmes et murmure : 

— Je lui pardonne, il est mon mari et père de notre fille ! Malgré qu’il ne cessait de me comparer à une autre femme de manière allusive ! s’emporte-t-elle. Mais, maintenant, je suis veuve et on ne parle jamais en mal d’un mort ! Julian, je te pardonne !

Cessant la possession de Jim, un sourire radieux se peint sur le visage sévère du criminel, une lueur de joie dans ses yeux froids et ternes brille.

— Merci, Rachelle, tu es réellement ma colombe ! Je peux enfin partir en paix ! murmure l’esprit errant.

— Mais, l’interroge à voix basse la médium, curieuse, à quelle femme vous comparez toujours votre épouse ?

— Andréa Marino, répond rêveusement le défunt. Elle a été la première femme que j’ai connu… Et pour me prouver dans le monde du marché noir et de la mafia, je devais être son proxénète… Je ne pensais jamais rencontrer Rachelle et connaître le véritable amour ! Jusqu’à un certain point, je ne mérite pas ma colombe… Elle est trop bonne et pure pour moi !

— Julian Borgia, reprend Mélinda d’une voix forte, discernez-vous une Lumière ? Vous sentez-vous léger ?

— Oui, je me sens prêt à quitter le monde des vivants ! Je comprends bien pourquoi Richard Payne ne veut pas me pardonner, je ne peux lui en vouloir ! Pour moi, l’essentiel que ma colombe bien-aimée me pardonne !

Se tournant vers Andréa, qui vient de se manifester dans la petite pièce, il lui sourit poliment.

— Venez-vous, vous aussi dans cette lumière ô combien accueillante ? Je regrette d’être si mauvais envers vous !

— Vous n’êtes pas le seul fautif ! Mon frère, d’abord, et, ensuite, mon pacte avec Romano sont beaucoup plus fautifs que vous ! Si seulement je n’avais pas écouté mon frère, si seulement je n’avais pas conclu ce sombre pacte avec Romano ! Maintenant, je me sens libre ! Je n’ai aucune entrave qui me relie en ce monde-ci. Gabriel Lawrence, l’un de mes anciens clients, m’a fait réaliser ma situation !

— Qu'elle est belle cette Lumière ! s'exclament à l’unisson les deux esprits errants.

Ils tournent leur regard brillant d’une lueur de joie jamais vue auparavant, leur visage scintille d’une lumière irréellement blanche et pure.

— Est-elle pour nous, cette Lumière ?

— Oui, Julian Borgia et mon associée, cette Lumière est pour vous, murmure-t-elle, émue jusqu'au larme.

— Madame Borgia, votre mari quittera bientôt le monde des vivants ! Départ imminent ! Bon voyage !

Et les deux esprits errants se laissent doucement envelopper par cette Lumière surnaturelle, disparaissant du regard de Mélinda. 

Rachelle remercie le couple d’être venue et les accompagne jusqu’à la porte. 


Sur la route du retour, Mélinda note Catherine Payne, assise sur le siège arrière, mais dès qu’elle ressent le regard insitant de la médium sur elle depuis le rétroviseur, la défunte femme du professeur s’évapore. La vivante soupire et observe depuis la fenêtre de la voiture.

Soudain, un embouteillage sur la route rend Jim très impatient, forçant le couple à passer par un détour. Mélinda sort du véhicule pour essayer de discerner la cause de cette situation. À peine fait-elle quelques pas qu’un grand homme aux cheveux blonds, plutôt enrobé, vêtu d’un simple jeans et d’un chandail à manche courte bleue marine l’observe, étonné.

— Me voyez-vous ? Pouvez-vous m’aider ? la prie-t-il, lueur de désespoir dans le regard.




À suivre

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