Réinterprétation et autres histoires
Chapitre 12 : Deuxième partie, Affaire juridique et morale
9232 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 28/10/2024 13:37
12. Affaire juridique et morale
En ce début du mois d'avril, Mélinda attend depuis plusieurs minutes son associée, Andréa, mais elle n'est toujours pas dans le cadre de porte. La ponctualité est pourtant une caractéristique de la jeune Italienne s'étonne l'antiquaire. Cette dernière décide de commencer à ordonner certains meubles, aidée par son mari, dans le style de la Restauration dans un coin de la boutique pour déposer des cartes de tarot de Marseille du VIIe siècle en exposition en plus de quelques autres figurines décoratives du XVIIe et XVIIIe siècles.
— Mélinda, pourquoi tout le monde m'ignore ? Pourquoi n'ai-je ni faim, ni soif, ni envie de dormir ? affirme la douce voix féminine familière à la future mère derrière son dos.
L'interpellée, souriante, reconnaissant son associée, se retourne pour tomber nez-à-nez avec l'âme d'Andréa. Ne pouvant camoufler son étonnement, les yeux écarquillés, elle demeure prostrée sans un mot fixant la jeune femme avant de lui répondre, particulièrement choquée de sa tenue indécente — une robe bleu clair satinée trop courte, lui arrivant à la moitié des cuisses — des talons aiguilles bleu royal, ses cheveux habituellement brun foncé teints en blond cendré et son maquillage excessif, en plus d'une immense tache de sang près du cœur, le liquide vital s'est séché par endroits, laissant deviné la mort violente de son associée. Les yeux agrandis d'effroi et les mains tremblantes pendant quelques secondes, elle se ressaisit rapidement, malgré sa panique et le battement accéléré de son cœur.
— Andréa Marino, il est normal que tout le monde vous ignore...
Elle cherche à temporiser l'annonce de la triste nouvelle, gênée et attristée. Jim, lui lance un regard interrogateur, mais continue à ordonner les meubles.
— Pourquoi ? Comment ? s'offusque-t-elle, faisant cliqueter ses talons aiguilles et ses bracelets, ne comprenant pas le sens de ses paroles, moue dubitative, croisant ses bras en-dessous de sa poitrine, fixant Mélinda.
La femme extraordinaire promène son regard de son associée au meuble le plus près, ne sachant trop comment l'informer de son nouveau statut. Elle soupire et explique posément, malgré des larmes qui lui montent aux yeux et une voix tremblante aux dernières syllabes :
— Mademoiselle Marino... Disons que vous n'êtes plus vivante en corps... Mais uniquement en âme....
Mélinda sanglote avant de se reprendre. L'ambulancier enlace son épouse en signe de son soutien indéfectible.
— ... Raison pour laquelle tout le monde vous ignore... Raison pour laquelle vous n'éprouvez ni la soif, ni la faim, ni le sommeil, ni la fatigue... Vous êtes passée de l'autre côté, pour ainsi dire, dans le monde des esprits, et non plus celui des vivants !
Une lueur de tristesse et de colère traverse le regard de sa défunte associée avant qu'elle ne s'évapore pour réapparaître derrière la porte d'entrée, suivie par l'esprit errant en noir, vêtu de ténèbres de la tête au pied et un immense chapeau à large rebord de même couleur complète sa tenue. Celui-ci murmure à la défunte associée :
— Vous m'appartenez ! Vous êtes mienne !
Celle-ci blêmit et lance un regard suppliant à la femme extraordinaire. Cette dernière, au bord des larmes, ne comprend guère l'entité de l'esprit en noir qu'elle a aperçu dans l'asile souterrain, ni son intérêt pour son associée. Lorsque Andréa disparaît de son champ de vision, l'antiquaire range quelques vieux grimoires rapiécés du XVIe siècle, perplexe et intriguée.
— Mél, si j'ai bien compris, ton associée n'est plus de ce monde, non ? murmure-t-il de sa voix chaleureuse.
Elle opine du chef pour toute réponse avant de prendre la parole.
— Et non seulement elle est défunte, mais son accoutrement est des plus étranges, ajoute-t-elle, perplexe et hésitante. Une robe bleue trop courte et des talons aiguilles...
Cessant toute action, il dépose sa main droite sur l'épaule de son épouse pour lui signifier son soutien inconditionnel.
— Effectivement très étrange et étonnant ! approuve l'homme aux yeux bleus, pensif.
— Je pense qu'il est préférable de commencer une enquête sommaire sur mon ancienne associée, et ensuite, nous verrons où j'irais, à sa résidence.
Son interlocuteur sourit en signe d'approbation.
Au même moment, au bureau de Josué Berthelot, celui-ci sirote son verre d'eau-de-vie, se prélassant sur son siège. Il réfléchit au meilleur moyen d'envoyer un avertissement à Richard Payne de ne pas aider Mélinda et de convaincre Élie James d'être collaboratif pour lui donner accès au Livre tant convoité. Il capte le doux murmure des Ombres qui s'approchent de lui.
— Mes amis, les apostrophe le recteur, vidant son verre d'un trait. J'ai trouvé la meilleure manière d'éloigner ce professeur des sciences occultes de Mélinda...
Les Ombres fondent sur lui, tel un rapace sur sa proie, le fixant de leurs yeux démoniaques, lui coupant momentanément le souffle.
— ... Sa femme... En la tuant, nous le laisserons désemparé... Il sera brisé... Il cessera toute collaboration avec Mélinda...
Sur ces paroles, il se lève et attend une réponse de ses démons.
— Excellente initiative ! ricanent les Ombres.
Le vieil homme se rassoit et appelle son ami Roger.
— Roger, un petit travail pour tes hommes, lui annonce-t-il froidement.
— Lequel ? l'interroge-t-il d'un ton curieux.
— Tuer Catherine Payne...
— Très bien, je m'occuperais de la tâche, à la prochaine !
Il raccroche sèchement le combiné et murmure :
— Et ne rate pas ta mission... Sinon, il faut procéder à des méthodes plus extrêmes...
Sur ces mots, le recteur se lève de son siège et s'éclipse dans un couloir de l'université.
Au même moment, Gabriel, dans sa maison aux esprits, continue à espionner et à prendre des photographies de Mélinda et de tous ceux qui sont en contact avec elle, augmentant sa collection déjà importante. Alors qu'il ordonne ses prises de la veille, une voix puissante et familière lui parvient :
— Le petit menteur, j'ai une proie intéressante pour vous !
Se retournant, le demi-frère de la chuchoteuse d'esprits reconnaît le médecin collaborateur.
— Qui est-ce, monsieur Wogel ? l'interroge-t-il poliment et sérieusement, lueur de curiosité dans le regard.
— Thalie Clerc, cette prostituée que vous avez fréquenté quelques mois plus tôt...
Confus, il observe l'esprit errant, espérant percevoir une lueur de moquerie, mais en vain.
— ... n'est plus parmi les vivants ! Vous pourrez l'inviter à votre maison ! Une joyeuse compagnie, non ? En plus qu'elle saura vous fournir des informations concernant votre demi-sœur ! Fantastique, non ?
Une lueur de joie se reflète dans les sombres yeux du chuchoteur d'esprits.
— C'est effectivement une bonne occasion à ne pas rater ! s'exclame-t-il...
Charlie affiche un sourire narquois au vivant.
— ... Sinon, savez-vous où elle est ?
— Je l'ignore, je ne suis pas une caméra de surveillance... Ou plutôt, comment appelez-vous ces identificateurs ? ... Des micropuces ? ...
Il opine du chef.
— ... Ce n'est pas parce que nous sommes tous défunts, que je saches immédiatement sa localisation ! À vous de la trouver !
— Très bien, merci !
Et le collaborateur s'évanouit de l'endroit rejoignant l'inspecteur Carl Neely, très intéressé à le faire pencher dans son camp.
Quelques heures plus tard, Roger donne la mission à Julian Borgia de suivre Catherine Payne et de la tuer dès que l'occasion se présente. Celui-ci la suit et discerne aisément l'occasion lorsqu'elle conduit la voiture de son mari, sortant de la clinique de fertilité, ravie. Le criminel, caché derrière un arbuste, la guette, pistolet à la main, doigt sur la gâchette. Un peu avant qu'elle tourne pour passer le coin, il tire dans les pneus, la faisant perdre le contrôle du véhicule. Ce dernier s'écrase lourdement contre le mur, la blessant grièvement. Julian vise en sa direction, brisant la vitre, la tuant net. Satisfait, le criminel revient dans sa voiture pour revenir chez lui. Mais il ignore qu'il est suivi par Robert Langowski qui le guette pour l'éliminer prochainement.
Au même moment, quelques heures plus tard, l'antiquaire extraordinaire fouille dans les journaux locaux pour essayer de trouver la cause de la mort de son associée, mais en vain. Son nom n'est même pas mentionné. Mélinda soupire, ne sachant que faire. Se sentant observée, elle se retourne pour constater la présence d'un esprit errant masculin. Ce dernier est un grand et élancé homme aux cheveux blond et aux yeux bleu ciel brillants, au visage délicat et ridé, mine sérieuse, mais bienveillante. Il se tient dans un coin de la pièce et lui affirme :
— Madame, il est évident que vous ne trouverez rien à Grandeville, puisque tout se joue à Reims !
Sur ces paroles, avant qu'elle n'ait le temps de dire un mot, il disparaît. Mélinda est étonnée et s'installe confortablement sur le siège rembourré, effectuant une recherche à partir de l'ordinateur de sa boutique. Elle trouve rapidement dans la version électronique du quotidien L'Union que sa défunte associée a été étudiante en Science politique à l'Université Ardenne-Champagne, morte tuée sauvagement à coup de couteaux dans une petite ruelle de la ville un soir, alors qu'elle a voulu rentrer dans son appartement. L'antiquaire extraordinaire est perplexe et attristée de lire la nouvelle. Des larmes se pointent dans le coin de ses yeux sombres et ses traits se tendent à la lecture, angoissée de la cruauté inhumaine, gratuite et abjecte du criminel, un certain Pierre-Noël Delforge.
La femme extraordinaire se rend à Reims à 15 h 00, fermant sa boutique pour l'occasion, bien déterminée à parcourir minutieusement l'appartement de sa défunte associée. À son arrivée, elle constate une lumière qui filtre depuis la porte, intriguant et inquiétant la future mère. Yeux arrondis d'angoisse à l'idée que quelqu'un l'attend de l'autre côté, sa main droite tremble malgré elle. Ramassant son courage à deux mains, elle ouvre la porte d'entrée d'un coup sec pour tomber nez-à-nez avec l'âme d'Andréa qui disparaît aussitôt, tout aussi étonnée pendant une fraction de seconde. En entrant dans la cuisine, le salon et la chambre de son associée, un détail attire son attention. Outre le désordre qui y règne, les murs sont remplis de graffitis étranges en italien, langue qu'elle ne connaît pas, à savoir « È colpa sua! » et « È morto! ». La vivante explore minutieusement les armoires et tiroirs de l'appartement, mais ne trouve rien de concluant. Lorsqu'elle parcourt l'appartement, un regard insistant se pose sur elle, la traquant, la poursuivant. Se retournant prestement pour se confronter à cet inconnu, elle discerne, malgré la pénombre qui le camoufle, un esprit errant de noir vêtu, dont seul les yeux brillent. Il disparaît avant qu'un mot ne franchit les lèvres de la femme extraordinaire.
En touchant le cadre de la porte, pour sortir de l'appartement, elle est transportée dans une vision.
Une puissante main masculine l'empoigne, l'entraînant dans l'appartement, lui murmurant froidement, la fixant sauvagement :
— Où est Thalie Clerc ? Vous ne pouvez vous opposer à ma volonté ! J'ai droit sur elle ! C'est son travail ! Vous souvenez-vous de notre pacte ? Donnez-moi l'argent ! Maintenant... Sinon, vous en paierez le prix !
Ses yeux s'agrandissent de terreur et elle continue à s'accrocher solidement des deux mains sur le cadre de la porte, mais en vain. Sous ses yeux, un autre homme apparaît, un homme familier qu'elle haït, élégamment vêtu d'un complet noir. Il ne souffle mot et ne lui administre un coup de règle bien solide sur les doigts, la forçant à lâcher le cadre de la porte. Violemment traînée dans l'appartement, les mains puissantes qui la retient appartiennent à un homme costaud et séduisant aux yeux vert et aux cheveux noir. Il l'appuie contre un mur, l'enlaçant de ses bras musclés.
— Tu me donnes l'argent ou tu connais la menace ! affirme-t-il sérieusement en lui lançant un regard glacial, glissant sa main gauche sur sa cuisse avec avidité.
Mélinda tremble de tous ses membres aux sous-entendus, passant ses bras autour de ceux de l'homme.
— Très bien, sanglote-t-elle. Je te donne l'argent... Mais je ne veux pas que tout s'ébruite... S'il te plaît !
Son interlocuteur ne peut pas cacher un sourire sardonique et réplique :
— Tout dépend de ta collaboration, ma chère !
Elle déglutit et opine faiblement du chef.
— Viens ! Je vais te donner la somme exigée !
Fin de la vision.
Essoufflée et confuse par l'étrange vision, la jeune future mère s'assoit sur le siège le plus près et sort un calepin, notant le nom de la fille mentionnée, Thalie Clerc. Mélinda, ignorant comment elle peut trouver l'identité de l'esprit errant en noir, elle décide d'errer dans les couloirs de l'Université, dans l'espoir de recueillir le plus d'informations sur l'existence de Thalie Clerc et de son associée, mais en vain. Elle arrive jusqu'à la porte du professeur d'Histoire ancienne. Ce dernier l'accueille avec bienveillance, malgré sa mine assombrie et ses yeux ternes, un grand désordre règne dans la petite pièce.
— Monsieur le professeur Richard Payne, pouvez-vous m'aider à comprendre le sens des graffitis dans l'appartement de mon ancienne associée, l'identité d'un homme en noir et l'identité d'une étudiante de votre Université ?
Étonné, yeux brillants de curiosité pendant quelques secondes avant de redevenir ternes, l'interpellé l'invite à s'asseoir en face de lui, le temps qu'il lui traduise les paroles et qu'il trouve l'identité des deux êtres.
— Madame Gordon-Clancy, lui affirme, sourcils froncés, l'universitaire sur un ton sérieux et froid pour camoufler sa douleur de la récente perte de son épouse, les graffitis, écrits en italien, signifient « Il est fautif ! » et « Il est mort ! » ...
Relevant ses yeux de sa feuille, affichant un sourire compatissant à son interlocutrice.
— ... Mais je ne comprends guère à qui se réfère ce « il » ni qui peut commettre cet acte de vandalisme... Je suis très perplexe...
— Je pense savoir qui est le responsable...
— Qui ? l'interroge, lueur de curiosité dans le regard, le quarantenaire. Un Poltergeist ?
Détournant son regard de son interlocuteur, hésitant à lui relever son don, la jeune femme promène son regard à droite et à gauche. Elle constate à la droite du professeur une élégante femme un peu plus jeune que lui l'observer tristement. Habillée dans un tailleur beige qui rehausse sa féminité, une gracieuseté se dégage de son être et seule une immense tache de sang à la tête indique une mort violente, inquiétant Mélinda. Lorsque l'esprit errant croise le regard de la femme extraordinaire, il l'interroge :
— Vous me voyez ? Non ?
Éludant de lui répondre, elle détourne sa tête de la femme du professeur, attristée de constater une mort si violente. Richard, perplexe et intrigué du comportement de Mélinda, demeure coi trop affecté en son âme, hanté par l'appel téléphonique. Il baisse les yeux sur sa main gauche, où trône une étincelante alliance d'or, retenant ses larmes au gouffre innommable qui s'est ouvert en son cœur lorsqu'il a appris quelques heures plus tôt la mort soudaine et brutale de son épouse.
— Je préfère ne pas vous le dire, pour l'instant, monsieur le professeur... Je vous le dirai un jour.
— C'est correct... Ne vous sentez pas obligé, madame Clancy ! ...
Il baisse les yeux et se tait pendant quelques minutes pour se laisser le temps de se ressaisir.
— ... Sinon, je suis curieux, vos questions m'intriguent, ressemblant à un jeu de puzzle.
Elle soupire, évitant de confronter le regard de son interlocuteur.
— Effectivement, un puzzle compliqué ce que je cherche, murmure son interlocutrice à mi-voix.
Tambourinant le bord de son bureau, Richard s'impatiente un peu, lui affichant un sourire affable qui ressemble plutôt à une grimace forcée pour camoufler sa douleur.
— Aussi, continue-t-elle d'un ton traînant, hésitante, je voudrais savoir si vous avez entendu parler d'une étudiante, Thalie Clerc, qui semble mener une affaire des plus étranges avec d'autres personnes...
Mine pensive, se grattant le menton, observant les photographies de mariage sur son bureau, retenant ses larmes, le spécialiste lui répond après une brève recherche sur le répertoire des étudiants, fronçant des sourcils, mine sérieuse.
— Étrange ! Cette étudiante n'existe pas ! Elle n'a jamais été étudiante à notre université !
— Même pas par le passé ? l'interroge timidement son interlocutrice, lueur de désespoir dans le regard.
— Laissez-moi le temps de chercher... Mais il n'est pas à exclure qu'elle puisse être une étudiante dans une autre université... Sauf si vous vous êtes trompée de nom...
La médium promène son regard dans la petite pièce, guère contente à l'idée de faire le tour de toutes les universités de la région et réfléchissant au meilleur moyen pour obtenir l'information.
— Et pouvez-vous me retrouver l'identité d'un homme en noir vêtu, avec un chapeau au large bord ?
Lueur d'étonnement et de confusion dans ses grands yeux bleus, le professeur passe sa main gauche, sur laquelle trône son alliance, brillante sous la lumière naturelle, dans ses cheveux brun clair.
— Je dois chercher un peu dans mes livres avant de vous trouver son identité... Je pense savoir de qui il est question... Une certaine tradition donne un nom à ce démon... Mais je dois vous retrouver l'information pour plus d'exactitude... Pouvez-vous me laisser une adresse ou un numéro de téléphone auquel je pourrais vous joindre ?
— Oui, sans difficulté.
Elle sort de son portefeuille qui sommeille dans son petit sac brun clair une carte professionnelle de sa boutique.
— Merci, madame. Je vous contacterais dès que je serais certain de connaître l'identité de ce mystérieux homme que vous cherchez... Même si je pense qu'il existe une légende à son sujet... Bref, je vous aiderais...
— À la prochaine, affirme d'une voix puissante la jeune future mère en se levant.
— À la prochaine énigme, madame !
Les deux se quittent poliment. Mélinda revient dans l'appartement de son associée, traquant le moindre indice. Le professeur d’Histoire ancienne, lui, laisse libre cours à sa tristesse, accompagné par le monologue de sa défunte épouse qu'il ne peut entendre.
Au même moment, au bureau du recteur, Josué Berthelot, droit comme un piquet sur son fauteuil rembourré, trépigne d'impatience, tambourinant le bord de la table avec ses doigts, rapprochant à quelques centimètres de sa main le téléphone, fixant avec avidité l'afficheur.
— Le moment arrive-t-il enfin ? lui interroge, en hurlant, les Ombres.
Détournant son regard vers sa gauche où il perçoit les sombres formes du coin de l'œil, il murmure avec beaucoup de révérence :
— Mes chers amis, mes Ombres, mes Démons, le moment est à nos portes ! Vous verrez que j'aurais accès au Livre... Je vous suis dévoué ! Je mènerais à bien ma mission !
Un courant d'air froid traverse le vieil homme jusqu'à la moelle des os, un irrépressible frisson parcourt son échine.
— C'est ce que nous verrons, affirme amèrement une Ombre à son oreille.
Il demeure ainsi prostré pendant quelques minutes. Puis une idée lui vient à l'esprit, alors qu'une Ombre le possède. Il se lève prestement de son siège et se rend au Département d'Histoire. Le vieil homme frappe à la porte du bureau du collègue de Richard Payne, Aurélie Goujon. Cette dernière l'accueille chaleureusement, large sourire au visage, intriguée :
— Monsieur le recteur, quelle est la raison de votre venue ?
Sourire énigmatique, mains derrière le dos, il entre d'un pas empressé, refermant la porte derrière lui. Il affirme énigmatiquement, analysant la petite pièce au mur blanc et une fenêtre aux volets fermés :
— Votre expertise !
La professeur d'Histoire ancienne le fixe, intriguée.
— Connaissez-vous quelqu'un de réputé en matière de voyance ? ...
Devant le silence de son interlocutrice, il ajoute, amèrement, une pointe d'ironie dans sa voix.
— ... Vous n'avez pas étudié tous les phénomènes et croyances des Anciens pour rien, n'est-ce pas ?
— Les sciences occultes sont ma spécialité, particulièrement les Orphiques, effectivement, confirme la femme aux cheveux de jais, les ramassant en une queue de cheval, fixant le recteur de ses sombres yeux dans lesquels une lueur de curiosité brille. Mais votre question est un peu hors de l'ordinaire !
Se levant du siège, la fixant de son regard possédé, il éructe d'une voix caverneuse, d'outre-tombe, donnant un frisson dans le dos de son interlocutrice :
— Vous n'êtes pas ici pour réfléchir ! Répondez à ma question ! s'impatiente le vieil homme. Donnez-moi les informations sans plus ! ...
Il s'avance vers elle, appuyant ses poings sur le bureau en chêne, son visage est à quelques centimètres de la trentenaire qui recule instinctivement de la tête pour ne pas respirer l'odeur nauséabonde d'alcool mélangé au parfum masculin du recteur.
— ... Compris ?
Il la fixe comme un serpent sa proie, laissant planer un malaise palpable dans le petit bureau, avant de se rasseoir sur son siège, regard toujours aussi insistant. L'experte des sciences occultes détourne ses yeux, observant ses mains. Un silence oppressant plane pendant quelques minutes, avant qu'un soupir ne le rompt.
— Monsieur Berthelot, je peux vous conseiller une vieille voyante qui est décédée cinq ans plus tôt, Greta Hansen. Nous pouvons invoquer son esprit lors d'une séance spirite.
Le recteur approuve d'un geste de la tête et les deux intellectuels accomplissent le rituel, sous le regard attentif de l'âme du vieil homme présent dans la salle, riant aux éclats.
Simultanément, sur l'autoroute menant à l'hôpital de la ville, Robert Langowski, sous une nouvelle identité, mécontent de rater Julian Borgia, le blessant grièvement, guette Jim Clancy. Arme à la main, doigt sur la gâchette de son fusil de chasse, caché derrière un chêne, il attend le moment idéal depuis quelques minutes déjà. Le véhicule d'ambulance passe à quelques mètres du meurtrier, le vingtenaire aux yeux bleus est au volant avec son collègue Robert Thomann. Le fils de criminel arbore un sourire arrogant, murmurant dans sa barbe :
— Jim Clancy, vous ne serez plus vivant dans quelques minutes ! Entre mes mains reposent votre vie ! Et je fais d'une pierre deux mouches... Ah ! Ah ! Au revoir Jim Clancy et Julian Borgia ! Au revoir, pour l'éternité ! Ah ! Ah !
Il appuie froidement sur la gâchette, sans ciller, impassible et devenu insensible à la mort d'un homme, voire qu'il a un large sourire de joie et de folie. Un bruit détonne et la balle crève le pneu arrière du véhicule, il ouvre le feu une autre fois sur le blessé brisant la vitre arrière. Il déguerpit pour ne pas être vu. Le mari de Mélinda tourna le volant à droite, essayant d'orienter le véhicule vers la route, mais en vain. Il perd le contrôle du volant et le véhicule, en pleine vitesse, tourne à gauche et s'écrase contre un chêne. Le conducteur devient inconscient lors de la chute. Son collègue se dégage, sortant par la porte, veillant à ce que Jim et le blessé ne soient pas en position trop dangereuse ou néfaste pour leur santé, et appelle d'autres collègues qui arrivent immédiatement. Julian ne survit pas lorsque l'équipe de collègues de Jim arrive sur place. Le mari de Mélinda, lui, montre un faible signe de vie.
Dès que la future mère revient chez elle, perplexe, l'afficheur du téléphone brille et la sonnerie résonne dans toute la pièce, tel un coup de tonnerre au milieu d'un jour clair. Étonnée et intriguée, elle se rapproche de l'appareil et ses cheveux se dressent de frayeur, ses bras tremblent, lorsqu'elle reconnaît le numéro de l'hôpital, craignant pour Jim. Elle soulève le combiné et murmure dans un souffle, voix hésitante :
— Mélinda Gordon-Clancy à l'appareil... M'appelez-vous concernant mon mari ?
— Exactement, lui confirme posément la voix abrupte de la secrétaire. Nous vous informons qu'il est blessé, rien de mortel, je vous rassure, mais...
Elle hésite. La femme extraordinaire est angoissée, ses mains moites lâchent presque le combiné, yeux agrandis de frayeur, souffle court, reprenant l'air par grands coups.
— ... Disons, continue la secrétaire d'une voix neutre, sans émotion, que l'état de santé de votre mari n'est pas le plus certain pour autant...
— J'accoure immédiatement ! hurle-t-elle d'une voix aiguë.
Elle raccroche sèchement le combiné et arrive le plus rapidement possible à l'hôpital local. Angoissée, les mains moites, les jambes flageolantes, le souffle court, Mélinda entre en trombe dans la chambre où était Jim. Le médecin lui affiche un faible sourire et lui affirme posément :
— La situation de votre mari devrait être plus claire demain matin, mais je pense qu'aucun centre vital n'a été atteint.
Hochant la tête pour faire comprendre à son interlocuteur qu'elle a compris, la jeune future mère s'assit non loin de son mari, promenant son regard dans la petite salle, parcourant les murs blancs unis où une austérité y règne, mais aussi une lourdeur pour elle : celle de perdre son mari.
Elle demeure à son chevet toute la nuit, refusant de revenir à leur maison.
Le lendemain après-midi, la médium, rassurée que l'état de son mari soit stable, revient chez elle pour se concentrer sur l'énigme de l'étudiante Thalie Grace qui semble vivre avec son associée, Andréa Marino. Elle cherche pendant des heures les divers répertoires des universités à travers le pays, mais en vain. La chuchoteuse d'esprits soupire, exaspérée.
— Sauf si Thalie Clerc a été une étudiante étrangère ? Mais à quelle université ?
Tournant son regard vers sa gauche, elle note la forme de son ancienne associée.
— Mademoiselle Marino, soupire-t-elle, croisant ses bras en-dessous de sa poitrine, la fixant, pouvez-vous m'éclairer sur l'existence de cette Thalie Clerc, je ne trouve rien !
Pour toute réponse, elle s'évapore. La propriétaire de la boutique d'antiquités, exaspérée, se rend dans la salle de bain où, derrière les rideaux, l'attend Andréa qui ouvre les robinets, laissant couler l'eau à grand flot. La vivante sursaute de frayeur, incertaine du message que veut lui envoyer son ancienne associée, bredouille :
— Mademoiselle Marino, que me voulez-vous ? Pourquoi ce comportement ?
Elle le fixe de ses yeux sans vie, ternes, avant de pousser un cri strident à fendre les tempes, ne répétant que quelques mots :
— Tout est plus sombre et obscur ! Ne fouillez pas trop dans le passé ! Si vous ne voulez pas être la cible !
Elle sanglote.
— Ne fouillez pas trop loin !
Et elle disparaît. Confuse, la tête bourdonnante de questions, d'hypothèses et d'incertitudes, Mélinda ne comprend guère le sens des paroles, mais décide de ne pas trop s'inquiéter pour elle maintenant. Elle ferme le robinet, pensive, mais surtout trop préoccupée par l'état de son mari à l'hôpital et très angoissée de l'attaque criminelle injustifiée. Elle demeure prostrée, face au miroir, tenant sa tête entre ses mains, paumes appuyées sur son front, pendant quelques minutes avant de se déplacer. S'asseyant sur un fauteuil beige du salon, elle ajuste d'une main tremblante quelques mèches rebelles derrière ses oreilles et s'interroge sur les motifs qu'un criminel pourrait avoir envers son mari. Elle considère qu'il y a une erreur et confusion de la part du criminel, parce que Jim n'a jamais eu affaire avec ces types d'hommes. Sauf s'il faut considérer l'attaque comme un avertissement pour son mari, mais de la part de qui ? Son père, ce bâtard ? Impossible, il est défunt. Sauf s'il y a d'autres vivants qui veulent sa perte.
Une migraine se pointe à cette conclusion, un vertige la prend, horrifiée. Ses mains tremblent encore plus qu'auparavant, ses jambes, faibles, n'ont pas suffisamment de force pour qu'elle se lève du fauteuil.
Au même moment, au bureau d'Élie James,
Le professeur de psychologie pense à son amie d'enfance, Cassandre Schwartz, qu'il aime passionnément. Il se promet qu'il lui fera la cour et la mariera d'ici la fin de l'année. Fixant le vide pendant quelques minutes, attendant que le temps passe avant son prochain cours, il laisse ses pensées passer du coq à l'âne. Élie est intrigué par la vision au seuil de la mort, l'étrange vision qui concerne Mélinda et son mari, il se lève de son siège et prend le Livre des Changements et l'ouvre sur une page, curieux d'obtenir une réponse. Et ce qu'il y lit l'étonne.
Étrange que le fils de Mélinda et de Jim, deux simples habitants de Grandeville, anonymes, sans capacité d'influence considérable pour la ville de Reims, puisse être si important... Pourquoi lui, et pourquoi pas moi ? Pourquoi eux et non quelqu'un d'autre ? pense l'universitaire.
Sur cette pensée, il remet le Livre à sa place et prend son sac avant de quitter son bureau, traversant les couloirs familiers pour se rendre à son cours. Il ne remarque pas, tapi dans l'ombre, le recteur possédé. Ce dernier rentre dans le bureau et fouille à fond et à comble, mais ne parvient jamais à trouver le Livre tant convoité, ne le reconnaissant pas. Frustré, Josué revient à son bureau sous le grognement des Ombres.
Simultanément, dans une rue de Grandeville, Gabriel cherche inlassablement Thalie Clerc, très intéressé d'obtenir le plus d'informations concernant sa demi-sœur. Après trois heures de vaine recherche, parcourant la ville en tous les sens, dans toutes les rues et ruelles, il discerne, de dos, la jeune femme, la reconnaissant à sa robe trop courte brillante. Il l'apostrophe :
— Thalie Clerc, nous nous connaissons ? ...
Blêmissant, elle se retourne et ses grands yeux brun rencontrent ceux de son interlocuteur.
— ... Dis-moi bonjour, ma chère ! Je garde bien en mémoire le temps passé ensemble ! s'exclame-t-il...
S'approchant à quelques centimètres de la défunte, sourire narquois au visage, yeux rieurs.
— ... Et reconnaît que j'ai été un bon client, non ?
Elle baisse les yeux, honteuse, grattant nerveusement son avant-bras en signe de nervosité avant de répondre quelques minutes plus tard, d'une voix faible.
— Mais, vous pouvez interagir avec moi comme Mélinda Gordon-Clancy, la propriétaire de la boutique d'antiquité de notre ville. Elle peut aussi communiquer avec les âmes perdues... Ou esprits errants.
Sourire radieux, il confirme d'un geste de la tête.
— Et en plus, je connais une halte avant de partir dans la Lumière, lui susurre-t-il, regard brillant, très accueillant et agréable endroit.
Une moue de méfiance se dessine sur le délicat visage de la prostituée, lueur d'incrédulité dans son regard.
— Vous oubliez, retentit soudainement une voix puissante derrière son dos, que vous m'appartenez ! Vous êtes mienne, jeune femme !
L'interpellée perdit ses couleurs au son de la voix.
— Vous ! sursaute-t-elle en se retournant pour confirmer l'appartenance de la voix à Romano. Une lueur de crainte s'allume dans ses yeux.
Sourire ironique au visage, il continue de sa voix caverneuse :
— Vous m'appartenez ! Vous avez passé un pacte avec moi ! Vous ne pouvez plus me fuir maintenant ! Ah ! Ah !
Elle fixe ses pieds, joues rougies de honte, mains tremblantes, ne désirant pas affronter le regard de son interlocuteur. Romano s'évapore. Gabriel, étonné, la fixe, sans mots pendant quelques minutes. Il met fin au silence lourd et rempli de sous-entendus.
— Ainsi, vous avez passé un pacte avec Romano ? conclut-il, n'en croyant pas ses oreilles de la discussion.
— Oui, d'une certaine façon, avoue-t-elle d'une voix à peine audible.
Curieux, le chuchoteur d'esprits l'incite à continuer sa pensée d'un geste de la tête.
— C'est une longue histoire que je ne veux pas vous raconter !
Elle rougit, ses bras et jambes tremblent, prenant une grande inspiration par coups saccadés à chaque mot. Gabriel, inquiet, s'approche d'elle et la rassure :
— Thalie, veux-tu te reposer un peu ? J'ai un endroit très agréable pour toi, loin de ton passé ?
Relevant la tête, intriguée, séchant rapidement ses larmes d'un revers de la main, elle observe avidement son ancien client.
— C'est une petite maison où tu rencontreras des esprits bien sympathiques en halte avant le grand voyage !
— J'aimerais bien accepter, mais j'ai un compte à régler avant, souffle-t-elle.
Son interlocuteur approuve d'un geste de la tête.
— Au plaisir de se revoir une autre journée, ma chère, conclut-il.
L'esprit errant se dématérialise de la ruelle pour se rendre près de la boutique de Mélinda en un clin d'œil, certaine qu'elle saura l'aider. Le chuchoteur d'esprits est un peu confus de l'attitude de la défunte, mais il se promet qu'il obtiendra d'elle les informations qui l'intéressent en temps et lieux. La patience est une qualité qui s'exerce.
Quelques heures plus tard, Richard, malgré son deuil et sa tristesse, mène à bien sa recherche sous le regard inquiet et bienveillant de son épouse. Il appelle l'antiquaire de Grandeville, impatient de lui communiquer l'identité de l'homme en noir. Mélinda soulève le combiné, intriguée.
— Bonjour, Monsieur le professeur Richard Payne, Mélinda Gordon-Clancy à l'appareil.
— Bonjour, lui répond-il d'un ton terne. J'ai trouvé l'identité de l'homme en noir...
La future mère sort un calepin et un stylo, prête à noter les informations que lui dira son interlocuteur. Celui-ci prend une inspiration avant de continuer.
— ... Il se nomme Romano... Un fondateur sordide d’une secte d'Italie qui déménage dans notre joli pays en 1919, né 1890 et mort en 1930. Il dirige une secte satanique et en 1930, avec ses fidèles, commet un suicide collectif au cyanure. Depuis sa mort, les rumeurs et légendes urbaines affirment que le village de Châteauneuf-lès-Moustiers, l'endroit du suicide collectif, est hanté par les membres de la secte, en plus qu'ils portent malheur, responsables de la mort de tous les jeunes hommes du village. L'endroit est maudit.
— Merci, monsieur le professeur pour ces informations.
Chacun raccroche leur téléphone. Mélinda, réfléchissant sur la présence de Romano auprès de son associée, confuse; Richard, lui, désespéré, se lève de son fauteuil, dos voûté, impatient de rentrer chez lui pour prendre son dîner et surtout pour prendre son verre de vin et de calvados supplémentaire, noyant ainsi, temporairement, sa tristesse et son deuil, au grand désarroi de sa défunte épouse.
Le surlendemain, Jim revient à la maison, à la plus grande joie de l'antiquaire extraordinaire. L'ambulancier, allongé sur le canapé, se repose, fermant les yeux pour mieux se concentrer sur les paroles de son épouse qui l'informe du cas des esprits errants qui la préoccupent : son ancienne associée, froidement et monstrueusement assassinée, et la mystérieuse Thalie Clerc qu'elle n'a pas encore vu dans les environs, ni parvenue à trouvé la moindre information.
Mélinda décide de reprendre son enquête sur son ancienne associée, mais elle ne sait trop comment. Mine pensive, après quelques minutes de silence, elle sollicite son mari :
— Jim, penses-tu qu'interroger Michel Marino, son frère, pourrait être pertinent pour aider mon ancienne associée à partir dans la Lumière ?
Haussant les épaules, ouvrant les yeux, il commente :
— Pour être honnête je ne saurais te le dire... Tu n'as rien à perdre d'essayer. Pourquoi pas ?
Elle opine du chef pour toute réponse.
— Les funérailles d'Andréa sont déjà passées, mais je suis certaine que son frère viendra au moins pour se recueillir auprès de sa tombe, non ?
— Logiquement, oui, il n'est pas monstre ! ... Ou au moins, je ne le pense pas.
— Tu as raison... Mais maintenant, repose-toi bien, Jim, j'irai m'occuper du repas.
Sur ces paroles, elle s'exécute.
Après le dîner et la vaisselle, le couple part s'endormir, mais la nuit est très agitée pour Mélinda.
Elle rêve qu'elle est dans une ruelle sombre et l'homme costaud et séduisant aux yeux vert et aux cheveux noir de sa vision la suit, l'interpellant.
— Thalie, tu ne peux pas me fuir ! Donne-moi l'argent de ton travail !
Tremblante, elle accélère le pas, évitant de se retourner.
Soudain, l'homme familier, toujours de noir vêtu, apparaît à sa gauche, la retenant aux poignets. Son souffle chaud est contre son oreille, la menaçant de sa voix caverneuse :
— Tu as oublié le pacte entre nous ? Tu me dois obéissance, sinon, tu connais les conséquences.
Elle rencontre le regard brillant de l'homme, un regard possédé, démoniaque, donnant un frisson dans son dos. Elle déglutit sa salive, promenant son regard entre les deux hommes, baissant la tête, vaincue. Les deux hommes affichent un sourire triomphateur. L'homme l'entraîne dans un cabaret rempli de fumée des cigarettes à laquelle se mêle l'odeur des divers alcools, garnis un peu partout de tables basses sur lesquelles les hommes s'avachissent. Il la pousse sur la scène, ne lui murmurant froidement à l'oreille qu'un mot avant de la lâcher :
— Fais ton travail, danseuse !
Elle s'exécute, dansant avec grâce dans des vêtements trop révélateurs, attirant le regard des hommes ivres attroupés autour de la scène qui lancent des billets et de la monnaie et sifflent de temps en temps.
Une fois le spectacle terminée, elle discerne dans un coin sombre de la pièce, deux hommes, un octogénaire élégamment vêtu, éméché, qui la dévore du regard, la gênant; et un autre, plus jeune, un cinquantenaire, vêtu d'un complet brun, tenant fermement son verre d'alcool de sa main gauche, lançant des propos décousus à l'autre, ivre.
— Jeune femme ! l'interpelle agressivement le plus vieux des hommes, vidant son verre pour une énième fois. Venez par ici, nous saurons vous payer pour vos services. Quels sont les prix, petite ? Ont-ils changé depuis la dernière fois ? Possible d'avoir un rabais pour les fidèles clients ?
Vexée, mais habituée à ces interpellations, elle s'approche des hommes et lorsqu'elle croise le regard du cinquantenaire, une lueur s'allume dans son propre regard, le reconnaissant comme l'un de ses professeurs, mais elle sait qu'elle ne peut refuser, ni reculer, maintenant qu'elle est devant lui.
Le professeur, se levant d'un pas chancelant, glisse sa main tremblante de son ivresse autour de sa taille, l'entraînant dans un coin encore plus sombre, sous le regard amusé et moqueur du vieil homme qui rit dans sa barbe, large sourire arrogant.
La future mère se réveille en sueur, s'agitant sous les draps. Elle prend plusieurs minutes avant de reprendre complètement ses esprits. Elle se lève et, malgré les éclats de la lune qui filtrent les stores et les rideaux, éclairant faiblement l'intérieur, note une forme familière en bas des escaliers, nul autre qu'Andréa apeurée.
— Que faites-vous ici, Mademoiselle Marino ? s'étonne-t-elle.
Baissant les yeux, elle murmure :
— Je ne sais pas où aller et ... Je ne peux pas fuir d’un autre esprit errant...
Bras ballant de confusion, elle l'interroge d'une voix blanche :
— Qui ? De qui ne pouvez-vous pas fuir ? Vous n'avez qu'à partir dans la Lumière ! Sinon, dites-moi ce qui vous pèse ou votre dernière volonté, je peux vous aider...
Soudain un rire éclate dans la noirceur, une forme indistinctement humaine se déplace derrière l'ancienne associée. Les yeux de cette dernière s'agrandissent de frayeur, ses membres tremblent, des larmes coulent le long de ses joues.
— N'oubliez pas, Mademoiselle Marino, que vous êtes mienne ! Vous l'avez signé ...
Mélinda, bouche entr'ouverte en o d'étonnement, yeux comme ceux d'une chouette, reconnaissant la voix du sombre Romano, s'écrie d'une voix aiguë :
— Et vous, Romano, vous retenez mon ancienne associée, Andréa Marino parmi les vivants ! Pour quelle raison ? De toute manière, elle ne peut signer un pacte avec vous, un défunt depuis soixante-et-onze ans ? ...
— ... Taisez-vous ! la coupe-t-il abruptement d'un geste de la main l'interpellé, fixant la vivante de son regard sombre de feu, dans lequel brûle une folie et une détermination démoniaque. Que savez-vous du pacte ? ...
Il se déplace derrière Andréa et lui rappelle un nom :
— ... Vous n'avez pas oublié Thalie, Thalie Clerc, non ? ...
Celle-ci blême, les yeux se déplaçant à une vitesse incroyable dans ses orbites, tremble et supplie du regard l'autre esprit errant de se taire, avant de disparaître.
— Ne vous inquiétez pas, Andréa Marino est mienne depuis toujours !
Il s'approche à quelques centimètres de Mélinda et lui hurle froidement :
— ... Et n'essayez pas de vous opposer à mes plans... Sinon, je me vengerais !
Il parle et s'en alla, aspiré par le monde d'en bas. La vingtenaire, cœur battant la chamade des récents événements, part dans la cuisine boire un verre d'eau et revient au côté de son mari, inquiète, essayant de se rendormir, mais en vain; elle garde les yeux grands ouverts.
Au lever de l'aurore aux doigts de rose, Mélinda relate son étrange rêve à son mari et commente :
— Et je suis certaine que Romano soit le même esprit qui ait possédé l'homme familier vêtu de noir connu de Thalie Clerc et de mon associée, mais je ne saurais te dire son identité... Je suis très angoissée pour ces deux femmes, les pauvres ! Tout particulièrement Thalie Clerc. Mais comment connaître les identités des hommes ?
— Peut-être que les professeurs universitaires, Élie James et Richard Payne, sauront t'aider, non ?
Mine pensive, main droite enlacée avec celle de son mari, elle approuve d'un geste de la tête, appuyant cette dernière sur l'épaule droite de son mari, fermant les yeux, épuisée de sa nuit et de ses réflexions.
Quelques heures plus tard, elle se rend à l'université, malgré les protestations de son mari, inquiet pour sa santé et la santé de leur enfant qu'elle porte depuis un mois en elle, suivie par Jim. Traversant les nombreux couloirs gris de l'université, elle cherche le bureau du professeur d'Histoire. Frappant à sa porte, le grand homme lui ouvre poliment la porte, essayant d'afficher un sourire forcé, mais ses cernes trahissent ses nombreuses nuits sans sommeil.
— Bonjour, Madame Gordon-Clancy et Monsieur Clancy, j'espère que vous allez bien ? l'interroge-t-il d'une voix neutre.
— Oui, nous allons bien, lui répond poliment l'ambulancier.
— Et, continue son épouse, je viens pour affaire sérieuse. Une petite question pour vous...
Une lueur de curiosité traverse brièvement le terne regard de l'universitaire comme un éclair dans un ciel orageux.
— ... D'abord, est-ce que Thalie Clerc est une étudiante d'une université ? Ensuite, j'ignore l'identité de deux hommes, dont l'un est professeur, qui fréquente des endroits un peu inhabituels...
— Pensez-vous à des cabarets et des prostituées ? l'interroge, étonné, le quarantenaire.
Elle approuve d'un geste de la tête.
— Récemment, il y a une rumeur concernant la fréquentation d'un professeur avec l'une de ses étudiantes. Ce qui l'a disqualifié à sa candidature au poste de recteur.
— Qui est ce professeur ?
— Martin Ferry, professeur et directeur au Département de Droit et Science politique.
— Connaissez-vous l'étudiante ?
— Je l'ignore, les rumeurs mentionnent une Thalie Clerc, étudiante à l'Université, mais depuis quelques jours, je sais que cette étudiante n'existe pas. Un pseudonyme pour protéger son réel nom ? Lequel ? Je l'ignore...
Il soupire, sa main gauche sur laquelle trône son alliance appuyée sur son front pour se concentrer.
— ... Ah oui ! J'ai oublié un détail ! La rumeur dit que non seulement Martin Ferry entretenait une relation avec son étudiante, mais il semblerait que notre recteur, Josué Berthelot, l'ait connu. En bref, un triangle amoureux !
— Merci pour vos informations...
La médium fait une moue qu'elle ne pouvait réprimer malgré elle.
— ... mais pouvez-vous me décrire l'apparence ou me montrer une photographie du recteur et du professeur ?
Il approuve d'un geste de la tête et fait une rapide recherche sur son ordinateur de bureau, lui montrant une photographie de chacun. La future mère demeure prostrée pendant quelques minutes et affirme à voix basse à l'attention de son mari :
— Ce sont eux, les deux hommes qui ont sollicités Thalie Clerc, qui sont ses clients... Et elle a vécu avec mon associée. Celle-ci a eu comme professeur Martin Ferry... Sauf si Thalie Clerc est une étudiante d'une autre université...
Il opine du chef, tenant tendrement la main de son épouse. Cette dernière prend quelques notes dans un cahier.
— Merci beaucoup pour votre aide !
— À la prochaine !
Elle se lève, main dans la main avec son mari, et se rend au bureau du professeur de psychologie, encore plus perplexe.
Élie James affiche son sourire le plus affable, accueillant à l'intérieur le couple. Mais il s'excuse de ne pouvoir les aider maintenant, ayant un cours à donner bientôt dans quelques minutes. Le couple revient chez lui.
Trois jours plus tard, Michel Marino, le frère d'Andréa, faible sourire aux lèvres, larmes dans le coin des yeux, arrive devant la boutique d'antiquités de Mélinda. Celle-ci l'accueille poliment à l'intérieur, malgré qu'elle soit étonnée de reconnaître en lui l'homme vêtu de noir de sa vision et de son rêve.
Il bredouille :
— Je suis Michel Marino, avocat, et frère de votre associée Andréa. Il est bien triste d'apprendre la mort de sa sœur si jeune ! Tellement soudain !
À ses côtés, l'associée se manifeste, lançant un regard noir à celui-ci.
— Pourquoi n'es-tu pas mort à ma place ? s'emporte la défunte, poing serré, regard lançant des éclairs. Pourquoi ? Salaud ! Maudit soit le jour de ta naissance, ordure !
Sur ces paroles qu'elle éructe, Andréa allume et éteint successivement les lumières de la pièce. L'antiquaire l'observe, ébahie, avant de lui ordonner :
— Mademoiselle Marino, cessez immédiatement votre action !
Une lueur d'inquiétude traverse les yeux de l'Italien, mais il garde un visage de marbre.
— Que venez-vous de dire, madame ? l'interroge-t-il, méfiant, yeux plissés.
L'antiquaire soupire et l'informe :
— Votre défunte sœur joue avec la lumière... Sinon, voulez-vous venir dans l'appartement de votre sœur avec moi ?
— Pour quelle raison ?
Il lui lance un regard méfiant, une moue se dessine sur son visage, déformant ses traits agréablement ciselés.
— Pour que vous m'éclairez de certains messages et autres détails !
Étonné, son expression devient une sorte de frayeur.
— D'accord, venez dans ma voiture !
Il se précipite à l'extérieur et attend qu'elle arrive. Mélinda note qu'Andréa est assise au siège du co-conducteur, bras croisés en-dessous de sa poitrine. La conduite est dans un silence assourdissant.
Arrivés devant l'appartement d'Andréa, Mélinda et Michel franchissent le seuil sans la moindre hésitation. Parcourant chaque pièce, l'antiquaire extraordinaire constate les graffitis encore plus imposants que lors de sa dernière visite. Le frère de la défunte associée change de couleur en déchiffrant les messages.
— Monsieur Marino, comprenez-vous ces graffitis ? Que signifient-ils ? À qui s'adressent-ils ?
Le regard de l'avocat devient fuyant et chuchote d'une voix trop rauque.
— Quelqu'un souhaite la mort à un homme, mais qui ?
Andréa, face à son frère, visage rougi de colère, trépignant des pieds d'impatience, hurle d'une voix suraiguë :
— Menteur ! Tu joues le naïf ! Comme si tu ne savais rien ! C'est ta mort que je souhaite ! Pourquoi n'es-tu pas mort à ma place ? Je suis morte pour rien ! Tu es responsable de ma mort ! Tu es responsable de ma triste situation, salaud !
Mélinda promène son regard de l'un à l'autre des Marino, perplexe, intriguée, confuse.
— L'être qui a écrit ces graffitis est votre sœur, lui répond la médium, et elle vous les destine... Si j'ai bien compris, se défend-elle lorsqu'elle ressent les deux paires d'yeux se braquer sur elle.
La défunte lui adresse un pâle sourire pour lui signifier sa bonne compréhension, son interlocuteur vivant demeure de marbre, regard durci de colère.
— Ainsi, ma propre sœur me menace ! s'emporte-t-il.
— Exactement, lui confirme amèrement Andréa.
Celle-ci allume et éteint les lumières de son appartement et change les postes de la radio, créant une cacophonie. Le visage impassible et le regard sérieux de son frère se transforme en une expression horrible d'angoisse et de crainte, digne d'un masque de tragédie grecque. Des larmes lui montent aux yeux, mais il tâche de se ressaisir.
— Avez-vous d'autres commentaires à me dire, madame ? l'interroge-t-il froidement.
— Non, je ne veux qu'aider votre sœur à quitter le monde des vivants ! Et un lourd poids semble être sur son âme, la rendant errante.
Le cellulaire de l'avocat résonne soudain dans la poche de son veston.
— Je vous quitte, s'excuse-t-il, un appel urgent... Merci madame !
Et il sort précipitamment de l'appartement, s'isolant dans sa voiture pour parler au téléphone. Mélinda se tourne vers son ancienne associée.
— Andréa Marino, je ne comprends guère pourquoi vous êtes fâchée contre votre frère ? J'ai compris qu'il est responsable de la situation de Thalie Clerc, une connaissance, une amie ? Responsable de l'amener à se prostituer ? Mais je ne comprends guère le rapport avec vous ?
Baissant ses yeux, refusant d'affronter le regard de la femme extraordinaire, elle bredouille :
— Une longue histoire... Disons, pour faire court, que je ne serais jamais morte si cruellement sans que mon frère m'ait conseillé de venir étudier à l'Université Ardenne-Champagne... Salaud !
Elle s'évapore sur ces paroles. Mélinda referme la porte de l'appartement de son ancienne associée et attend que Michel lui fasse signe d'embarquer dans la voiture pour revenir à Grandeville.
Dès que le frère de sa défunte associée a quitté sa boutique, la future mère se rend dans le parc de la ville pour respirer un peu l'air frais et se changer les idées des histoires d'esprits compliquées. En chemin, elle entend la voix de Gabriel en discussion avec un esprit errant. Elle capte les mots suivants :
— Thalie, ma chère, n'est-il pas exact que j'ai été le plus attentif envers toi ! ...
Tournant la tête en direction de la voix, intriguée d'enfin voir cette mystérieuse Thalie Clerc, son regard tombe sur son associée. Choquée, éberluée, bouchée bée, la chuchoteuse d'esprits intervient, corrigeant son semblable :
— Gabriel Lawrence, vous vous trompez de personne ! Cette femme n'est aucune Thalie, certainement vous pensez à Thalie Clerc...
Il se retourne et fixe son interlocutrice vivante, étonné, lui lançant un regard interrogateur.
— ... Mais elle est mon associée, Andréa Marino...
L'esprit errant baisse les yeux de honte et disparaît dans les airs.
— ... Aussi, sans vouloir être indiscrète, comment connaissez-vous mon associée ?
— Je ne connais pas votre associée, mais Thalie Clerc, une prostituée du cabaret de Reims que je fréquentais souvent à une certaine époque... Et j'étais l'un de ses clients, le plus attentif et honnête, sans doute ! Et je sais, du barman avec qui je me suis lié d'amitié, que certains éminents professeurs de l'université fréquentaient ce cabaret pour les femmes...
Les yeux de Mélinda s'agrandissent, comprenant la vérité qui la fouette en plein visage, elle fixe son homologue masculin.
— ... Et vous pensez que Thalie Clerc et votre associée sera la même personne ? s'étonne-t-il.
— Oui, lui réplique-t-elle d'une voix blanche, parce que, outre cet accoutrement étrange, les cheveux teints et le maquillage excessif, je ne peux me tromper pour reconnaître mon associée... Mais maintenant, je comprends ces étrangetés... Son second métier peu enviable, la prostitution, a été sous un pseudonyme... Bien triste, la déchéance et le malheur de cette femme !
Au tour de Gabriel de fixer la médium, étonné et gêné.
— Sinon, savez-vous en quoi son frère, Michel, puisse être responsable de sa déchéance ?
— Je pensais que vous le saviez ! s'étonne-t-il. Disons qu'outre être son meilleur client, j'étais aussi son confident... C'est ainsi que j'ai appris qu'elle a une dépendance aux drogues...
La future mère, moue de pitié au visage, larmes au coin des yeux, demeure coite.
— ... Ces substances illicites lui ont été introduites par un ami de son frère, qui est accessoirement, son ancien copain. En plus d'être un proxénète.
— Et c'est tout ! s'étonne-t-elle.
— Au moins, c'est ce que je sais ! Je suis moi-même étonnée d'apprendre sa mort plutôt violente...
— Je sais, entre rêves, visions et conversations, lui précise-t-elle, qu'Andréa semble avoir passé un pacte avec Romano, un sombre esprit fondateur de secte. Ce dernier a possédé son frère...
Les yeux sombres du demi-frère de Mélinda s'agrandissent d'étonnement, il demeure silencieux pendant quelques minutes.
— ... Et ainsi, Thalie Clerc et Andréa Marino sont une seule et même personne !
Une lueur de compréhension s'allume dans le regard du chuchoteur d'esprits.
— Vous auriez pu me demander plus tôt concernant Thalie Clerc, je vous aurais aidé, bien entendu !
— Avant de se quitter, je suis curieuse... Plusieurs chuchoteurs d'esprits en quelques kilomètres...
Gabriel l'observe, gardant un air stoïque.
— ... Je vous ai entendu discuter à propos d'une halte... Vous les faites donc un peu attendre avant de les faire partir dans la Lumière ? ...
Une lueur de curiosité se pointe dans son regard.
— ... Une sorte de liste d'attente pour vous laisser le temps de réaliser leur dernière volonté ?
Sourire ironique au visage, qu'il camoufle comme un sourire sincère, les traits du rescapé de l'asile se détendent.
— Nous pouvons le dire... Vous savez sans doute qu'il faut parfois mentir pour réussir dans la vie, pour ne paraître fou... Il faut convaincre les esprits errants d'être bonne et patiente avant de les amener dans la Lumière... Et c'est ce que je fais.
— Au revoir, monsieur Lawrence.
Chacun revient chez soi, personne ne remarquant l'âme de leur père qui les observe de loin. Mélinda, elle, est taraudée à l'idée que son ancienne associée n'ait pas encore passée dans la Lumière, qu'elle erre encore. Soupirant, elle chasse d'un geste de la main ses inquiétudes.
À peine franchit-elle le seuil de la maison, que Julian Borgia, qui suit Jim depuis son décès, se déplace derrière son mari, assis à table, maussade.
À suivre