Histoires entre vivants et esprits
Chapitre 4 : Reprise de l'enquête ou histoires de fous...
10540 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 11/10/2023 15:49
« Les deux sciences les plus tristes : la psychiatrie et l'histoire ; l'une étudie les faiblesses de l'individu, l'autre les faiblesses de l'humanité. » (Michel Campiche)
Entre-temps, Tricia Mizrahi-Conrad et John Conrad, sont devenus parents de deux adorables enfants, à savoir Natalie (née en janvier 2000) et Daniel (né en août 2001). Les parents et la sœur de Tricia sont contents de savoir qu'ils sont grands-parents ou tante, selon le cas. La sœur de Tricia, Manijeh Mizrahi-Benkemou, mariée depuis quatre ans à Samuel Benkemou (le neveu de Paul Eastman, fils de sa sœur Maria), est déjà l'heureuse mère de deux enfants, Rebecca (trois ans) et Daniel (deux ans).
2 septembre 2001, Hôpital Mercy, unité de naissance, 9h03.
Melinda Irène Gordon-Clancy accouche de son second enfant, une fille, qu'elle prénomme Mary. Le jeune couple est très content : les voilà heureux parents de deux adorables bébés. « Au moins, » plaisante Jim, « nous avons fait nos devoirs envers l'humanité ! » Et il embrasse son épouse sur les lèvres. Depuis qu'il est devenu père, il travaille davantage. « Les enfants, ça coûte une fortune ! » plaisante l'ambulancier, « Mais nous sommes assurés d'une descendance. » Melinda Irène sourit à sa blague. Et elle continue, comme d'habitude, lorsqu'elle a le temps, à s'occuper des âmes errantes qui cherchent son aide. Heureusement, des cas faciles, pour faciliter le travail de la jeune passeuse. Quant à son emploi dans la boutique d'antiquités de sa mère, elle n'y travaille plus, puisqu'elle est assez occupée... De sorte qu'Elizabeth d'Arenberg-Gordon place une offre d'emploi dans les journaux locaux de Grandview, car elle ne veut pas elle-même travailler comme caissière, mais elle doit accorder au moins deux jours de congé à Andrea Marino. Heureusement, une candidate se propose : Délia Banks, une mère monoparentale de quarante ans qui vit avec son jeune fils Ned (sept ans). De métier : agente immobilière à Grandview. Depuis qu'elle a terminé ses études, elle est intéressée à travailler dans une petite boutique; c'est pourquoi elle postule à l'offre d'emploi. Elle travaille depuis février 2001. Et elle se lia d'amitié avec la jeune Italienne. D'ailleurs, cette dernière essaie de séduire Jim Clancy lorsqu'elle remarque que Melinda Irène était enceinte... Sauf que l'ambulancier ne cède pas à ses avances, ayant compris ses petits jeux. Il ne veut pas tromper son épouse; le mariage, c'est dans le meilleur comme dans le pire.
Le frère de l'ambulancier, Daniel Clancy, à vingt-six ans, a enfin commencé une relation amoureuse avec une infirmière, Nora Sutherland, de deux ans sa benjamine. Ils vivent ensemble dans l'appartement du docteur depuis le mois de juillet.
Depuis le début du mois de septembre, notre pauvre Carl Neely est sujet aux avances de Brianna Strong, qui le trouve toujours aussi intéressant. « Maintenant qu'il est veuf », pense la jeune femme, « je pourrais sauter sur l'occasion pour le connaître ». Inutile de dire que Hana Nasan-Neely n'est pas contente et en avertit son époux. Ce dernier fait du mieux qu'il peut pour l'éviter : il se demande comment Brianna peut le trouver intéressant alors qu'ils ont grandis ensemble sous un même toit, presque comme frère et sœur. Carl Neely a d'ailleurs déjà assez d'ennuis sans elle...
10 septembre 2001, station de police de Grandview, 8h00.
Carl Neely et Paul Eastman sont dans le bureau de Paul, assis face à face, avec la compagnie de Karl Pulluow, Maurice Solms, David Neely, Milena Vladikin-Neely, Hana Nasan-Neely et Dragomir Vladikin. Ils discutent de la suite de leur enquête sur le premier mariage de Thomas Gordon.
Paul Eastman dit : – Je suis content, mon fils, de reprendre enfin notre enquête. Je suis particulièrement heureux que vous vous en remettez bien de vos différentes aventures survenues entre-temps.
– Merci, mon père, de se préoccuper autant de moins.
Silence lourd. Les esprits errants observent en silence les deux vivants.
Paul Eastman reprend la parole : – Nous devons reprendre cette enquête, car c'est même Madame Jane Lawrence-Gordon qui le veut. Or, comme nous savons qu'elle et son fils Gabriel ont été les patients du docteur Andrew Lewis, de l'Asile d'Ottawa, il faudrait lire leurs journaux de thérapie, fouiller les archives de cet asile et, peut-être, faire une recherche sur ce docteur en question. Du reste, nous nous fions, comme d'habitude, à nos amis esprits et aux observateurs bien sympathiques qui nous communiquent des informations utiles.
Carl Neely : – Exactement. Je suis tout à fait d'accord avec votre proposition.
Karl Polluow intervient : – Soyez prudents ! Car les méchants ne sont pas tranquilles... Disons que le calme apparent cache une tempête. Que le Très-Haut vous protège !
Carl Neely : – Merci du conseil... Mais si nous commençons cet après-midi ?
Tous, son collègue et les âmes errantes, répondent d'un mouvement de tête affirmatif.
Carl Neely : – Merci de votre réponse !
Et le jeune policier se lève de la chaise sur laquelle il est assis, puis quitte le bureau de son collègue pour se rendre dans son bureau propre. À peine est-il entré qu'une odeur assaillie ses narines : aucun doute, Lorenzo Romano est dans la pièce.
Carl Neely pense : « Qu'il disparaisse enfin en Enfer, pour qu'il n'empuantisse plus mes narines ! »
Le sombre esprit lui réplique d'un air moqueur : « Pas tant que je ne règle pas mes comptes avec vous, Monsieur Neely ! »
Ainsi parle l'esprit errant qui tourne en sens anti-horaire, comme un fauve autour d'une proie, touche l'épaule gauche du policier de sa main gauche puis dit : « Vous ne pouvez pas nous échapper ! Plus tôt vous vous avouez vaincu, moins la vie sera douloureuse pour vous... À vous de choisir ! » Puis il disparaît.
Carl Neely est simplement perplexe. Il s'assied sur sa chaise de bureau. Il se concentre pour lire une enquête banale (une feuille recto-verso qui rapporte une plainte d'une épouse pour violence conjugale). Il passe son temps jusqu'au midi à régler des petits locaux. Carl Neely revient chez lui pour le midi. Il s'attable avec Maria, Sara et Samuel (ainsi que la travailleuse sociale) ; même Hana prend sa place habituelle, ce qui fait sourire le policier et leurs enfants.
Après le repas, le jeune policier revient à la station de police, où son collègue l'attend. Ils embarquent dans une voiture de fonction après avoir vérifiés la présence des papiers et autres documents de leur enquête sur Gabriel Lawrence. Paul conduit. En route jusqu'à l'Asile d'Ottawa, aujourd'hui une aile de l'Hôpital Général d'Ottawa, il explique à Carl Neely les conclusions auxquelles il était parvenu lorsqu'il termina une partie de l'enquête. Une fois la voiture stationnée, avec une vignette, les deux policiers, accompagnés de leurs esprits errants qui les encouragent, se rendent à la réception, où ils explique à la dame qui s'y trouve qu'ils mènent une enquête policière. Elle leur remet alors la clé de la porte des archives de l'Hôpital.
Et Paul Eastman et Carl Neely remarquent la présence d'un esprit : une odeur de tarte aux citrons. Nulle autre que Jane Lawrence-Gordon qui se présente aux policiers. Et elle ajoute aussitôt : « Messieurs, soyez très prudents, car ce lieu est un Enfer pour les vivants et pour les âmes non-averties. Faites attention tout particulièrement aux docteurs... » Elle décide de les guider jusqu'à la salle des archives. Chemin faisant, les deux passeurs d'âmes rencontrent différents esprits errants aux odeurs très variées. Certains sont visiblement des patients de l'ancien asile, d'autres des patients de l'hôpital. Certains sentent l'eau de Cologne, d'autres un parfum masculin, d'autres encore un mélange d'œufs pourris et de moisissure. Mais les deux vivants demeurent stoïques.
La mère de Gabriel Lawrence dit : « Messieurs, je sais que vous voulez lire mon journal de thérapie, mais ne le faites pas sans avoir sortis vos icônes portatives et s'être entourés de branches d'aubépine et de saule pleureur. »
Paul Eastman : – Pourquoi ?
Jane Lawrence-Gordon : – Pour éviter la sombre influence de la magie, car le journal est ensorcelé par le salaud de docteur... Et surtout, ne le lisez jamais ici !
Une odeur nauséabonde se manifeste derrière les deux vivants; Carl Neely se retourne, Paul Eastman aussi : c'est le docteur Andrew Lewis. Il s'exclame : – Pourquoi, garce, vous donnez des conseils vains à ces hommes ? Vous saviez que vous m'appartenez et que vous ne voulez (et ne pouvez) pas s'éloigner de moi ! Vous êtes incapables de vous occuper de vous-même et de votre fils ! Vous saviez la seule chose que vous pouvez...
Jane Lawrence-Gordon l'interrompt : – Va-t-en, démon impur !
Andrew Lewis, froissé : – Quelle audace !
Et l'esprit psychiatre fonce sur les deux vivants, passant au travers eux, puis disparaît de leur vue et leur nez. L'air est respirable pour Neely. Les deux policiers, un peu étourdis, font une courte pause puis ils se signent et adressent une courte prière à leur protecteur. Et Paul ouvre la porte des archives. Celle-ci grince avec un bruit terrible, faisant sursauter Carl Neely. Ce bruit semble lui réveiller un lointain et vague souvenir, mais il ne sait pas lequel... Peut-être un souvenir d'enfance ? « Seul Dieu le sait » pense-t-il. Pourtant, il trouve le bruit sinistre et de mauvais augure. « Mais bon, » pense-t-il, « il faut se ressaisir ! » Et les deux hommes entrent lentement dans la pièce.
David dit, comme s'il a lu les pensées de son fils, intervient : « C'est en effet, fiston, un souvenir d'enfance bien triste... Et une menace de ces salauds... »
Carl Neely le remercie. Paul Eastman regarde du coin de l'œil son collègue, ressentant un malaise de lui avoir réveillé des mauvais souvenirs. Mais ils se ressaisissent. Ils poursuivent leur visite des lieux, en déambulant lentement entre les rangées. Et ils repèrent des documents d'archives, dans la rangée « L », ceux de Jane et de Gabriel Lawrence. Jane, jusqu'à là silencieuse, commente : – Je le répète : faites très attention à la lecture de ces sombres documents... Et mon salaud de mari saura que vous êtes passés ici, car le docteur informe mon salopard de fils qui le dit au salaud de Thomas...
En se tournant vers les parents de Carl Neely, elle ajoute : – Et alors, vous saviez que c'est votre fils qui est en très grand danger, car ils le veulent pour eux, vivant ou mort...
David et Milena hochent de la tête, eux aussi ont compris le danger dans lequel se trouve leur fils benjamin. Seul le concerné ne sourcille pas, avec son masque de froideur pour cacher les pires idées qui lui viennent à l'esprit. Milena Vladikin-Neely s'approche de lui, l'enlaçant maternellement et dit d'une voix douce : « Mon cher fils, ne t'inquiètes pas des menaces de nos ennemis... Dieu est plus fort que Satan ! »
Les policiers sortent des archives, archives qui sont hantées par différents esprits aux différentes odeurs de médicaments. Certains sont visiblement morts dans d'atroces souffrances, étant donné leur aspect pas très présentable. Une fois la porte fermée, Romano se manifeste derrière eux; Maurice Solms, Karl Pulluow, David Neely, Milena Vladikin-Neely et Jane Lawrence-Gordon se retournent vers lui et grognent sur le mauvais esprit; Dragomir Vladikin lit des extraits de son Évangéliaire. Les deux policiers passeurs d'âmes se retournent: ils ont compris qui est présent. Le sombre esprit rit méchamment; son associé, Baldini, se manifeste à sa gauche, toujours son sourire ironique aux lèvres (à croire que ce sourire est imprimé sur son visage). Silence lourd.
Romano dit à l'adresse des esprits protecteurs : « Vous me faites rire ! On dirait cinq chiens qui ont vu des chats ! Et vous, très révérend Vladikin, vous pensez me faire peur avec votre religion ? Nietzsche disait bien que Dieu est mort ! D'ailleurs, vous saviez que JE peux faire ce que JE veux... Ce ne sont pas des esprits de votre espèce qui m'empêcherais d'atteindre mes buts ! »
Il s'approche à la gauche de Carl Neely, pose sa main sur son épaule et lui murmure à l'oreille : « Allez, mon petit, rends-toi à l'évidence : tu dois... »
Puis Romano disparaît; Baldini aussi, après avoir rit méchamment comme il le fait toujours.
Le jeune policier, perplexe et fatigué du contact avec l'esprit, bredouille : – Je comprends la menace... Je ne suis pas né d'hier... Et, qu'est-ce que je peux faire ?
Paul Eastman d'un ton sûr : – Être prudent et rester fidèle à soi-même.
Carl Neely : – Et si nous photocopions les documents avant de quitter l'Hôpital ?
Et les deux hommes photocopient chacune des pages après s'être signés. La réceptionniste les regarde bizarrement. Paul lui remet les originaux et la clé, puis la remercie d'avoir accéder à leur requête. Elle les salue.
En jetant un coup d'œil rapide sur sa montre, le Russe ajoute à l'adresse de Carl Neely : – Je pense qu'il est temps de revenir chez soi ! Nous reprendrons demain.
Son jeune collègue hoche de la tête pour toute réponse. Paul conduit le véhicule de fonction, comprenant que Carl est trop fatigué pour conduire. Une fois dans la station, une collègue, la policière Sam Blair, une joyeuse célibataire de vingt-cinq ans, les salue. Tous les deux lui rendent ses salutations. Ils se souhaitent une bonne fin de journée et chacun revient chez soi. Paul résume ses inquiétudes à sa Sara, qui la rassure du mieux qu'elle peut, comme toujours; Carl Neely, lui, est encouragé par sa femme et ses parents. Il salue la travailleuse sociale qui s'occupe officiellement de ses enfants lorsqu'il est au travail. Seuls les trois enfants ne comprennent pas pourquoi la dame est là, alors que leur mère est présente, et surtout, pourquoi elle ignore leur mère.
Maison d'Oswald Neely, 22h49.
Oswald Neely, informé au cours de l'après-midi par son collègue Thomas Gordon, sait que son neveu fait son enquête. Il compte bien en profiter pour enfin trouver son talon d'Achille. Au moins, pour l'affaiblir... Le juge convoque alors son ami Thomas, Gabriel Lawrence et les frères Payne. Et bien sûr, ses deux épouses sont présentes. Et ce petit groupe se réunit en cercle et commence un très sombre rituel sur une photographie de Carl Neely, photographie prise deux jours avant la mort de sa femme...
Le soir est agité pour le jeune policier, qui rêve de se trouver dans un coin sombre, enchaîné, allongé à même le sol, étant trop faible pour se tenir sur ses jambes. Il entend des pas. Il remarque que quelqu'un est devant lui. Un homme apparemment vêtu d'un complet noir et de souliers de la même couleur. Carl frémit à sa vue. Il dit en anglais : « S'il vous plaît, ne m'amenez pas dans la salle de torture ! Laissez-moi ici ! » Mais l'homme appelle des agents de sécurité qui le maîtrisent et ils suivent l'homme. Et ils arrivent jusqu'à une salle très sombre dont la porte s'ouvre en grinçant avec un bruit d'enfer. Fin du rêve. Le pauvre policier se réveille en sursaut et raconte son cauchemar à l'âme de sa femme (qui est allongée à sa place comme si elle dormait, sauf qu'elle en n'éprouve pas le besoin) ; Hana le rassure du mieux qu'elle peut, comme toujours. Il se dit que ça doit être soit une menace souhaitée, soit une vision de Jane Lawrence-Gordon. Jane se manifeste au pied du lit, salue Hana Nasan-Neely, puis lui répond : « Monsieur, je peux vous confirmer que ce n'est pas moi, sinon, je vous le ferais voir d'une perspective extérieure. C'est mon salaud de mari et ses amis occultes avec quelques mauvais esprits qui sont responsables de votre cauchemar. » Carl Neely la remercie et la jeune femme disparaît. Il se rendort, mais son cauchemar continue. Cette fois, il est attaché à une chaise, les yeux bandés. Il ne voit rien et il ne peut pas bouger, mais il entend des pas s'approcher de lui. Une voix masculine dit : « Monsieur, vous pouvez oublier une vie normale... Ah!Ah!Ah!Ah! » Carl réalise alors qu'il ne ressent plus ses jambes... Il se réveille brusquement, avec une douleur sourde aux genoux. D'ailleurs, la présence olfactive de la première épouse de son oncle lui confirme sa pensée : c'est clairement une menace de son oncle... Le policier remarque que l'âme de son épouse regarde avec effroi la sorcière. Hana essaie de la chasser, mais rien n'y fait; la Syrienne est trop douce pour faire fléchir la Polonaise. Ce sont Maurice Solms et Karl Pulluow qui apparaissent, encadrent Karen Blavatsky-Neely, qui, de peur, lâche sa victime et disparaît. C'est le pauvre policier qui avait du travail à se remettre de ce coup de vampirisme, qui l'a sérieusement épuisé.
Le lendemain, Carl Neely se rend, en traînant des pieds, devant son bureau, où Paul Eastman l'attend. Les deux amis se saluent. Cette fois, chacun amène son repas du midi, que ce soit des pierogis au chou blanc ou un sandwich improvisé à la dernière minute. Ils décident de lire les journaux de thérapie de Jane Lawrence-Gordon et de Gabriel Lawrence. Dans le bureau, une fois la porte refermée (que le jeune policier barre à double tour), ils sortent leurs icônes portatives de l'Archange Michel (qu'ils appuient contre un classeur), se signent et s'asseyent sur des chaises face à face. Paul sort ensuite d'un grand sac à dos gris plusieurs branches d'aubépines et de saule pleureur; les deux policiers les disposent en cercle autour du bureau pour se rassoient sur leur chaise respective. Carl Neely dépose les deux journaux sur le bureau. Jane Lawrence-Gordon se manifeste dans la pièce, le sourire aux lèvres, contente des précautions prises. Elle-même se déplace dans le cercle formé par les branches des arbres. Paul Eastman dit : – Nous pouvons commencer à lire ces documents...
Carl hoche de la tête. Il dit : – Je lirai le journal de Madame, je vous laisse celle de son fils, si ça ne vous dérange pas...
La première épouse de Thomas Gordon hoche discrètement
– Non, pas du tout... Il semble que Madame Jane Lawrence-Gordon est d'accord avec votre proposition. Alors, oui, j'accepte de lire le journal de thérapie du fils.
Le jeune policier pousse vers son collègue le document en question; à peine les deux hommes ont ouvert leur document respectif, qu'un esprit sombre se manifeste dans la salle : le docteur Andrew Lewis. C'est Jane Lawrence-Gordon qui leur révèle son identité. Il lance à son ancienne patiente un regard noir puis dit d'un air arrogant aux deux vivants : « Vous pensez tout comprendre sans devenir fous ?! Quelle naïveté ! Pauvres vous ! Mais vous avez encore le choix ! À vos risques et périls ! Ah!Ah!Ah!Ah! »
L'esprit fait le tour du bureau en sens anti-horaire, à une quinzaine de centimètres des branches, puis disparaît, aspiré par le souterrain. Et les deux agents de l'ordre lisent les documents en question. Ils comprirent pourquoi la protection était nécessaire : des sombres esprits à l'odeur de moisissure et de viande avariée sortent des journaux, mais comme immobilisés par les branches des arbres, ils disparaissent après une minute. Au moins, Carl Neely et Paul Eastman lisent les journaux de thérapie sans être dérangés. Parfois, Jane Lawrence-Gordon explique certains détails qui ne sont que vaguement mentionnés. Et ils notent leurs conclusions sur des feuilles à la suite de leur enquête sur le demi-frère de Melinda Irène Gordon-Clancy.
Ensuite, après avoir dévorés leur repas du midi, les deux policiers s'attaquent à la lecture des photocopies des dossiers d'archives de l'Asile d'Ottawa. Jane Lawrence-Gordon leur montre certains événements dans des visions. Voici les conclusions auxquelles ils parviennent : Jane voyait les esprits errants, sauf qu'Andrew Lewis tente de la convaincre qu'elle hallucine. Et c'est en accord avec Thomas Gordon en personne. Comme la jeune mère parvenait à convaincre des âmes errantes des anciens patients décédés à l'asile de passer dans la Lumière, le psychiatre s'acharna alors sur elle, la torturant psychologiquement et en essayant de lui voler par voie occulte son don, qu'il trouve fascinant. Pour cela, il essaya divers « traitements », dont les bains froids, les électrochocs et l'hypnose. Et c'est la dernière séance de choc électrique qui fut fatale à Jane Lawrence-Gordon. D'ailleurs, cette dernière sait les traitements que son fils avait alors connu : lobotomie, lavage de cerveau et conditionnement (comme le chien de Pavlov) pour devenir cruel; comme la lobotomie s'est faite par le nez, il n'y a aucune trace de l'opération sur Gabriel. Ce dernier revient encore (amené par Thomas Gordon) chez le docteur Lewis en 1973, alors qu'il était âgé de douze ans. Le gamin, au lieu de jouer les fins de semaine dans le jardin familial lorsqu'il avait terminé ses devoirs pour la semaine à venir, les passait à l'Asile d'Ottawa. Ces visites s'étendaient sur deux ans et trois mois. Gabriel, alors, a appris à « maîtriser » son don, en faisant des âmes errantes qu'il rencontrait ses amis. Ainsi débuta sa carrière de « passeur d'âmes ».
Paul Eastman dit en guise de conclusion : – Voilà ce qui en est pour Gabriel Lawrence ! Comme quoi aucun secret n'est éternel ! Nous pouvons considérer que son cas est réglé, non ?
Carl Neely et Jane Lawrence-Gordon hochent de la tête.
Paul Eastman poursuit : – ... Et qu'il nous reste seulement à creuser un peu plus sur le docteur Andrew Lewis, non ?
Carl Neely répond : – Oui.
Jane Lawrence-Gordon ajoute : – C'est la suite logique de votre enquête, mais soyez très très prudents... Rassurez-vous, je vous aiderai encore, car je ne peux pas vous laisser seuls face à un fauve terrible qui n'attend qu'un faux pas...
Et l'esprit errant disparait. Les deux policiers se quittent. Chacun prend son souper chez soi, avec les leurs (et la travailleuse sociale qui est devenue une bonne et une gardienne d'enfants pour le jeune veuf; elle est traitée comme un membre de la famille).
Depuis un mois, le frère aîné du policier, Radoslav, s'est enfin trouvé une petite copine, une certaine Marianna Radziwiłł, de douze ans sa benjamine. Ils se sont rencontrés alors que le poète revenait de son travail. Il est traducteur de poèmes bulgares pour une maison d'édition d'Ottawa. Radoslav est content : enfin, il ne serait plus seul ! Par contre, il s'inquiète beaucoup pour son jeune frère; ses derniers poèmes sont trop alarmants. Radoslav décide de l'appeler; heureusement, Carl, voyant sur l'afficheur le numéro de son frère, soulève l'appareil et dit en bulgare : – Frère, quelle est la raison de ton appel ?
Radoslav lui répond dans la même langue : – Pour t'avertir d'un danger... Dépêche immédiatement ton derrière policier chez moi !
– D'accord, j'arrive à l'instant !
Et les frères Neely raccrochent leur téléphone respectif. Carl Neely rassure ses enfants, en leur expliquant qu'il doit se rendre chez son frère. Il les embrasse paternellement sur le front puis arrive chez le poète, qui l'attend avec impatience.
Une fois dans l'appartement, l'aîné salue son benjamin et dit en bulgare : – Frérot, avant de te dire mes tristes poèmes, car je ne veux pas être un poète de malheur, voici une bonne nouvelle : je partage mon appartement avec Marianna.
En s'adressant à sa copine : – Marianna, c'est mon frère, Carl.
Marianna à Carl : – Enchanté.
Milena Vladikin-Neely se manifeste à la droite de Carl et dit ironiquement : « N'as-tu pas remarqué qu'elle te dévore des yeux ? » Puis elle demeure silencieuse.
Carl, ignorant les propos de sa mère : – Moi pareillement ! Je suis content pour toi, frère ! Au moins, tu n'es plus seul ! J'espère que la prochaine nouvelle que j'entendrai de ta part, ce sera un prochain mariage.
Radoslav et Marianna à l'unisson : – Nous l'espérons aussi !
Puis le poète dit à sa copine : – Ma chérie, veux-tu me laisser seul avec mon frère ? J'ai quelque chose de très important à lui dire.
Marianna hoche de la tête et se retire discrètement dans la cuisine. De là, elle regarde discrètement les frères Neely.
Radoslav et Carl, eux, sont assis face à face au salon. Entre eux, une table basse en bois laqué, sur laquelle trône deux verres d'eau. Radoslav observe son frère. Il remarque ainsi son air fatigué, son trait pâle et ses cernes. Il dit en bulgare : – Frère, j'espère que tu vas assez bien ? Pas d'ennuis avec les esprits ?
Carl lui répond dans la même langue : – Plus ou moins. J'ai beaucoup d'ennuis avec des menaces d'espions et fatigué de mes cauchemars... Par ailleurs, j'étais souvent hospitalisé au cours des derniers mois, en raison des attentats des tueurs à gages. Mais bon, j'ai choisi d'être policier... Chaque métier ses risques ! Et toi, de ton côté, quelles informations veux-tu me communiquer ?
Radoslav, après s'être éclairci la voix, dit : – Pour être franc, sans faire de la poésie (un petit sourire se dessine brièvement sur ses lèvres), des espions et tueurs à gages veulent par tous les moyens t'avoir de leur côté... La fin justifie les moyens, ce qui n'annonce rien de bon, surtout quand ils ont compris à quel point la mort de ta femme t'as affecté... Ils pensent alors peut-être tuer tes enfants, voire toi-même... Au minimum, te rendre invalide, ce qui est terrible... Sois vigilant quand tu es co-conducteur ! Que Dieu te protège, toi et les tiens !
Carl, d'un ton froid, dit : – Merci, frère ! Mais ne gâches pas ta joie avec moi... Passe une bonne journée avec ta copine !
– De même toi avec tes enfants !
Et le policier revient chez lui, très inquiet pour la menace des espions sur ses enfants.
Maison d'Oswald Neely, 22h50.
Oswald Neely, Vanessa Raka-Neely, Thomas Gordon, Gabriel Lawrence, Joshua Bedford, Belinda Taylor-Bedford et les frères Payne et leurs épouses, se réunissent à nouveau en cercle autour de la photographie de Carl Neely. À eux se joignent Karen Blavatsky-Neely, Lorenzo Romano, Giovani Baldini et Andrew Lewis.
Pourtant, le soir est très agité pour Carl Neely. Il refait le même cauchemar que la nuit précédente. Cette fois, il remarque clairement qu'il a perdu l'usage de ses jambes, ce qui l'enrage. Allongé, ligoté, impuissant, sur un lit d'hôpital, il voit un homme chauve vers la cinquantaine, vêtu comme un paysan, entrer dans... la chambre d'hôpital où Carl se trouve. Comme si ce n'était pas suffisant, la porte s'ouvre dans un grincement infernal, grincement qui lui rappèle un triste événement, mais lequel ? Le mystérieux paysan entre et lui rit méchamment au visage. Il lui crache même au visage. À ce moment, le décor de la chambre d'hôpital s'évanouit et Carl Neely observe une scène de réunion entre le quinquagénaire et quinze autres individus. Sauf qu'ils sont en cercle non pas autour d'une table... Mais autour de lui ! Carl commence à paniquer; son âme parvient in extremis à leur échapper; elle regagne son propre corps, de sorte qu'il se réveille brusquement... Avec une sensation bizarre dans les jambes et un mal de tête terrible. Les âmes d'Hana Nasan-Neely et de Jane Lawrence-Gordon sont dans la chambre, la première à sa place dans leur lit, la seconde près de la porte, le regard tourné vers l'extérieur. Hana dit à son époux que Maurice Solms et Karl Pulluow veillent aussi sur lui, car ce cauchemar est une menace directe de son oncle qui ne démord pas de son idée de le tuer à petit feu.
Le lendemain, Carl Neely et Paul Eastman font une pause de leur enquête : en avant-midi, ils patrouillent à pied certaines rues de Grandview. Chemin faisant, ils saluent discrètement les âmes errantes qu'ils rencontrent depuis des années. Ces âmes se promènent comme si elles sont encore vivantes, à la seule différence que tout le monde les ignore. Elles sont enfin contentes que deux individus (trois, plus Melinda Irène Gordon-Clancy) parlent avec elles. Au cours de cette patrouille, Carl Neely informe son collègue de sa rencontre avec son frère.
Après le midi, ils sont dans leurs bureaux, occupés à des cas locaux. Néanmoins, Carl Neely reçoit la visite de Lorenzo Romano, de Giovani Baldini et du docteur Andrew Lewis. Au moins, il peut identifier le docteur par son odeur de cadavre. Les trois sombres esprits le narguent d'un air arrogant, mais notre policier ne se laisse pas déprimer, sauf à la mention de la mort de sa chère Hana Nasan-Neely, il ne peut s'empêcher de lâcher une larme dans le coin de l'œil. Ennuyé de leurs méchantes moqueries, le jeune policier leur dit d'un ton ferme de cesser tout de suite leurs petits jeux. Les esprits sont étonnés de son audace, mais ils ne peuvent pas s'empêcher de rire de sa peine. Baldini lui réplique : « Monsieur, vos menaces sont vaines ! Les nôtres sont réelles ! Reconnaissez votre impuissance... »
Lewis ajoute ironiquement : « On ne dit pas pour rien que la reconnaissance est le premier pas vers la guérison ! »
Les esprits tournent en sens anti-horaire autour d'un Carl Neely étourdi par leurs odeurs pendant six minutes puis disparaissent, aspirés par le souterrain. Le policier, lui, fixe la porte du bureau pendant quelques minutes, le temps de se remettre de son malaise. Deux esprits sont présents : Hana Nasan-Neely et Maurice Solms. Le passeur d'âmes sourit, car ils savent le calmer. Il pense avec nostalgie à la chanson pour enfants If you are happy, que sa mère adoptive lui récitait souvent. C'était sa première chanson en anglais qu'il avait entendu. Carl pense qu'il l'a oublié, mais voilà qu'elle revient en mémoire.
If you're happy happy happy
clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands, clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands.
If you're angry angry angry
stamp your feet.
If you're angry angry angry
stamp your feet.
If you're angry angry angry
stamp your feet, stomp your feet.
If you're angry angry angry
stamp your feet.
If you're scared scared scared
say, "Oh no!"
If you're scared scared scared
say, "Oh no!"
If you're scared scared scared
say, "Oh no!" Say, "Oh no!"
If you're scared scared scared
say, "Oh no!"
If you're sleepy sleepy sleepy
take a nap.
If you're sleepy sleepy sleepy
take a nap.
If you're sleepy sleepy sleepy
take a nap, take a nap.
If you're sleepy sleepy sleepy
take a nap.
If you're happy happy happy
clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands, clap your hands.
If you're happy happy happy
clap your hands.
Voici la traduction française :
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains, tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Si tu es en colère, en colère, en colère,
tape du pied.
Si tu es en colère, en colère, en colère,
tape du pied.
Si tu es en colère, en colère, en colère,
tape du pied, tape du pied.
Si tu es en colère, en colère, en colère,
tape du pied.
Si tu es effrayé, effrayé, effrayé,
dis : « Oh, non! »
Si tu es effrayé, effrayé, effrayé,
dis : « Oh, non! »
Si tu es effrayé, effrayé, effrayé,
dis : « Oh, non! », dis « Oh, non! »
Si tu es effrayé, effrayé, effrayé,
dis : « Oh, non! »
Si tu es somnolent, somnolent, somnolent,
fais une sieste.
Si tu es somnolent, somnolent, somnolent,
fais une sieste.
Si tu es somnolent, somnolent, somnolent,
fais une sieste.
Si tu es somnolent, somnolent, somnolent,
fais une sieste, fais une sieste.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains, tape dans tes mains.
Si tu es heureux, heureux, heureux,
tape dans tes mains.
Carl Neely, pour sortir de l'hypnose de la chanson enfantine, frappe ses poings sur la table et des pieds (sous la table, pour exprimer sa colère de la visite inattendue des trois méchants esprits). Il sursaute, mais il se reprend.
Hana s'approche de lui; étant donné l'intensité de son odeur, il devine qu'elle est très près de lui, à sa droite, voire même qu'elle pose l'une de ses mains sur son épaule.
Son épouse dit : « Pour continuer sur la thématique des comptines enfantines, n'oublie pas que dans la chanson البلبل والحريه (Le rossignol et la liberté), le rossignol dit que sa liberté ne s'achète pas avec de l'or. »
Carl, ému : « Merci de l'encouragement! »
Hana l'enlace brièvement, gênée par la présence de Maurice Solms.
Le Français commente d'une voix calme : « Il faut parfois se laisser bercer par des comptines... Ça ne ramène pas à l'enfance, mais ça fait changement du sérieux du travail. Votre santé en premier, Monsieur Neely ! »
Le policier hoche de la tête pour lui faire comprendre qu'il a compris son message. Les deux esprits sont silencieux, en face de Carl Neely, qui reprend ses cas locaux.
À la fin de son quart de travail, il revient chez lui, salue ses enfants et la travailleuse sociale. Et, une heure plus tard, ils s'attablent.
Maison d'Oswald Neely, 22h50.
Oswald Neely, Vanessa Raka-Neely, Thomas Gordon, Gabriel Lawrence, Joshua Bedford, Belinda Taylor-Bedford, les frères Payne et leurs épouses, avec l'aide des esprits que sont Karen Blavatsky-Neely, Lorenzo Romano, Giovani Baldini et Andrew Lewis, débutent un sombre rituel autour de la photographie de Carl Neely.
Appartement de Carl Neely.
Le soir est très agité pour le pauvre policier, qui fait un autre cauchemar, comme ses nuits précédentes. Cette fois, il est dans un véhicule, comme co-conducteur. Il ne sait pas qui est le conducteur, qui est un homme en uniforme policier dans le pénombre. Ils sont sur une rue de Grandview. Tout à coup, d'une rue perpendiculaire, un véhicule rouge percute le véhicule du côté où se trouve Carl Neely... Qui se réveille aussitôt en sursaut et en sueur. Il fixe le plafond de la chambre et pense : « Pourquoi moi ? Je comprends qu'il s'agit d'un avertissement... Je me demande pourquoi je suis leur cible ? » Carl Neely soupire. Hana, comme toujours, est à ses côtés. Elle tente de la rassurer. Apaisé, le policier se rendort, dans un sommeil sans rêve.
Le lendemain, Carl Neely se rend devant le bureau de son collègue Paul Eastman. Les deux hommes se saluent. Une fois assis face à face, les esprits errants que sont Karl Pulluow, Maurice Solms, Hana Nasan-Neely, David Neely et Milena Vladikin-Neely se manifestent derrière leur protégé respectif.
Paul dit d'une voix claire : – Carl, mon fils, je propose, si vous le voulez, que nous débutons la dernière partie de notre enquête, c'est-à-dire le docteur Andrew Lewis.
Carl, d'une voix tendue, répond : – Je suis d'accord avec votre proposition, mon père...
Paul, d'un air inquiet : – Êtes-vous sûr d'être en état de poursuivre notre enquête ?
– Oui, je suis seulement nerveux en raison de mes nuits très agitées, qui ne me laissent présager rien de bon...
– Pouvez-vous préciser ?
Carl, d'une voix hésitante : – Oui... Des menaces d'accident de voiture... Et... Des menaces d'invalidité...
Le vieux policier, en regardant attentivement le visage de son interlocuteur, remarque son regard perdu, comme s'il fixait un point au loin, les rides autour de ses yeux qui en dit long sur ses visions oniriques. Mais le plus significatif est sans doute cette expression de peur, mêlée à une sorte de colère, qui peut se lire dans ses mêmes yeux.
Paul, d'une voix calme : – Je comprends alors vos inquiétudes...
Carl passe rapidement sa main droite sur son visage, comme pour chasser des images qui lui arrivent à l'esprit, soupire, puis dit d'un ton sec : – Merci de votre compréhension ! Mais je ne veux pas votre pitié ! On reprend le travail ?
Paul, toujours d'une voix calme : – Exactement... Il s'agit d'enquêter sur le docteur Lewis... Pour ce faire, je propose de faire une recherche dans les archives d'Ottawa et de ses hôpitaux – heureusement, la ville ne compte que trois hôpitaux, à savoir l'Hôpital Général, l'Hôpital Notre Santé et l'Hôpital George MacMerpherson.
Carl Neely hoche de la tête.
Paul continue : – La question est de savoir qui conduit aujourd'hui ? C'est à votre tour, car la dernière fois, c'était moi.
Carl hoche de la tête, le regard dans le vide, perdu dans ses pensées. Il pense : « Retour à l'enquête... Retour à des mauvais souvenirs... Mais lesquels ? Depuis quand une porte grinçante te fait peur ? Carl, tu n'es pas une poule mouillée ! Sois plus courageux ! Prouve que tu es un homme ! »
Paul, remarquant son regard absent, commente : « Alors, vous ne m'écoutez pas ? Arrêtez de divaguer dans vos pensées... On se concentre ! »
Surpris du ton quasi militaire de son collègue, le jeune policier sursaute et bredouille des excuses, le regard baissé.
David Neely, comme s'il a lu les pensées de son fils, intervient : – Fiston, je sais que tu veux savoir ce traumatisme de la satanée porte grinçante... Et bien, je vais te dire la réponse à ta question : la porte qui a ainsi grincé, c'était celle du centre d'adoption de Grandview, lorsque les travailleurs sociaux vous ont amené, ton frère et toi... J'étais certain que tu avais oublié ce détail ! Et comme apparemment, ton âme est très fine, tu vois ça comme un traumatisme... Voilà ! Sinon, courage ! N'abandonne pas la partie, mon fils ! Sache que tu es la fierté de tes parents !
Et le pilote serre la main droite de son épouse. Silence.
Paul Eastman se racle la gorge et reprend d'une voix calme : – Merci, Monsieur David Neely... À la blague, avec un si bon jugement, n'aviez-vous pas pensé faire une réorientation de carrière et devenir psychologue ?
Le concerné, d'un air faussement pensif, répond : – Je n'y a pas pensé... Je préfère dire que je suis un ancien pilote d'avion.
Paul : – Bon ! Revenons aux choses plus sérieuses ! Carl, je propose que vous conduisez jusqu'à... l'Hôpital Général d'Ottawa et que nous y allons à l'instant. Êtes-vous d'accord ?
Son jeune collègue répond d'un signe de tête affirmatif en pensant : « Comme si j'ai le choix... »
Carl ajoute : – Puis-je prendre alors un café supplémentaire ?
– Bien sûr ! Je vous le prépare à l'instant ! Heureusement, j'ai de tout dans mon bureau !
Et Paul Eastman se lève de sa chaise pour allumer une machine à café qui trône sur une petite table dans le coin de son bureau. Et il demande : – Un espresso, simple ou double ?
– Double...
– D'accord.
Une fois le café terminé, Paul tend à son collègue un sucrier et une petite cuillère. Carl sucra son café et le boit d'un trait.
Après avoir nettoyé sommairement les tasses, les deux agents de l'ordre s'assurent d'avoir tout ce qui est nécessaire, puis quittent le bureau.
Carl Neely, se sentant mieux après le café, conduit le véhicule de fonction. Paul Eastman est co-conducteur, tandis que Maurice Solms, Karl Pulluow, David Neely et Milena Vladikin-Neely sont sur les sièges arrières. Ils sont à deux doigts d'être victimes d'un accident, mais heureusement, le jeune policier ralentit le véhicule, ayant reconnu le lieu qu'il a vu en rêve. De sorte que le véhicule rouge qui aurait heurté celui de la police est passé une minute avant. « L'important, » pense Carl Neely, « c'est d'avoir beaucoup de chance et d'être vigilant... » Et il continue normalement la route.
Une fois rendus à la réception de l'Hôpital Général d'Ottawa, trois sombres esprits puants les attendent : Lorenzo Romano, Giovani Baldini et le docteur Andrew Lewis. Ils ont un sourire moqueur aux lèvres, sourire qui s'efface dès que Maurice Solms et Karl Pulluow apparaissent derrière leurs protégés. Mais Romano ne se laisse pas décourager par leur présence : il lance d'une voix caverneuse « Rira qui rira le dernier, Signor [Monsieur] Neely ! » Puis les trois méchants esprits errants disparaissent, aspirés par le souterrain. Mais les deux policiers ne se laissent pas intimider par la menace sous-entendue. La réceptionniste, étonnée de les voir à nouveau, leur demande la raison de leur venue. Ils lui montrent à nouveau leurs cartes d'identité et le papier signé de leur supérieur, en précisant qu'ils voudront avoir accès aux archives concernant les employés de l'Asile. La femme jette un coup d'œil rapide sur des papiers qu'elle sort de son tiroir, compose un numéro de poste et dit : « C'est Lucie, à la réception, deux policiers qui veulent avoir accès aux archives des membres du personnel. Est-ce que vous leur accordez la permission, Monsieur le Directeur ? C'est quelle salle, déjà ?... Oui, oui... Deux secondes. »
Elle place sa main sur le microphone de l'appareil et chuchote aux deux agents de l'ordre : « S'il vous plaît, montrez-moi à nouveau vos cartes d'identité. »
Ils déposent leurs cartes sur le comptoir; ils trouvent cette procédure bizarre, mais ils ne disent rien.
Karl Pulluow dit : « La réceptionniste communique avec le directeur général de l'Hôpital, car ils enverront des hommes armer pour liquider Monsieur Neely... Soyez très prudents, mes amis. » L'esprit errant fait un salut militaire et se tient silencieux à la droite de Paul Eastman.
La réceptionniste au téléphone : « Voilà, ces policiers travaillent à Grandview. Leurs noms : Paul Eastman et Carl Neely... D'accord. Merci. Passez une bonne journée ! Au revoir ! » Elle raccroche le téléphone et dit : « Messieurs, vous pouvez consulter les archives des membres du personnel. Ces archives se situent dans l'aile F au sous-sol. Et, voici la clé ! » La secrétaire remet à Carl Neely une vieille clé en or usée, ainsi que leurs cartes d'identité. Celui-ci saisit promptement la clé et les cartes. Et redonne à Paul la sienne (qui la range rapidement dans son portefeuille). Puis les deux policiers la remercient. Accompagnés de leurs esprits errants, ils se rendent dans les archives en question. Devant la porte, ils sortent leurs icônes portatives pour y prier rapidement, se signent puis la remettent dans la poche de leurs pantalons d'uniforme. Le jeune policier met la clé dans la serrure. Un esprit apparaît derrière son dos : Andrew Lewis. Carl fait mine de rien. Il tourne la clé et ouvre lentement la porte. Cette dernière grince avec un bruit terrible, le même bruit que son traumatisme d'enfance... Il s'efforce de rester de marbre, malgré les pensées qui se bousculent dans sa tête. Andrew Lewis est maintenant à sa gauche et lui souffle toute sorte de pensées, dont une du genre « Tu sais ce qui arrivera à tes enfants si tu franchis cette porte... »
Maurice Solms dit à l'esprit-psychiatre : « Monsieur, laissez-le tranquille ! »
Karl Pulluow s'approche du docteur Lewis et dit d'un ton militaire : « Arrière, collaborateur de Mengele ! »
Andrew Lewis disparaît de la vue et du nez des deux policiers. Ces derniers entrent dans les archives et appuient sur l'interrupteur. Carl range la clé dans l'une des poches de son uniforme. Les quelques ampoules produisent une faible lumière, projetant les ombres des nombreuses toiles d'araignées poussiéreuses sur le sol et entre les étagères.
Karl Pulluow commente : – Ce lieu est sinistre... Attention ! Attaque armée dans cinq minutes !
Les deux policiers s'entr'observent. Ils décident de se diriger d'un pas rapide vers les étagères. Paul scrute les documents sur les étagères les plus près de l'entrée, Carl Neely ceux des étagères les plus au fond. Heureusement, il n'y a que dix rangées. Chacun sort une lampe de poche pour pouvoir lire les titres des documents. L'autre main est près de leur arme de fonction.
Cinq minutes plus tard, sept hommes habillés comme des docteurs, se pointent devant la porte des archives. Paul Eastman les a immédiatement repéré. Il serre son arme de fonction. Les sept hommes entrent, mais les deux policiers sortent des rangées d'où ils se sont cachés, leurs lampes de poche pointées vers eux, les aveuglant. Mais l'un d'eux, clairement possédé par le docteur Andrew Lewis, se ressaisit et dit en anglais : « Messieurs, que faites-vous ici ? Vous saviez que personne ne doit entrer dans les archives sans autorisation ! »
Paul Eastman et Carl Neely répondent à l'unisson : – Nous le savons ! Et nous avons l'autorisation, en tant qu'agents de l'ordre !
Paul Eastman ajoute d'une voix calme : – Et vous, que faites-vous ici ?
– Ça ne vous regarde pas !
Les sept hommes sortent rapidement des armes à feu, qu'ils pointent sur les deux policiers. Ceux-ci lèvent leurs armes à leur tour. Silence. Silence lourd. Des esprits errants sont indéniablement présents : Karl Pulluow, Maurice Solms, Lorenzo Romano, Giovani Baldini, mais aussi sept autres esprits à l'odeur désagréable. La tension est palpable. Tous ont leur index appuyé sur la gâchette de leur arme. Les esprits, eux, regardent le déroulement des événements et observent discrètement les autres esprits présents. Temps mort, car chacun sait que le prochain qui tire ne doit pas rater sa cible. Le silence s'éternise. Le pseudo-docteur possédé par Andrew Lewis tire sur les jambes de Carl Neely, l'atteignant au genou gauche. Ignorant la douleur, le policier réplique en tirant près des pieds, mais sans l'atteindre. L'homme recule. Les autres répliquent, sauf que le jeune policier s'est rapidement caché entre les étagères. Paul Eastman, toujours l'arme levée, barre le chemin à celui qui a blessé son collègue, et dit d'une voix forte : « Messieurs, je vous conseille de vous rendre ! Vous saviez qu'il est imprudent de s'attaquer à un agent de l'ordre ! Haut les mains ! Tout de suite ! »
Les sept hommes s'entr'observent (comme les Titans dans Hercule lorsque Zeus montre à son fils comment il foudroie ses ennemis), mais celui possédé par Andrew Lewis dit : « Il faut les arrêter ! Je ne plaisante pas ! » Et il s'avance un peu à l'avant, les six autres en demi-cercle derrière lui. Karl Pulluow et Maurice Solms derrière eux, en train de taquiner Romano et Baldini, taquinerie qui tourne à une petite guerre. Une attaque entre esprits, une menace entre vivants. Carl Neely, qui a compris qu'il est leur cible, en traînant sa jambe gauche, rejoint son collègue, l'arme à la main. David Neely, inquiet pour son fils, apparaît entre les deux policiers et dit : « Fiston, retire-toi immédiatement ! Tu es déjà blessé... » Le policier pense : « Je n'ai pas les couilles molles ! »
L'esprit pilote soupire et disparaît de la vue et du nez des passeurs d'âmes. Définitivement, Carl est incorrigible... Mais il est leur fils.
Heureusement pour nos policiers, Karl Pulluow et Maurice Solms parviennent à mettre en fuite les mauvais esprits. Cette victoire les encourage. Carl Neely se dirige vers un téléphone pour communication interne, puis compose le numéro de la réception (inscrit sur une feuille à côté du téléphone). Mais l'homme possédé par Andrew Lewis lève son arme sur lui, l'atteignant au poignet droit, le forçant à lâcher le combiné, qui cogne contre le mur. Le jeune policier recule et tire aux pieds de l'homme ; Paul Eastman s'approche de lui et le désarme. Les six autres tirent vers le vieux policier, qui se trouve blessé à l'avant-bras gauche, car il n'a pu éviter la balle, malgré les avertissements de l'esprit militaire. Et Paul passe des menottes à l'homme possédé et le pousse devant lui. Les six autres fixent Carl Neely comme s'il était un morceau de viande bien cuit... Le concerné leur jette des regards noirs, très courroucé.
Paul Eastman, après s'être éclairci la voix, dit calmement : « Messieurs, déposons tous immédiatement nos armes. Mon collègue et moi sommes venus pour une enquête... Et vous ? Si vous avez des comptes à régler, parlez avec nous, entre hommes, sans armes. Ceci vous convient ? »
L'homme menotté répond d'une voix grave : « Non ! »
Karl Pulluow commente : « Il veut coûte que coûte tuer Monsieur Neely... Au moins, le rendre invalide... Hommes sans cœur ! Suppôts de Satan ! » Et l'esprit errant se signe puis fait un salut militaire aux deux policiers.
Les six autres répondent d'une seule voix : « Non ! Réglons nos comptes puis nous vous laissons mener votre enquête ! »
Et ils commencent à murmurer entre eux.
Paul Eastman s'exclame d'une voix retentissante : « Déposons donc tous nos armes et expliquez-vous ! »
Tous sont silencieux.
L'homme menotté ajoute : – Oui, mais à condition, Monsieur Eastman, que vous nous laissez avec votre collègue Neely... C'est une longue histoire entre nous... N'est-ce pas, Carl ?
Pulluow et Solms font des signes de tête négatifs. Le jeune policier, étonné de cette familiarité et de cette impolitesse, le foudroie du regard. Andrew Lewis se tient à sa gauche, lui murmure quelque chose à l'oreille, lance un regard moqueur aux deux policiers puis disparait de leur vue.
Paul Eastman hésite, mais garde un air froid. Il évalue la situation : soit il laisse son collègue avec des gens malintentionnés; soit il récupère toutes leurs armes (mais ils peuvent toujours en cacher d'autres sous leur déguisement) et quitte la pièce; soit il se retire discrètement entre les étagères, afin de les avoir à l'œil. Il préfère la dernière option.
Le silence est lourd. Paul dit d'un air grave : – Messieurs, voici ce que je vous propose: je vous laisse régler votre histoire avec Monsieur Neely, mais en laissant sur la table ici (il indique une table qui se trouve contre un mur, qu'il peut voir lorsqu'il est dans le rang central) TOUTES vos armes... Et moi, je ferais mon enquête en cherchant les documents qui m'intéressent. Ceci vous convient ?
L'homme menotté répond : – Monsieur Eastman, vous ne semblez pas comprendre une chose...
Paul : – Laquelle ?
– Un règlement de comptes se fait sans aucun témoin...
– À moi de vous répliquer : Pourquoi alors êtes-vous sept ? Il y a six témoins en trop...
– Bien vu, Monsieur, mais n'essayez pas de vous montrer plus malin !
– Dites-le : je suis un vieux renard...
– D'accord, Monsieur Eastman-le-vieux-renard ! Vous vous moquez de moi ?
– Non, c'est sérieux. Premièrement, calmez-vous, inspirez, expirez, c'est ça... Ensuite, vous pouvez discuter avec mon collègue Neely, SANS arme, tandis que vos six autres amis et moi, nous quitterons la salle et nous vous attendrons à l'extérieur.
L'homme menotté hurle : – Non !
Paul Eastman, d'une voix toujours aussi calme : – Si vous persistez, moi, je débute mon enquête le temps que vous réglez votre histoire... Par contre, que je ne vois pas que vos six amis se déplacent trop ou font preuve de trop de violence. Sinon j'appelle des renforts policiers, car j'ai des contacts dans la police d'Ottawa, compris ?
– Oui !
Le vieux policier s'approche de lui et ôte les menottes. Les sept esprits sombres qui accompagnaient les sept hommes tournent autour de Carl Neely, qui ne sourcille pas. L'homme frotte ses poignets endoloris. Paul en profite pour déposer toutes les armes (car il les fouille pour être sûr qu'ils ne gardent pas d'armes sur eux), et chemin faisant, raccroche le téléphone qui est suspendu à son fil.
Karl Pulluow dit : « Ne vous inquiétez pas, Monsieur Eastman. Je vous avertirais s'il arrive de quoi à votre collègue. Je préfère avoir à l'œil ses salauds de vivants et d'esprits... Leur intérêt pour Monsieur Neely n'annonce rien qui vaille... »
Paul dit, en regardant son collègue et les sept hommes réunis devant lui : – Bonne entente, Messieurs !
Et il se dirige vers les étagères, sa lampe de poche à la main. L'homme s'avance vers le jeune policier. Les six autres l'encerclent. Le policier serre son icône portative dans sa poche.
L'homme, sous l'influence du mauvais esprit qui l'accompagne, dit : – Carl, est-ce que tu te souviens de moi ?
Carl Neely répond : – Non...
Maurice Solms commente : – C'était un camarade de classe qui s'était moqué de vous au primaire... Il est un officier instructeur des cadets de l'Armée canadienne. Les autres, eux, ont intégré les Forces armées canadiennes.
– Tant pis pour toi, fils de...
Milena Vladikin-Neely, offusquée de l'offense, lui serre la gorge, faisant en sorte qu'il étouffe. L'homme tousse pendant deux minutes, puis se ressaisit. La mère, fâchée, se tient, avec son époux, près de leur fils. Elle commente simplement: « Probablement qu'il parle ainsi de sa mère. »
L'officier instructeur ajoute : – D'accord, Carl, puisque tu n'as pas une si bonne mémoire...
Il s'approche à quelques centimètres du visage du policier qui ne sourcille pas, mais recule seulement de quelques pas. L'un des militaires le pousse devant.
Carl Neely hésite : que va-t-il faire ? Le commentaire du Français lui ravivent les souvenirs des moqueries des autres enfants, des souvenirs qu'il croyait avoir oublié... Des pénibles souvenirs, car les moqueries ont toujours plus ou moins terminé par une bataille, des nez saignants, des ecchymoses et des hématomes... Sa mine s'assombrie. Mais il soutient le regard de son interlocuteur. Il ne voulait surtout pas baisser la tête devant lui (même s'il ignore son nom).
L'officier instructeur, d'un air moqueur, lui chuchote : – Alors, petit Carl, tu as bien grandi entre-temps...
L'interpellé le foudroie du regard.
L'officier instructeur continue : – Ainsi, tu es policier... Hmm... Intéressant... Pour... Éviter d'être sous la tutelle de parents qui ne...
Carl Neely, offusqué, réplique d'un sévère : – Pouvez-vous vous taire au lieu de dire des inepties ?
– Reconnais-le que j'ai raison...
– Jamais ! Dégagez, calomniateur, de ma vue ! J'espère ne plus vous rencontrer ! Du reste, je ne vous ai rien fait... Pourquoi voulez-vous me tuer... Qu'avez-vous contre moi ? Pouvez-vous enfin me laissez en paix !?
– Vous voyez, il le reconnaît ! Misérable vermine en uniforme !
– Je peux très bien dire la même chose pour vous, Monsieur...
Karl Pulluow intervient : – L'officier instructeur des cadets de l'Armée canadienne...
Carl Neely : – ... l'officier instructeur des cadets de l'Armée canadienne.
L'un des militaires intervient : – Il est quand même au courant... Qui vous a informé, vermisseau ?
Carl Neely, un sourire malicieux : – J'ai des gens qui me tiennent au courant.
– Qui ?
– Franchement... Ce n'est pas une interrogatoire...
L'officier reprend la parole : – Assez de blagues ! Passons aux choses plus sérieuses...
L'un des militaires le saisit, tenant les mains du policier derrière son dos (de sorte qu'il lâche son icône portative, qu'il laisse glisser dans sa poche). Un autre le force à s'agenouiller; Carl lui donne un coup de pied, mais un autre militaire le maîtrise. Voilà notre policier, encadré par deux militaires, agenouillé malgré la douleur au genou gauche et au poignet droit. Les esprits regardent la scène entre les vivants : les méchants qui accompagnaient les militaires sourient; ceux qui accompagnaient Neely sont déçus.
Karl Pulluow avertit Paul Eastman, qui se dirige à pas de loup vers le téléphone, profitant du fait que les militaires sont absorbés par la scène d'humiliation du jeune policier. Paul appelle immédiatement la police en expliquant brièvement la situation à voix basse.
Carl Neely, lui, est blessé aux jambes avec des couteaux suisses que les militaires ont rapidement sortis de sous leur blouse de docteur. La victime serre les dents pour le pas hurler de douleur. Carl tente de se débattre, mais ses efforts sont vains, car l'officier instructeur lui écrase les pieds pour l'immobiliser. Notre policier pense : « Pourquoi reviennent-ils me hanter avec ses mauvais souvenirs ? J'ai l'impression que l'histoire se répète même après dix ans... Ah ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que j'ai fait pour qu'ils me persécutent ainsi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un destin si malheureux ? » Il préfère rester stoïque, tant qu'il est conscient.... Il ferme ses yeux, pris de vertige en raison du sang qui sort de ses blessures...
Tout à coup, une dizaine de policiers d'Ottawa et deux ambulanciers font irruption dans la pièce. Ceci surpris les sept hommes qui lâchent immédiatement leur victime, en la jetant sur le sol comme un sac de pommes de terre. À moitié conscient, le jeune policier s'écrase sur le sol. Paul Eastman leur explique du mieux qu'il peut la situation et les remercie de leur rapide intervention. Les ambulanciers, transportent le blessé sur une civière pour le transférer dans une salle d'urgence, pour que ses blessures soient examinées par deux docteurs. Conclusions : blessures superficielles et graves aux jambes. Le policier doit alors se reposer cinq jours dans une chambre d'hôpital avant de reprendre toute activité. Carl Neely passait son temps à prier devant son icône portative, surtout lorsque ses soirs étaient assez agités. Au moins, ses parents étaient à son chevet « pour rassurer leur fiston » comme ils le disent; c'est le policier qui soupire : il n'est plus un enfant depuis longtemps... C'est simplement bizarre de se faire rassurer par ses propres parents qui ont le même âge que lui. Pour rappel, Carl Neely a vingt-huit ans. Lorsqu'ils sont décédés, son père avait vingt-sept ans, sa mère vingt-quatre. C'est le policier qui leur rappelle gentiment qu'il est veuf et père de trois enfants... David Neely lui réplique : « Mais tu restes notre fils, peu importe ton âge ! »
Paul Eastman, lui, pendant ce temps, fouille les archives des membres du personnel de l'Asile d'Ottawa, mais aussi celles de l'Hôpital Notre Santé et de l'Hôpital George MacMerpherson. Il est agacé par la présence du docteur Andrew Lewis. Sauf que le policier de Grandview ne se laisse pas décourager. Karl Pulluow et Maurice Solms parviennent à le mettre en fuite. Au moins, il trouve tous les documents sur le psychiatre (qu'il lit attentivement, par ailleurs; les informations manquantes sont vues en rêve ou dans des visions accordées par des esprits observateurs). Et Paul Eastman attend avec impatience que son jeune collègue se rétablisse pour l'informer de la suite de leur enquête.
Le 18 septembre 2001, Carl Neely est enfin sorti de l'hôpital. Son collègue lui donne une accolade amicale et paternelle. Et les deux policiers reviennent à Grandview. C'est Paul Eastman qui conduit en silence pour mieux se concentrer sur la route. Une fois revenus dans la station de police de Grandview, des esprits (Jane Lawrence-Gordon, Andrew Lewis, Lorenzo Romano et Giovani Baldini) et des vivants (Sam Blair, Christopher Smith et Arthur Davidson) les saluent. Par politesse, ils leur rendent leurs salutations en s'excusant de ne pas avoir plus de temps pour discuter avec eux, car ils ont une enquête à terminer. Et nos deux policiers se rendent au bureau de Paul Eastman. Ils s'asseyent face à face; Karl Pulluow et Maurice Solms se manifestent à leurs côtés, pour les encourager. Et le policier plus âgé explique à son jeune collègue les dernières informations qu'il a trouvé concernant le docteur Andrew Lewis.
Voici les informations les plus pertinentes. Le docteur Andrew Lewis est né le 3 mars 1925 et mort le 12 avril 1994 à Ottawa. Il est diplômé d'un Doctorat en médecine à l'Université d'Ottawa en 1952. Il était parfaitement bilingue, parlant couramment le français et l'anglais. Il travaillait à l'Asile d'Ottawa depuis la fin de ses études, mais aussi à la Mental Illness House (aujourd'hui l'Hôpital Notre Santé) en 1955 et à la Severe Mental Illness Care (aujourd'hui l'Hôpital George MacMerpherson) en 1959. Avec le docteur Calvin Byrd (de la Washington University), de 1960 à 1965, il met au point des méthodes thérapeutiques (qui sont en réalité, des techniques de contrôle mental). Évidemment, les électrochocs, lobotomies, bains froids, flagellations, hypnoses, entre autres pratiques de l'époque, sont répertoriés parmi les moyens de cure des patients et des patientes. Le docteur Lewis collabora aussi avec le docteur François Janet (de l'Université du Québec à Montréal) dans les années 1980 à 1987 (puis de 1988 à 1990 s'ajoute le docteur Byrd) pour perfectionner des méthodes de contrôle mental et pour faire des expérimentations sur des patients jugés incurables. De ses nombreuses expérimentations, le docteur Lewis a écrit des volumes qui sont publiés par les Ottawa University Presses. Quant à ses relations avec ses patients, il était cruel, apathique, froid. Bref, un monstre qui voulait faire des autres des monstres à son image.
« Mon fils, » dit Paul Eastman en guise de conclusion, « il ne nous reste seulement (face de parler) qu'à chercher sur les docteurs Calvin Byrd et François Janet. Je propose que nous nous accordons une semaine de pause avant de reprendre, pour être sûr de bien digérer les informations. »
Carl Neely hoche de la tête. Et chacun revient chez soi, content d'avoir régler une enquête de plus. Les esprits errants approuvent la proposition : eux aussi, ils veulent un peu se reposer de la présence des collaborateurs de Mengele.
Sauf qu'au cours de la semaine de pause, Carl Neely n'a pas les nuits tranquilles, car il est menacé par Romano et sa compagnie.
À suivre.