De feu et de braise (Diluc x Varesa)
Je n’avais jamais eu autant envie de disparaître dans un buisson.
Le souffle encore court, les joues en feu, je restai figée une seconde, incapable de dire quoi que ce soit. Chaque battement de mon cœur vibrait jusque dans mes tempes, et mes doigts tremblaient encore à l'endroit où il avait frôlé ma peau. Diluc, lui non plus, ne bougeait pas. Sa main avait quitté ma nuque, mais mon corps en gardait l'empreinte. L’air autour de nous, saturé de tension brûlante et d’électricité douce, s’était évaporé comme un rêve trop fragile au réveil brutal.
Chasca avait appelé nos prénoms, sa voix claire perçant le silence avec une précision presque cruelle. Elle disait qu’on avait besoin de nous. Elle ne s’était pas approchée, mais cette simple injonction avait suffi à faire éclater notre bulle, à ramener brusquement la réalité entre nous.
Je me redressai, maladroitement, encore sonnée par la rupture du moment. Une frustration sourde, presque douloureuse, me tordait le ventre. Qu’est-ce que j’étais en train de faire ? Qu’est-ce qu’il aurait fait, lui, si nous n’avions pas été interrompus ? Et moi, jusqu’où serais-je allée ? Le feu dans mes joues ne voulait pas s’éteindre.
Je n’osai pas croiser son regard. Lui, toujours aussi impassible, essuyait ses mains sur son pantalon avec cette lenteur étudiée qu’il prenait lorsqu’il tentait de masquer un trouble. Il toussota, se redressa enfin et dit simplement :
— On devrait y aller.
Je hochai la tête sans répondre. Mes jambes tremblaient légèrement. Mais j’emboîtai le pas.
Nous fîmes le trajet en silence jusqu’à la plage, où le reste du groupe s’était réuni sous les palmiers penchés. Le sable tiède crissait sous nos pas, et l’air était chargé de sel, de sucre et de cette odeur typique de fête qui s’étire. Le soleil déclinait doucement, peignant les vagues d’or pâle. Une grande couverture avait été installée près d’un rocher plat, couverte d’assiettes de fruits juteux, de tartelettes brillantes et de boissons pétillantes aux reflets d’agrumes. On aurait dit une carte postale, figée dans une atmosphère suspendue — sauf pour mon estomac, qui, pour une fois, n’avait pas faim. Noué, contracté par une frustration confuse, il ne réclamait rien. Mon cœur, lui, battait encore trop vite, pris dans une course que je ne contrôlais pas, comme si mes pensées, mon corps et mes souvenirs refusaient de s’accorder.
Mualani nous fit un clin d’œil en nous voyant approcher, mais n’ajouta rien. Elle avait ce talent rare de savoir quand ne pas poser de questions. Ce qui ne l’empêcha pas de nous désigner deux places côte à côte, avec une innocente désinvolture.
Je m’assis en silence, le cœur battant à tout rompre, tentant de garder une contenance malgré la chaleur qui me brûlait encore la nuque. Mon regard fuyait instinctivement ses mains, ses épaules, ses lèvres, mais mon esprit, lui, s’y accrochait désespérément. Diluc s’installa à côté de moi, sans un mot, mais je sentais la tension qui raidissait chacun de ses gestes. Son dos était droit, trop droit, sa mâchoire contractée, et ses bras croisés sur son torse comme un rempart. Il fixait un point indéfini dans les feuillages, mais je savais — je sentais — qu’il luttait autant que moi pour ignorer la distance infime entre nos deux corps. Une tension invisible, presque électrique, semblait s’accrocher à l’air entre nous, suspendue comme un souffle retenu.
Et c’est à ce moment-là que Chasca réapparut.
Elle arrivait d’un pas rapide, le regard légèrement plissé, les sourcils froncés comme si elle venait de courir après quelque chose. Ou quelqu’un. Elle appela nos prénoms avec urgence.
Mais elle n’était pas seule. Derrière elle, une silhouette familière avançait à grands pas. Ce n’est que lorsqu’il se rapprocha, que son profil se découpa dans la lumière tombante, que je fis le lien. Les cheveux bleu nuit attachés en queue basse, la cape qui battait au vent, et surtout cette aura confiante mêlée d’un soupçon de nonchalance... Je n’avais jamais vu Kaeya de mes propres yeux, mais je n’eus aucun doute : c’était lui. Celui dont Diluc avait parlé du bout des lèvres.
Mon cœur se serra. Je n’avais jamais rencontré Kaeya, mais je l’avais entendu mentionner. Souvent. Le meilleur ami de Diluc. Son frère de cœur, disait-on. Pourtant, alors qu’il s’approchait, une étrange sensation monta en moi. Une gêne diffuse, presque imperceptible, comme si une brume s’était installée entre mon estomac et ma poitrine. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi, mais je n’étais pas ravie de le voir. Quelque chose en moi se tendait, comme si son arrivée avait interrompu plus qu’un simple moment. C’était irrationnel, injustifié — et pourtant, là, vibrant sous ma peau.
Kaeya s’approcha, son pas léger contrastant avec la tension presque palpable qui semblait s’abattre autour de lui. Lorsqu’il posa les yeux sur moi, ce fut bref… mais trop long pour être innocent. Il me détailla comme on jauge quelqu’un d’un peu trop proche, avant d’arborer un sourire en coin, charmeur, mais chargé d’une ironie mesurée.
— On dirait que j’arrive au bon moment. Ou peut-être pas, lança-t-il à Diluc d’un ton à la fois badin et calculé, son regard glissant de moi à lui avec une acuité dissimulée.
Diluc se leva aussitôt, le corps tendu comme une corde d’arc, le dos droit, la mâchoire serrée. Une ombre venait de passer sur ses traits — comme si quelque chose en lui venait de se verrouiller.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
— Mondstadt a été attaquée. Par l’Abîme. Hier soir. On pense qu’ils préparaient une diversion à Natlan. Donna a été blessée... grièvement.
Le silence s’abattit d’un coup. J’avais à peine entendu ce prénom que déjà le froid me prenait. Donna ?
Je jetai un regard à Diluc. Il ne cligna pas. Son visage resta figé, mais un bref tressaillement passa dans ses traits, comme un souffle de vent trop discret pour déranger les feuilles, mais assez pour que je le sente. Son poing se serra, lentement, ses phalanges blanchissant à peine. Je ne connaissais pas cette Donna, ni ce qu’elle représentait pour lui, mais la tension qui raidissait ses épaules me révéla qu’elle avait eu sa place. Une place importante. Une pointe d’amertume surgit dans ma poitrine, incontrôlable, sourde. Peut-être parce que je ne savais toujours pas ce que je voulais être pour lui, ni ce qu’il avait vu en moi dans cette source chaude, quelques heures plus tôt.
Kaeya, lui, m’observait du coin de l’œil, toujours ce demi-sourire aux lèvres. Quelque chose vibrait dans son regard. Quelque chose de plus que de la simple méfiance. Un éclat difficile à saisir, comme une hésitation teintée de malaise. Je n'aurais su dire si c'était du scepticisme ou un trouble plus personnel, mais son regard avait perdu sa légèreté.
Je détournai les yeux, soudain très consciente de la tension entre eux. Et de mon propre trouble, toujours là, brûlant sous ma peau. Le souvenir de la main de Diluc dans ma nuque, de sa respiration dans mon cou, revenait par flashs incontrôlables. Et je n’avais aucune idée de ce que ça signifiait, ni ce que j’étais censée en faire.
Chasca croisa les bras.
— Il faut qu’on réagisse vite. Si l’Abîme frappe sur deux fronts...
Mais je n’écoutais déjà plus. Mon cœur battait trop fort. Ma gorge était sèche. Et quelque part, au fond de moi, une petite voix murmurait : pourquoi maintenant ? Pourquoi toujours maintenant ?
Je baissai les yeux. Diluc ne me regardait plus. Kaeya, lui, me fixait. Et tout ce que j’avais failli vivre un instant plus tôt semblait à nouveau hors de portée.
Comme si l’univers se plaisait à remettre chaque chose à sa place.
Et moi, je ne savais même plus où était la mienne.