De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 12 : Diluc et Varesa

2917 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 17 jours

Partie 1 - Diluc


Je ne savais pas vraiment pourquoi j'avais posé cette question. "Tu veux essayer de te souvenir ?" C'était sorti avec une douceur que je ne me connaissais pas. Peut-être parce qu'au fond, j'avais besoin qu'elle se souvienne. Pour ne pas être le seul à porter ce moment. Pour savoir si ce que j'avais ressenti était partagé, ou juste un dérapage sans lendemain.


Son hochement de tête m’ébranla plus que je ne voulais l’admettre. Elle voulait se souvenir. Et moi, j’en crevais d’envie.


Je l’ai conduite à l’écart, dans un renfoncement tranquille où la végétation filtrait la lumière. Le ruissellement des sources couvrait le silence gêné entre nous. Varesa s’est assise sur une pierre plate, les jambes repliées sous elle, les bras entourant ses genoux. Je suis resté debout quelques secondes, à l’observer. Son profil était baigné d’ombre et de lueurs dorées, comme une esquisse hésitante entre le rêve et la réalité.


Je me suis assis à côté d’elle, pas trop près. Mon cœur battait fort, et malgré l’air tiède, je sentais une chaleur brûlante monter le long de ma nuque. Mon esprit cherchait les mots, le bon ton. Pas celui d’un stratège. Pas celui d’un noble. Quelque chose de plus sincère. De plus fragile.


— Tu veux que je te dise ce qu’il s’est passé ?


Elle acquiesça sans un mot, ses yeux fuyants. Je pris une inspiration, puis laissai mes pensées se dérouler, avec lenteur.


— Je t’ai retrouvée plus loin, seule dans un petit bassin. Tu étais allongée contre les bords, la tête penchée, les bras écartés. Tu regardais le ciel comme si tu étais ailleurs. Ton maillot… rouge corail... Tu étais… Il t’allait si bien. Il mettait en valeur tes formes avec une élégance inattendue. Cette couleur — la mienne — semblait avoir été créée pour toi.


Je fis une pause. Elle restait silencieuse, les paupières baissées. Mon regard, lui, n’arrivait pas à quitter son visage.


— Tu étais belle, Varesa. Vraiment belle. Et je n’étais pas prêt à ressentir ça. Pas dans ce contexte. Pas comme ça. Tu ressemblais à un rêve. Loin de tout ce que je croyais désirer. Et pourtant...


Je ris doucement, nerveusement. Elle ne bougea pas. Mais je sentais que chaque mot pénétrait quelque part, dans sa mémoire, ou dans sa peau.


— Tu m’as parlé de flans, dis-je en souriant. De nuages qui en avaient la forme. Ta voix était lente, rêveuse… presque enfantine. Puis tu t’es tournée vers moi. Et tu m’as touché.


Je me rapprochai lentement d’elle, réduisant la distance entre nos corps, jusqu’à ce que nos genoux se frôlent. Puis, avec une lenteur presque cérémonielle, je tendis la main et l’approchai de sa cuisse. Mes doigts effleurèrent sa peau juste au-dessus du genou, là où je me souvenais que sa main s’était posée sur moi. Elle frissonna, et ce frisson remonta le long de mon propre bras comme une onde incontrôlable. Je poursuivis mon geste, remontant doucement le long de sa jambe puis de son bras, du bout des doigts, reproduisant exactement la trajectoire qu’elle avait empruntée, dans un silence chargé d’électricité.


— Tu as posé ta main sur moi. Et… tout a changé. Ce n’était pas la première fois qu’on était proches. Mais là, il y avait quelque chose. De brûlant. D’instinctif. De dangereux.


Je marquai un temps, plongeant dans ses yeux

.

— Tu as dit que j’étais mignon quand je fais semblant d’être sérieux. Et tu t’es penchée vers moi. Ton front a frôlé le mien. J’aurais dû m’éloigner. J’aurais dû dire quelque chose. Mais j’étais figé. Complètement.


Je rapprochai doucement mon front du sien. Pas pour l’embrasser. Pour lui montrer. Recréer. Sentir si elle s’en souvenait. Je pouvais sentir son souffle contre ma joue. Mon ventre se noua.


— Tu t’es approchée encore. Tu m’as dit… que tu te demandais si j’embrassais aussi bien que je me battais.


Je ne pouvais pas dire ces mots sans ressentir cette étrange brûlure dans ma poitrine. Même maintenant, leur souvenir éveillait en moi une tension presque douloureuse. Mon ventre se contractait, ma respiration s’alourdissait, comme si mon corps se souvenait mieux que moi. C’était trop intime. Trop chargé. Trop elle.


— Je me suis demandé si tu plaisantais. Mais ta voix… ce regard…


Je laissai mes doigts remonter lentement sur son bras, juste assez pour réveiller la mémoire. Juste assez pour ne pas briser le moment. Mon autre main se posa derrière moi, comme pour me retenir de tomber en avant.


— Tu t’es penchée encore. Ton souffle a effleuré ma peau, juste dans le creux de mon cou…J’étais figé. Mais ton sourire avait un éclat étrange. Tes gestes n’avaient plus la vivacité désinvolte qui te rend unique. C’était comme si tu glissais hors de toi-même, comme si ce moment, aussi intense soit-il, n’était pas tout à fait réel. Et moi, incapable d’y croire totalement, je restais là, immobile, entre vertige et lucidité.


Je m’éloignai un peu, le cœur battant, comme pour faire baisser cette tension brûlante qui montait en moi. L’espace entre nous n’était pas grand, mais suffisant pour retrouver un semblant de contrôle. Je tentai de calmer mon souffle, de refréner l’élan insensé qui menaçait de me faire franchir les limites. Elle avait besoin de respirer. Moi aussi.


— Alors je t’ai demandé si tu étais sûre. Si c’était ce que tu voulais. Mais tu n’as pas répondu. Tu t’es penchée encore. Et là, j’ai vu ton regard se troubler. Puis… tu t’es figée. Et tu es partie.


Le silence revint, plus lourd qu’avant. Mon cœur tambourinait. Mes paumes étaient moites.


— Tu as disparu d’un coup. Tu es sortie du bassin, sans un mot. Et j’ai su que quelque chose n’allait pas. Je t’ai suivie. Tu étais pâle. Tu tremblais. Et puis, tu as vacillé. Tu t’es effondrée. J’ai eu peur. Une peur froide.


Je baissai les yeux vers mes mains. Celles qui l’avaient portée.


— Je t’ai prise dans mes bras. Tu étais brûlante, mais tu ne disais rien. Endormie ou inconsciente. Je ne sais pas. Je t’ai ramenée jusqu’à la chambre d’amis. Et je suis resté là un moment. Je t’ai regardée dormir. Et j’ai pensé à tout ça. À toi. À moi. À ce moment suspendu.


Je m’interrompis. L’air me manquait un peu. Le dire ainsi… c’était plus difficile que je l’imaginais.

Puis je levai les yeux vers elle. Je pouvais voir la tension dans ses épaules, dans sa mâchoire. Mais aussi quelque chose de plus… fragile. Un trouble qu’elle ne cherchait même plus à cacher.


— Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Je voulais que tu saches. Que tu comprennes. Que tu choisisses maintenant, avec tous les éléments.


Je passai une main dans mes cheveux, essayant de calmer mon souffle.


— Ce moment… je ne sais pas ce qu’il était. Mais il m’a marqué. Plus que je ne veux bien l’admettre. Et je ne peux pas faire semblant que ce n’est pas arrivé.


Je me tus. Et j’attendis. Mon cœur, encore suspendu. Mon corps, tendu comme un arc. Je voulais qu’elle dise quelque chose. Ou qu’elle agisse. Mais je n’osais rien demander.

Je voulais qu’elle se souvienne. Et qu’elle choisisse.

Et si elle tendait la main, cette fois, ce serait en pleine conscience.


Partie 2 – Varesa


Je crois que je n’ai jamais été aussi nerveuse de ma vie. Même les fois où j’avais failli faire exploser la marmite du verger à cause d’un excès baies de quenetier  me semblaient douces, presque ridicules, à côté de ce moment-là.


Quand j’ai hoché la tête pour lui dire que j’étais prête, je ne savais pas vraiment à quoi je disais oui. Pas totalement. Mais mon ventre s’était noué. Pas comme quand j’ai faim — ça, c’est un gargouillis franc, bien sonore. Non, là, c’était une boule. Une sorte de vertige, qui se logeait sous ma poitrine, juste à côté de ce truc qui battait trop vite. Mon cœur ? Peut-être.


Je l’ai suivi dans un coin un peu à l’écart, à peine à l’abri des regards, mais assez pour qu’on s’y sente seuls. Il y avait cette lumière douce qui filtrait entre les feuilles, un ruissellement d’eau tout proche, et moi, assise sur une pierre un peu rugueuse, à essayer de me rappeler ce que j’avais bien pu faire. Ou dire. Ou être.


Diluc s’est assis à côté de moi. Pas trop près. J’ai senti son hésitation. Il avait l’air aussi troublé que moi. Peut-être plus encore. Quand il a commencé à parler, j’ai eu l’impression que le monde ralentissait, que chaque mot résonnait trop fort, trop clair, comme une flèche tirée droit dans mon ventre.


Il a décrit la scène. Moi, seule dans le bain. Le ciel. Les nuages. Mon maillot rouge corail. Mon maillot... Je baissai les yeux sur mes jambes repliées. Je n’avais pas réalisé, sur le moment, à quel point ce rouge-là ressemblait à celui de son manteau. À ses cheveux. Pourquoi j’avais mis ça, déjà ? Ce n’était pas le plus joli. C’était même un peu banal. Mais à l’idée qu’il ait remarqué... qu’il ait trouvé ça joli... j’ai senti mes joues chauffer. Littéralement.


Puis il a dit que j’étais belle. Juste comme ça. D’un ton calme, presque détaché, mais ses yeux disaient autre chose. Je n’ai pas pu les soutenir. Je ne savais pas quoi répondre. Belle ? C’était le genre de mot qu’on réservait aux filles élégantes, qui marchaient avec grâce, qui ne tombaient pas de leur qucusaure dans la boue. Pas à moi.

Il a continué. Ma voix. Les flans. Les nuages. Je me suis revue, vaguement, dire n’importe quoi. Comme toujours. Mais dans sa bouche, ça sonnait différemment. Comme si mes absurdités avaient de la valeur. Comme si je l’avais fait sourire. J’ai souri aussi, sans m’en rendre compte.


Puis il s’est rapproché. Ses genoux ont frôlé les miens. Ma peau s’est mise à picoter. Et quand sa main a effleuré ma jambe... j’ai eu une sorte de choc électrique. Pas douloureux. Juste... intense. Mon cœur s’est mis à cogner dans mes tempes. Ses doigts remontaient, lentement, le long de ma cuisse, puis de mon bras. Pas comme une caresse. Plutôt comme une reconstitution. Mais mon corps ne voyait pas la nuance.


Je me suis tendue, incapable de bouger. Ma bouche était sèche. Mon ventre contracté. Et pourtant, je ne voulais pas qu’il s’éloigne. Je ne comprenais rien. Tout allait trop vite, et en même temps, chaque seconde traînait comme un soupir retenu.


Il a parlé de mon regard. De mes mots. De cette phrase... sur les baisers. Et là, j’ai cru mourir. Mon front s’est mis à brûler. Mon cœur a raté un battement. Moi ? Dire ça ? Mais en même temps... c’était possible. Je sentais, dans mon ventre, une sorte de chaleur nouvelle, inconfortable mais pas désagréable. J’avais envie de me cacher. Et en même temps, j’avais envie de comprendre. D’aller jusqu’au bout.


Il a rapproché son front du mien. Mon souffle s’est bloqué. J’aurais voulu reculer, mais mes muscles refusaient d’obéir. Je ne savais pas si c’était de la peur. Ou autre chose. Une attirance ? Un vertige ?


Quand il a parlé de mon souffle dans son cou, j’ai ressenti cette sensation dans mon propre corps. Comme un écho. Une chaleur sourde, une tension diffuse qui descendait lentement le long de mon ventre. Ce n’était pas la faim. Ce n’était pas la peur. C’était autre chose. Nouveau. Un appel plus profond, plus enfoui. Quelque chose de vivant.

Et j’ai compris. Pas avec ma tête. Avec mes nerfs, ma peau, mes entrailles. J’avais voulu qu’il m’embrasse. Ce soir-là. Même si je ne m’en souvenais pas, mon corps, lui, s’en rappelait. Une évidence étrange et tendre, qui vibrait encore dans ma chair.


Mais alors... pourquoi étais-je partie ?


Il l’a expliqué. Mon regard troublé. Mon départ. Ma chute. Il avait eu peur pour moi. Il m’avait portée. Dans ses bras. Jusqu’à ce lit où je m’étais réveillée. Et pendant qu’il me racontait tout ça, j’avais l’impression que mon ventre s’ouvrait. Que mes émotions débordaient.


J’étais touchée. Honteuse. Curieuse. Et surtout, perdue. Je voulais revivre ce moment et qu’il se termine comme il aurait du se terminer. Mais pas droguée. Pas floue. Pas incertaine. Je voulais savoir ce que ça faisait. Pour de vrai.


Je tournai la tête vers lui. Mon regard chercha le sien. Et là, sans comprendre pourquoi, j’ai souri. Pas comme une malice. Un vrai sourire. Timide. Troublé. Peut-être un peu trop sincère.


Je ne savais pas ce qu’il fallait faire maintenant. Mais je savais que je voulais rester près de lui. Encore un peu.

Partie 3 – Diluc


-       Est-ce que tu pourrais me montrer ?


Varesa avait enfin fini par s’exprimer. Ses mots résonnèrent un instant, suspendus entre nous comme un battement d'aile. Je crus d'abord mal comprendre. Varesa me regardait avec une expression indéfinissable, entre la gêne, l'espoir, et une forme de confiance qui me troubla plus que je ne voulais l'admettre.


— Tu veux que je te montre...


Je n'achevai pas. Peut-être ne le fallait-il pas. Son hochement de tête, timide mais affirmatif, confirma ce que je redoutais et désirais tout à la fois. Elle ne savait pas ce que cela signifiait exactement, mais elle voulait savoir. Sentir. Comprendre.


Je pris une inspiration lente, profonde, pour garder le contrôle. Je n'avais pas le droit de me tromper. Pas avec elle. Pas maintenant.


Je posai une main légère sur son dos, au creux de ses reins, et l'attirai doucement vers moi. Elle se laissa faire. Son corps était tendu, mais il ne reculait pas. Lorssque nos corps commencèrent à se toucher, elle frissonna. Moi aussi.


Je me rappelai chaque détail. Le bassin de pierre, la lumière diffuse, le silence à peine troublé par l'eau. Mon propre trouble. Sa main sur mon genou, ses mots inattendus. Elle ne s'en souvenait pas. Mais moi, je m'en souvenais pour deux.


À travers mes gestes, je voulais qu'elle ressente ce que j'avais ressenti. Lentement, je fis remonter ma main de ses reins à sa nuque, mélange de prudence et d'évidence. Elle pivota vers moi. Nos genoux se frôlèrent. Le monde sembla se contracter autour de nous.


Je la regardai. Elle était belle. Pas seulement à cause de son visage, ou de ses courbes que le hasard soulignait trop bien. Non, belle comme une chose rare et indomptable, trop sincère pour être feinte. Sa vulnérabilité était une force. Et cela me bouleversait.


Je fis glisser mon pouce le long de sa gorge, juste un effleurement. Elle ferma les yeux. Sa respiration accéléra. Mon cœur aussi. Ma main libre glissa lentement dans ses cheveux, puis s'arrêta dans le creux de sa nuque. Nos visages étaient proches. Trop proches. Mon souffle se mêlait au sien.

Elle ne disait rien. Elle attendait. Et moi, je tremblais à l'idée de mal faire, de brusquer, de lui voler un moment qu'elle ne voudrait pas. Alors je m'arrêtai. Juste un instant. Je cherchai son regard.


Ses yeux étaient ouverts. Fixés aux miens. Immenses.


Alors je me penchai. Doucement. Ma main dans son dos l'accompagna, avec toute la retenue du monde. Mes lèvres effleurèrent les siennes, à peine un souffle, une promesse. Elle se pencha aussi. Notre premier baiser fut une présence. Un frisson. Un aveu silencieux.

Mais avant que nos bouches ne se rejoignent vraiment...


— Varesa ! Diluc ! Vous êtes là ? On a besoin de vous !


La voix de Chasca, forte et agacée, déchira l'instant. Comme un poignard dans un voile de soie.

Varesa se figea. Moi aussi. Ma main glissa, lente, de sa nuque à son épaule. Elle recula d'un centimètre. Puis d'un autre. J'avais toujours cru qu'on pouvait figer le temps. Mais pas ce genre de temps-là.


Elle ne dit rien. Moi non plus. Mais mes doigts se souvenaient d'elle.


Et son regard me hanta longtemps après que le moment eut disparu.

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