De feu et de braise (Diluc x Varesa)
Quand j’ouvris les yeux, tout tournait un peu. La lumière tamisée de la chambre m’agressa les pupilles, et j’eus immédiatement envie de refermer les paupières. Mon ventre gargouilla bruyamment et la nausée m’assaillit avec un sérieux goût de regret. J’étais allongée sur un canapé, toujours en maillot de bain — collant, froid — et une odeur étrange flottait dans l’air. Un mélange de confiture, de sueur, et de... champignon ?
Assise sur le rebord du lit en face, jambes croisées et sourire aux lèvres, Mualani m’observait avec l'air d'une mère oiseau qui attend que son oisillon tombe du nid.
— Ah, elle ouvre les yeux ! Bien dormi, la tourneuse de cœurs ?
Je tentai de me redresser, le front moite et les idées encore flottantes.
— Je… qu’est-ce qui s’est passé ?
— Oh, trois fois rien. Tu t’es goinfrée de champignons hallucinogènes. T’avais déjà englouti la moitié du plateau avant que je puisse t’arrêter. J’ai voulu t’en parler, mais pouf ! Trop tard.
Je blêmis.
— Tu plaisantes ?
— Pas du tout. Tu t’es évanouie, les jambes en l’air et le sourire béat. Un vrai festival. Heureusement, Diluc était là. Il t’a portée dans ses bras comme une princesse et on t’a installée ici. Tu ronflais comme un bébé koholasaure.
— Quoi ?! Diluc ?
Mon cœur fit un triple salto, mal réveillé mais très motivé à paniquer. Mes mains s’agrippèrent au canapé.
— Attends… je me suis… j’ai fait quoi ? Il a vu… tout ?
Mualani haussa les épaules avec un sourire taquin.
— C’est toi qui sais. Je ne t’ai pas suivie partout, hein. Mais disons qu’il avait l’air… troublé, en revenant. Vraiment troublé. Et pas du genre "Oh non, elle a vomi sur mes bottes", non. Plus… "Je ne sais pas quoi faire de ce que je ressens".
Je m’enfouis le visage dans les mains.
— J’ai fait une bêtise. Une grosse. Peut-être même plusieurs. J’ai dit n’importe quoi, c’est sûr. J’ai peut-être... oh non. Je lui ai touché la main ? Le torse ?! Est-ce que j’ai tenté de l’embrasser ?!
Mualani gloussa.
— Il n’a rien dit. Mais je suis sûre que ce moment à deux l’a marqué.
Je levai un regard épouvanté vers elle.
— Il va me détester. Je suis morte. Morte et enterrée. Et en maillot, en plus.
— Tu sens encore un peu le champignon, admit-elle en se pinçant le nez. Va te rafraîchir dans la salle commune. Tes habits sont dans un sac sur le banc, à gauche. Et lave-toi bien les dents.
Je sortis de la chambre, la tête bourdonnante, les jambes molles. Je priai pour ne croiser personne. Mais évidemment, quand j’ouvris la porte de la salle de bain, ce fut pour tomber nez à nez avec Diluc.
Il était déjà habillé, droit comme une colonne de pierre volcanique. Ses yeux écarlates s’écarquillèrent brièvement, puis il détourna aussitôt le regard. Son visage sembla se figer dans une neutralité trop rigide.
— Varesa. Bonjour. Est-ce que… tu te sens mieux ?
— Je crois…
Sa voix était posée, polie. Trop polie. Il ne me regardait pas dans les yeux. Il fixait un point quelque part au-dessus de ma tête. Ses gestes étaient tendus, précis. Il se déplaçait comme un soldat sur une corde raide. Et malgré moi, j’étais fascinée par cette retenue presque fébrile. Je sentais qu’il faisait des efforts pour rester digne. Mais quelque chose dans son regard — ce bref éclair fuyant, cet évitement trop net — me troubla plus que je ne voulais l’admettre.
— Merci de… m’avoir ramenée hier soir, balbutiai-je.
Il hocha la tête, esquiva mon regard, puis sortit de la pièce avec un « prends ton temps » à peine audible.
Je restai là, figée, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Une chaleur étrange me monta aux joues. Il ne me regardait pas comme avant. Il semblait gêné, troublé, presque distant. Avais-je fait quelque chose ? Est-ce qu’il me trouvait ridicule ? Vulgaire ? Avais-je été… collante ? Trop tactile ? Avais-je osé… le toucher ? Lui parler bizarrement ? L’embrasser ?
Une partie de moi aurait voulu savoir. Une autre priait pour ne jamais le découvrir. Et pourtant, au fond, une question me taraudait : pourquoi son trouble me touchait autant ? Pourquoi avais-je si peur de l’avoir déçu ? Et pourquoi… pourquoi, en repensant à son regard fuyant, à sa voix grave, à ses gestes crispés… pourquoi mon corps réagissait-il ainsi ? Mes mains tremblaient un peu, mes joues brûlaient, et une chaleur confuse s’éveillait au creux de mon ventre. C’était une sensation nouvelle, déroutante, presque vertigineuse. Comme si mon corps se souvenait d’un frisson qu’il n’avait jamais eu consciemment.
Je me lavai vite, me rhabillai et rejoignis la grande salle pour le petit-déjeuner. L’odeur du pain chaud, des fruits cuits et des infusions me fit saliver, malgré la nausée résiduelle. Autour de la table, Chasca, Diluc et Mualani discutaient tranquillement. Enfin… Mualani discutait. Chasca avait les bras croisés et une expression pincée, les yeux fixés sur moi comme si j’étais une bouteille d’hydromel explosée.
Diluc, lui, se raidit légèrement quand je m’approchai. Il me salua d’un signe de tête, mais n’ajouta rien. Et moi, je n’osais pas le regarder plus d’une demi-seconde. Il y avait une tension étrange entre nous. Quelque chose de palpable. Comme une étincelle suspendue entre deux battements de cœur. Et j’avais chaud. Terriblement chaud. Comme si mes mains gardaient encore en mémoire une chaleur interdite.
Je m’assis à côté de Mualani, tentant de paraître naturelle, alors que mon estomac dansait la samba et que mes pensées ressemblaient à un puzzle éparpillé. Je sentais parfois les yeux de Diluc glisser vers moi, furtivement. Et à chaque fois, une chaleur nouvelle m’envahissait, étrange, incontrôlable. Mon corps réagissait avant même que je comprenne pourquoi. Une sorte de tension sous ma peau, comme une onde sourde, persistante. Ce n’était pas juste de la gêne, c’était… autre chose. Un besoin étrange, instinctif, un magnétisme inexplicable.
Mualani me servit une assiette bien remplie avec un clin d’œil complice.
— Mange. Tu dois reprendre des forces. Et qui sait, peut-être que certaines images te reviendront.
Je la fusillai du regard, les joues rouges, mais elle rit de plus belle.
Chasca, elle, me lança un regard acéré. Et je ne pus m’empêcher de remarquer son bras posé un peu trop près de celui de Diluc, comme une menace silencieuse. Elle était belle. Droite. Toujours impeccable. Et pourtant… ce matin-là, il y avait une crispation sur son visage. Quelque chose qui ressemblait à… de l’agacement ? De la jalousie ?
Je n’en étais pas sûre. Mais moi, j’avais une certitude : quoi qu’il se soit passé hier soir, ça avait changé quelque chose.
Et ce quelque chose brûlait encore dans le regard que Diluc tentait de dissimuler.
Comme pour en rajouter une couche, Mualani laissa "tomber" une cuillère entre moi et Diluc. Quand je me baissai pour la ramasser, il le fit en même temps. Nos doigts se frôlèrent, et un frisson me traversa toute entière. Lui, recula aussitôt, comme s’il s’était brûlé.
— Pardon, murmurâmes-nous en chœur, avant de nous replier chacun de notre côté.
Je n’avais aucun souvenir. Mais mon corps, lui, semblait en avoir gardé quelques traces…