De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 6 : Diluc

1475 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Le ciel de Natlan avait cette lumière : orange et sèche, comme s’il y avait du feu dans les

nuages et de la poussière dans les vents. Alors que nous quittions le verger de Varesa, mon

esprit était agité. Je gardais les yeux fixés sur l’horizon, et notre nouvel objectif en tête. Suite

à l’arrivée de Chasca, nous avions tous les trois décidé d’atteindre les Sources afin de

prévenir Mualani.

Droite et confiante, Chasca ouvrait la marche. Je l’écoutais parler stratégie, cartographies ou

encore alliances, mais malgré moi, mon ressenti oscillait entre l’admiration et la gêne. Depuis

tout ce temps, elle n’avait pas changé : toujours belle, élégante, précise... presque

intimidante. Sa présence avait quelque chose d’électrique, d’incontestablement séduisant.

Ses gestes étaient nets, sa voix assurée, sa silhouette athlétique parfaitement mise en valeur

par sa tenue de combat. Une beauté maîtrisée, presque millimétrée.

Je me rappelai la première fois où j’avais rencontré Chasca, de notre première nuit ensemble,

au domaine de l’Aurore : une soirée étrangement douce, mais qui avait été suivie de

lendemains pesants. Avec elle, tout était toujours très bien organisé, même nos silences. Et

moi... j’avais fui, la laissant sans nouvelles pendant plusieurs mois, pas tout à fait

honnêtement, pas tout à fait proprement. Nous ne nous étions jamais recroisés avant ce

jour-là.

Et malgré le temps passé, je n’étais pas insensible à son magnétisme. Sa peau luisait

légèrement sous le soleil, et sa façon de bouger, toute en... me frappait encore. Elle savait

être désirable. Elle le savait même trop bien. Et c’est peut-être cela qui me retenait. Tout

semblait pensé, maîtrisé. Un tableau trop parfait, trop encadré. J’avais goûté à cette intensité

autrefois, avec curiosité et fougue, et j’en étais ressorti éteint.

À la lisière d’un bosquet, deux qucusaures surgirent de la végétation. Immenses, aux plumes

cuivrées et aux serres puissantes. Varesa ouvrit la bouche — sans doute pour poser une

question — mais n’émit aucun son.

Chasca s’en approcha aussitôt et flatta le cou du plus grand.

— Ce sont des qucusaures de patrouille. Ils peuvent nous mener rapidement aux Sources. Tu

ne sais pas monter ? Je m’en doutais. Diluc, grimpe avec moi. Je te guiderai.

Sa voix n’admettait pas le refus. J’haussai un sourcil, puis, par politesse ou facilité, j’acceptai.

Elle monta derrière moi, ses bras effleurant les miens pour diriger les rênes.

Le contact me mit mal à l’aise. Ce n’était pas désagréable, non. Chasca avait cette chaleur

calme, maîtrisée, presque enveloppante. Le parfum de sa peau, musqué, relevé d’herbes et

de cendres, me rappela une époque révolue où je croyais pouvoir me perdre dans des bras


solides pour oublier le poids de ma famille. Il aurait été facile de céder à cette sensation.

Mais aujourd’hui, je n’avais plus besoin de tout cela. Il y avait quelque chose d’artificiel dans

la proximité de Chasca, comme une mise en scène. Il y avait trop de contrôle dans chacun de

ses gestes. Je ressentais une attraction réelle, oui, mais stérile, tenté par l’enveloppe mais

presque repoussé par le fond que j’avais pu entrevoir il y a quelques années.

Et pourtant... je ne pouvais nier que son corps contre le mien éveillait en moi des souvenirs

précis, sensuels, presque brûlants. Je me rappelais ses mains sur moi, la précision avec

laquelle elle me guidait autant au combat qu’en intimité. Une part de moi, charnelle,

réagissait encore à elle. Mais c’était un feu bref. Un éclat sans lendemain.

Je ne dis rien. Je regardai droit devant.

À ma droite, j’aperçus Varesa, hésitante face à l’autre monture. Elle scrutait le qucusaure

avec un mélange de curiosité et de prudence. Sa manche dégoulinait encore d’une odeur

sucrée — de la confiture, sans doute — que l’animal semblait repérer avec enthousiasme.

Elle tenta de grimper, ses jambes battant l’air, puis manqua de glisser en arrière. Elle

s’agrippa, les sourcils froncés, très concentrée.

Un sourire me vint. Pas moqueur, plutôt presque attendri. Elle luttait contre la monture

comme contre ses propres maladresses. Totalement imparfaite, mais avec une sincérité

désarmante.

— Il faut t’imposer, lança Chasca, la voix tranchante. Ils sentent les hésitations.

Je vis Varesa redresser la tête, peut-être pour se montrer fière, mais le qucusaure se tortilla

et elle vacilla.

Je serrai les rênes. Chasca posa une main sur la mienne.

— Elle n’est pas de taille pour ce genre de mission, murmura-t-elle.

Je ne répondis pas. Sa remarque me heurta. Bien plus que je ne l’aurais cru.

Nous nous envolâmes. Le paysage défilait en dessous, un tapis de jungle et de rivières

entrecoupé de pierres rougeâtres. Chasca me parlait tactique, alliances possibles, Mualani. Je

hochais la tête, mais mon regard glissait régulièrement sur Varesa, qui tanguait à l’arrière de

sa monture, luttant pour garder l’équilibre.

Et puis elle rit. Un son clair, éclatant, libre. Je me figeai un instant. Elle riait d’elle-même.


Je ne comprenais pas pourquoi elle me plaisait. Physiquement, elle ne correspondait à rien

de ce que j’avais toujours cru apprécier. Trop vive. Trop rose. Trop inattendue. Son corps tout

en courbes, ses gestes imprévisibles, ses yeux pleins de malice — tout en elle semblait

inclassable. Là où tout en Chasca semblait dessiné pour séduire, Varesa échappait à toute

logique. Rien en elle ne respirait l’élégance froide ou la retenue mesurée. Et pourtant, elle

avait cette façon d’être là sans artifice, entière, désarmante.

Chasca se pencha vers moi.

— Tu devrais te concentrer sur ce qui est essentiel.

Je tournai légèrement la tête vers elle, mes yeux redevenant de braise.

— Je sais ce qui l’est.

Elle se redressa, piquée, et se mura dans un silence froid.

Je ne voulais plus de perfection. Je ne voulais plus de silences contrôlés. Ce que je cherchais,

c’était cette flamme qui vacillait dans les gestes maladroits de Varesa. Quelque chose de

vivant. D’imprévisible. De vrai.

Même si le regard de Chasca me troublait encore, même si la tension de son corps me

rappelait des sensations anciennes, je savais. Ce n’était pas ce dont j’avais besoin. Pas elle.

Pas encore.

Je voulais vivre quelque chose qui m’échappe. Qui me surprenne. Qui me secoue. Et Varesa...

elle ne faisait aucun effort pour être désirée. Elle l’était sans le savoir.

Elle me jeta un regard. Décoiffée, essoufflée, mais souriante. Un sourire honnête, accroché

de travers. Ce n’était pas un sourire séducteur, ni même un appel à l’attention. Elle ne faisait

aucun effort pour être désirée. Mais je crois qu’elle l’était à mes yeux sans le savoir.

Je lui rendis un hochement de tête bref, presque automatique. Et pourtant... ce simple

échange avait un poids inattendu. Il me frappa au creux du ventre, sans que je comprenne

pourquoi.

Sous nos montures, le relief changeait. Les arbres cédaient peu à peu la place à des

formations rocheuses, et l’air se chargeait de brume sulfureuse. Les Sources n’étaient plus

très loin. Mais mon esprit, lui, restait accroché à un détail idiot : le désordre de ses cheveux.

Le pli de ses vêtements. Cette tache de confiture sur sa manche qu’elle n’avait même pas

remarquée. Comment quelque chose d’aussi banal pouvait-il m’obséder autant ?

À mes côtés, Chasca s’était tue. Son silence pesait. Je sentais la tension dans ses bras, dans sa

posture redevenue impeccable. Comme si elle s’était refermée d’un coup, murée dans une


fierté piquée. Je ne savais pas ce qu’elle avait vu — dans mon regard, dans mes silences —

mais je n’osais pas demander.

Je ne comprenais pas ce qui m’agitait.

Varesa n’avait rien à voir avec ce que j’avais toujours recherché. Rien de ce que j’avais cru

désirer. Elle était chaotique, maladroite, imprévisible. Trop vive, trop instinctive, trop

différente. Et pourtant... j’étais constamment en train de la suivre des yeux. De guetter ses

réactions. De chercher à comprendre pourquoi elle m’accrochait autant.

Peut-être n’y avait-il rien à comprendre. Peut-être que c’était juste une distraction. Une

curiosité.

Je tentai de me convaincre.

Les crêtes des Sources de Natlan apparurent enfin, noyées dans des volutes de vapeur. Le

moment de poser pied à terre approchait.

Je redressai le dos. Rassemblai mes pensées. Il y avait une mission. Une menace. Un but à

poursuivre.

Le reste... attendrait.

Laisser un commentaire ?