De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 4 : Diluc

1800 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Le souffle court. Les bras alourdis. L’odeur de cendre, de sang tiède et de métal brûlé emplissait mes narines. Le ciel au-dessus de moi s’était teinté d’un rouge noir, et sous mes pieds, rien. Juste un sol craquelé, sec, presque cendré.

Mon épée vibrait encore de l’impact.

Ils étaient là. L’Abîme. Toutes ces immondes créatures, en cercle autour de moi ; un cercle sans fin. Des silhouettes sans visage, leurs corps grouillant d’une énergie noire et corrompue. Je frappais. Encore et encore. Chaque coup me semblait dérisoire, chaque mouvement, ralenti. Et puis... une voix.

— Reviens...

Je me retournais. La brume se fit plus dense. Et au milieu, une silhouette familière.

Varesa.

Mais ce n’était pas elle. Ses yeux, d’un violet d’ordinaire lumineux, avaient pâli, presque terni. Son sourire était absent. Elle tendait la main vers moi, mais ses bras semblaient se dissoudre en particules. Elle se tenait là, fragile et irréelle.

Je l’entendis hurler mon nom.

Puis elle s’effaça.

Je me mis à courir. Trop tard. Trop lentement... Le sol se dérobait sous moi, et une dernière note aiguë, presque un cri, vrilla mes tempes.

Je me réveillai en sursaut, le souffle bloqué dans la gorge, la main crispée sur la garde de mon épée. Mes cheveux collaient à mon front dégoulinant de sueur. Je restai ainsi, haletant et ostensiblement désorienté. Il me fallut du temps pour retrouver et identifier à nouveau les odeurs de la vie réelle : l’humus tiède du verger, la douceur des fruits, et une odeur un peu âpre… L’haleine de Vanana ! Mes vêtements, comme mes cheveux, étaient froissés, humides… et collés ! Pas étonnant que je sente son haleine : Vanana avait bavé allègrement sur ma tunique.

Je soupirai, en silence. J’étais dans un état peu présentable, mais après tout, j’étais vivant. Et elle aussi.

À côté de moi, Varesa dormait encore. J’avais dû m’endormir avant elle. Elle était restée là après avoir travaillé dans le verger et avait visiblement fini par s’endormir elle aussi. Sa chevelure rose s’étalait en boucle sur le sol, encadrant son visage complètement détendu. Sa bouche, un peu entrouverte, laissait entendre un ronflement très léger. Une de ses petites cornes pointait vers le ciel, et sa joue était légèrement aplatie contre le tissu. Je pris le temps de l’observer un instant.

Ses vêtements colorés formaient presque un capharnaüm, un mélange de différents tissus, textures, pompons, bandages, et même pansements colorés. Sa jupe — si on pouvait appeler ça une jupe — semblait composée d’autant de couleurs que son caractère. Impossible d’imaginer un accoutrement pareil dans la cité de Mondstadt, et pourtant, il y avait une douceur dans cette exubérance. Une innocence. Elle avait l’air... paisible. Presque enfantine.

Et belle, d’une manière singulière.

Je ne sais pas combien de temps je restai là à l’observer. Peut-être une minute. Peut-être dix. Je n’osais pas bouger. Je craignais que le moindre souffle la réveille et brise ce moment suspendu.

Cette fille… n’était ni calme, ni discrète, ni prudente. Elle courait au-devant du danger avec l’énergie d’un éclair. C’était tout juste si elle n’était pas en train de grignoter d’énormes tartines de confiture dégoulinante en pleine attaque abyssale.

Et elle m’avait sauvé la vie. Sans doute l’être le plus étonnant que j’aie croisé jusqu’ici.

Je me surpris à me demander ce qu’elle voyait en moi. Et pourquoi sa présence calmait mes ombres.

Je baissai les yeux, les poings légèrement crispés sur mes genoux.

Pourquoi ?

Pourquoi son image refusait-elle de quitter mes pensées ?

À cet instant, un gargouillement sonore fendit le silence.

Je sursautai. Puis tournai lentement la tête vers elle. C’était… son ventre. Il avait parlé.

Un coin de mes lèvres se releva malgré moi, et un sourire, léger, m’échappa. Voilà qui tranchait avec l’instant. Mais étrangement... cela me réchauffa.

Une part de moi se surprit à l’imaginer en train de rire de la situation.

— Vraiment ?

Vanana choisit ce moment pour se redresser, s’étirer, et bondir en couinant vers les rangées d’arbres. Oups, j’avais visiblement pensé à voix haute. L’animal, bien réveillé à présent, déclenchait un remue-ménage de feuilles et de fruits devant moi...

Varesa émit un grognement ensommeillé. Puis tourna la tête vers moi, un œil à demi ouvert.

— Il est quelle heure ? marmonna-t-elle.

— Le soleil se lève. Et… ton estomac a parlé.

Elle sourit, puis roula sur le dos en baillant, les bras au-dessus de la tête.

— Il a toujours été plus matinal que moi.

Je ne pus m’empêcher de l’observer encore. Il y avait, dans la manière dont elle se frottait les yeux et s’éveillait au monde, une sorte de franchise et d’innocence que je n’avais vues sur personne depuis des années.

Je m’apprêtais à prendre la parole pour lui rappeler notre programme du jour — se rendre à Mondstadt pour prévenir l’Ordre du retour de l’Abîme —, mais elle se redressa, les cheveux ébouriffés dans tous les sens.

Son regard croisa le mien, et je crus y lire une étincelle. Ou peut-être était-ce mon imagination.

Elle me sourit, les yeux encore un peu embués. Elle se pencha vers moi, les cheveux en bataille, les paupières mi-closes. Sa proximité troubla mes pensées.

— Tu fais une drôle de tête. Mauvais rêve ?

Je hochai doucement la tête.

— Un souvenir, peut-être.

Elle ne dit rien, mais sa main se posa un instant sur ma manche, sans insister. Puis elle se leva d’un bond.

— Bon ! On ne va pas à Mondstadt le ventre vide, hein ?

Et elle partit d’un pas décidé vers la maison, en lançant par-dessus son épaule :

— Viens ! Maman va être ravie de te voir. Trop ravie, peut-être...

Je me levai, essuyant distraitement la bave de Vanana sur mon manteau.

À peine avions-nous passé le seuil de la maison que le parfum d’épices grillées, de pain chaud et de confiture éclata dans mes narines. La maison était modeste, mais chaleureuse. Une petite cuisine rustique, mais débordante de vie, s’ouvrait devant nous. Une silhouette plantureuse s’activait devant un chaudron fumant.

— Maaaaman ! C’est moi !

— Je sais ! répondit une voix enjouée. Et je vous ai vus, jeune fille. Toi, ton... invité, et même ton saurien dégoulinant sur le col du monsieur !

Varesa émit un « oh non » embarrassé tandis que sa mère se retourna vers moi.

La mère de Varesa — une femme rondelette, aux cheveux noués en chignon désordonné — portait un tablier à carreaux et des lunettes embuées. Son regard me scanna de la tête aux pieds comme si j’étais un ingrédient prometteur pour un plat de fête.

— Monsieur Ragnvindr, c’est un honneur ! Enfin, un vrai homme à notre table ! Approchez, approchez ! Vous avez faim ? Bien sûr que vous avez faim. Un homme comme vous, ça dépense sans compter !

Je tentai une esquisse de sourire, un peu crispé.

— Merci, madame. C’est très aimable, je ne voudrais pas déranger...

— Déranger ?! Vous ? Mon petit cœur ! Vous auriez pu cogner à la porte en pleine nuit, j’aurais mis la table quand même. Une stature pareille, ça se respecte ! Ah, si j’étais plus jeune...

— Maman !

— Quoi, j’dis juste !

Les membres du Collectif de l’Abondance n’avaient visiblement pas la langue dans leur poche et ne s’encombraient pas des mêmes manières que les citoyens de Mondstadt.

Je n’eus pas le temps de réagir qu’elle me saisit par le bras et m’installa d’office à une place près de la fenêtre.

Devant moi, les assiettes s’accumulaient : œufs au cumin, galettes de riz moelleuses, tranches de tataco confites, fruits grillés, et même une carafe d’hydromel.

Buvaient-ils autre chose que de l’alcool ? L’haleine encore imbibée par l’alcool de la veille, une légère nausée m’envahit à la vue de tous ces plats, et je rêvais d’un jus de pomme de ma cité…

Varesa, elle, attaqua comme une furie. Elle grignotait une crêpe dans une main, et du pain dans l’autre, un sourire béat aux lèvres. Des miettes sur la joue. Un peu de confiture aussi. Elle semblait dans son élément, totalement à l’aise.

Et moi ? Je ne sais pas si cela me dégoûtait ou bien si j’enviais son insouciance.

Elle semblait savoir savourer l’instant, sans réserve, sans retenue.

Moi, je restais prisonnier de mes réflexes, de mes responsabilités, de mes silences.

Et pourtant, à cet instant, je voulais apprendre. La rejoindre dans cette insouciance. Rire, peut-être. Avec elle.

Alors que je finissais péniblement ce que j’avais dans mon assiette, on me resservit une deuxième fois sans me demander mon avis.

— Dites, Monsieur Ragnvindr, vous comptez rester dans le coin ? Parce que, voyez-vous, Varesa, elle a du caractère, hein ! Mais elle a aussi un grand cœur. Et vous... vous avez l’air d’un homme fiable. Bien que, certes, un peu sombre… Mais enfin j’imagine qu’on pourrait facilement arranger cela en ajoutant un peu de couleurs à votre tunique.

Je manquai de m’étrangler avec ma gorgée d’hydromel. Varesa faillit renverser son assiette.

— Maman ! Arrête !

— Quoi !? Je n’insinue rien, je ne fais qu’observer ! Deux jeunes gens beaux comme le jour, une bataille côte à côte, une nuit au clair de lune, un réveil en sueur partagée… vous appelez ça comment, vous, si ce n’est pas un prélude ?

Je ne savais plus où poser les yeux, et c’est alors que nos regards se croisèrent.

Elle détourna les yeux, gênée, et je fis de même.

Mais j’aperçus un sourire flotter au coin de ses lèvres.

Et moi, pour la première fois depuis longtemps, je sentis quelque chose de léger naître sous mes côtes.

Une chaleur douce.

Un trouble.

Mais au fond, dans un recoin que je ne voulais pas encore nommer...

Ça ne me déplaisait pas.

Et c’était peut-être bien ça, le plus déroutant

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