Survivre à Gantz
Sous les cris du médecin et l'ordre de Lucie, nous sautâmes tous en même temps. Devant mes yeux horrifiés, je vis les deux énormes crochets du scolopendre fendre le médecin en deux. A la façon d'un chien secouant un morceau de tissu dans sa gueule, l'insecte géant secoua les jambes de l'homme entre ses crochets tandis que le haut de son corps chuta brutalement au sol dans un déluge de sang et de tripes. Le scolopendre qui nous avait attaqué avait fendu notre groupe en deux, mais il n'avait réussi à attraper personne. Quoiqu'il en soit la situation était critique. Notre groupe, jusque là tenant sa position, était désormais séparé et paniqué. Nous avions perdu en un instant le médecin qui semblait être un excellent tireur, et sa mort avait prouvé que ces monstres étaient assez forts pour rendre les combinaisons inefficaces. Lorsque je touchais le sol, je vis à ma droite John, et le pote du businessman à ma gauche. Je me tournais rapidement, cherchant à voir le mouvement de l'ennemi. Le scolopendre, après nous avoir manqué de peu, avait continué sa course et se cachait désormais dans la forêt. Derrière nous, Lucie formait un petit groupe avec la serveuse et le businessman à la cravate, et, provoquant chez moi une inquiétude grandissante, Roman était seul de son côté avec la petite.
Pendant ce temps, et avant que nous n'ayons vraiment le temps de réagir, le deuxième monstre était descendu de l'arbre et nous faisait désormais face. Il chargea à son tour, visant John, ses crochets, encore souillés par la chair du médecin , grand ouverts. Mais mon acolyte était agile et il bondit sur le côté, mais la bête fut encore plus rapide et si elle n'arriva à l'attraper, l'un de ses crochets lui entailla le ventre. John eut un petit cri qu'il réprima tant bien que mal, car la bête se tortilla vivement, lui faisant de nouveau face. Mais elle fut touchée par deux tirs, lancés par Lucie et la serveuse. Les attaques n'eurent en revanche, aucun effet, rebondissant littéralement sur l'exosquelette de l'insecte géant. Pourtant les ondes de choc des armes le repoussèrent ! Si nous ne pouvions tuer la bête avec nos armes, nous pouvions au moins nous en défendre en l'empêchant d'attaquer. John, Lucie et moi, avions très rapidement compris la situation et nous fîmes feu sur le monstre sans interruption. La cible était rapide mais si grande qu'il était difficile de la rater. Elle était repoussée, lentement mais sûrement. J'entendis Roman crier quelque chose mais sans pouvoir le déchiffrer. La bête reculait à chaque attaque, sifflant de plus belle. Puis elle s'entortilla soudainement, comme si elle reculait, mais sa queue s'éleva du sol et je vit arriver vers moi les deux antennes à son extrémité. La queue du monstre me choppa à l'abdomen et me souleva du sol. Le choc fut brutal, comme si l'on avait soudainement vidé tout mon corps de son air. Je sentis mes pieds quitter le sol et je fus projeté lourdement contre un tas de bois. J'étais littéralement sonné, la tête raisonnant des cris alentours. J'eus l'impression que l'on m'appelait tandis que j'essayais de me relever malgré mes jambes chancelantes. Je n'étais pas mort et ma combinaison avait tenu le coup, mais c'était tout juste. Je secouais la tête pour chasser mes derniers vertiges.
- Alessio, derrière toi !
Ma vue n'était plus troublée et je vis Lucie me faire de grands gestes alors que John, la serveuse et les deux businessmen tenaient le scolopendre à l'écart. Je levais les yeux, armant mon fusil et je contemplais alors les crochets grands ouverts du deuxième monstre, là, à moins d'un mètre de moi. Encore groggy, je me tournais lentement, bien trop lentement, car les crochets de la bête s'apprêtaient à se refermer sur moi. Puis un cri, plein de colère, comme un cri de guerre, éclata derrière moi. Dans un souffle, la silhouette de Roman passa à côté de moi à toute vitesse. Il avait simplement couru vers le monstre et s'était projeté tel un missile sur ce dernier en se servant des forces de la combinaison. Et la technique fut pratique, car il repoussa la bête mais fut malheureusement emporté par son propre élan. La bête tomba lourdement sur le dos mais elle se contorsionna pour se remettre sur ses pattes. Mais Roman était là, allongé tout près d'elle, se relevant lui aussi et je vis avec effroi les pattes du monstre l'enlacer, l'attirant vers lui. Le scolopendre se releva, tenant entre ses pattes immenses le corps de l'homme qui luttait comme un beau diable. Le monstre se dressa, à la façon d'un cobra, étreignant Roman. Et, lorsque la bête l'eut bien attrapé, elle usa de ses crochets. Roman fut le premier à crier tandis que son bras commençait à être déchiqueté par les mandibules de l'insecte géant. Je criais à mon tour, sautant par dessus le tas de bois pour venir à son secours et derrière moi j'entendis le cri déchirant de Lucie. Mais Roman n'allait pas en rester là. Je fis feu sur le monstre, ce qui le perturba et il relâcha son étreinte. Roman, une main encore libre, posa le canon de son arme à la base de la tête du monstre.
- Crève !!
Il fit feu, et, la bête s'agita une dernière fois, avant que son cou n'explose. Sous l'effet de l'explosion, malheureusement, le bras de Roman s'arracha tandis qu'il était projeté au sol assez violemment. Le corps sans tête de la bête se convulsa, se tortilla, pris de nombreux soubresauts et de spasmes pendant un long moment avant d'enfin tomber au sol, immobile. Nous en avions eu un...mais à quel prix. J'arrivais à la hauteur de Roman, observant avec horreur son horrible amputation et le sang qui s'en écoulait. Déjà il semblait perdre des couleurs. Je fus bientôt rejoint par Lucie et, à ma grande surprise, la petite fille.
- Roman, fit Lucie en arrivant.
- Monsieur, fit la petite.
Lucie regardait autour d'elle et je supposait qu'elle avait la même idée que moi, il fallait lui faire un garrot le plus vite possible, autrement il ne tiendrait jamais d'ici à la fin de la mission. Derrière moi, je pouvais encore entendre le tumulte du combat contre l'autre scolopendre. Malgré notre tristesse palpable, nos cris, et les larmes de Lucie et de la serveuse, Roman avait le sourire.
- Vous voyez, il suffit de viser...la base du cou...leur carapace est plus faible là...
- Arrête de parler, cria Lucie, on va te sauver, Alessio il faut trouver quelque chose pour arrêter le saignement !
- Lucie...
Il se passa alors quelque chose de surprenant, une expérience comme on en vit que rarement. Roman n'avait prononcé que le prénom de celle qu'il aimait, mais il y eut quelque chose de si solennel, de si sérieux, que nous ne pûmes que nous taire et l'écouter. Ce fut alors un moment hors du temps, au delà de ce qui se passait autour de nous. C'est à peine si nous entendions le combat derrière nous, à peine si nous réalisions la situation dans laquelle on se trouvait.
- J'aurais aimé finir ce jeu avec toi...
- Tu peux encore le finir, alors calmes toi, arrête de parler !
- Je ne regrette rien tu sais, sans tout ça je ne t'aurais jamais connu...
- Je sais bien gros imbécile, arrêtes de parler, je t'en pries !
Lucie pleurait à chaudes larmes et j'avais moi même beaucoup de mal à me contenir. La petite à côté pleurait elle aussi, apeurée autant qu'attristée.
- Alessio...tu lui expliqueras...vous devez survivre tous les deux..., il toussa violemment, Lucie...
Sa voix n'était quasiment plus qu'un murmure.
- Je t'aime.
Puis il ferma les yeux. Son visage était blanc et froid, sa main était molle, sans vie, il était mort. Derrière moi, j'entendis John crier à l'aide. Lucie était immobile, totalement perdue, la petite pleurait. Je me tournais, réalisant que Roman était mort. Lui qui m'avait tout appris, le plus expérimenté, venait de mourir. Derrière moi, le scolopendre restant avait réussi à s'échapper avant de revenir à l'attaque. Je le vis trancher net la tête de l'un des businessmen, le tuant sur le coup, ne laissant plus que celui à la cravate. Je me relevais lentement, armant mon fusil, une colère immense commençant à gronder en moi. Je perdais la tête...
Pendant ce temps, John esquiva à nouveau une attaque et le monstre fonça vers le businessman à la cravate. Mais ce lâche attrapa alors la serveuse par le poignet et l'utilisa comme bouclier. Le scolopendre les attaqua mais John, toujours aussi efficace, fit quelque chose d'à la fois très stupide et très efficace. Jetant son arme au sol, il attrapa le monstre par la queue, empoignant avec toute la puissance de son armure les deux antennes qui se trouvait là. Il tira comme un beau diable, tant et si bien que ses talons formèrent un sillon dans le sol. Mais l'effet fut positif, car la bête fut stoppée net et ses crochets n'atteignirent pas leur cible. Face à la bête, la serveuse se débattait furieusement dans les bras du businessman qui avait une lueur folle dans le regard.
- On va tous crever c'est ça, on va tous y passer hein, cria-t-il.
- Lâche moi, lâche moi !
La serveuse pleurait, criait à s'en décrocher la mâchoire, s'égosillait. Puis elle poussa un dernier cri, suraiguë, tirant une arme de sa ceinture que je n'avais pas remarqué jusque là. On aurait dit une sorte de manche, comme la garde d'une épée, mais sans lame. Et alors qu'elle criait, une larme surgit d'un seul coup, semblable à celle d'un sabre japonais, aussi noire que nos combinaisons, et transperça le businessman. Perdant elle aussi la tête, elle donna alors de grands coups d'épées dans toutes les directions, frappant autant le businessman que la tête du monstre qui se trouvait là. En quelques coups à peine, la bête tomba au sol, morte elle aussi, et la serveuse continuait de donner des coups dans le corps de plus en plus en lambeaux du businessman. John lâcha la queue du scolopendre, reprenant son souffle, et je sautais presque sur la serveuse, lui tenant le poignet, l'empêchant de frapper à nouveau. Elle pleurait, le visage couvert du sang de ses deux victimes.
- Sans eux je ne serais pas là...si ils ne m'avaient pas entraînés à l'arrière du restaurant pour me...pour...les salauds...ce sont tous des monstres, tous...
Elle tomba à genoux, laissant tomber son katana au sol. Je le ramassais afin d'éviter qu'elle ne refasse un carnage si jamais elle perdait la tête. Elle ne se lamentait plus mais ses larmes continuaient de couler sans discontinuer. Elle avait les yeux exorbités et ne semblait plus réagir. Moi même, perdu au milieu de tout ça, je regardais autour de moi pour analyser la situation. John marchait vers moi, apparemment en forme, seulement légèrement entaillé au ventre et à bout de souffle. La serveuse était hors jeu, l'esprit brisé. Lucie n'avait pas quitté le corps de Roman et la petite, toujours à ses côtés, pleurait toujours aussi bruyamment. Près d'un arbre, gisait le corps coupé en deux du médecin, non loin de lui, celui sans tête du businessman, contre la pile de bois, celui à la gorge tranchée, et là, à mes pieds, celui plusieurs fois coupés par la lame que je tenais entre les mains. Deux scolopendres géants ainsi que des centaines de corps de fourmis complétaient ce tableau sordide.
- Roman est mort, me demanda soudainement John.
- Oui, dis-je, il a perdu trop de sang, beaucoup trop vite.
- Il n'est pas mort, cria soudainement Lucie tout en se relevant, je le ramènerais.
Elle s'approcha de nous, le regard rougi par les larmes mais brillant d'une détermination nouvelle.
- C'est pour ça que l'on est là non, survivre tous ensemble, ramener ceux que l'on a perdu !
- Oui, dit simplement John avec ferveur.
J’acquiesçais de la tête, ma détermination retrouvée.
- Il n'en reste plus qu'un, dit-elle, alors trouvons le, trouvons ce putain de monstre !
- Et, on fait quoi de ces deux là, demanda John.
- Celle ci n'ira pas plus loin, commenta Lucie en parlant de la serveuse, et la petite est trop compliquée à protéger...
Elle était sombre, mais elle marquait un point. Je baissais les yeux à l'idée de ce que nous allions faire. Ce n'était pas comme si nous allions les tuer nous mêmes, mais nous n'allions simplement pas les aider. Considérant que l'une était trop petite pour se défendre par elle même et que l'autre n'en était plus capable, c'était comme signer leur arrêt de mort. John voulu répliquer, ouvrant un instant la bouche, mais il ne dit rien...il comprenait la gravité de la situation. Notre tâche était déjà bien plus que difficile, et dans le jeu cruel imposé par Gantz, ces deux jeunes femmes n'avaient pas leur chances. Mais nous oui, à condition de faire des sacrifices.
- Trouvons le, dis-je alors.
Sans trop nous éloigner, notre courage renouvelé, nous nous mettions à regarder autour de nous si la cible n'avait pas refait surface. De temps à autre je regardais le katana que j'avais à la main, où avait-elle trouvé cette arme, je ne l'avais jamais vu dans la pièce, et j'étais certain que Lucie et Roman ne m'en avait jamais parlé. Quoiqu'il en soit je l'accrochais à ma ceinture et je gardais mon fusil bien en main. En même temps que je cherchais la cible du regard je m'assurais qu'elle n'apparaisse pas tout près de nos deux derniers alliés. La serveuse semblait s'être bien calmée, se tenant assise contre un arbre, mais elle avait définitivement perdu tout esprit combatif. La petite elle était restée au côté du corps de Roman, sa vue me fit un pincement au cœur, mais j'allais me battre pour le sauver. John allait bien, mais il ne cachait pas son inquiétude...surtout que, plus le temps passait, plus il semblait souffrir. L'entaille à son ventre, bien que peu dangereuse, devait être assez douloureuse. Celle qui me surpris le plus fut Lucie, ses larmes étaient déjà sèches et il brillait dans ses yeux une détermination hors du commun. En cet instant je n'aurais pas aimé être notre cible car Lucie allait tout faire pour l'anéantir. Au milieu de mes réflexions et alors que nous ne retrouvions pas le petit montre, un appel attira notre attention.
- Au secours.
Nous nous tournâmes vers la petite comme un seul homme, légèrement surpris et inquiétés par la situation. Car la cible était de retour, ses bras toujours en moins, le visage étrangement rouge, pleurant d'énormes larmes à la couleur toujours aussi peu naturelle. Il se tenait simplement debout devant le corps de Roman et son regard allait de la dépouille de notre ami à celles des scolopendres.
- Je vous hais...mes amis, mes animaux...je...je...
Puis, il se mit soudainement à pousser un grognement étrange, totalement inhumain. Sa plainte se faisait de plus en plus grave en même temps que son corps se mettait à enfler comme l'avaient faits ses bras auparavant. Il gonflait encore et encore à une vitesse ahurissante, ses vêtements craquèrent très bientôt et il perdit bientôt toute forme humaine. En quelques secondes, alors que son grondement emplissait l'air autour de nous, il n'était plus qu'une masse de chair rougeoyante, suintante et dégoulinante. Si son corps était comme ses bras, alors le pire était à craindre. John fut le premier à le comprendre car il se mit à courir vers la petite qui se tenait, terrorisée, à moins de deux mètres du monstre. Mais il fut bien trop lent, car le corps de l'alien explosa. Le souffle fut si puissant que ce fut comme si une tempête venait de se lever. Les arbres, même les plus robustes, se plièrent sous le souffle. Je fut soulevé du sol et projeté violemment contre le tronc d'un chêne épais. Un épais nuage de poussière, de feuilles mortes et de cadavres de fourmis enveloppa la scène. Pendant quelques secondes tout ne fut plus que chaos. Je me protégeais les yeux avec mes bras, tentant de voir, depuis mes yeux entrouverts, où se trouvaient mes alliés, sans le moindre succès. Heureusement, aussi vite qu'il était arrivé, le souffle cessa, la poussière retomba. Je me relevais, et armait aussitôt mon fusil...et je fus figé sur place. Car là, au centre de la plaine, se trouvait l'ennemi.
De la même manière que ses bras, il avait lui même gonflé, explosé et s'était transformé en une créature horrible, impossible. Où plutôt il était fort probable que son apparence humaine n'eut été qu'une couverture et qu'il s'agissait là de sa vraie forme. Du sommet de sa tête au bout de sa queue il devait faire dans les quinze mètres. Mais il était difficile d'évaluer sa taille car il tenait sa queue recourbée en l'air au dessus de son dos, menaçant tout autour de lui avec son énorme dard. Son corps était épais, sa carapace semblait solide et, juché sur ses huit pattes, il devait faire dans les trois mètres de haut. Il faisait claquer autour de lui ses deux pinces immenses et un crissement étrange s'échappait des barbillons qui lui servaient de bouche. La cible était là, face à nous, plus dangereuse que jamais, un scorpion géant. Le souffle avait tout enlevé autour de lui...le corps de Roman avait disparu ainsi que la petite. John et Lucie avaient du valdinguer plus loin que moi ainsi que la serveuse...un frisson incontrôlable me parcouru l'échine lorsque je réalisais que je me retrouvais seule face à cette bête monstrueuse. Elle me vit aussitôt, et ses pattes cliquetèrent furieusement sur le sol tandis qu'elle fonçait vers moi, une pince déjà levée pour m'attraper.
A la manière de la serveuse je me figeais sur place...tétanisé par la peur. Je revis cette fois où, lors de la précédente mission, je m'étais comporté comme un moins que rien face au boss final. J'eus des flashs de ma vie, toutes ces fois où j'avais soigneusement évité les ennuis. Je m'étais toujours justifié en pensant que j'étais trop intelligent pour me battre, ou trop prudent pour me retrouver dans des situations pouvant être dangereuses. J'étais lâche en réalité, et plus le temps passait au cours de ce jeu, plus les semaines s'égrenaient, plus je réalisais à quel point j'avais été chanceux de survivre. Quelqu'un comme moi n'aurait jamais dû tenir aussi longtemps. Lucie avait encore la volonté de se battre, même après avoir vu l'amour de sa vie mourir. John avait lui même vaincu le monstre de la précédente mission à mains nues après la mort de Déborah. Mais moi je n'avais rien d'important à protéger, pas de personnes chères à mon cœur pour me dépasser. Je ne pouvais que me défendre, et je n'étais pas très bon, même pour ça. Je ne me sentais bien qu'au sein d'un groupe où je n'étais pas le meneur, porté par la force et le talent d'autres personnes. Je ne valais rien...je pouvais bien mourir ici, hormis ma famille, personne n'irait me pleurer.
Le scorpion géant n'était plus qu'à quelques mètres...j'étais toujours figé.
Qui étais je par rapport à Lucie, John, et Roman ? Personne !
Je ne méritais pas de me battre avec eux ! J'avais même osé penser que je voulais me battre pour eux, alors que j'en étais incapable !
La pince immense du scorpion s'abattit sur moi, commençant à découper le chêne contre lequel je me tenais comme du beurre. Je ne bougeais toujours pas, pétrifié par la peur.
Pourtant, pourtant, un sentiment m'inonda tout doucement. Avais-je aussi peu de valeur ? Aussi terrible que soit la situation, n'étais-je pas chanceux ? Jusque là ma vie n'avait été qu'un long chemin sans embûches, un avenir tout tracé, une famille aisée, des études assez faciles lorsque je bossais, des amis assez fidèles et une vie amoureuse assez remplie. Mais, peu conscient de ma chance, j'avais délibérément commencé à tout foutre en l'air, oubliant mes amis, cherchant des relations faciles, perdant lentement mais sûrement le contact avec ma famille, ne faisant plus d'efforts dans mes études, ni dans ma vie. J'avais agi comme un imbécile. Pourtant, pourtant...
Pourtant au lendemain de ma première nuit au sein du jeu mortel de Gantz, j'avais changé, j'avais repris les rênes de ma vie. Petit à petit je reconstruisais tout ce que j'avais détruit. Des personnes comme Roman et John s'étaient confiées à moi, m'offrant leur confiance, comme si j'en étais digne. Alors, est-ce que je n'avais pas un tout petit peu de valeur ? Est-ce que ce n'était pas là l'occasion de me prouver que je valais quelque chose ? Je pouvais survivre, je pouvais défier et vaincre ma peur. Il me suffisait de lâcher prise, laissez de côté mes doutes, mes angoisses, mes questions ! Je devais aller de l'avant, et ici comme dans la vie, je devais me battre !
Mes yeux s'écarquillèrent alors que le bois cédait. J'esquivais la pince du monstre in extremis, à tel point que je put sentir une mèche de cheveux être arraché par le monstre. Je fis une roulade sous le corps de la bête et me retrouvait allongé sous elle. Elle trépigna, ne comprenant sûrement pas aussitôt où je me trouvais. Je suivais le conseil de Roman et visait la base de l'articulation de l'une de ses pattes. Mon tir fit exploser sa patte, faisant perdre quelques instants l'équilibre à la créature. J'en profitais pour rouler sur le côté, esquivant ses autres pattes tandis qu'elle titubait. J'étais encore allongé lorsqu'elle reprit son appui, elle se tourna aussitôt vers moi, me laissant à peine le temps de me relever. Son dard puissant fonça vers moi, je fis un saut en avant, laissant son attaque s'enfoncer dans le sol. Je me réceptionnais avec une nouvelle roulade et la visait aussitôt. La visée du fusil étant bien plus précise je prit soin de marquer ma cible, une autre articulation. Mais je retins mon tir...
La serveuse venait de revenir sur la clairière, l’œil égaré, comme si elle ne voyait pas le scorpion immense se trouvant face à elle. Mais la bête ne lui laissa aucune chance, fonçant aussitôt vers elle. Je criais pour la ramener à ses sens, ce qui marcha, mais bien trop tard, car le scorpion fit vibrer sa queue, et alors que la serveuse cria à plein poumons, le dard s'enfonça dans sa poitrine. Elle fut transpercée littéralement. Le scorpion retira son dard, laissant dans le corps de la serveuse un trou béant allant de sa poitrine au nombril et le monstre retourna son attention sur moi. Je n'avais pas le temps de me lamenter. Je tirais une nouvelle fois, mais la bête savait désormais à quoi s'en tenir et tourna à la dernière seconde, faisant ricocher l'attaque sur son épaisse armure. Il chercha à m'écraser avec sa pince droite, je me baissais aussitôt, cherchant à passer de nouveau sous lui. Mais sur ma droite, sa pince gauche s'abattit violemment sur moi...sans me toucher. Mon corps avait réagit tout seul, faisant un bond en arrière. Je me retrouvais de nouveau à portée de tir, face à lui et le dard du monstre tomba sur moi. Encore une fois ce fut plus un réflexe que quelque chose de réfléchi, je reculais d'un simple pas, évitant d'être embroché. Mais son dard frappa violemment mon arme, elle m'échappa des mains, et toujours du bout de la queue il l'envoya au loin. J'étais désarmé...mais j'avais encore les capacités de mon armure, je devais juste éviter ses attaques. Je devais attendre le bon moment pour frapper, un coup précis, rapide et en y mettant le plus de force possible afin de lui faire des dégâts.
Une sorte de danse commença, concentré à l'extrême, j'évitais chacun des coups du monstre, sentant parfois ses pinces claquer tout près de mon visage, le dard se planter à l'endroit où je me trouvais une seconde avant. Il fallait croire que l'armure augmentait aussi mon endurance et mes réflexes car j'étais certain de ne pouvoir être capable de tels prodiges autrement. Mais malgré ça, plus le temps passait, plus je perdais du terrain. Cette échange d'attaque et d'esquive ne dura que quelques secondes, une dizaine tout au plus, mais cela me parut une éternité. Les pinces me frôlaient de plus en plus, le dard me manquait de peu. Où étais John et Lucie ? Je ne pouvais en faire plus, je m'essoufflais, je ralentissais, alors que le monstre ne faisait qu'accélérer.
- Alessio !
Du coin de l’œil, je vis John, surgissant des arbres, un fusil dans chaque main, il avait certainement récupéré le mien. Trop heureux de le voir, je relâchais mon attention une demi seconde, rien du tout, mais le dard du monstre frappa à nouveau. Je bougeais la tête, retenant un cri. Une forte douleur me parcourut le côté de la tête, mais j'étais toujours là, bien en vie, en pleine possession de mes moyens. Les attaques de John firent chanceler la créature, me permettant de m'échapper. Je sautais d'un bond hors de portée du monstre alors que mon acolyte le tenait en respect avec ses attaques. De mon côté je tâtais ma blessure et me rassurait aussitôt, constatant que le monstre n'avait fait que m'arracher une oreille. J'eus presque envie de rire, considérant cette blessure comme banale alors qu'en d'autres circonstances j'aurais perdu tous mes moyens. Le saignement était cependant assez important et je sentais déjà ma tête tourner, il ne fallait pas traîner. Je n'avais cependant plus d'arme, et John semblait avoir bien besoin des deux fusils pour tenir la bête en respect. Alors que faire ? Je tâtais alors ma taille dans l'espoir d'y trouver une arme qui n'existait pas, jusqu'à ce que ma main rencontre le manche du katana étrange que j'avais confisqué à la serveuse. Peut-être que si je lui avais laissé elle aurait put se défendre face au monstre. L'heure n'était pas aux regrets, et encore moins aux questions, j'avais une arme et je devais m'en servir.
Je sortais la lame, la brandissant fièrement face à moi. Le sabre avait une belle lame noire, mais il semblait si petit par rapport à l'immensité du monstre. Mais c'était mieux que rien, et je n'étais pas seul. John était là, faisant feu tel un héros de cinéma d'action sur le monstre, et, à ma grande joie, Lucie venait d'apparaître loin derrière la bête, son arme prête, et à côté d'elle se tenait la petite, toujours aussi terrifiée, mais encore bien en vie. Puis Lucie passa à l'action, fonçant vers le monstre qui ne la vit pas arriver. La jeune femme sauta sur la base de la queue du scorpion et commença à la frapper violemment, encore et encore, ébréchant, morceaux par morceaux, la carapace de la créature. Réalisant qu'elle était attaquée, la bête se mit à tourner frénétiquement sur elle même, cherchant à se débarrasser de Lucie, mais la femme tenait bon. Elle était trop basse sur la base de la queue pour être inquiétée par le dard et le monstre avait beau agiter furieusement ses pinces, il ne l'aurait jamais. Cependant, dans sa colère, il chercha à s'en prendre à quelqu'un d'autre au plus vite et se tourna vers la petite. Il fonça vers elle alors que Lucie s'égosillait tout en continuant son attaque, hurlant à la petite d'aller se cacher. Dans la panique, John et moi même nous mîmes à courir après la bête afin de sauver l'enfant, mais nos efforts furent vains.
Tout se passa alors en quelques secondes à peine. Le scorpion géant arriva à hauteur de la petite, je me retrouvais juste derrière lui. John, plus athlétique que moi avait réussi à arriver à hauteur de la bête, et Lucie continuait de s'acharner sur la queue. Dans un cri de rage, la jeune femme arracha à main nue le dernier morceau de carapace protégeant la queue du monstre et fit aussitôt feu avec son arme sur la chair exposée. Le monstre fit jouer de sa pince d'un coup rapide et violent, cisaillant en deux la petite sous le regard effaré de John qui venait presque de l'atteindre. La queue du monstre explosa, et l'imposant membre tomba au sol dans un fracas terrible. Sous la colère et probablement la douleur, la bête frappa de plus belle avec ses pinces alors que John se trouvait face à lui. Lucie s'écarta de la scène, contournant aussitôt le monstre pour venir en aide à notre ami. Je fis de même en passant de l'autre côté. John était coincé, sa seule issue était de sauter par dessus la bête, la menace du dard ayant été éradiqué, et c'est ce qu'il fit. Mais il fut soudainement stoppé, la pince du monstre l'ayant attrapé à une cheville alors qu'il venait de bondir.
La scorpion s'agita de nouveau, je fus rapide à me dégager de là, mais ce ne fut pas le cas de Lucie qui fut frappé de plein fouet par l'arrière train du monstre alors qu'il se tournait violemment. De sa pince, le scorpion commença à agiter John dans les airs avant de l'abattre violemment au sol. John tenait bon et je pouvais voir sa combinaison se durcir à chaque impact. Mais ceux ci furent si violents que la combinaison ne tint pas longtemps. Tout en tournant sur lui même, frappant plusieurs fois John au sol et contre les arbres comme si il n'était qu'un vulgaire tissu, je vis avec horreur, le liquide s'échapper de la combinaison de mon acolyte. Alors que je hurlais, le scorpion frappa une dernière fois John contre la surface d'une pile de bois. Le choc fut brutal et un grand craquement se fit entendre. Je bondis, réfléchissant peu, n'ayant qu'une seule idée, je devais agir. Je profitais de la colère du monstre pour abattre la lame du sabre sur sa pince, cherchant à libérer mon ami. Je vis Lucie, plus furieuse que jamais, foncer à l'assaut de l'autre côté du monstre. Dans le tumulte elle avait perdu son arme mais donna un coup de poing si puissant au flanc du monstre qu'il fut littéralement soulevé du sol d'un petit mètre. Cela me donna une seconde précieuse, j'abattis violemment la lame du sabre et la pince vola dans les airs, séparée du corps de la bête et libérant John qui tomba au sol telle une poupée désarticulée. Mais le combat n'était pas terminé pour autant.
Plus furieux que jamais, le monstre s'agita violemment, courant pour sa survie. Ses pattes s'agitèrent sur le sol, bousculant Lucie au passage et marchant sur elle. Le scorpion détala à toute vitesse, disparaissant dans la végétation...
Lucie était au sol, mais elle se releva, apparemment indemne. Mais sa combinaison lâcha prise, le liquide s'écoulant. Je l'entendis murmurer un merde alors que je tournais mon attention vers John.
Celui ci ne semblait pas mal, mais quelque chose clochait. Les yeux paniqués il me regarda arriver vers lui.
- Alessio...je...
-Tais toi ! Tu ne vas pas mourir, je refuse de voir quelqu'un d'autre nous quitter ce soir.
- Garde tes forces, fit Lucie qui venait d'arriver vers nous.
- Je ne sens plus rien...j'ai du mal à respirer...
Nous partageâmes un regard inquiet avec Lucie, John devait avoir la colonne vertébrale en morceaux et plusieurs organes en bouillie. C'était presque un miracle qu'il soit encore en vie, mais à entendre sa respiration rauque et saccadée, il n'en avait certainement plus pour très longtemps. Derrière nous, nous pouvions entendre le monstre revenir au son de la végétation s'écrasant sur son passage. Lucie m'attrapa par les épaules, prenant en main l'un des fusils que John tenait encore dans ses mains.
- Je vais le protéger...avec tout ce qu'il me reste...tu sais ce que tu as à faire !
Je me relevais, un frisson parcourant mon corps. John allait mourir, Lucie n'était plus protégée par son armure. J'étais le seul à pouvoir me battre face au scorpion. Ce dernier était peut-être blessé, mais il était furieux. Je levais mon sabre, au moins cette arme semblait plus efficace sur lui que le reste notre arsenal. Je devais en finir, seul, et le plus vite possible.
Alors que le bruit de ses pattes martelant le sol se rapprochait dangereusement, je m'avançais au milieu de la clairière, rassemblant tout ce qu'il me restait de courage.
- Viens ici, viens m'achever !!