Le Boucher

Chapitre 15 : La Reine des Épines

5013 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/11/2017 19:58

Will l’Ecarlate avait couru. A perdre haleine, en mobilisant toutes ses réserves d’énergie.


Elle se revoyait sortant de la lisière des arbres, s’engageant à grandes foulées dans une prairie de coquelicots et de tulipes. Là, frêle silhouette au milieu des fleurs colorées, elle traversait le plus vite possible, gagnant un nouveau bosquet clairsemé où charmes, chênes rouges et bouleaux l’attendaient. C’était toujours moins à découvert que la prairie...

Filant sous un ciel cobalt exempt de tout nuage, la jeune fille n’avait nullement profité de la beauté printanière environnante, n’accordant pas un regard aux terres vallonnées bien abreuvées, ni au vert éclatant des bois, zébré du pourpre profond des prunus et du bleuté des fougères. Ses poumons affolés aspiraient indifféremment les riches fragrances vivifiantes de résine, humus et chèvrefeuille, pendant qu’elle piétinait dans sa hâte l’herbe tapissée de petites fleurs dorées.


Car Will courait pour sa survie et pour sa liberté.


Cette fois-là, elle avait fui en direction du nord. Elle avait eu soin de baliserde leurres son avancée apparemment erratique – de petits morceaux de sa robe qu’elle accrochait à la végétation – avant de remonter la route au nord-ouest. Peu après, elle la quittait déjà, sautant dans la rivière redescendue vers le sud-est, et dont elle émergea directement sur une rive rocheuse, ne laissant derrière elle aucune trace repérable.


Enfin, elle avait obliqué vers l’est, progressant en zigzag à travers bois. Elle avait évité méticuleusement les sentiers, préférant couper à travers la verdure, faisant fi des broussailles et des ronces qui griffaient ses jambes nues. Pour faciliter sa course, la jeune fille avait taillé le bas de sa robe de bure, laissant apparaître le cuir grossier de ses bottes qui menaçaient de rendre l’âme, et n’offrant plus à ses pieds fins qu’une protection de plus en plus dérisoire contre les cailloux qui la meurtrissaient. Cependant, elle avait chassé la douleur au fin fond de son esprit, loin dans la grotte mentale qu’elle avait élaborée dans cet unique but : supporter la souffrance. A force de la côtoyer, elle la connaissait bien et avait appris à l’apprivoiser pour, peu à peu,en venir à croire qu’elle s’en était fait une complice.


Vivre c’est souffrir et souffrir c’est vivre. Tel était l’adageinculqué chaque jour par son père, l’ancien maître d’armes de la maison Sombrelyn, lord Symon Hollard. Elle n’avait que huit ans à l’époque et pourtant elle pouvait défaire n’importe quel écuyer du château. Le surnom d’Ecarlate lui y a été donné par feu son père, parce qu’elle portait toujours un foulard rouge quand elle se battait à l’épée. Symon Hollard n’avait pas eu de fils mais pour lui, Will était le garçon qu’il avait rêvé d’avoir. Sa fillette était une tête brûlée, et incarnait tout ce qu’il avait souhaité trouver chez un fils.


Aujourd’hui Will courait à perdre haleine.


Sombreval avait été prise, et quand son père fut tué au combat par ce maudit Barristan Selmy, la lignée Hollard disparut à jamais. Elle était la dernière de sa famille mais refusait malgré tout de céder.


Tout d’un coup, ses poursuivants finirent par la rattraper. Pieds nus, épée bâtarde au poing, elle tournoya sa lame et se prépara à défendre sa vie…


Elle se réveilla en poussant un cri strident. Regardant les alentours, elle secoua la tête et se calma aussitôt.


Le passé revenait toujours la hanter. Sa fuite du château, sa bataille avec ses poursuivants et son entrée chez Osmond et sa bande de hors-la-loi.


Pour eux, elle était Will le petit diable à l’épée, ou Will l’Ecarlate que personne ne pouvait battre à l’épée… sauf le Boucher.


Cela avait été sa première défaite. Et jusqu'à maintenant, elle n’arrivait pas à comprendre comment elle avait perdu son duel contre ce maudit Corbeau. Une fois, elle avait demandé à son père comment Ser Arthur Dayne se battait avec ses deux épées jumelles, et s’il était possible de le vaincre. Symon Hollard avait éclaté de rire et avait répliqué :


— L’Epée du Matin est le meilleur combattant que j’aie vu de ma vie, c’est l’incarnation du Guerrier.


— L’incarnation du Guerrier ? avait commenté la fillette en faisant la moue. Comment cela ?


— C’est difficile à expliquer. Il a le don – comme l’hermine avec le lapin – de faire ressentir à son adversaire qu’il est mortel. C’est comme s’il lui jetait un sort. Il devient maladroit, ou inconscient.


C’était exactement ce qu’elle avait ressenti en combattant Mors :la peur, la main engourdie et les jambes tremblantes. Le Boucher l’avait réduite à un chiot sans défense qui sautillait devant un loup affamé. Et pourtant, malgré cela, elle l’avait suivi à Port-Real, mais pourquoi ? Se venger ? Lui planter un couteau entre les côtes ? Elle l’ignorait.


Elle se leva de sa couche et trouva du sang entre ses jambes.Jurantà voix basse, elle attrapa un chiffon et se mit à essuyer rageusement ses cuisses et sa vulve. Elle détestait quand ça venait au mauvais moment, elle avait mal, mais c’était surtout ce sang dégueulasse qui la répugnait. Que les hommes étaient chanceux d’avoir une queue et non un ventre qui faisait souffrir pour rien.


Will jeta le chiffon puis commença à enfiler une jupe. Pas question de mettre son pantalon en cuir pour le moment alors qu’elle portait des linges pour contenir et cacher ses saignements.


Chataya avait accepté de l’héberger pendant que Mors cherchait des recrues pour la Garde de Nuit. Cela faisait des jours qu’elle ne l’avait pas vu et la patronne du bordel assurait que le vieux chevalier allait bien.


Will boucla son ceinturon et secoua la tête. Elle en avait assez de rester cloitrée dans ce lupanar. Les autres filles la regardaient avec frayeur, d’autres pouffaient de rire et médisaient de choses que Will n’avait aucune envie de connaître.


Sans cérémonie, elle sortit de la petite chambre et descendit vers le grand salon. A sa grande surprise, elle trouva Mors assis à une table entrain d’écrire à l’écart, capuche relevée comme si l’Etranger en personne figurait parmi les clients de Chataya.


Elle prit place en face de lui et le contempla pendant qu’il écrivait. Mors plongea sa plume dans l’encre et continua la lettre qu’il allait expédier au Mur. En ce moment ses frères de la Garde se préparaient pour affronter Mance Rayder.


Il promettait qu’il allait envoyer des troupes au plus vite, le temps de régler quelques affaires dans la capitale.


En signant sa lettre, il héla un serviteur de Chataya et lui enjoignit d’envoyer cette missive avec un corbeau dans les plus brefs délais.

Puis se tourna vers Will qui semblait toujours de mauvaise humeur.


— Toujours à te mêler des affaires des autres, commenta-t-elle en le regardant avec biais. Tu travailles pour Tywin maintenant ?


C’était une étrange créature, que Will, qui avaitconsacré la plus grande partie de ses vingt-cinq ans à niersa féminité, avec un succès déconcertant. Elle avait destraits robustes sans être masculins, et on aurait pu lesjuger jolis, sans la grossière cicatrice qui lui traversait une joue,et un nez cassé en deux endroits.


Tya aurait eu le même âge qu’elle aujourd’hui !


— Tu vas encore bavasser, c’est ça ? répliqua-t-il froidement.


— Tu ne peux pas me demander de la fermer, hein ?


— Le moins qu’on puisse dire, c’est que tes paroles manquent de miel, dit Mors en faisant une grimace. Si cela ne tenait qu’à moi je te foutrais cinq ou six caresses avec ma ceinture.


Malgré elle, un sourire se dessina sur ses lèvres et elle se dit qu’il parlait comme son défunt père. Hollard comme Mors était un vrai éclat de bloc de granit, à croire que les deux hommes avaient été frères jumeaux dans une autre vie.


— Pas si je t’embroche d’abord avec mon épée, fit-elle sans abandonner son sourire.


— Ah l’Ecarlate ! Tu n’as toujours digéré ta défaite contre moi, et je devine que tu m’as suivi pour prendre ta revanche, c’est cela ?


— Tu m’as humiliée, dit-elle vertement.


— Nuance ma fille, je t’ai laissé la vie sauve alors que je pouvais te tuer.


— Alors pourquoi tu ne l’as pas fait ? C’est parce que je suis une fille, c’est cela ? Vous les hommes, êtes tous pareils.


— Non, un autre t’aurait tué, pas moi.


Elle garda le silence un moment, mordillant ses lèvres puis le regarda pendant qu’il sirotait sa tasse de lait au miel.


— J’n’ai jamais été battue, admit-elle à contrecœur. Et ça m’a fait bizarre de mordre la poussière.


— Mais tu as parfaitement combattu : tu as le sens du rythme et tu as l’esprit d’une guerrière. Mais tu dois être consciente d’une chose, ma fille, tu as, de fait, des responsabilités qu’il te fautaccepter.


— Comme quoi ?


— Le fardeau habituel qui distingue le guerrier de lacanaille.


— Je ne comprends rien à ce que tu dis.


— Le vrai guerrier a un code d’honneur. Il estobligé. Pour chaque homme, les perspectives sontdifférentes, mais le code reste le même : Ne mens pas, ne triche pas, ne vole pas.Ne viole jamais une femme, ne fais pas de mal aux enfants. Laisse cela aux gens médiocres. Protège les faibles contre le Mal. Et ne laisse jamais l’idée de profit te guider sur la voie de l’obscurité.


— C’est ton code ? demanda Will.


— Celui de ma famille, car nous sommes des chevaliers de père en fils. Et cela depuis l’époque des premiers rois du Roc. Mon ancêtre fut l’un des rares guerriers à avoir survécu à la bataille du Champ de Feu. Il avait juré sur la statue du Guerrier que lui et sa descendance emprunterait la voie du Juste pour toujours. Mieux Vaut la Mort que la Souillure, la devise de ma maison, la règle de fer des Westford.


Will secoua la tête, abasourdie. La Bataille du Champ de Feu s’était produite durant la conquête d’Aegon et de ses sœurs. A l’époque, les rois du Roc et du Bief avaient scellé une alliance pour contrer les armées targaryennes inférieures en nombre. Mais c’était sans compter les dragons d’Aegon qui avaient transformé le champ de bataille en un immense brasier. D’après la légende, Balerion avait dévoré le dernier roi du Roc, transformant les Lannister en seigneurs suzerains alors qu’ils avaient dirigé Castral-Roc depuis des siècles.


—Tu sais, finit-elle par déclarer, je ne pourrais jamais vivre avec un code comme le tien. Et tu veux savoir pourquoi ?


Elle pencha la tête en avant et sourit comme une hyène affamée.


— Parce que moi, monsieur le grand guerrier, j’adore tuer. Alors tu peux plisser ta gueule avec moi, mais fous-moi la paix avec tes simagrées sur l’honneur et le combat contre le Mal. A quoi ça sert, un chevalier ? Uniquement à prendre les couleurs des dames et à faire joli dans la plate d’or, tu crois ? Les chevaliers servent à tuer.


Elle dégaina un poignard et le planta dans la table en le scrutant froidement.


— J’avais douze ans quand j’ai tué mon premier homme. Combien j’en ai tués depuis que j’ai rejoint Osmond et sa bande ? J’ai perdu le compte. De grands seigneurs à patronymes antiques, des richards gras du bide accoutrés de velours, des chevaliers bouffis comme des outres de leur honneur à la con. Putrecouilles que tout ça ! Et je suis comme toi une coutelière qui distribue ses lames gratis à chaque tas de viande qui ose me regarder de travers. Moi, tant que j’ai ma lame, personne n’osera me toucher et je n’ai pas besoin de code pour diriger ma vie.


Mors ne répondit pas, mais il se leva et se retira sans lui jeter un regard.


Will récupéra son poignard et jura à voix basse. Comment lui expliquer qu’à douze ans elle avait été violée par ceux qui la poursuivaient ? Comment lui avouer qu’elle l’avait suivi parce qu’il lui rappelait beaucoup son défunt père ? Sa façon de parler, de bouger, de raisonner. Mors et Symon étaient du même acabit, tout deux des hommes d’honneur, et de conviction.Il s’était confié à elle, lui avait même révélé son code de conduite, et elle ? Elle l’avait raillé comme une garce des tavernes.


« Foutrechiasse de merde ! » grinça-t-elle entre ses dents.



*

L’invitation semblait assez bénigne mais, à chaque lecture qu’il en faisait, Mors sentait se nouer son ventre. A peine était-il entré le soir au bordel de Chataya après son entrevue avec Beatrice qu’un page portant les couleurs de la maison Tyrell s’était présenté à lui pour lui remettre un billet de lady Olenna Tyrell. Avec un soupir, Mors sortit son écritoire et composa un billet d’acceptation gracieux à l’adresse de la Reine des Epines. Il dormit plusieurs heures et le matin, il rédigea d’autres missives pour le Mur.

Après sa confrontation avec Will, le vieux chevalier était parti à la fois irrité et déçu. Elle n’était pas sa fille, alors pourquoi s’inquiétait-il pour elle ? Jusqu'à maintenant, elle s’était parfaitement débrouillée pour survivre, alors que lui avait-il pris de vouloir lui enseigner les principes et valeurs de sa maison ? Qu’avait-il gagné au final ? Will n’était rien d’autre qu’une tueuse au sang froid. Même si elle se battait bien, elle demeurait dangereuse pour les autres et surtout pour elle-même. Mors secoua la tête et oublia la jeune femme, mieux vaut se concentrer sur le présent.

Si Mors était un membre de la Garde de Nuit, il n’en demeurait pas moins un ancien seigneur des terres de l’Ouest. De ce fait, aucun chevalier, ni un membre de la Garde ne lui interdisait l’accès au Donjon Rouge, et personne n’osait lui demander de déposer ses armes à l’entrée. Mors était de noble lignage, et sa maison avait une très bonne renommée, car ses membres s’étaient toujours efforcés de prôner un idéal de justice et de noblesse, en respectant les valeurs de la chevalerie , en défendant les faibles, en obéissant à leur seigneur et en vouant leur lame à ceux qui en avaient besoin.

Chevaliers de père en fils, les Westford étaient aussi réputés pour être les meilleurs dresseurs de chiens depuis l’époque de la maison Castral. D’aucuns murmuraient que certains seraient des zomans. D’autres arguaient que Bradamar Westford, un des ancêtres de Mors, aurait épousé une sauvageonne qui avait passé le Mur, et qu’elle aurait été une Change-Peau. D’autres avançaient plus loin en racontant qu’un Westford aurait été l’amant de Vysenia Targaryen, la sœur du conquérant. Et qui aurait appris la magie noire de la reine guerrière. Des rumeurs et légendes aussi fantasques et invraisemblables les unes que les autres.

Une fois à l’intérieur du palais, un page en livrée blanche vint à sa rencontre et le pria de le suivre. Un autre domestique en tunique bleu azur et liseré mordoré, chargé d’une vasqueremplie d’eau de rose et d’une serviette de lin immaculée se présenta devant le Boucher. Ce dernier se lava les mains. L’étiquette exigeait qu’en la présence d’une haute dame, on se devait d’avoir les mains propres et la mine impeccable. Le vieux chevalier s’essuya et fit signe au page de le précéder.

Dans les jardins royaux, Mors aperçut un chevalier, dont deux roses d’or frappaient le bouclier, qui tenait en échec trois adversaires à lui seul. Il parvint même, d’un coup à la tempe, à en expédier un rouler à terre, inanimé. Il s’arrêta un moment et observa le duel.

— Qui est cet homme ? demanda Mors au serviteur.

— Ser Garlan Tyrell monseigneur. Il s’entraîne toujours à un contre trois, voire quatre. Il prétend que, comme on affronte rarement un seul adversaire à la fois, sur le champ de bataille, mieux vaut se préparer.

— Garlan Tyrell ! dit Mors songeur. J’ai entendu parler de lui, un homme très brave.

— Il n’a guère son pareil comme chevalier, protesta vivement le serviteur. Plus fine épée que ser Loras, pour tout dire, et ne lui cédant qu’à la lance.

Aux yeux de Mors, une telle conviction était naïve. Une flèche perdue, une lance projetée, un coup malchanceux… tout cela pouvait trancher le fil de la vie de n’importe quel combattant. Mais il ne dit rien. Garlan Tyrell était l’aîné et donc l’héritier de Hautjardin, pas étonnant que tout le monde l’adulât, même les serviteurs. Le Boucher continua d’observer ser Garlan puis accompagna le domestique.

Lord Mace Tyrell et son entourage s’étaient vus assigner pour logis le long édifice couvert d’ardoise situé derrière le septuaire royal, qui portait le nom de Crypte-aux-Vierges depuis que Baelor le Bienheureux y avait relégué ses sœurs afin de s’épargner les tentations charnelles que lui inspirait leur vue. Devant les grandes portes sculptées stationnaient deux gardes coiffés de morions dorés, vêtus de manteaux verts bordés de satin or, et dont le sein portait la rose d’or de Hautjardin. Ils étaient de hautetaille tous les deux, larges d’épaules, étroits de hanches et somptueusement musclés.

Les gardes personnels de lady Olenna, des jumeaux et des sacrés gaillards qui auraient fait de bonnes recrues pour le Mur. Ces derniers ouvrirent la porte et le domestique annonça d’une voix puissante :

— Ser Mors Westford des Terres de l’Ouest.

Et frère juré de la Garde de Nuit ! martela-t-il en son for intérieur. Puis il entra dans les appartements des Tyrell. Il y avait un feu qui pétillait dans l’âtre, et une jonchée moelleuse au pied tapissait le sol. Autour de la longue table volante avaient pris place une vieille femme ainsi que des petites filles qui s’adonnaient à la broderie. Ces dernières tressaillirent en apercevant devant eux un homme de haute stature en noir et encapuchonné par-dessus le marché. Lady Olenna en revanche détailla le Boucher d’un œil intrigué et fasciné.

— L’Etranger en personne, s’exclama-t-elle satisfaite de son examen.

Mors fit une brillante courbette devant la vieille dame. Un sourire se dessina sur les lèvres de cette dernière.

— Mais avec de bonnes manières ! ajouta-t-elle en souriant gentiment.

— Il est aimable à vous de me recevoir, madame.

— Voyons, voyons, susurra-t-elle amusée. Il me fallait absolument voir l’homme qui a savamment corrigé mon petit-fils, je lui avais dit de ne pas se frotter au molosse. Il est presque de la même taille qu’un lion et les deux sont à éviter. Enfin bon, Loras est peut-être très habile à désarçonner des cavaliers avec un bâton. Cela n’en fait pasun homme avisé, je le crains.

— Le tort m’en incombe madame, je suis difficile de caractère et j’ai tendance à mal réagir lorsqu’on me pince de trop près.

— Il ne se trouvait donc pas de jeune garçon pour vous taquiner, dans le grand château où vous avez grandi ?

— Westfort était un château bien modeste. Et oui il s’y trouvait bien des jeunes garçons, mais… Le genre de taquineries qui se pratiquait chez moi avait de quoi vous couper la chique.

Olenna éclata de rire, décidément elle commençait à bien aimer ce gaillard et ses manières directes.

— Quand bien même, je ne vous porte aucune rancune pour Loras. Mes petites ! ajouta-t-elle à l’adresse des fillettes. Laissez-moi avec ce noble ser, nous avons à parler des choses que vos petites cervelles de moineau ne pourraient saisir. Asseyez-vous ser Mors, ne restez pas planté comme un paon, désirez-vous manger quelque chose ?

— Non merci madame.

Une des filles en passant lui gratifia d’un sourire timide et Mors détourna les yeux à la fois troublé et gêné. Lady Olenna ne manqua pas ce détail.

— Il semblerait que ma petite Elinor se soit amourachée de vous, ser !

— A dieux ne plaisent, j’ai l’âge de son grand père madame. Je doute de faire un parti convenable si c’était le cas. De plus, je suis voué à la Garde de Nuit.

— Moi je la trouve plus sensée que ses sœurs insipides. Elles s’amourachent de jeunes blancs becs qui n’ont rien d’autre que de la purée de poids dans le ciboulot. Pour ce qui est de l’âge… regardez cette délurée de Lysa Tully ! Elle a bien épousé le vieil Arryn et ne s’en porte pas plus mal, à part bien sûr quand elle donne le sein à son fils de sept ans.

Olenna pencha la tête vers l’avant et le regarda dans les yeux.

— Puis-je vous demander de bien relever votre capuche ? Je veux contempler vos traits a la lumière du jour, et ne craignez rien. Si vous avez une vilaine blessure, je suis capable de supporter le spectacle.

Mors attendit un moment, puis rabattit sa capuche noire. Olenna l’observait sans rien dire. Le silence dura assez longtemps pour qu’il ressente un certain malaise. Mais Olenna Tyrell le regarda droit dans les yeux, les paupières légèrement abaissées, et un soupçon de sourire apparut sur ses lèvres.

— Vous n’êtes pas mal pour un vieillard, ser Mors. Je parie que vous avez brisé quelques cœurs, en votre temps.

— Si c’était le cas, je crains que les femmes concernées n’aient fait que m’admirer de loin.

— Elinor elle, vous admire de très près, et je lui donne raison. Vous pourriez quitter la Garde et devenir mon beau vieux petit-fils, qu’en dites-vous ? La maison Tyrell gagnerait un chevalier renommé, de plus vous pourriez restaurer votre maison à Hautjardin, dresser à nouveau des chiens et me donner de petits molosses à deux ou à quatre pattes.

Mors sourit amusé.

— Vous oubliez madame qu’un frère juré de la Garde n’a d’autre maison que le Mur, et j’ai prêté serment de défendre le royaume contre les menaces du Nord.

— Billevesées que tout cela ! Le Mur tient debout depuis des millénaires même avec un garde en moins. Seriez-vous ascétique, ser ? Je vous donne ma petite- fille en mariage, et une place dans notre maison et vous me jetez cela en pleine à la face ?

— Ainsi donc, pour vous tous les hommes se ressemblent ? Infâmes créatures en quête de pouvoir et de richesses, facilement manipulables et dénués d’esprit ou de bon sens. Mais quelqu’un ayant ses vœux à cœur, et jurant sa vie sur l’honneur et non les honneurs vous parait idiot, voir dépourvu de jugeote… Je peux comprendre qu’une dame de votre rang voie les choses de cette manière. Même si cette analyse n’en demeure pas moins exhaustive, n’en déplaise à madame. 

— Si je comprends bien, vous dites que vous êtes au-delà des imperfections de votre sexe ? Que vous incarnez une exception, en étant exempt de tout ce qui fait défaut à l’homme ?

— Mon père m’a dit une fois, que se connaître soi-même est la tâche la plus difficile qui soit. Car elle implique directement notre faculté de raisonner, mais aussi nos peurs et nos passions. C’est uniquement en se connaissant soi-même à fond que l’on est en mesure de comprendre les autres, ainsi que la réalité qui nous entoure. Je ne suis pas omniscient, je suis assez bon guerrier pour reconnaître que d’autres me surpassent, tout comme j’ai l’œil pour comprendre ceux que je rencontre. Vous me jugez assez bon chevalier, au point de m’offrir la main de votre petite-fille en mariage, j’en suis charmé et honoré. Mais je devine que vous ne me donnez pas votre fille gratuitement, et qu’il y a toujours un os sous une main de velours. Que dois-je donc faire pour vous complaire ? Ou pour clairement le dire : contre quoi donnez-vous votre petite ?

— Mais contre rien, bien sûr ! dit-elle avec un sourire énigmatique.

— Contre qui, alors ?

— Tywin Lannister, déclara-t-elle en haussant les épaules.

— Mieux vaut une main de velours, qu’un gant de fer, n’est-ce pas ?

— Pourquoi pas ? dit-elle en ouvrant grand les yeux. Que devez-vous donc à un homme qui a fait assassiner votre femme et votre fille ? Un homme qui a osé vous demander une chose qui est à l’encontre de vos principes ? Je suis étonnée que vous acceptiez encore une fois de servir votre ancien seigneur, et cela après tout le mal qui vous a fait… L’omniscience et l’idiotie ne vont pas de pair, ser chevalier. Et non, je ne vous traite pas d’idiot, mais d’inconscient. Qu’avez-vous à gagner en pactisant avec le Lion ?

— Un moyen comme un autre d’arriver à mes fins. N’avez-vous pas vous même fait épouser votre petite Margaery au roi Joffrey ? D’aucuns auraient qualifié cette union avec ce… petit merdeux de folie furieuse.

— Peut-être qu’il faut remercier les dieux d’avoir évité à Margaery un petit merdeux comme époux.

— Ou Tyrion Lannister.

— Ou Tyrion Lannister, dit-elle en haussant les épaules.

— Connaissez-vous la Mandragore Noire ? demanda Mors en la regardant dans les yeux.

— Bien entendu, dit-elle en souriant à nouveau, je m’en suis servi récemment pour tuer un petit merdeux qui commençait sérieusement à faire des siennes.

Mors ouvrit les yeux de stupeur. Cette vieille femme le déroutait de plus en plus. Olenna de son côté souriait le plus naturellement possible. Le jeu devenait encore plus amusant.

— J’espère pour vous que le merdeux en question ne portait pas de couronne.

— Oh je vous en prie ! Bien sûr qu’il portait une couronne ! Je n’allais quand même pas laisser ma Margaery épouser un être aussi vil et abject.

— Et vous reconnaissez cela comme ça, devant moi ?

— Je n’ai rien à craindre de vous ser, ce sera votre parole contre la mienne. De plus, j’ai dit que j’ai tué le moufflet, mais comment ai-je fait cela ? Tout le monde a vu le nain donner la coupe à Joffrey, tout le monde était témoin du crime, à commencer par lord Tywin et la reine Cersei. Pensez-vous vraiment qu’on vous croira sans preuve ? Le vieux Lion est aussi guindé que la Lionne couronnée, on vous taxera de fou, ou on vous jettera aux fers. Le meilleur moyen de tromper ce beau petit monde était d’accomplir des gestes qui n’ont aucun but, voire paraître œuvrer contre mes propres intérêts. Une main de velours certes, mais qui peut tout autant tuer qu’une main armée d’acier.

— Au moins l’acier est franc et sans surprise, déclara Mors d’une voix glaciale. Vous avez condamné un innocent pour vos propres crimes.

— Tyrion n’est qu’une victime du Jeu des Trônes, il aurait dû rester en dehors de tout cela, mais il a été sacrifié dans la partie. J’en suis malheureuse, croyez moi.

— Pas autant que moi, dit-il froidement. Vous avez raison, je n’ai aucune preuve contre vous, mais je ne vous laisserai pas condamner un innocent à mort.

— Faites donc, ser Mors. Allez essayer de sauver le nain. Cela ne changera rien, je vous l’assure.

Mors se releva et s’apprêtait à se retirer, mais il s’arrêta et regarda la vieille femme par-dessus son épaule.

— Prenez garde dame Olenna, il se pourrait que les dieux eux-mêmes conspirent contre vous. Le destin est une table de jeu plus conséquente que votre… Jeu des Trônes.

— Le destin, ser Mors, répliqua-t-elle amusée, sourit aux intrépides.

Cette fois, le Boucher lui rendit le sourire.

— Sur ce point je suis d’accord avec vous. Permettez-moi de vous poser une toute dernière question : qui a défloré la petite Elinor ?

Cette fois-ci, la Reine des Epines abandonna son sourire et le regarda comme si elle le voyait pour la première fois.

— J’en étais sûr, conclut Mors écœuré.

Il tourna les talons et se retira en faisant virevolter sa vieille cape noire.







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