Le Boucher
Le jour suivant, Mors passa plus d’une heure dans la chambre qu’il occupait au bordel de Chataya. En sortant, il huma la ville, comme le ferait un chien de chasse de retour en territoire connu. Ce lieu avait pour lui une signification particulière. Comment ne pas y ressentir l’assaut des souvenirs ? Il y avait passé la dernière partie de sa jeunesse. C’était dans cette cité que son destin avait basculé, que tout s’était joué… Jeune chevalier des terres de l’Ouest, pétri de confiance, d’idéalisme, à l’aube d’un destin brillant, Mors avait soudain enduré la trahison, d’abord celle d’Allester Sarwick, son meilleur ami et compagnon, puis et celle de Tywin Lannister, son seigneur et maître… Il avait refusé de se déshonorer en supprimant Elia et ses deux enfants, mais il avait condamné sa femme et sa propre fille à mort, car on n’échappait pas au Lion sans en payer le prix. Tywin avait fait assassiner Cerenna et Tya et l’âme de Mors s’était fissurée. Aurait-il dû s’ouvrir les veines et rejoindre sa famille dans le néant ?
Oh que non, il avait choisi la survie.
Vis. Survis. Et tu verras. La vie, c’est l’espoir.
Le salut inespéré lui avait été fourni par le lord commandant Qorgyl. La Garde de Nuit lui avait apporté l’espoir alors même que l’espoir était mort. Elle l’avait sauvé, l’avait fait renaître, rendu plus fort, plus dur, jusqu’à en faire son meilleur Patrouilleur. Le traqueur ultime, le tueur impitoyable. Le compagnon favori de l’Etranger. Il avait combattu aux côtés de Benjen Stark et de Quorin le Mimain, affrontant des sauvageons assoiffés de sang et de massacre, et gagnant le surnom de Boucher durant une mission ou lui seul avait survécu. On l’avait trouvé debout au milieu d’un champ de cadavres, blessé et à bout de forces, tenant une épée brisée ensanglantée. Ses frères de la garde avaient tous péri, mais Mors était avait combattu encore et encore, sans s’arrêter. Eviscérant et tranchant tous ceux qui avaient le malheur de croiser sa lame. Combattre et survivre sans se poser de question, l’action avant tout. Soit. Au moins une musique familière. Une béquille. Un échappatoire.
Il marcha dans la rue et se demanda soudain quelle vie il aurait eu s’il avait obéi à Tywin, s’il avait suivi la voie tracée pour lui en tant que Lige de la maison Lannister ? Eût-il été plus heureux ? Mais alors il n’aurait jamais affronté ni vu les dangers d’au-delà du Mur, justement…
Il retint un grognement de colère. Il détestait se livrer à ce genre d’introspection. Il détestait toutes ces questions sans réponses qui l’élançaient comme une dent malade.
Haussant mentalement les épaules, il continua de diriger ses pas à l’ouest, s’enfonçant dans Culpucier, traversant le quartier des tanneurs jusqu’à rejoindre celui du port.
L’air marin emplit ses narines. Il n’accorda cependant aucune attention à la mer, aux navires amarrés là, ni aux mouettes qui s’ébattaient au-dessus des flots, en faisant résonner leurs cris aigus. Il gagna la grande esplanade du port dominée par la grande cité, et la traversa pour rejoindre un bâtiment de deux étages, calé entre deux immeubles. Sur le fronton de l’auberge, s’étalait un panneau au bleu délavé par les intempéries, sur lequel figurait la silhouette d’une femme nageant entre les vagues.
La Sirène rieuse.
Mors entra dans l’établissement et descendit une dizaine de marches qui le conduisirent à une salle basse de plafond, dans laquelle on avait dressé des tables rondes recouvertes de nappes à carreaux rouges et blancs. Des boxes étaient creusés le long des murs latéraux ; faisant face à l’escalier, un long comptoir au bois usé. La clientèle s’avérait conforme à l’endroit, des marins en escale et des résidents de Culpucier.
Celui que le Boucher était venu voir était là, assis à une table au milieu de la salle, installé dos au mur et aisément reconnaissable ; Gorrod Main Leste, comme à son habitude vêtu de cuir gris. Le vieil homme semblait égal à lui-même : chevelure mi-longue, barbe et moustache gris fumé. Son regard s’anima en repérant Mors, il se leva et lui serra l’avant-bras.
— Pour une surprise, c’est une surprise ! Comment tu vas, vieux chevalier de mes deux ? s’écria Gorrod avec chaleur.
— Pas très bien, dit Mors en le regardant gravement, surtout quand je vois ta sale gueule enfarinée.
Gorrod éclata de rire et lui fit signe de prendre place. Puis il héla un serveur et commanda des rognons flambés au vin du Bief et un double pichet de bière brune. Mors pour sa part choisit un poulet au miel et aux oignons, ainsi qu’une carafe d’eau. Une fois la commande passée, Mors fit à Gorrod un résumé des derniers événements : l’assassinat de Joffrey, l’emprisonnement de Tyrion Lannister, et la promesse de Tywin d’une armée pour le Mur. Gorrod caressa sa barbe grise et secoua la tête en poussant un soupir.
— Les Larmes de Lys sont très dures à confectionner, mais n’importe quel alchimiste ou mestre peut en préparer à condition d’y mettre le prix.
— Justement, fit Mors gravement, un marchand d’herbes peut très bien vendre les ingrédients nécessaires pour en fabriquer. Toi qui connais Port-Réal, tu pourrais m’indiquer les personnes qui en vendent ?
Gorrod réfléchit un moment puis répondit en regardant le vide.
— Il y avait un gars en ville, mais il s’est tiré avant que Stannis ne débarque avec son armée. Il y avait aussi un autre mais il a quitté le commerce et vit quelque part à Pierremoûtier. Je connais aussi une donzelle, alors elle… j’peux t’dire que c’est une garce de la pire espèce, une vraie empoisonneuse au cœur aussi noir que le dernier démon de l’enfer. On dit même que c’est une sorcière.
— Et elle vit ici à Port-Réal ? demanda Mors étonné.
— Oui-da, elle vend des bougies parfumées et des breloques et tout le toutim dans la rue de la Gadoue. Certains l’évitent, et d’autres … et ben… lui rendent visite la nuit pour acheter des philtres d’amour ou des poupées… Enfin, tu vois le genre…
— Ouais je vois, et elle s’appelle comment cette bonne femme ?
— Elle s’appelle Béatrice, et je te conseille de la jouer fine avec elle, sinon tu n’obtiendras rien de sa part.
— Je sais y faire, ne t’en fais pas.
La nourriture arriva enfin, et les deux mangèrent en silence. Au bout d’un moment, Gorrod dégusta sa bière et remarqua que son ami mangeait toujours avec retenue, tout en demeurant sur ses gardes. Il approuva cette attitude, en ces temps troublés, on n’était sûr de rien.
— Je vais quitter la cité, annonça Gorrod après avoir vidé sa bière.
— Je croyais que les gens du guet te foutaient la paix.
— Non Mors, dit Gorrod en soupirant, mais entre nous, ce royaume est fichu. Les badauds ne font plus confiance aux rois qui occupent le Trône de Fer. Je ne sais pas pour toi, mais moi quand j’étais chevalier, je croyais qu’on allait changer les choses en se retournant contre Aerys. Mais en fin de compte, on a échangé un fou contre un bouffon.
— Robert Baratheon n’a jamais été digne de porter une couronne, je le savais à l’époque. Et pourtant je me suis battu sous sa bannière… Je l’ai su le jour où j’ai mené une charge contre Jon Connington à la bataille des Cloches. C’est là que j’ai rencontré Robert pour la première fois, avec son fameux grand marteau. Et il savait se battre le salaud, tout comme il savait baiser les ribaudes après chaque bataille gagnée.
Mors sourit froidement et ajouta d’une voix pleine de mépris.
— Il guerroyait le jour pour sauver sa fiancée et baisait la nuit une fois la bataille gagnée. Parfois je me demande ce que Rickard Stark pouvait lui trouver pour lui donner sa pauvre fille en mariage.
— Rhaegar aurait dû gagner la guerre, dit Gorrod avec tristesse. Et je l’avoue sans fard, j’aurais dû dire à Jon Arryn et à son protégé d’aller se faire foutre lorsqu’il a rassemblé le ban, j’aurais dû rejoindre Rhaegar au Trident.
— Cela n’aurait rien changé, mon ami. Toi et moi avons servi de mauvais seigneurs, et Rhaegar au final… a été vaincu, au Trident. Il a perdu la bataille, perdu la guerre, perdu le royaume, perdu la vie. Son sang a été emporté par les remous de la rivière avec les rubis de son pectoral, et Robert n’a eu qu’à faire fouler son cadavre par son cheval pour dérober le Trône de Fer. Rhaegar s’est battu vaillamment, Rhaegar s’est battu en homme d’honneur. Et Rhaegar a péri.
Gorrod ferma les yeux et Mors regarda son ami avec tristesse. Parfois réalité et vérité formaient un couple difficile à séparer.
— Dans quelques jours, je quitte Port-Réal pour la baie des Serfs, déclara Gorrod avec énergie.
— Sacré trajet ! Que feras-tu chez les esclavagistes ?
— Je vais rejoindre Daenerys Targaryen. Si je n’ai pas aidé le frère, alors autant combattre pour la sœur. Pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? Malgré l’âge, tu demeures un solide gaillard, et Daenerys aura besoin de gars de ta trempe lorsqu’elle débarquera à Westeros. De plus, avec son concours, tu pourrais régler tes comptes avec ce salopard de Tywin et récupérer tes terres et ton château.
— Oh mon ami, ne t’en fais pas, murmura Mors. Ce sont les dieux qui vont châtier Tywin, et cela de la pire manière qui soit. Le Mur m’a aussi appris une chose : plus le crottin pue, mieux il fait épanouir les fleurs.
Mors se leva et déposa quelques pièces de cuivre sur la table.
— Le repas est pour moi. Merci Gorrod et bonne chance pour les batailles à venir.
— Bonne chance à toi aussi, vieux chevalier.
Le Boucher opina du chef et tourna les talons en faisant virevolter sa cape noire. En sortant la Sirène Rieuse, il prit à gauche, et commença à monter les escaliers qui menaient au centre de la cité.
Pourtant le Corbeau se figea presque tout de suite. Emergeant de l’ombre d’une porte cochère, six hommes venaient en face de lui depuis l’autre côté de la rue pour lui barrer le passage, tandis que trois autres surgissaient dans son dos en lui coupant toute retraite. Mors s’aplatit contre un mur, ses omoplates pressant contre le bois d’une lourde porte en chêne pendant qu’il les laissait s’approcher.
J’ai déclenché quelque chose.
Les neuf individus avaient les cheveux courts, très courts, des silhouettes nerveuses ou massives. Dans leurs regards comme dans leurs postures, ils dégageaient cet air propre aux soldats ; leurs vêtures cependant – cuir et capes sombres – avaient une coupe civile.
Ils approchèrent, suintants d’agressivité, les traits durs, le visage borné. Ils avançaient les mains nues mais Mors repéra plusieurs lames portées à leur fourreau de ceinture. Impavide, prêt à tout, il les laissa venir à lui.
— Une bien belle soirée, n’est-ce pas mes garçons ? les interpella-t-il d’une voix engageante.
Son regard en revanche luisait d’un éclat glacé.
— Tu as importuné le Chevalier des Fleurs… riposta l’un des hommes, croisant ses bras musculeux devant lui.
L’accusation était nette, le sous-entendu également.
— Et donc il vous envoie à sa place ? ironisa Mors.
— Ben oui, le chevalier va pas perdre de temps avec une mouche à merde dans ton genre, répondit un autre.
— Te fatigue pas à discutailler avec lui, intervint un troisième, le plus costaud du groupe, qui se tourna ensuite vers le Boucher :
— Toi, tu as osé porter la main sur Loras Tyrell, maintenant on va te défoncer la gueule à coups de bottes !
Mors fit bouger sa tête pour étirer les muscles de ses épaules et son sourire carnassier vint s’afficher sur ses traits arides.
— Voilà un plan qui me semble un peu trop ambitieux pour vous les enfants, mais j’avoue que je suis curieux de voir comment vous allez réaliser ce fantasme.
— Ah ouais… Et bien tu vas…
Mors bondit sur le guerrier qu’il frappa sèchement en pleine gorge d’un revers du tranchant de la main. Il poursuivit son élan et brisa la rotule du deuxième d’un coup de botte avant de l’envoyer bouler contre la masse des autres. Puis dégaina son poignard et l’enfonça dans la cuisse du troisième qui avait osé l’attaquer par derrière, ensuite remonta son coude et frappa un quatrième en pleine glotte, après il lança un autre coup de poing qui fracassa la mâchoire du cinquième lorsque ce dernier tenta de le poignarder avec son stylet.
La rapidité d’exécution de son assaut multiple, l’aisance avec laquelle il l’avait perpétré fit hésiter les suivants. D’autres sbires cependant arrivaient à la rescousse de tous côtés. Mors recula jusqu’à s’adosser à la porte. Elle était verrouillée.
Ils étaient probablement trop nombreux, mais il en abattrait le plus grand nombre possible avant de succomber.
Les assaillants se rapprochèrent de nouveau, cette fois les armes à la main. La défaite se profilait.
C’est alors que derrière lui résonna un enclenchement métallique. La porte s’ouvrit.
— Vite, souffla une voix féminine.
A peine entré, Mors sentit la porte se refermer derrière lui, le verrou poussé.
Devant lui, se tenait une jeune femme élancée aux cheveux roux, revêtue d’une robe plutôt attrayante. Ses grands yeux d’un bleu intense le fixaient d’un air amical.
Les coupe-jarrets frappèrent la porte de chêne à coups redoublés, sans pour autant parvenir à l’ébranler.
— Venez, lui dit la femme. Ces brutes vont probablement tenter de vous intercepter devant l’entrée principale. Je vais vous conduire de l’autre côté du bâtiment, où vous pourrez sortir en sécurité.
— C’est quoi cet endroit ? demanda Mors en regardant autour de lui.
— Vous êtes dans un bordel privé monseigneur, venez vite.
D’un hochement de tête le vieux chevalier signifia son accord. La jeune femme le guida par un escalier puis une longue galerie d’où l’on pouvait discerner le brouhaha étouffé d’un salon d’invités. Ils montèrent un nouvel escalier, empruntèrent un couloir, avant de s’arrêter devant une double porte. Son accompagnatrice se tourna vers lui :
— Vous pouvez vous esquiver par là.
— Merci, ma dame. Quel miracle a bien pu vous placer sur ma route ?
— Cela n’a rien d’un miracle, messire, sourit-elle en dévoilant les fossettes de ses joues. Je suis sortie sur l’un des balcons pour m’aérer un peu, et je vous ai vu d’en haut en bien mauvaise posture. Je ne pouvais pas rester sans rien faire alors j’ai décidé de vous aider dans la mesure de mes moyens. Estimant que je n’aurais pas le temps de chercher du secours, je me suis contentée de descendre les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée et de vous ouvrir. Cela n’a rien d’un exploit.
— Et bien, pour moi c’en est un. Mais dites-moi ? ajouta-t-il en la regardant intrigué. Je crois vous avoir déjà vue quelque part…
Le sourire de la jeune femme s’élargit.
— En effet messire, je suis Ros.
— Ah oui ! L’assistante de Littlefinger. Comment vous remercier ?
Elle balaya l’air de la main :
— Vous ne me devez rien, j’ai fait mon devoir, rien d’autre. Je me demande tout de même ce que vous voulaient ces brutes.
— J’ai déplu à quelqu’un, ils voulaient me le faire payer, expliqua le Boucher.
— Pour qu’il y ait autant d’hommes en face de vous, c’est que vous avez affaire à quelqu’un de puissant, analysa son interlocutrice.
— À quelqu’un que je n’ai pas frappé assez fort, surtout, et qui va finir par regretter de m’avoir rencontré, asséna Mors. Enfin, en tous cas mille mercis de m’avoir sauvé.
Et comme la première fois, il lui fit le baisemain puis ouvrit la porte qui débouchait dans une rue calme et sortit, bientôt happé par les ombres de la nuit.
Ros l’observa s’éloigner d’un regard pénétrant, avant de rebrousser chemin pour rentrer, un pli pensif lui barrant le front.
*
Le bâtiment qui abritait la boutique de Béatrice avait la forme d’un croissant horizontal aux parois cristallines. Il surplombait les quartiers de la Gadoue, tel un albatros aux ailes déployées comme assoupi par la chaleur d’un soleil. Mors en regardant les alentours, se dirigea vers la porte d’entrée et repéra un chat noir assis sur un tonneau qui semblait le guetter. Il s’arrêta un moment et observa le chat d’un œil scrutateur, la bête soutenait son regard sans ciller, comme l’aurait fait un limier en garde devant la porte de son maître. Fronçant les sourcils, il entra sans prêter garde aux fioles et aux potions positionnées derrière la vitrine d’exposition.
L’intérieur de la boutique comprenait tout le matériel propre aux apothicaires : un lot de fioles, de pots, d’éprouvettes, de bocaux divers, d’entonnoirs, de mortiers et de pilons, le tout rangé sur des étagères le long des murs. Il y avait également une paillasse d’alchimiste dans un coin, avec un brûlot.
Une femme se tenait derrière un comptoir, vêtue d’une robe aux reflets vert d’eau. Elle était grande, plantureuse, les cheveux châtains, mi-longs et torsadés. Elle n’était pas surprise en le voyant, son sourire devint encore plus avenant après l’avoir toisé sans cacher sa satisfaction.
— Bienvenu dans ma boutique, mon noble ser.
Cette curieuse lenteur qu’elle avait dans la voix, dans les gestes, elle l’avait surtout dans sa manière de se bouger et de regarder. Elle donnait une impression d’indolence comme si elle se réjouissait du malheur des autres. Mors sut d’instinct qu’il devait se méfier d’elle, c’était le genre de femme qui établissait avec les hommes, dès le premier abord, une relation soudaine de complicité, comme si elle ne leur opposait aucune résistance. Mais qui en même temps, leur faisait se demander si elle était complètement stupide ou si elle se moquait d’eux.
Essayons toujours la méthode douce.
— Pardonnez-moi de vous déranger en cette heure madame, mais je cherche des renseignements sur un poison, je sais qu’on ne le vend pas par ici, mais les ingrédients de sa composition en revanche…
— Sont vendus dans n’importe quelle boutique de Port-Réal, coupa-t-elle d’une voix mélodieuse. Travaillez-vous pour le guet, mon noble ser ?
— Nullement, n’ayez crainte, tenta de rassurer le Boucher.
— Oh mais je n’ai aucune crainte, toutefois… On n’est jamais trop prudent par les temps qui courent. De quel type de poison est-il question ?
— Les Larmes de Lys.
— Je vois, dit-elle songeuse. Un poison indolore aussi redoutable que l’Aloès de Loup. Mais je ne fabrique jamais ce genre de produit même sur commande spéciale.
— Même si on vous donnait une bourse pleine d’or ? demanda Mors avec un sourire complice.
Loin de se décontenancer, Béatrice éclata d’un rire moqueur.
— Il n’est pas question d’or, mon doux ser. Mais de bon sens, je peux préparer ce poison, si on me fournit les ingrédients et le matériel nécessaire, mais on me fera aussitôt disparaître une fois mon travail achevé, vous ne croyez pas ?
— En effet, admit-il d’un ton songeur. Et je devine que personne ne s’est présenté à vous pour commander ce poison ?
— Non personne, et même si c’était le cas, les Larmes de Lys sont à utiliser avec prudence. Si une personne devait tuer quelqu’un avec, elle devrait au moins posséder un minimum de savoir faire, le poison est une épée sans garde, mon doux ser.
— Quand bien même… dit Mors songeur. La victime du meurtre s’est griffé la gorge comme si elle avait cherché à extraire la douleur de l’intérieur.
— Dans ce cas, l’empoisonneuse a ajouté de la Mandragore Noire, un autre poison aussi violent que mortel. À double dose, il peut aussi bien tuer un éléphant en quelques minutes qu’un enfant en quelques secondes à peine. Et je peux vous jurer que personne à Port-Réal n’a les compétences nécessaires pour préparer la Mandragore Noire. Moi-même je ne m’y risquerais pas, c’est trop dangereux.
— Alors dans ce cas, qui peut en fabriquer et surtout où ?
— Moi je dis que c’est une femme qui l’a fait.
— Pourquoi une femme ?
— Pas n’importe laquelle, je dirais même que cette garce doit être originaire du Bief, il n’y a que là-bas qu’on peut préparer de la Mandragore Noire avec les Pétales Sanguines et du Manioc qui y pousse en abondance.
— Le poison a toujours été une arme de femme.
— Pour sûr, dit Béatrice en clignant des yeux, nous ne sommes pas toutes aussi braves que Vysenia Targaryen ou la princesse Daena Mèche Dorée. Certaines aiment plus la subtilité que le sang versé.
— Ou garder les mains propres, surtout, dit Mors gravement.