Rhaenys

Chapitre 3 : Faire face

1986 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/01/2014 12:45

Rhaenys.

Chapitre 3 : Faire face.  

 

Chacun de mes pas s'enfonçaient dans la boue, et bientôt je me retrouvai pataugeant jusqu'aux chevilles. J'avais de plus en plus de mal à avancer, et plus d'une fois j'avais été tentée de m'arrêter là pour aujourd'hui. Mais je savais que si je m'arrêtais, je ne repartais pas.  Alors je continuais.

L'averse ne facilitait pas les choses. Le ciel s'était couvert très vite et la pluie était arrivée plus vite encore. Cela faisait des heures, des heures et des heures qu'elle tombait violemment sans s'arrêter. A moins que ça ne fasse plusieurs jours ? Je me rendis compte avec un vertige que je n'en avais aucune idée, et que ma raison ne faisait que suivre mes pas qui me portaient vers l'inconnu. J'étais fatiguée de réfléchir, tout ce que je voulais c'était rentrer à la maison. J'avais beau être glacée jusqu'aux os, je n'avais ni la force de claquer des dents, ni la force de tenter de me réchauffer. Le sang du dragon coule en moi. Je n'ai pas besoin d'être réchauffée. J'étais comme un animal égaré guidé par son instinct. De temps à autres je refaisais surface et je tentais de raisonner par moi-même ; ça ne durait jamais longtemps et je retombai dans un mutisme pour plusieurs heures.

Durant un de mes moments de lucidité, je m'étais arrêtée, déshydratée, boire dans un ruisseau qui débordait de son lit. En me penchant, j'avais croisé le regard de mon reflet, et je ne pu plus en détacher les yeux. Mes cheveux. Mes yeux. N'importe qui au monde savait ce qui distinguait les Targaryen de la race inférieure. Leurs cheveux d'or et d'argent, et leurs prunelles indigo. La route jusqu'à Port-Réal serait longue et semée d'embûche ; et si je tombais sur des gens mal famés ? S'ils reconnaissaient le sang Targaryen qui coulait en moi, et si la nouvelle de la disparition de la Reine s'était répandue ? Je serais en danger. Mes mains s'étaient mises à trembler. Je ne pouvais rien faire pour la couleur de mes yeux. Ils pouvaient passer inaperçus, à la limite, mais...Mes cheveux. J'avais finis par lâcher mon reflet du regard, par m'agenouiller sur la berge du ruisseau en oubliant que j'avais soif. Mes mains s'étaient portées d'elle-même à ma ceinture, à mon couteau. Il était encore tâché du sang de Meraxes. Il goutta. Il tâcha l'eau de pourpre. Je le portai à mon visage.

Je passai ma main sur mon crâne dégarni. Je n'étais pas totalement chauve, encore heureuse, il me restait une fine toison qui pouvait passer pour blonde. Je n'étais pas mécontente du résultat ; en plus de dissimuler ma parenté, je m'était vite rendis compte que ces cheveux courts me donnaient un air très masculin et que je pouvais passer assez facilement pour un homme. En voyant mon reflet dans l'eau du ruisseau pour la première fois, l'émotion m'avais submergé au point d'en lâcher mon couteau. Ma ressemblance avec Aegon m'avait frappé de façon si soudaine que mes mains s'étaient mises à trembler toutes seules. Ma vue s'était brouillée et les larmes avaient inondées mon visage.

Aegon. Pourquoi penser à lui dans un moment pareil, et surtout, pourquoi en pleurer ? Je n'en avais strictement aucune idée. Mon coeur se serrait étrangement à la seule pensée de son visage, comme si quelqu'un me soufflait dans l'oreille que je ne le reverrais plus jamais. Foutaises. Je retourne à Port-Réal. Chez moi. Mais Port-Réal était-il vraiment mon chez-moi? Moi qui il n'y a pas si longtemps que ça ne jurait que par Peyredragon? J'avais l'impression que j'avais quitté mon îlot grisâtre il y a des millénaires. A moins que ce ne soit pas qu'une impression? A peine cette pensée m'avais-t-elle effleurée que je retombai dans ma léthargie.

Ce qui me "réveilla" pour de bon fut la lumière qui témoigna d'un signe de vie. D'abord assez indistincte et étouffée, je cru que je divaguais pour de bon mais la suivait néanmoins dans l'espoir de rejoindre la civilisation. Puis, peu à peu, au fur et à mesure de ma -lente- progression, elle s'amplifia jusqu'à en devenir aveuglante pour quelqu'un qui avait passé des heures -voir des jours- dans l'obscurité du bois. Quand je me fus habitué à l'éclat, je compris avec joie qu'il provenait d'une auberge, et que j'étais enfin sortie du bois. Je titubais sur plusieurs mètres, épanouie, ne croyant pas en ma chance, en me demandant quel dieu je devais remercier pour cette aubaine.

Quelques minutes plus tard, après avoir totalement repris le contrôle de mon esprit et de mon corps, je me trouvais assise à une table près de la fenêtre. La douce chaleur qui régnait dans la pièce était le plus beau des réconforts, et je me sentais incroyablement détendue malgré la douleur de mes muscles meurtris. A mon grand soulagement, en entrant dans la pièce, je n'avais trouvé qu'un vieil homme à moitié saoûl attablé au fin de la pièce. Je m'étais assise en vitesse, les yeux baissés, en espérant ne pas me faire remarquer. L'aubergiste, une femme aux formes généreuses, finit par s'approcher en essuyant ses mains dans sa robe crasseuse.

- J'te sert quoi, mon p'tit gars ?

Mon coeur se mit à battre la chamade quand je compris qu'elle me prenait bel et bien pour un homme. Et voilà que je devais lui répondre, et voilà que je devais espérer que ma voix ne me trahisse pas, et voilà que je devais faire attention de garder les yeux baissés.

- Qu'chose de chaud, croassai-je d'une voix cassée par le mutisme.

Un instant, je cru que je n'avais pas été assez convaincante car je sentis son regard suspicieux me détailler des pieds à la tête. Une goutte de sueur perla le long de ma nuque tandis que je m'obstinait à garder les yeux baissés. C'est bon. C'en est fait de moi. La femme finit par s'éloigner en direction de ses cuisines, et je pu respirer de nouveau. De peur d'être percée à jour, je pris soin de prendre une pose masculine et de donner à ma bouche le pli dur qu'ont souvent les hommes aguéris. Je restai songeuse en regardant par la fenêtre : je passais tant pour un homme que ça ? On m'avait souvent dit que j'avais la carrure d'un garçon grâce à mon agilité et ma puissance rare chez une femme ; et les habits que je portaient actuellement -ceux que je mettais pour monter à dos de dragon-, des vêtements faits pour l'action, gommaient mes formes et mettaient mon côté masculin en valeur. J'eu un sourire vague ; la chance était décidement de mon côté.

L'aubergiste revint une dizaine de minute plus tard, une vulgaire écuelle entre les mains. Elle la posa négligemment sur la table et je découvris avec joie une cuisse de lapin. Elle tendit la main et je pris quelques secondes à comprendre que je devais la payer. Je sortis une pièce d'or de ma poche et elle mordit dedans avant de s'éloigner d'un pas nonchalent. Je me jetais sur la nourriture sans tarder. Le lapin n'était que tiède, assez médiocre, mais rien ne valait la saveur de la nourriture sur la langue. Je ne pris aucun scrupule à manger avec les doigts, ce qui ne m'étais jamais arrivé à cause de la raideur de l'éducation que m'avait donné Aegon. C'est avec bonheur que je sentis le jus dégouliner le long de mon menton, et je pris encore plus de plaisir à l'essuyer du revers de la main. J'eus soudain l'étrange envie d'éclater de rire et de bonheur, la vie était si belle. La voilà, l'aventure que j'attendais depuis toujours. Très loin de chez moi, dans le doute et le danger, les poches -presques- vides, l'estomac à peine satisfait, sale et écorchée, voilà ce que c'était, la vie, la vraie. Mais pourquoi c'était après la mort de Meraxes que je devais me rendre compte d'une telle chose ? Nous aurions pu partager cette soif d'aventure à deux, comme nous l'avions toujours voulu. Mon coeur se serra, et mon adrénaline retomba d'un coup.

Quelques minutes plus tard, la porte de l'auberge s'ouvrit soudain et un homme au long manteau noir s'engouffra dans la pièce en même temps que le vent. Un frisson glacé me parcourut l'échine. L'aubergiste alla le saluer avec plus d'enthousiasme qu'elle ne l'avait fait avec moi. La porte se referma dans un fracas, mais le froid de dehors était toujours là.

- C'fait plaisir de t'voir, mon gars.

- Ouaip, ç'fait pas d'mal d'être au chaud. Suis glacé.

Sa voix était grave et rauque. Il laissait de la boue derrière ses pas, et il s'obstinait à ne me montrer de lui que son dos.

- J'te prépare qu'chose de chaud. Des n'velles du nord ?

- M'en parle pas.

Il baissa la voix. La curiosité piquée au vif, je tendis l'oreille pour entendre la suite de leur conversation. L'homme au long manteau reprit :

- Un vér'table bordel à la capitale. Y parait qu'ya eu quelqu' pépins...

- Ah ?

- Y parait que c'la Reine. Enfin, une des Reines.

- Bah qu'est-c'qui ya ?

Mon coeur s'accélèra. Ils ont remarqués ma disparition. Ils vont partir à ma recherche !

- Chute de dragon. Embuscade à c'qui parait. Z'ont retrouvé son corps. Elle est morte.

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