Rhaenys

Chapitre 4 : Comme morte

2025 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:57

Rhaenys.

Chapitre 4 : Comme morte.  

 

La mer. 

Le vent salé me fouettait le visage tandis que je regardais cette immensité bleue qui s'étendait à contre-bas. L'air pur me redonnait presque envie de vivre. Mon regard indigo s'attarda sur l'écume qui blanchissait les parois rocheuses et sur les immenses vagues qui s'écrasaient tout en bas, si loin. Il me suffirait de faire un pas en avant pour que tous mes soucis s'envolent. Cette pensée me fit sourire. Se précipiter du haut d'une falaise est une mort héroïque après tout. Pendant les secondes qui précéderont ma mort, j'aurais l'impression de voler à nouveau. Moi qui autrefois avait toujours le regard rivé vers le ciel, voilà que maintenant mes prunelles ne voulaient pas se détacher des profondeurs marines. Le ciel. Dieux que j'aimerais y retourner. Je m'enlaçais de mes deux bras pour chasser ces pensées. Tu n'es plus maître du ciel, Rhaenys. Ca n'a jamais été toi. C'était Meraxes, et tu n'es plus rien sans lui.

Plus rien.

Quel étrange sentiment d'être morte. De savoir que tu ne compte plus pour personne, et que les gens oublieront bientôt que tu ai même pu exister. Non, j'ai été Reine, il y aura toujours quelqu'un pour se souvenir de moi. Mon coeur se serra douloureusement dans ma poitrine. Vraiment? Non, me rectifiai-je. Non. J'avais cru de tout mon coeur en Aegon. J'avais eu la sottise de croire qu'il m'aimait, qu'il me préferait à Visenya. Et voilà que maintenant ils me disaient mortes, en prétextant avoir retrouvé mon corps. Tu sais très bien que je suis toujours en vie, Aegon. Je fus secouée de sanglots si violent que je dus m'agenouiller à terre pour ne pas perdre l'équilibre. Je m'enlaçai de mes deux bras pour me bercer, peut-être pour me donner l'illusion que je comptais encore pour quelqu'un. Aegon. Je me ressassai son nom pour en tester les saveurs, pour me persuader qu'il viendrait lui-même à ma recherche, splendide et royale sur son immense dragon noir. Il a renoncé à mon existence. J'imaginai Visenya à ses côtés sur le Trône de Fer, lui chuchotant des mots empoisonnés à l'oreille, auxquels il répondait d'un hochement de tête distrait. Elle l'a forcément influencé. Forcément. Mes sanglots se calmèrent petit à petit, et mon regard se posa de lui-même à l'horizon, et bientôt je fus totalement détendue. 

La mer.

Au loin, les îles boucliers se dessinaient vaguement sur le ciel bleu. C'est beau, là-bas? Comment est-ce, un peuple marin ? Et le Mur, cet immense édifice de glace, comment est-il? Y fait-il aussi froid qu'on le prétend? J'aimerais tellement aller voir les Iles de fer aussi, et peut-être même vivre de la pêche. Retourner à Dorne. Sentir le parfum des fleurs à HautJardin. Contempler le savoir de Villevieille, regarder la neige tomber à Winterfell. Et puis soudain, je me rendis compte de la soif d'aventure qui me tenaillait depuis toujours. A Peyredragon, elle était déjà présente, mais l'île me coupait du monde extérieur et m'interdisait toute forme de voyage. A Port-Réal, excepté pour les voyages politiques, je n'avais pas le droit de quitter le Donjon Rouge. Un jour Meraxes, nous irons au-delà des Mers du Crépuscule, et nous serons les premiers à en revenir pour raconter ce que nous y avons vus d'extraordinaire. Un mince sourire se dessina sur mes lèvres quand je repensai à cette promesse que j'avais faite à mon dragon. Maintenant qu'il m'avait quitté, maintenant que je n'était plus rien sans lui, mon rêve le plus fou ne se réaliserait jamais. Mon regard se posa sur un bateau qui filait à l'horizon, ses immenses voiles claquant au vent marin. Comment est-ce, de voyager par mer ? Comment est-ce, de sentir le pont tanguer sous ses pieds ? De voir la mer chaque matin au réveil et chaque soir au crépuscule? L'envie de prendre le bateau pour partir explorer les Mers du Crépuscule monta subitement en moi, et je ris de ma propre bêtise. Allons, Rhaenys. Quel idiot suicidaire sacrifierait un navire et un équipage pour s'aventurer dans des terres inexplorées? Personne.

Personne.

Je frissonnai violamment, et me rendis compte à quel point le fond de l'air était froid. Ma béatitude m'abandonna et la tristesse et la douleur en profitèrent pour remonter à la surface. Jamais je ne m'étais sentie aussi seule. A quel destin suis-je à présent vouée ? Je me sentais incroyablement vide et misérable. Je pourrais réaliser les rêves que ma condition de Reine ne m'avait jamais permise. Cela signifierait renoncer à mon ancienne vie. A Aegon. A Aenys. Mon fils. Il y eut soudain des larmes dans mes yeux, mais je les laissais couler et rien au monde ne m'aurait convaincu de les essuyer. Que vont-ils faire de lui? Quel roi sera-t-il, quel roi l'obligeront-ils à l'être? Une terreur soudaine monta en moi. Se souvient-il que j'ai existé? Il est si petit. J'avais tellement envie de le revoir, de le serrer dans mes bras, de m'excuser d'être partie sans lui, de m'excuser de toutes les fois où j'avais été égoïste et où j'avais préféré voler plutôt que de rester avec lui. Et puis soudain, la vérité me frappa de plein fouet.

Jamais plus je ne retournerais chez moi.

C'était comme si quelqu'un avait tout d'un coup effacé mon passé, et que j'étais dans l'impossibilité de le réécrire pour que tout redevienne comme avant. Jamais plus je ne reverrais mon fils. Je ne le verrais jamais grandir, je ne serais jamais plus mère. Jamais plus je ne reverrais Aegon. La douleur fut si violente que mon cerveau, pour s'imuniser à la douleur, se déconnecta du reste de mon corps.

Je ne sais pas combien de temps je restai assise en haut de cette falaise. Je ne parlais plus, je ne pensais même plus. Je regardais la mer. Je ne sais pas ce que j'attendais alors. Peut-être que je me réveille soudain en sursaut dans mon lit au Donjon Rouge, et que la terreur de ce cauchemar finisse par se dissiper avec mes larmes. Peut-être attendais-je la venue d'Aegon, qui me serrerrait dans mes bras pour me dire que tout allait bien.

Je finis par me rendre en ville, et mes souvenirs restent alors très floues. Mon corps décidait de toutes mes actions, car je m'étais recluse dans un coin de mon esprit comme une petite fille effrayée par le noir. Je me souviens avoir tendu un dragon d'or à un vieil homme, qui m'avait demandé où je voulais qu'il me conduise. A quoi j'avais répondu d'une voix brisée :

- Où vous voulez.

Je me souviens avoir passé une dizaine de jour endormie à l'arrière d'une charette, dans des meules de foin si épaisses que je m'enfonçais dedans. A chaque fois que je me réveillais, je voyais la mer défiler sur notre gauche et l'idée stupide m'était venue qu'elle nous suivait. Voyant mon regard émerveillé, le vieil homme avait ri et avait déclaré que nous longions la Route du Front-de-Mer jusqu'à Port-Lannis. 

Je contemplai la mer à loisir pendant 17 jours. 

Le matin de ce 17ème jour, nous atteignimes la grande ville. Mon ange gardien me dit que c'était là que nous nous séparions, qu'il allait voir sa fille et petit-fils récemment né. Je le quittai sans un mot, et me mit à déambuler parmis les rues. La ville était immense. Pas aussi immense que Port-Réal, mais je n'avais jamais eu l'occasion de sortir dans la capitale. Pour la première fois de ma vie, je me sentis minuscule et insignifiante. Les avenues étaient bondées, les marchés étaient bruyant, c'était sale, le soleil brillait, c'était beau. Après quelques heures de déambulations, je me rendis à une auberge que le vieil homme m'avait conseillé. La salle commune était bondée, je me faufilai tant bien que mal jusqu'au comptoir où je demandai une chambre pour la nuit. Par chance, il n'en restait plus qu'une, et je demandai également un repas chaud. Je me frayai un chemin jusqu'à une table de libre au fond de la salle, et attendis mon repas. Malgré le brouhaha permanent et le vacarme qui régnait autour de moi, je sombrais dans une profonde torpeur dont je fus extirpée par l'aubergiste qui me secouait par l'épaule. Je papillonnais des paupières, et pris un certain temps à comprendre ce qu'elle me disait.

- Désolée.

Je sortis des pièces de ma poche de ma main fébrile et lui remis. J'allai m'attaquer à mon ragoût quand une scène retint mon attention. Pas très loin de moi, un homme était assis à une table, encadré par deux autres grands diables. Il avait des cheveux gris lissés en arrière, le teint buriné par le vent salé et les mains caleuses. Un marin. Des hommes faisaient la queue devant lui, et après quelques minutes de discussion avec chacun d'eux, il notait quelque chose sur un grand parchemin. Je retins l'aubergiste par la manche.

- C'qui, là-bas? Questionnais-je en espérant que ma voix ne me trahisse pas.

Elle regarda dans la direction que je lui indiquais.

- Jon, mais y préfére qu'on l'appelle Cap'taine Jon. Y r'crute des hommes pour partir en mer.

- Pour aller où ? Ma voix se brisa.

Son air soupçonneux me détailla des pieds à la tête, avant que l'aubergiste daigne me répondre :

- C'une mission suicide. La Mer du Crépuscule, qu'il dit. 

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