Tu le paieras un jour William Afton
Une semaine s'écoula avant que William ne daigne remettre les pieds au restaurant. Ils avaient convenu avec Scott d'organiser l'anniversaire d'Elisabeth une fois l'attention des médias retombée, ce qui se fit rapidement. A l'approche d'Halloween, une recrudescence de "zombie-walk" inquiétait le maire de la ville, qui craignait que des habitants trop effrayés utilisent leurs armes sans le vouloir et blessent des civils. A défaut, le restaurant gagnait en popularité. Les amateurs de sensations paranormales affluaient pour demander s'ils pouvaient passer une nuit dans le restaurant, si bien que William avait commencé à considérer l'idée, par désespoir.
En arrivant au restaurant, ce matin-là, son regard heurta encore le comptoir du magasin d'armes en face de chez lui. Après avoir longuement hésité, il décida de s'en procurer une. Etant donné la nécessité d'obtenir un permis pour en détenir une de qualité, il choisit un pistolet de petite gamme, avec juste une déclaration à remplir pour toute formalité. Ce n'était de toute façon pas comme s'il prévoyait de l'utiliser pour de vrai. Il ne voyait ça que comme une solution de dernier recours si jamais Henry devenait trop insistant.
Il déposa le précieux objet dans son bureau avant de se mettre au travail. Pour préserver la surprise, Scott avait prévu d'emmener Elisabeth dans une fête foraine toute la matinée, puis ses amis d'école avaient reçu pour ordre de venir à midi au restaurant. Seuls six avaient répondu à l'appel. Ils mangeraient une pizza, puis décoreraient la salle ensemble avant l'arrivée prévue de la fillette à quatorze heures. Connaissant la ponctualité presque maniaque de son manager, il avait plutôt intérêt à être à l'heure.
Par mesure de sécurité, il décida de ne laisser que Circus Baby sur scène et renvoya Funtime Freddy et Ballora derrière les rideaux. Pour Foxy, il n'y avait plus grand chose à faire. Le gérant avait commencé à travailler sur un nouveau modèle à partir des pièces encore utilisables de l'ancien. Il avait toujours la tête du robot, intacte, récupérée des expériences morbides du bureau d'Henry, et la majorité du torse. Les bras et les jambes devaient être intégralement refaits. Il préféra simplement ignorer ce qui était arrivé. Aucun robot n'avait montré d'autres signes de "possession" et il avait fini par se convaincre qu'il n'y avait pas encore de problème sérieux au Circus Baby's World.
Il eut à peine le temps de laver la salle et dresser la table que déjà les premiers enfants envahirent la salle. Retrouver les rires et les courses endiablées des garnements fit du bien à William. Il put également compter sur la bienveillance des parents pour amener des gâteaux supplémentaires pour le goûter. Une pile de cadeaux s'était empilée au pied de la scène, multicolore. Le temps de cuire les pizzas, William les laissa s'amuser sur les bornes d'arcade, tout en surveillant Circus Baby du coin de l'oeil. Il avait mis au point un petit programme le matin même pour compter constamment les enfants qu'elle avait sous les yeux. Il ne fonctionnait pas très bien, elle ne comptait que ceux qui se trouvaient dans son champ de vision, mais les chiffres qu'il recevait via son oreillette avaient quelque chose d'apaisant.
"Cinq. Trois. Deux. Cinq. Quatre. Deux. Deux. Trois."
Elle répétait la séquence toutes les minutes sans jamais se lasser, si bien que William n'y fit bientôt plus vraiment attention. Les enfants ne couraient aucun risque de toute façon. La plupart d'entre eux jouaient bruyamment dans la piscine à balles et sur les bornes d'arcade. Seuls deux petites filles blondes étaient assises devant la scène et jouaient avec des peluches à l'effigie de Freddy et Chica.
L'arrivée des pizzas fut accueillie avec enthousiasme. William profita de ce court temps de pause pour briefer les enfants sur ce qu'ils allaient devoir faire pour décorer l'immense salle. Deux d'entre eux accrocherait une pile de dessins confectionnées à l'occasion aux fenêtres, deux autres s'occuperaient des guirlandes, et les deux derniers des tables. William gonfleraient lui les ballons de baudruche géants, puis préparerait Circus Baby pour le grand show. Il ne voulait rien laisser au hasard. Rien n'était assez beau pour sa princesse.
Même l'arrivée imprévue d'Henry ne troubla pas le programme. Surpris de trouver autant d'enfants dans le restaurant, il fit rapidement profil bas devant le regard meurtrier de William, en train de débarrasser les boîtes vides du repas. L'homme partit dans les bureaux et le gérant pria pour ne pas le voir réapparaître de l'après-midi. Il serait dommage de l'insulter vulgairement devant de si innocents enfants. Il vida son angoisse dans les ballons de baudruche. Après une bonne dizaine gonflés, à bout de souffle, il opta pour la pompe gentiment prêtée par un des parents. Plusieurs explosèrent entre ses mains, mais le résultat fut bien plus efficace. En quelques dizaines de minutes, le sol fut recouvert d'une centaine de boules colorées. Les enfants en accrochèrent à l'entrée et les éparpillèrent dans toute la salle pendant que William s'attaquait au plus gros, qui devait être gonflé à l'hélium : un magnifique huit doré de près de trois mètres de haut. Chez les Afton, on faisait les choses en grand.
La dernière touche à son chef d'oeuvre fut la distribution à chaque enfant d'un canon à confettis. Ils terminèrent l'installation quelques minutes à peine avant qu'une porte ne claque à l'extérieur annonçant l'arrivée imminente de l'invitée principale. Sous les ordres de William, les six enfants se placèrent de chaque côté de la porte, canons à confettis braqués vers les deux silhouettes qui se tenaient derrière la vitre. La poignée tourna et la fillette entra. Elle se stoppa net, les yeux écarquillés, alors qu'une pluie de confettis tombait sur elle.
"Joyeux anniversaire Elisabeth ! crièrent les marmots et les deux adultes en coeur."
Elle éclata d'un rire cristallin avant de disparaître, étouffée dans un câlin et dans les cris de ses camarades de jeu enthousiastes qui la tirèrent de force vers le tas de cadeaux aux pieds de la scène, où Circus Baby dansait sur le rythme d'une musique festive. Un grand sourire éclairait le visage de la petite fille alors qu'elle déballait les premiers cadeaux avec enthousiastes. Un peu en retrait, William sentit son coeur se serrer. Cette année n'avait pas été simple pour eux, la voir heureuse était le meilleur cadeau qu'elle pouvait lui offrir.
Scott posa une main sur son épaule. Il était un peu pâle, et son costume tâché de substances peu râgoûtantes. William lui lança un regard interrogatif.
"Elle a voulu faire les tasses. Quinze fois d'affilée."
Le gérant éclata de rire. Scott avait bien des qualités, mais il avait toujours eu le mal des transports : que ce soit en voiture, en train ou dans un manège conçu pour des enfants de moins de dix ans. L'homme en costard lui sourit.
"Ca fait du bien de t'entendre rire. Profite de cette journée.
— Tu as raison. Il est temps de me reprendre en mains. Il y a eu trop de laisser-aller. Tu as mangé ? Il reste un peu de pizza dans le four si tu as faim.
— De la vraie pizza ou une de ces horreurs chimiques recomposées ?
— Quelle différence ? se moqua gentiment William."
Il ouvrit la bouche, profondément outré, avant de se raviser et de se contenter d'agiter son doigt devant son visage avec un air faussement menaçant. William haussa les épaules et lui tourna le dos pour aller s'occuper des occupants du restaurant. Plusieurs peluches à l'effigie du Circus Baby's World dépassaient des boîtes à peine ouvertes, ainsi que du maquillage et des dessins colorés. La petite fille était aux anges et exprimait sa joie bruyamment en sautant au cou de ses camarades. William tira du buffet un grand carton qu'il poussa jusqu'à la fillette. Les yeux d'Elisabeth se mirent à briller en comprenant qu'il s'agissait de son cadeau.
"Joyeux anniversaire, ma puce, lui dit son père en lui ébourriffant les cheveux."
Elle retira l'imposant noeud rouge qui se trouvait au-dessus de la caisse, et les quatres pans de bois chutèrent dramatiquement pour révéler l'objet contenu dans la boîte : il s'agissait d'une grande licorne robotique et chevauchable, aussi blanche que Circus Baby et à la crinière multicolore.
"Oh, papa ! Elle est magnifique ! Elle brille !
— Et ce n'est pas tout !"
A la corne du robot pendait une jolie robe violette. La tête de Circus Baby était imprimée sur le dos, tandis que le prénom de la fillette était écrit sur son torse, au-dessus d'un "Future employée". Scott rougit légèrement lorsque la fillette vint le serrer dans ses bras. Elle courut ensuite vers son père et lui déposa un baiser baveux et enthousiaste sur la joue. Elle les abandonna ensuite pour aller s'amuser avec les autres sur les bornes arcade.
Le reste de l'après-midi se passa dans le calme. William lança le show de Circus Baby peu avant le gâteau, et tous les enfants l'apprécièrent. Le gérant eut finalement l'impression que ce qu'il faisait était utile et que les mois de travail arrivaient enfin à leur terme... Enfin, presque. Si l'on écartait les autres problèmes du moment, tout était presque parfait. Il ne faisait aucun doute que dès qu'il serait ouvert, le restaurant aurait du succès.
Vers dix-huit heures, les premiers parents se présentèrent aux portes pour récupérer les enfants. William engagea la conversation avec eux pour répondre à leurs questions et leur offrir des réductions privilégiées pour le jour de l'ouverture. Eh, quitte à enfin avoir une chance de montrer une image positive de son entreprise, il comptait s'en servir. Dans son oreille, Circus Baby, remise en mode comptage, continuait sa suite de nombre.
"Sept. Quatre. Six. Deux. Deux. Trois. Quatre."
*********
Elisabeth rangeait ses cadeaux pendant que son père discutait avec la mère de Marie, la dernière fillette encore présente. Sourire aux lèvres, elle admirait une grosse peluche à l'effigie de Circus Baby. Ses grosses joues rondes, son sourire charmeur, elle ressemblait presque à l'originale, en plus doux et câlinable. Quand elle releva la tête, elle croisa le regard de l'étrange collège de son papa.
Henry la regardait, à demi-caché derrière dans le couloir. Il lui adressa un petit signe de main. Etant une fillette de bonne famille, elle lui adressa à son tour un petit signe, même si un frisson désagréable remonta le long de sa colonne vertébrale. L'homme vérifia que William avait toujours le dos tourné avant de s'approcher, sourire aux lèvres.
"C'était une chouette fête d'anniversaire, dit-il d'un ton joyeux. J'ai entendu la musique depuis mon bureau. J'ai un cadeau pour toi aussi, suis-moi. On va aller sur la scène.
— Sur la scène ? Mais papa a dit que...
— C'est lui qui m'a dit que c'était d'accord."
Il lui tendit la main. Nerveuse, Elisabeth hésita quelques secondes, avant de la prendre, trop curieuse. Elle suivit Henry dans les coulisses et l'accompagna pour monter les marches de la scène. Elisabeth jeta un coup d'oeil à son père. Il n'avait toujours rien remarqué. Pareil pour Scott, occupé à réparer une borne d'arcade tombée en panne. La petite fille l'avait cassé sans faire exprès. Elle avait essayé de mettre des bonbons dans la fente pour les Fazbear Coins, n'en ayant plus en stock. Elle n'avait pas mentionné ce détail. Il le découvrirait tôt ou tard en récupérant ce qui était coincé.
Dans tous les cas, aucun des deux ne parut alerté de la voir là. Peut-être qu'il avait vraiment donné son autorisation alors ? Elle ralentit, mais la poigne d'Henry la retint. Elle se détendit légèrement et se posa devant l'imposant ventre de Circus Baby. Le robot baissa la tête vers elle.
"Bonjour Elisabeth, dit-elle d'une voix joyeuse. Veux-tu une glace ?"
Elle tourna la tête vers Henry, mais l'homme n'était plus là. Elle haussa les épaules. Elle avait enfin son moment en tête à tête avec le robot.
"Oui, s'il te plaît !
— A la fraise ou à la vanille ? Ou aux deux peut-être ?
— Les deux, ce serait gentil."
Un bruit de moteur qui tourne se fit entendre dans le ventre du robot. Elle fronça les sourcils.
********
"Trois. Deux. Deux. Deux. Un. Un. Un."
William mit une main à son oreillette. Circus Baby s'emballait. Elle répétait le dernier mot en boucle, de plus en plus fort. Il poussa un soupir et retira son oreillette. Voilà ce qui arrivait lorsqu'on ne mettait que vingt minutes pour concevoir un programme.
"Monsieur Afton, excusez-moi, mais votre fille est-elle autorisée à monter seule sur la scène ? demanda la maman de Marie.
— Non, bien sûr que..."
Il se retourna. Elisabeth était devant Circus Baby. Comment était-elle arrivée là ? Il fronça les sourcils et se dirigea vers la scène pour la récupérer. Il n'en eut pas le temps. Brutalement, sous ses yeux, une grande pince jaillit du ventre de Circus Baby. Elle saisit la fillette à la taille et la tira à l'intérieur de son estomac. Elisabeth poussa un cri perçant, et les plaques se refermèrent.
"Elisabeth !"
Il se précipita sur la scène, Scott à sa suite. La fillette hurlait de douleur dans le robot qui était en train de spasmait de manière incontrôlée. La maman de Marie hurlait elle-aussi à tue tête en pointant du doigt le liquide rouge qui coulait des circuits du robot. William agrippa à deux mains la plaque qui maintenait le ventre et tira dessus pour la décrocher. Rien ne se passa, et le liquide rouge poisseux qui coulait rendait les choses compliquées. Scott courut au disjoncteur pour couper le courant.
Le robot bougea encore quelques secondes avant de se figer. Un silence angoissant accueillit son arrêt. Elisabeth ne criait plus. Henry, en sauveur, accourut, un pied de biche à la main. A force d'acharnement, il réussit à ouvrir l'estomac du robot. Les trois hommes restèrent tétanisés devant la scène de cauchemar qui se trouvait devant eux.
"Non... Non... murmura William, horrifié. Non, non, non, non...
— William, dit calmement Scott, ne... Ne regarde pas, viens. Henry, appelez la police s'il vous plaît.
— Non... Non, pleura le gérant. Elle... Non... Pas elle... Non ! Non ! AAAAAH ! NON ! NON !"
Il poussa un hurlement de désespoir et tomba à genoux, en larmes. Scott le serra dans ses bras en retenant difficilement ses larmes. Il n'y avait rien à faire. Il n'y avait plus rien à faire. Les circuits de la machine à glaces étaient tâchés de sang et de cervelle. Le visage de la petite fille n'existait plus, broyé dans le moteur. Elle était morte.